La e-lettre bimestrielle de la Direction des affaires juridiques

N°2 du 26 mars 2025 - Angle droit 31

Edito

par Olivier Fuchs


« Ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté ». Ce précepte bien connu, le juriste prussien du XIXe Rudolph von Ihering, un des pères de l’école sociologique et historique du droit, le développe dans Le combat pour le droit. Il y énonce un double but pour le droit : la paix et la lutte contre l’injustice. Il soutient, surtout, que le combat pour la règle de droit est le moyen d’atteindre ces objectifs.

Certes, la thèse peut paraître contre-intuitive, car le combat et la discorde sont précisément ce que le droit se propose d’empêcher. Mais comme le dit Ihering, dans une rhétorique de son siècle, « tous ces principes du droit qui sont aujourd’hui en vigueur, il a fallu d’abord les imposer par la lutte à ceux qui n’en voulaient pas ».

Par cette thèse, Ihering ne vante pas une forme d’immobilisme, bien au contraire. Il souligne en revanche que l’énoncé de la règle de droit, dans sa dimension substantielle et dans son acception formelle, résulte d’un rapport de force complexe dans lequel la procédure, qui encadre le jeu des acteurs, n’est pas vaine mais constitue une garantie. Il soutient encore, ce qui peut nous paraître évident aujourd’hui mais qu’il n’est jamais inutile de rappeler, que respect de la règle de droit est une condition de l’État de droit, qui lui-même permet la stabilité et de la solidité de l’État.

Voilà un essai court que, dans des temps incertains, il peut être bon de relire… en parallèle d’Angle droit bien entendu !

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Zoom sur …

Droit de se taire dans les procédures conduisant à des sanctions administratives : les premiers enseignements apportés par la jurisprudence


Le droit de garder le silence, ou droit qu’un accusé a de ne pas s’auto-incriminer, est particulièrement connu en droit pénal, en particulier à la faveur de l’évocation des droits « Miranda » dans les séries policières américaines (US Supreme Court, 13 juin 1966, Miranda vs. Arizona).

La diversification des systèmes de sanctions, qui ne sont plus le monopole du droit pénal, appelait toutefois à s’interroger sur la préservation de garanties fondamentales pour les personnes faisant l’objet de procédures administratives à caractère répressif. Ces garanties se sont construites progressivement à la faveur de lois qui les encadrent toujours aujourd’hui (ex : loi de 1905 concernant le droit d’accès à son dossier par un fonctionnaire, loi de 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, désormais codifiée au sein du code des relations entre le public et l’administration, etc). La jurisprudence a également joué son rôle en la matière.

C’est dans ce cadre que le Conseil constitutionnel, après une jurisprudence particulièrement abondante en matière pénale, a, fin 2023 puis en 2024, étendu le droit au silence, qui découle du principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser personnellement, aux personnes mises en cause dans le cadre de procédures administratives à caractère punitif.

Ainsi, sur le fondement de l’article 9 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel a, le 8 décembre 2023, jugé pour la première fois que la notification du droit de se taire trouvait bien à s’appliquer à un professionnel poursuivi dans le cadre d’une procédure disciplinaire (CC, 8 décembre 2023, n°2023-1074 QPC). Le considérant n° 9 de cette décision laissait augurer une probable extension de ce principe, puisque le conseil y notait que le droit au silence s’appliquait « non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition ».

I. Les premières décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État en dehors de la procédure pénale

C’est par une décision du 26 juin 2024 que le Conseil constitutionnel a, pour la première fois, appliqué ce principe à une procédure non pénale en annulant certaines dispositions de l’ordonnance en n° 58-1270 du 22 décembre organisant la procédure disciplinaire applicable aux magistrats judiciaires, en raison de leur absence de précision quant au droit de se taire (CC, 26 juin 2024, n°2024-1097 QPC).

Par une décision du 4 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a ensuite annulé avec effet différé les dispositions de l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique instituant la procédure disciplinaire dans la fonction publique pour le même motif (CC, 4 octobre 2024, n°2024-1105 QPC ; voir : Angle Droit n°29 du 21 novembre 2024). Il a laissé au législateur un délai jusqu’au 1er octobre 2025 pour adapter le droit de la fonction publique à cette nouvelle obligation.

Le Conseil constitutionnel est depuis fréquemment saisi de questions similaires portant sur la conformité de textes spécifiques à ce droit au silence (ex : QPC en cours portant sur des dispositions du code monétaire et financier, transmise par le Conseil d’État le 3 janvier 2025).

Restait toutefois au Conseil d’État le soin de fixer les modalités d’applications pratiques de ce droit au silence dans l’attente d’une modification des textes encadrant ces procédures. Ce fut chose faite dans le cadre du droit de la fonction publique et des sanctions ordinales par deux décisions rendues le 19 décembre 2024 (CE, 19 décembre 2024 nos 490157 et 490952), lesquelles ont donné lieu à de premières applications.

Dans ces deux décisions, le Conseil d’État juge que la personne qui fait l’objet d’une procédure disciplinaire ne peut être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans avoir été préalablement informée du droit qu’elle a de se taire. Le Conseil d’État précise que l’administration n’est tenue d’apporter cette information qu’une seule fois, sans devoir la réitérer. À l’inverse, lorsqu’une procédure d’appel est prévue, comme dans le cadre des procédures disciplinaires ordinales, le rappel de ce droit de se taire doit également se faire devant la juridiction d’appel.

Précisant encore le dispositif en matière de droit de la fonction publique, le Conseil d’État estime en outre que le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes administratives, quand bien même celles-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent.

Le Conseil d’État y précise enfin que lorsque la personne mise en cause n’a pas été informée de son droit de se taire, ce manquement, constituant un vice de procédure, n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la sanction prononcée que lorsqu’il ressort du dossier que celle-ci repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit.

Le contentieux de la fonction publique a déjà donné lieu à plusieurs décisions appliquant ces principes, voire pour certaines apportant quelques précisions utiles à l’administration. Le Conseil d’État a ainsi déjà confirmé, au fond comme en référé, que le droit au silence ne s’appliquait pas aux agents entendus dans le cadre d’une enquête administrative, sauf détournement de pouvoir (CE, réf., 23 décembre 2024, n°499083 ; CE, 6 janvier 2025, n° 471653).

II. Les suites en matière de contentieux de fonction publique

Saisie de la légalité d’un blâme infligé à une fonctionnaire de la préfecture de police de Paris, la cour administrative d’appel de Paris a pu lever une ambiguïté en jugeant opérant le moyen tiré de l’absence d’information du droit de se taire y compris pour les sanctions ne nécessitant pas la saisine préalable du conseil de discipline, c’est-à-dire celles du premier groupe (CAA Paris, 27 février 2025, n°23PA05321).

Précision utile également, un agent ne peut se prévaloir de la violation de son droit d’être informé de la possibilité qu’il a de se taire s’il n’a produit aucune observation écrite ou orale dans le cadre de la procédure disciplinaire (CAA Lyon, 9 janvier 2025, n°24LY01436). La cour de Nantes juge qu’il en va de même s’il ne s’est pas présenté personnellement devant le conseil de discipline mais y était représenté par son conseil (CAA Nantes, 4 mars 2025, n°24NT00718).

On signalera enfin le raisonnement, plus étonnant, suivi par la cour administrative d’appel de Nantes dans une décision rendue le 4 mars dernier au sujet d’une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle (CAA Nantes, 4 mars 2025, n°24NT00718). Rappelant à juste titre que le licenciement pour insuffisance professionnelle devait respecter les règles de la procédure disciplinaire, la cour a estimé que le droit au silence y était également applicable. Cette position, utilisant le critère de la procédure, et non le critère finaliste fondé sur le caractère punitif ou non de la procédure, peut étonner, et demande donc à être confirmé dans la mesure où il est admis que le licenciement pour insuffisance professionnelle ne présente pas le caractère d’une sanction (CE, 27 septembre 2000, n°198071 aux Tables).

Quoi qu’il en soit, de nouvelles dispositions législatives, modifiant l’article L. 532-4 du CGFP, devront être adoptées avant le 1er octobre 2025, pour prévoir explicitement ce droit au silence dans le cadre du droit disciplinaire de la fonction publique.

III. Les suites en matière de transport

Des décisions ont également permis de préciser l’application du droit de se taire aux sanctions visant les membres des professions réglementées (contrôle technique des véhicules, experts automobiles, transporteurs routiers) ou celles prononcées dans le cadre de l’exercice d’une activité économique (navigation intérieure, mise sur le marché des sous-systèmes et constituants de sécurité des installations à câbles, obligations déclaratives des bénéficiaires de certificats d’économie d’énergie notamment).

C’est notamment le cas, en matière de contrôle technique des véhicules, où deux arrêts ont été récemment rendus par la cour administrative d’appel de Nancy (CAA Nancy, 11 mars 2025, n°22NC00821 et n°22NC00822), alors qu’un jugement du tribunal administratif de Poitiers était déjà intervenu par ailleurs (TA Poitiers, 6 mars 2025, n°2202265).

Les juges d’appel nancéens rappellent que l’absence d’information de la personne poursuivie de son droit de se taire « n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations du professionnel et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit ». En l’espèce, dès lors que « l’administration s’est principalement fondée sur les constats effectués par les agents de la DREAL lors de la visite de surveillance […] ainsi que sur les données techniques de l’organisme technique central (OTC) », la sanction n’apparaissait pas « fondée de manière déterminante sur les propos du gérant », de sorte que « le défaut d’information du gérant de la société poursuivie n’est pas susceptible d’entrainer l’annulation de la sanction en litige ».

L’arrêt indique en outre que « le droit de se taire ne s’applique pas au cours de la phase de procédure d’inspection et de surveillance du centre de contrôle technique », cette phase étant préalable à l’engagement des poursuites contre l’auteur.

Ces premières décisions devraient inciter les autorités en charge des poursuites à la vigilance lors de l’engagement d’une procédure susceptible d’aboutir à une sanction administrative ayant le caractère d’une punition. En effet, si la personne concernée doit toujours être invitée, au titre du contradictoire, à faire part de ses observations éventuelles en ce qui concerne les manquements reprochés, il convient désormais de lui notifier également son droit de se taire. Cette information doit être mise en œuvre avant toute audition, même dans le silence des textes organisant la procédure. Elle devrait de préférence être écrite notamment dans le courrier de convocation à la réunion contradictoire ou à l’audition. Le cas échéant, la notification peut être indiquée dans un autre support, pour autant qu’il permette d’en justifier ultérieurement (V. par exemple pour une mention dans un compte-rendu ou un procès-verbal d’audition : CAA Toulouse, 10 décembre 2024, n°22TL21994). À défaut, seule la démonstration que la sanction prise n’est pas fondée de manière déterminante sur les éléments fournis personnellement par la personne au cours de la réunion contradictoire ou lors de son audition permettra d’éviter l’annulation de cette décision.

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L'actualité jurisprudentielle

Contrats publics

CE, 20 décembre 2024, Centre hospitalier du Sud Seine et Marne, n° 488339, aux Tables

Créances – Prescription quadriennale – Impossibilité d’invoquer la prescription quinquennale

Les dettes des personnes publiques sont soumises à la règle de prescription quadriennale, sauf dispositions législatives spéciales

Un centre hospitalier a lancé en 2009 un programme d’agrandissement et de rénovation de ses locaux. La conduite de l’opération a été confiée à la direction départementale des territoires de Seine-et-Marne. En 2007, d’importantes difficultés d’exécution ont conduit le centre hospitalier à cesser les travaux et à rechercher l’engagement des responsabilités contractuelles de l’Etat et des constructeurs privés devant le tribunal administratif de Melun, sans succès.

Devant le tribunal, l’État n’avait pas opposé la prescription quadriennale prévue par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, dont l’article 7 prévoit qu’elle doit être invoquée avant que le juge de première instance se soit prononcé sur le fond. Ne pouvant plus la soulever en appel, il avait invoqué en défense la prescription quinquennale de droit commun prévue à l’article 2224 du code civil. La cour administrative d’appel de Paris avait suivi cette position en jugeant que la créance que le centre hospitalier considérait détenir sur l’État était effectivement prescrite sur ce fondement.

Le pourvoi formé ensuite par le centre hospitalier a donné l’occasion au Conseil d’État de préciser les règles de prescription des créances contractuelles de l’État en tant que constructeur et personne publique.

Le rapporteur public, dans ses conclusions, rappelait que seules des règles de prescription spéciales font céder la prescription quadriennale, et que la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, qui est la prescription civile de droit commun, ne constitue pas une telle règle spéciale de nature à écarter la prescription quadriennale. Toutefois, il défendait la position selon laquelle l’État pouvait opposer indifféremment la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil ou la prescription quadriennale de la loi du 31 décembre 1968, notamment afin « d’éviter cette situation paradoxale où la personne publique qui ne pourrait plus, pour des raisons procédurales, opposer la prescription quadriennale, ne pourrait pas non plus se prévaloir de la prescription de droit commun que tout débiteur privé peut pourtant invoquer à tout moment de la procédure en vertu de l’article 2248 du code civil ».

Le Conseil d’État ne l’a toutefois pas suivi et a jugé qu’« en faisant application de la règle de prescription prévue à l’article 2224 du code civil à la créance que le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne soutenait détenir sur l’Etat, alors que cette créance était soumise à la prescription quadriennale instituée par la loi du 31 décembre 1968, la cour a méconnu le champ d’application de la loi ».

Il résulte ainsi de cette décision que la personne publique qui n’a pas invoqué la prescription quadriennale à temps – c’est-à-dire avant l’intervention d’un jugement au fond - ne peut invoquer aucune prescription générale pour éteindre la créance qui lui est réclamée.

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Contentieux administratif

CE, 23 décembre 2024, Union fédérale des cheminots et activités complémentaires, n° 492986, inédit

Contentieux administratif – Recours pour excès de pouvoir - Recevabilité – Absence de décision susceptible d’un recours pour excès de pouvoir

Irrecevabilité d’un recours à l’encontre de simples suggestions de réforme

À la suite de l’ouverture par la Commission européenne, le 18 janvier 2023, d’une procédure formelle d’enquête approfondie relatives à des aides accordées à la société Fret SNCF, le ministre des transports a, par un courrier adressé au président directeur général du groupe SNCF, suggéré un ensemble de mesures, notamment des transformations structurelles de l’activité fret du groupe SNCF.

L’union fédérale des cheminots et activités complémentaires (« CFDT Cheminots ») demandait l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet de sa demande tendant à ce que l’État renonce à la mise en place de ces mesures.

Ainsi que l’a rappelé le rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire, le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de juger que les simples déclarations d’intention de l’autorité administrative ne font pas grief. Il ne saurait en aller autrement que lorsqu’une déclaration d’intention révèle en réalité une véritable décision (CE, 13 février 1987, Syndicat des chercheurs scientifiques, n° 79813, au Recueil).

Dans la lignée de cette jurisprudence, le Conseil d’État a donc en l’espèce accueilli la fin de non-recevoir opposée en défense, tirée de l’irrecevabilité du recours, en considérant que le courrier adressé au PDG du groupe SNCF se borne seulement à suggérer des réformes qu’il appartiendra in fine à ce dernier de mettre en œuvre. Le recours contre ces suggestions, qui n’ont pas le caractère de décisions, est donc irrecevable.

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Domanialité publique

CE, 19 décembre 2024, Mme V. c/ Ministère de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques, n° 491592, aux Tables

Domaine public maritime naturel – Remise en état naturel – Exécution des décisions de justice – Liquidation d’astreinte – Espèce protégée – Opérance du moyen

Quand la remise en état du domaine se heurte à la protection d’une espèce

Une requérante peut utilement soutenir, devant le juge de l’exécution, qu’elle est dans l’impossibilité d’exécuter une injonction prononcée à son encontre de remettre en état le domaine public maritime sans compromettre la préservation d’une espèce protégée dont la présence a été constatée postérieurement au prononcé de l’injonction.

Le tribunal administratif de Bastia avait condamné la requérante à une remise en état des lieux après avoir constaté l’occupation sans titre du domaine public maritime naturel à raison de l’implantation d’une structure en pierres maçonnées composée notamment d’un quai, d’une dalle et d’une échelle d’accès à la mer.
Dans le cadre du contentieux de l’exécution, la requérante se prévalait de son impossibilité à exécuter le jugement l’ordonnant à remettre en leur état initial les lieux en ce qu’un rapport avait révélé la présence de dattes de mer, espèce protégée sur le fondement du point a) de l’annexe IV de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive « Habitats », sur le quai à démolir.

Le Conseil d’État juge qu’est opérant, dans le cadre du litige portant sur la liquidation de l’astreinte, le moyen tiré de ce que l’exécution du jugement serait susceptible de menacer une espèce protégée. Il appartient au juge « d’apprécier la réalité de la difficulté d’exécution ainsi invoquée et, le cas échéant, de préciser les conditions d’exécution de la démolition ordonnée et les diligences pouvant être accomplies à cette fin par les parties, en évaluant la possibilité éventuelle pour l’autorité administrative d’accorder une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées sur le fondement de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ».

Par conséquent, si l’obligation de remettre en état les lieux est revêtue de l’autorité de la chose jugée, la requérante ne pouvant plus discuter du bien-fondé de l’injonction, les difficultés rencontrées dans l’exécution du jugement doivent quant à elles être examinées par le juge de l’exécution.

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CE, 5 février 2025, Associations « Sites et Monuments » et « Les amies de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau », n° 491584, aux Tables

Régime d’occupation du domaine public – Utilisations privatives – Application de la réglementation de préservation des espaces remarquables aux zones de mouillages et d’équipements légers

Zone de mouillage au sein d’un espace remarquable

Lorsqu’une zone de mouillage et d’équipements légers (ZMEL), destinée à accueillir des navires et bateaux en dehors d’un port, est située dans l’un des espaces et milieux mentionnés à l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme, l’autorisation domaniale portant création de la ZMEL doit respecter les dispositions du code de l’urbanisme applicables aux décisions relatives à l’occupation et à l’utilisation des sols.

Une autorisation d’occupation du domaine public maritime (AOT) a été délivrée par l’État au Parc national de Port-Cros en vue de l’aménagement d’une ZMEL dans la passe de Bagaud, sur le territoire de la commune de Hyères. Le préfet maritime de la Méditerranée et le préfet du Var ont ainsi autorisé une ZMEL, en application de l’article L. 2124 5 du code général de la propriété des personnes publiques, d’une capacité globale de 68 postes d’amarrage pour le stationnement des navires au moyen de bouées flottantes dotées d’ancrages écologiques.

Relevant tout d’abord que le Parc national de Port-Cros est un établissement public à caractère administratif placé sous tutelle de l’État et soumis à sa surveillance directe au sens du 2° de l’article L. 2122-1-3 du CG3P, le Conseil d’État a admis l’application de la procédure dérogatoire dite à « l’amiable » qui dispense d’organiser une procédure de sélection ou de publicité préalable à la délivrance d’une AOT.

Ensuite, constatant que la ZMEL était située dans une partie naturelle du parc national de Port-Cros qui constitue un espace à préserver au sens de l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme, le Conseil d’État a jugé que l’arrêté en litige devait être regardé comme une décision relative à l’occupation et à l’utilisation des sols au sens et pour l’application de ces dispositions. L’autorisation devait, par suite, outre les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques, respecter les prescriptions du code de l’urbanisme applicables aux espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral.

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Energie

CC, 24 janvier 2025, Société TTR Energy et autres, n° 2024-1119/1125 QPC

Rémunération des producteurs d’électricité – Liberté contractuelle et droit au maintien des conventions légalement conclues

Déplafonnement des avoirs des contrats de complément de rémunération bénéficiant aux producteurs d’électricité à partir d’énergies renouvelables

Le Conseil constitutionnel juge contraires à la Constitution les dispositions de la loi de finances pour 2024 qui, en modifiant l’équilibre des contrats de complément de rémunération bénéficiant aux producteurs d’électricité à partir d’énergies renouvelables, ont porté une atteinte disproportionnée au maintien des conventions légalement conclues.

L’article 230 de la loi de finances pour 2024 prévoyait, à compter du 1er janvier 2022, un déplafonnement des reversements dus à EDF par les producteurs d’énergies renouvelables (ENR) liés par un contrat de complément de rémunération lorsque le tarif de référence, fixé par ce contrat ou par arrêté, est inférieur au prix du marché de l’électricité.

Ces dispositions avaient été adoptées à la suite d’une première censure du Conseil constitutionnel portant sur l’article 38 de la loi de finances rectificative pour 2022 et fondé sur l’incompétence négative du législateur, qui avait laissé le soin à un arrêté de déterminer le prix seuil à partir duquel le déplafonnement serait effectif.
Le Conseil constitutionnel retient l’existence d’un motif d’intérêt général dans l’objectif poursuivi de corriger les effets d’aubaine dont ont bénéficié les producteurs d’ENR dans un contexte de forte hausse des prix de l’électricité et juge que le législateur était donc fondé à supprimer de façon rétroactive le plafonnement des primes négatives reversées par les producteurs.

Cependant, il devait parallèlement apporter aux producteurs la garantie d’une rémunération raisonnable des capitaux immobilisés. Or, en l’espèce, les dispositions contestées ont privé les producteurs de la totalité des gains de marché dont ils auraient bénéficié jusqu’au terme de l’exécution de leur contrat. Le Conseil constitutionnel juge que cette modification porte une atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues car elle a pour effet de « priver, jusqu’au terme de l’exécution de leur contrat, les producteurs d’électricité de la totalité des gains de marché dont ils auraient dû bénéficier, une fois reversées les aides perçues au titre du complément de rémunération, dans tous les cas où le prix de marché est supérieur au tarif de référence, que ces gains découlent d’une hausse tendancielle des prix de l’électricité ou d’une hausse imprévisible liée à une crise énergétique ».

Par conséquent, le Conseil constitutionnel juge que l’atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues est disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. L’article 230 de la loi est donc contraire à la Constitution.

Néanmoins, il reporte au 31 décembre 2025 la date de l’abrogation des dispositions contestées afin de laisser au législateur le temps nécessaire pour tirer les conséquences de cette inconstitutionnalité. L’abrogation immédiate des dispositions jugées inconstitutionnelles aurait en effet entrainé « des conséquences manifestement excessives », en permettant à de nombreux titulaires de contrats de compléments de rémunération de contester le montant des reversements effectués à EDF. Les juridictions saisies d’une procédure dont l’issue dépend de l’application de cette disposition doivent surseoir à statuer jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ou au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2025.

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Environnement

CAA Paris, 9 octobre 2024, n° 23PA03742

CAA Paris, 9 octobre 2024, n° 23PA03743

CAA Lyon, 19 février 2025, n° 21LY00245

Pollution de l’air – Responsabilité de l’État – Lien de causalité

Pas de présomption de causalité entre les pics de pollution atmosphérique et les pathologies respiratoires infantiles

L’État doit indemniser les préjudices directs et certains résultant, pour trois jeunes enfants et leurs familles, des dépassements des seuils réglementaires d’émissions de polluants atmosphériques. Ces pics de pollution doivent être regardés non comme la cause directe des pathologies ORL et respiratoires des enfants, mais comme celle de leur l’aggravation.

Dans les deux premières affaires citées, les parents de deux jeunes enfants ayant résidé en Ile-de-France depuis leur naissance, et ayant subi à cette occasion des pathologies respiratoires et ORL, ont demandé la réparation des préjudices qu’ils estimaient avoir subi en raison de la carence fautive de l’Etat en matière de lutte contre la pollution atmosphérique.

Le tribunal administratif de Paris a jugé que l’État a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, en ce que les mesures adoptées en la matière n’avaient pas permis que les périodes de dépassement des valeurs limites de concentration de polluants en Île de-France soient les plus courtes possibles et avait ordonné une expertise médicale. Il avait par ailleurs, ce qui constituait une rupture et en s’inspirant de la jurisprudence du Conseil d’État relative aux conséquences de la vaccination obligatoire contre le virus de l’hépatite B sur l’état de santé d’un particulier (CE, 29 septembre 2021, n°435323, au recueil), retenu une « présomption d’imputabilité » des pathologies des deux enfants aux dépassements des seuils de pollution.

Le tribunal avait en effet considéré que, dans le cas où ne pouvait être exclue tout probabilité d’existence d’un lien entre les pathologies et l’exposition des enfants et les pics de pollution en dépassement des seuils, la juridiction devait « procéder à l’examen des circonstances de l’espèce et ne retenir l’existence d’un lien de causalité entre l’exposition aux pics de pollution subie par l’intéressée et les symptômes qu’elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus dans un délai normal pour ce type d’affection, et, par ailleurs, s’il ne ressort pas du dossier que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d’une autre cause que l’exposition aux pics de pollution ».

Saisi par la ministre de la transition écologique, la cour administrative d’appel de Paris a, par deux arrêts du 9 octobre 2024, censuré la grille d’analyse ainsi retenue par le tribunal administratif, en indiquant que la faute de l’Etat n’était susceptible d’engager sa responsabilité qu’en cas de préjudice « direct et certain ». Mettant en œuvre les règles classiques d’engagement de la responsabilité pour faute de l’État, la cour administrative d’appel a considéré que, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’exposition des deux enfants à des pics de pollution observés en région parisienne « devait être regardée comme étant en lien de causalité directe, non pas avec l’ensemble des maladies respiratoires contractées par l’enfant, mais avec l’aggravation de ces pathologies ». Elle a condamné l’Etat à verser aux familles les sommes de 2000 euros et de 4000 euros.

Entre-temps, saisie d’un recours comparable concernant les pathologies respiratoires d’un jeune enfant résidant en vallée de l’Arve, la cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt avant dire droit du 13 décembre 2023 avait repris le principe de « présomption d’imputabilité » retenue par le tribunal administratif de Paris dans ses jugements du 16 juin 2023.

Dans son arrêt final du 19 février 2025, la cour s’est en revanche inspirée de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 9 octobre 2024, en jugeant qu’il y avait « lieu de retenir l’incidence de la pollution comme étant en lien de causalité directe non pas avec les pathologies de l’enfant, mais avec l’aggravation de celles-ci » pour condamner l’État à indemniser les préjudices subis par cette famille.

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CE, 6 novembre 2024, Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et Société Gourvillette Energies, nos 477317, 478222, aux Tables

CE, 20 décembre 2024, Association Robins des Mâts et autres et Société Q Energy France, nos 473862, 473954, aux Tables

Autorisation environnementale – Intérêts protégés par l’article L. 511-1 du code de l’environnement – Articulation avec le régime de protection des espèces protégées prévu par les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement

Articulation entre la police des installations classées et celle des espèces protégées

Le Conseil d’État juge que, dans l’hypothèse où, malgré les mesures d’évitement, réduction ou compensation (ERC) prévues, complétées le cas échéant par les prescriptions complémentaires formulées par l’administration ou par le juge de plein contentieux, il apparaît que le projet garde un impact significatif sur la conservation de l’avifaune, l’autorisation environnementale accordée est illégale en raison de l’atteinte portée à l’un des intérêts protégés par l’article L. 511-1 du code de l’environnement, sans que le juge administratif ne puisse mettre en œuvre les pouvoirs de régularisation qu’il tient de l’article L. 181-18 du même code.

Ainsi, dans sa décision Société Gourvillette Energies, il confirme la décision de la cour administrative d’appel d’annuler l’autorisation environnementale accordée pour la réalisation et l’exploitation d’un parc éolien sur le fondement de l’article L. 511-1 du code de l’environnement, en raison de l’atteinte portée par le projet à plusieurs espèces protégées (dont l’outarde canepetière).

Dans ses conclusions sous cette décision, le rapporteur public apporte des clarifications utiles, en soulignant :
  • que « le juge de plein contentieux ne saurait censurer une autorisation environnementale sur le fondement de l’article L. 511-1 à raison d’atteintes portées aux espèces protégées qui seraient suffisamment limitées pour permettre la délivrance d’une dérogation au titre de l’article L. 411-2 ou, à plus forte raison, pour dispenser le pétitionnaire de solliciter une telle dérogation »,
  • mais qu’à l’inverse (comme c’est le cas dans l’affaire examinée), il doit censurer « une autorisation qui n’aurait pas fait l’objet d’une demande de dérogation en se fondant sur les dispositions générales de l’article L. 511-1 et sans passer par le truchement de la police des dérogations « espèces protégées », lorsqu’il est clairement établi qu’aucune prescription complémentaire n’est susceptible de prévenir de manière suffisante des atteintes mettant en cause l’état de conservation de l’espèce ».

    Par ailleurs, le Conseil d’État précise l’articulation des deux régimes de protection respectivement décrits aux articles L. 411-2 et L. 511-1 du code de l’environnement, compte tenu de l’avis Association Sud Artois du Conseil d’État (avis Sect, 9 décembre 2022, n° 463563, au recueil).

    Par sa décision Association Robins des Mâts et autres, après avoir rappelé que « les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 mettent en place un régime spécifique de protection des espèces protégées qui ne se confond pas avec les intérêts protégés de manière générale par l’article L. 511-1 du code de l’environnement », il juge qu’ « un risque d’atteinte portée à des espèces protégées peut apparaître suffisamment caractérisé pour que le projet nécessite l’octroi d’une dérogation sur le fondement de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, sans pour autant être d’une nature et d’une ampleur telles qu’il porterait, sans qu’aucune prescription complémentaire puisse l’empêcher, une atteinte à la conservation de ces espèces justifiant d’opposer un refus sur le fondement de l’article L. 511-1 du même code ».

    Examinant le cas d’espèce, le juge de cassation considère que, quand bien-même le projet justifiait l’octroi d’une dérogation « espèces protégées » pour la grue cendrée, « il ne portait pas, compte tenu de l’ensemble des mesures prévues pour cette espèce et au vu des effectifs d’oiseaux recensés sur la zone d’implantation et ses alentours, atteinte aux intérêts protégés de manière générale par l’article L. 511-1 du code de l’environnement ».

    Les deux décisions ici commentées viennent compléter plusieurs décisions du Conseil d’Etat précisant l’articulation entre la police des installations classées et le régime des dérogations « espèces protégées ». Le Conseil d’État avait en effet déjà jugé que les conditions d’octroi des dérogations espèces protégées contribuaient à l’objectif de protection de la nature mentionné à l’article L. 511-1 du code de l’environnement mais que, lorsqu’elles lui apparaissent nécessaires, le préfet devait assortir l’autorisation d’exploiter qu’il délivre des prescriptions additionnelles nécessaires pour assurer la protection des intérêts protégés par ce dernier article, même si une dérogation « espèces protégées » avait déjà été délivrée (CE, 31 mai 2021, Société Castorama et ministre de la transition écologique et solidaire, n° 434542, 434603, aux Tables). S’agissant d’un parc éolien en fonctionnement, le Conseil d’État avait également souligné que lorsqu’il édicte, sur le fondement de l’article L. 181-14 et R. 181-45 du code de l’environnement, des prescriptions complémentaires pour assurer la protection des espèces protégées en application de l’article L. 511-1, le préfet doit vérifier si le projet ne nécessite pas, en dépit de ces mesures, l’octroi d’une dérogation au titre de l’article L. 411-2, auquel cas il doit enjoindre au bénéficiaire de solliciter cette dérogation sur le fondement de l’article L. 171-7 du code de l’environnement (CE 8 juillet 2024, LPO, n° 471174, aux Tables).

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CE, 20 décembre 2024, Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques et autres, nos 492185, 492205, 492248

Espèces protégées – RIIPM – Présomption

Feu vert pour la présomption de RIIPM applicable aux installations de production d’énergies renouvelables

Le Conseil d’État juge légale la présomption de raison impérative d’intérêt public majeur pour certains projets d’installation de production d’énergies renouvelables instaurée, en application de la loi, par le décret n° 2023-1366 du 28 décembre 2023.

L’article L. 411-1 du code de l’environnement, transposant l’article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (directive « Habitats »), interdit la destruction ou la perturbation intentionnelle des espèces protégées et de leurs habitats. Le 4° du I de l’article L. 411-2 du même code, transposant l’article 16 de la directive, prévoit la possibilité de déroger à ces interdictions, dans la mesure où sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant à l’absence de solution alternative satisfaisante, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs qu’il énumère limitativement, parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).

Dans le contexte de crise énergétique provoquée notamment par la guerre en Ukraine, les législateurs européen et français sont intervenus au cours des années 2022 et 2023 afin de faciliter le déploiement rapide d’installations de production d’énergies renouvelables. Ainsi, le règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables a institué une présomption selon laquelle les projets dans le domaine des énergies renouvelables relèvent de l’intérêt public supérieur notamment pour la mise en œuvre d’une dérogation « espèce protégées ».

Sur le plan national, la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a ajouté au code de l’énergie un article L. 211-2-1 selon lequel les projets d’installations de production d’énergies renouvelables sont réputés répondre à une RIIPM dès lors qu’ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d’État, tenant compte du type de source d’énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Le décret n° 2023-1366 du 28 décembre 2023 a précisé les critères prévus à l’article L. 211-2-1du code de l’énergie, au vu desquels, pour chacune des sources d’énergie renouvelable concernées, les projets d’installations sont réputés répondre à une RIIPM.

Statuant sur des recours formés par des associations de protection de l’environnement, le Conseil d’Etat rejette les requêtes dirigées contre ce décret.

Il juge que « la présomption instituée (…) présente, pour cette reconnaissance, un caractère irréfragable pour les projets d’installations auxquels elle s’applique qui satisfont aux critères édictés », tout en rappelant que cette présomption ne dispense pas les projets du respect des deux autres conditions de délivrance d’une dérogation au titre de l’articles L. 411-2 du code de l’environnement.

Il juge également qu’en fixant un seuil de puissance au-delà duquel le projet est réputé satisfaire à une RIIPM à seulement 1 mégawatt pour les installations de production hydroélectrique gravitaire et stations de transfert d’énergie par pompage, et à 9 mégawatts pour les installations éoliennes terrestre sur le territoire métropolitain continental, le pouvoir règlementaire n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où, en adoptant l’article L. 211-2-1du code de l’énergie, « le législateur a entendu lever certains obstacles au développement accéléré de la production d’énergie de source renouvelable et de son stockage, notamment en facilitant la reconnaissance de l’intérêt public majeur de projets de taille modeste ».

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CE, 31 décembre 2024, Association « C’est assez ! », n° 490953, inédit

Bien-être animal - Transfert d’animaux - Cétacés en captivité

Cétacés : pas de nécessité de mesures supplémentaires d’encadrement

Le Conseil d’État rejette la requête tendant à ce qu’il soit ordonné à la ministre de la transition écologique de prendre les mesures nécessaires pour interdire tout déplacement et transfert de cétacés à des fins commerciales vers un parc français ou étranger.

Cette affaire s’inscrit dans le contexte de l’annonce de la fermeture du parc zoologique Marineland d’Antibes. La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes a en effet posé un principe d’interdiction de détention en captivité des cétacés à compter du 2 décembre 2026.

Le Conseil d’État relève que les transferts de cétacés sont soumis à un régime d’autorisation en vertu du droit de l’Union Européenne et du droit français. Pour qu’un transfert soit autorisé, plusieurs conditions doivent être réunies notamment l’absence d’utilisation à des fins principalement commerciales des animaux, la préparation au transport et une expédition des spécimens de façon à minimiser les risques de blessure et de maladie. Le règlement (CE) n° 338/97 du 9 décembre 1996 prévoit toutefois des règles distinctes en fonction de la destination du transfert (hors ou intra UE) et des dérogations existent pour les spécimens nés et élevés en captivité.

Compte tenu de l’ensemble de ces règles mais également de la nécessaire prise en compte par l’autorité administrative du bien-être animal consacré aux articles L. 214-1 et R. 214-17 du code rural et de la pêche maritime, le Conseil d’État juge que le refus de prendre des mesures supplémentaires d’encadrement des transferts de cétacés n’est pas entaché d’illégalité.

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CE, 29 janvier 2025, SA Batigère Habitat et autre, n° 489718, aux Tables

Dérogation « espèces protégées » – Raison impérative d’intérêt public majeur - Construction de logements sociaux

Quand la construction de logements sociaux vaut RIIPM

Le préfet de Meurthe-et-Moselle avait, par deux arrêtés, délivré des dérogations « espèces protégées » aux sociétés Batigère Habitat et Batigère Maison Familiale en vue de la construction de trois bâtiments de 60 logements locatifs sociaux et 18 logements en accession sociale à la propriété. Saisi par plusieurs associations, le tribunal administratif de Nancy a annulé ces arrêtés. Cette solution a été confirmée par la cour administrative d’appel de Nancy aux motifs que la commune satisfaisait, à la date de la décision attaquée, aux exigences de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Par conséquent, si le projet présentait un intérêt public, il ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) « suffisante » au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

Le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour en considérant « d’une part, que la construction de ces logements est destinée soit à permettre à une population modeste d’accéder à la propriété, soit à assurer le logement des populations les plus fragiles, et, d’autre part, que le taux de logements sociaux de la commune, observé sur une période significative de dix ans, était structurellement inférieur à l’objectif de 20 % fixé par le législateur et l’un des plus faibles de la métropole du Grand-Nancy, et qu’au demeurant les objectif fixés par la loi en termes de logements locatifs sociaux constituaient des seuils à atteindre et non des plafonds ».

Si, dans ses conclusions, le rapporteur a relevé que le taux des logements sociaux dans la commune concernée avait fini par dépasser, à la date des arrêtés attaqués, le seuil de l’obligation légale prévu par l’article 55 de la loi SRU, il a souligné que « la problématique de construction de logements sociaux appelle une approche de long terme surtout à l’échelle de communes de taille moyenne » (voir également, sur ces notions : CE, 30 juin 2023, SAS MJDII et a., n° 468543, aux Tables).

Cette décision acte une prise en compte bienvenue de la problématique du logement social et, plus largement, des problématiques sociales pour caractériser la raison impérative d’intérêt public majeur.

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Fonction publique

CE, 29 janvier 2025, Sté UGGC Avocats et autre, nos 497840,498835, aux Tables

Protection fonctionnelle – Régime de responsabilité des gestionnaires publics – Cour des comptes

La protection fonctionnelle s’arrête aux portes de la Cour des comptes

Le Conseil d’État juge que l’agent poursuivi devant la Cour des comptes au titre de la responsabilité financière des gestionnaires publics ne peut prétendre au bénéfice de la protection fonctionnelle ni sur le fondement des dispositions des articles L. 134-1 et suivants du code général de la fonction publique (CGFP), ni sur le fondement d’un principe général de droit.

L’administration est tenue à une obligation de protection de ses agents lorsqu’ils sont pénalement mis en cause dans l’exercice de leurs fonctions, sous réserve des conditions posées par les articles L. 134-1 et suivants du CGFP.

Dans une note du 2 avril 2024, la secrétaire générale du Gouvernement a exclu du bénéfice de la protection fonctionnelle, même en l’absence de faute personnelle, les agents mis en cause au titre de la responsabilité des gestionnaires publics sur le fondement des articles L. 131-9 à L. 131-15 du code des juridictions financières (CJF), dès lors que ces poursuites ne correspondent à aucune des hypothèses dans lesquelles les agents publics ont droit à la protection fonctionnelle.

Statuant sur conclusions contraires du rapporteur public, le Conseil d’État a rappelé que la collectivité publique doit accorder une protection à ses agents qui font l’objet de poursuites pénales pour des faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de leurs fonctions. Il confirme que la protection fonctionnelle, instituée par l’article L.134-4 du CGFP, ne s’étend pas aux procédures diligentées contre des agents devant la Cour des comptes, les sanctions qu’elle prononce n’ayant pas la nature d’une sanction pénale.

Le Conseil d’État juge en outre que la mise en cause de la responsabilité financière d’un agent public devant la Cour des comptes n’entre pas davantage dans le champ du principe général du droit à la protection fonctionnelle. Ce principe impose, en règle générale, à la collectivité publique, lorsque l’un de ses agents est mis en cause, de couvrir les condamnations civiles et les frais liés à cette instance, à condition qu’il n’ait pas commis une faute personnelle distincte de ses fonctions. Il implique également, sauf en cas de faute personnelle, une protection de l’agent en cas de poursuites pénales, ainsi qu’une protection contre les menaces, violences, insultes, diffamations et outrages, sauf motif d’intérêt général contraire.

Par une incise, le Conseil d’État indique qu’il est toujours loisible à l’administration d’apporter un soutien, notamment par un appui juridique, technique ou humain dans la préparation de la défense de l’agent public poursuivi devant la Cour des comptes au titre de la responsabilité des gestionnaires publics.

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Urbanisme

CE, 27 décembre 2024, Société Kronimus, nos 489079, 489122 et 489132, aux Tables

Référé-suspension - Enquêtes publiques relatives aux opérations susceptibles d’affecter l’environnement – Constitution de réserve foncière – Nécessité de démontrer l’urgence

La demande de suspension d’une réserve foncière n’est pas présumée urgente

Le Conseil d’État juge qu’un arrêté déclarant d’utilité publique un projet de constitution d’une réserve foncière, laquelle implique des expropriations, n’est pas une décision d’aménagement susceptible d’affecter l’environnement. Un référé-suspension exercé contre une telle décision ne bénéfice donc pas de l’exception prévue à l’article L. 554-12 du code de justice administrative (CJA) qui dispense de démontrer l’existence d’une situation d’urgence.

L’article L. 554-12 du CJA, combiné avec l’article L. 123-16 du code de l’environnement, prévoit que la suspension de l’exécution d’une décision d’aménagement soumise à enquête publique préalable n’est pas subordonnée à la condition d’urgence prévue par l’article L. 521-1 du CJA lorsque, d’une part, l’enquête publique l’ayant précédée est régie par le code de l’environnement et, d’autre part, cette décision a été prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête.

Le Conseil d’État juge qu’il en va différemment lorsque la décision soumise à enquête publique préalable dont la suspension est demandée ne porte pas sur une opération susceptible d’affecter l’environnement relevant de l’article L. 123-2 du code de l’environnement. Dans cette hypothèse, l’enquête publique étant régie par les seules dispositions du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et non par celles du code de l’environnement, la demande de suspension présentée au juge administratif des référés est soumise à une condition d’urgence.

Or, le Conseil d’État juge que la constitution d’une réserve foncière ne constitue « qu’un préalable à une opération d’aménagement », laquelle n’affecte pas, par elle-même, l’environnement. Dès lors, un référé-suspension formé à l’encontre d’une telle décision est soumis aux conditions de droit commun et donc à la nécessité de justifier de l’urgence à la suspendre.

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Urbanisme et environnement

CE, 20 décembre 2024, société GLJ 64, n° 470275, aux Tables

Taxe francilienne pour construction de bureaux, de locaux commerciaux et de stockage – Construction ou transformation de locaux exécutée en infraction à la réglementation de l’urbanisme – Prescription du droit de reprise

Permis de régularisation et délai de reprise à l’administration

La délivrance d’un permis de construire ou d’aménager régularisant une transformation précédemment intervenue sans autorisation d’urbanisme ne constitue pas un nouveau fait générateur de la taxe francilienne pour construction de bureaux, de locaux commerciaux et de stockage (TCBCS) ouvrant à l’administration un nouveau délai de reprise.

Ayant acquis un local commercial, la société GLJ 64 a déposé une demande de permis de construire portant notamment la surélévation d’un étage et le changement de destination du bâtiment à usage de commerce en locaux de bureaux. La déclaration des surfaces passibles de la TCBCS jointe au dossier indiquait une surface totale créée ou transformée de 503 m² dont 103 m² de surfaces passibles de la taxe et 400 m² de surfaces non passibles de la taxe, ces derniers étant, d’après les explications fournies par la société pétitionnaire, « réputés déjà taxés puisque le changement de destination a été opéré il y a plus de six ans ».

La société a obtenu le permis de construire sollicité et la direction générale des finances publiques a émis, à l’encontre de la société, un titre de perception correspondant à la création de 503 m² de locaux à usage de bureaux. En effet, la transformation des locaux commerciaux en bureaux, réalisée en infraction à la réglementation de l’urbanisme, n’avait jamais été portée à la connaissance de l’administration fiscale et n’avait donc pas pu être taxée. L’administration s’est ainsi prévalue de ce que la délivrance a posteriori d’un permis de construire portant régularisation de cette transformation irrégulière constituait un nouveau fait générateur de la taxe et ouvrait un nouveau délai de reprise.

Le Conseil d’État juge que dans l’hypothèse d’une construction ou d’une transformation illicite achevée avant 2016, « seule trouve à s’appliquer la prescription prévue par les dispositions de l’article L. 186 du livre des procédures fiscales [soit le délai de prescription fiscale de droit commun], qui court à compter de l’achèvement des travaux ou des aménagements exécutés sans autorisation ou sans déclaration en vue de la construction de locaux à usage de bureaux ou de locaux de recherche ou de la transformation en de tels locaux, fait générateur de l’imposition », confirmant ainsi la solution résultant de la décision « société Unibail Holding », (CE, SSR 9-10, 30 juillet 2010, société Unibail Holding, n° 312204, aux Tables du recueil Lebon).

Le Conseil d’État juge également, en complétant sa jurisprudence, que « Ni pour l’application des anciennes dispositions (…), ni pour celle des nouvelles dispositions [en vigueur depuis
le 1er janvier 2016], la délivrance, expresse ou tacite, de l’autorisation de construire ou d’aménager (…), lorsqu’elle régularise une transformation précédemment intervenue en infraction aux dispositions relatives au permis de construire ou aux déclarations exigibles, ne constitue un nouveau fait générateur de la taxe prévue à l’article L. 520-1 de ce code, ouvrant à l’administration un nouveau délai de reprise »
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L'actualité normative et consultative

Directive (UE) 2024/3019 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2024 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, dite "DERU"

La directive procède à la refonte de la directive 91/271/CEE et fixe des règles plus strictes pour la collecte, le traitement et la surveillance des eaux résiduaires urbaines (c’est-à-dire des eaux usées urbaines rejetées dans le milieu naturel après traitement en station d’épuration) dans l’Union européenne.

La directive révisée élargit son champ d’application en prévoyant que les agglomérations de plus de 1 000 équivalents-habitants (au lieu de 2 000 aujourd’hui) devront s’équiper, d’ici au 31 décembre 2035, d’un système de collecte et d’un traitement secondaire des eaux usées (à savoir l’élimination de la matière organique biodégradable) pour éliminer la pollution organique dissoute.

Elle étend progressivement, jusqu’en 2045, le traitement tertiaire (élimination de l’azote et du phosphore) et quaternaire (élimination des micropolluants) aux agglomérations de plus de 150 000 équivalents-habitants.

À cet égard, conformément au principe du pollueur-payeur, les fabricants de produits pharmaceutiques et cosmétiques qui entraînent une pollution des eaux urbaines résiduaires par des micropolluants devront contribuer, à hauteur de 80 % minimum, aux coûts de ces traitements supplémentaires, dans le cadre d’un régime de responsabilité élargie des producteurs applicable au plus tard en 2029.

Les États membres devront par ailleurs recenser et évaluer les risques liés aux rejets d’eaux résiduaires urbaines par rapport aux objectifs fixés dans différentes directives et règlements (directive-cadre sur l’eau, directive eau potable, directive eau souterraine et sur la qualité des eaux de baignade notamment) et adopter les mesures nécessaires au respect de ces objectifs. Cette surveillance intègre celle des polluants émergents, des biomédias (petits cylindres de plastique, support de micro-organismes) et des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Le texte exige en outre la surveillance de paramètres sanitaires dans les eaux usées afin de lutter contre les pandémies ou autres menaces majeures pour la santé publique.

Enfin, la directive fixe un nouvel objectif de neutralité énergétique des stations d’épuration qui devront recourir à des sources d’énergies renouvelables d’ici 2045.

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Règlement (UE) 2025/40 du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 2024 relatif aux emballages et aux déchets d’emballages

Ce règlement, qui abroge et remplace une directive du 20 décembre 1994, fixe des exigences en matière de durabilité environnementale pour l’ensemble du cycle de vie des emballages. Ainsi, progressivement, tous les emballages, sous réserve de quelques rares exceptions, devront contenir un pourcentage minimal de contenu recyclé.

Le règlement prévoit que tous les emballages portent une étiquette harmonisée contenant des informations sur les matériaux qui les composent, afin de faciliter le tri par les consommateurs.

Il fixe de nouveaux objectifs de réduction d’usage de certains emballages (en plastique et à usage unique), de restrictions concernant certaines substances (notamment les substances per- et polyfluoroalkylées, dites « PFAS »), de contraintes de réduction de poids et de volume aux fabricants ou importateurs, et de réemploi.

S’agissant des déchets d’emballage, le règlement impose une réduction de la quantité produite par habitant d’au moins 5% d’ici à 2030, 10% d’ici à 2035 et 15% d’ici à 2040, par rapport à 2018.

Les États membres devront en outre prendre les mesures nécessaires pour, d’une part, assurer une collecte séparée des déchets d’emballages et, d’autre part, réaliser le recyclage d’au minimum 65 % de tous les déchets d’emballages produits au plus tard le 31 décembre 2025 et 70 % au plus tard le 31 décembre 2030.

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Décret n° 2025-119 du 10 février 2025 portant création de l’établissement public Société de livraison des ouvrages olympiques Alpes 2030

En vertu de l’article 34 de la Constitution, le législateur est compétent pour fixer les règles concernant la création de catégories d’établissements publics. Des établissements publics peuvent donc être créés à partir d’une loi déterminant de façon générale les règles constitutives d’une catégorie d’établissements publics, les règles non essentielles demeurant quant à elles fixées par voie réglementaire.

La jurisprudence constitutionnelle et administrative admet également la pratique consistant à ouvrir une nouvelle catégorie d’établissement public à partir d’un premier exemplaire de cette catégorie créé par voie législative, qui en devient « chef de file ». Ainsi, lorsque le législateur crée une nouvelle catégorie « par l’exemple », d’autres établissements publics de la même catégorie peuvent être créés par voie réglementaire. Il revient alors au décret qui fixe l’organisation et le fonctionnement du nouvel établissement, dans le respect des règles constitutives attachées à la nouvelle catégorie, de prévoir les adaptations destinées à prendre en compte les spécificités de gestion attachées à l’objet analogue confié au nouvel établissement.
C’est dans ce cadre qu’a été adopté le décret n° 2025-119 du 10 février 2025 portant création de l’établissement public « Société de livraison des ouvrages olympiques Alpes 2030 » (SOLIDEO Alpes 2030), publié au Journal Officiel du 12 février 2025.

Fondé sur le modèle de SOLIDEO Paris 2024, établissement « chef de file » créé par l’article 53 de la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain, SOLIDEO Alpes 2030 est un établissement public dédié à la préparation des Jeux olympiques d’hiver 2030. Ce nouvel établissement public industriel et commercial, dont le siège est à Marseille, est placé sous la tutelle conjointe des ministres chargés des sports, de l’urbanisme et du budget. SOLIDEO Alpes 2030 a pour mission principale de veiller à la livraison des ouvrages et à la réalisation des opérations d’aménagement nécessaires à l’organisation des Jeux. Elle assure également la destination de ces ouvrages et de ces opérations à l’issue des Jeux.

Tout comme son prédécesseur, SOLIDEO Alpes 2030 peut se substituer, de plein droit avec accession à titre gratuit à la pleine propriété des ouvrages concernés, aux maîtres d’ouvrage, sociétés ou collectivités territoriales impliqués dans la préparation des jeux, en cas de défaillance caractérisée par la méconnaissance du calendrier de livraison ou de réalisation des ouvrages, le dépassement des budgets prévisionnels, le non-respect du programme, ou tout autre élément conduisant à un retard ou à l’interruption de la conception, de la réalisation ou de la construction de tout ou partie des ouvrages ou des aménagements nécessaires aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2030.

Son conseil d’administration comprend 21 représentants de l’État, 12 représentants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, trois représentants du mouvement Olympique et Paralympique, 2 représentants élus par le personnel, et 4 personnalités qualifiées. Enfin, le décret prévoit un comité d’éthique et un comité d’audit et précise leurs compositions ainsi que leurs missions.

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Vers un changement du statut de protection du loup au titre de la Convention de Berne ?

Le loup (Canis lupus) est aujourd’hui inscrit en tant qu’espèce strictement protégée à l’annexe II de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, établie à Berne le 19 septembre 1979.

L’Union européenne a ratifié la Convention de Berne par une décision 82/72/CEE du Conseil du 3 décembre 1981 et a inscrit le loup en tant qu’espèce strictement protégée dans la directive 92/43/CE du 21 mai 1992 dite « habitats faune flore » (annexe IV). L’article 12 de cette directive pose le principe d’interdiction de destruction ou de perturbation intentionnelle de spécimens de telles espèces et son article 16 définit des conditions strictes pour déroger à ces interdictions. Seules quelques populations de loups (notamment sur certaines parties des territoires finlandais, estonien, bulgare, letton, polonais et slovaque) sont classées en tant qu’espèce d’intérêt communautaire dont le prélèvement dans la nature et l’exploitation sont susceptibles de faire l’objet de mesures de gestion (annexe V).

En conformité avec le droit européen, le loup est classé par l’arrêté interministériel du 23 avril 2007 en tant qu’espèce strictement protégée en droit interne. La destruction ou la perturbation intentionnelle de spécimens sont ainsi interdites, à moins qu’une dérogation à ces interdictions n’ait été obtenue, sur le fondement de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ou dans les conditions fixées par l’arrêté du 21 février 2024 pris en application de l’article R. 411-13 du même code, pour ce qui concerne les tirs pour la protection des troupeaux.

Selon « l’analyse approfondie » mise à disposition par la Commission européenne fin 2023, l’état de conservation du loup affiche une tendance positive sur le territoire européen. L’espèce s’est rétablie sur l’ensemble du continent, la population estimée a presque doublé en 10 ans (passant de 11 193 en 2012 à 20 300 en 2023). En France, depuis cinq ans, la population a doublé (541 loups dénombrés à la sortie d’hiver 2018, plus de 1 000 en 2023) et l’expansion géographique se poursuit très régulièrement avec un nombre de zones de présence du loup qui croît fortement.

Tenant compte de l’évolution de la population et de l’expansion territoriale de l’espèce, et des conflits avec les activités humaines, telles que le pâturage extensif des ovins et bovins, qu’elles génèrent, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 25 septembre 2024, sur le fondement des articles 192 §1 et 218 §9 du TFUE, une décisionsoumettant une proposition au comité permanent de la convention de Berne « visant à retirer l’espèce du loup de l’annexe II de la convention de Berne, relative aux « espèces de faune strictement protégées » et à l’ajouter à son annexe III relative aux « espèces de faune protégées ». Cette proposition reprend celle que le Parlement européen avait auparavant formulée dans sa résolution 022/2952 (RSP) du 24 novembre 2022.

Le 3 décembre 2024, le comité permanent a adopté la proposition de l’Union européenne. La modification entrera en vigueur dans trois mois, sauf si au moins un tiers des Parties à la Convention de Berne s’y oppose.

La modification du statut de protection du loup au titre de la convention de Berne est un préalable à la modification de son statut dans le droit de l’Union. Ce changement pourrait entraîner le reclassement du loup dans la catégorie des « espèces d’intérêt communautaire susceptibles de faire l’objet de mesures de gestion », listées à l’annexe V de la directive « habitats » et sa suppression consécutive de la catégorie des « espèces d’intérêt communautaire nécessitant une protection stricte », mentionnée à l’annexe IV de la directive.
Toutefois, les modifications qui seraient ainsi apportées au statut de protection du loup ne sauraient en tout état de cause avoir pour conséquence une exploitation cynégétique inconditionnée de cette espèce dans la mesure où l’article 14 de la directive « habitats » prévoit que les États membres prennent des mesures pour que le prélèvement dans la nature de spécimens des espèces figurant à l’annexe V soit compatible avec leur maintien dans un état de conservation favorable (voir sur ce point notamment CJUE, 29 juillet 2024, Asociación para la Conservación y Estudio del Lobo Ibérico, C‑436/22, point 78, cette décision ayant été commentée dans le numéro d’Angle droit du 21 novembre 2024).

L'actualité des réseaux

TA Nice, 28 novembre 2024, Préfet des Alpes-Maritimes, n° 2303415 (analyse par le bureau des affaires foncières et de l’urbanisme à la préfecture des Alpes-Maritimes)

Urbanisme – Permis de construire – Effet juridique de l’ordonnance d’homologation d’un accord de médiation

Quand l’homologation d’un accord de médiation sur un permis de construire ne produit pas l’effet attendu

Le permis de construire retiré par le maire pour un motif d’illégalité n’est pas rétabli dans l’ordonnancement juridique par la simple ordonnance d’homologation de l’accord de médiation intervenu entre le maire et le pétitionnaire.

En l’espèce, le maire d’une commune avait procédé au retrait du permis de construire illégal accordé à une société, à la suite du recours gracieux exercé par le préfet. La société avait alors en parallèle de son recours pour excès de pouvoir, introduit une demande de médiation devant la juridiction administrative, sur le fondement des dispositions des articles L. 213-1 et suivants du code de justice administrative.

Au terme de la procédure de médiation, les parties se sont accordées sur le fait que les nouveaux éléments produits permettaient de considérer le permis initial comme non entaché d’illégalité, sur la nécessité de procéder en conséquence à l’annulation de son arrêté afin de rétablir le permis de construire retiré et sur le fait que la société renonce à intenter toute action indemnitaire contre la commune. Le juge administratif a homologué cet accord.

Le préfet a formé un déféré contre l’arrêté du maire prorogeant le permis de construire et, à cette occasion, le juge administratif s’est prononcé sur la portée exacte de cette homologation et, notamment, sur la question de savoir si celle-ci avait eu pour effet de rétablir dans l’ordonnancement juridique, le permis de construire retiré.

Le tribunal administratif, suivant la position de l’État, a jugé que si, dans le cadre de la procédure de médiation, les parties sont parvenues à un accord de médiation, homologué par le tribunal administratif de Nice, qui prévoyait que l’arrêté de retrait du permis de construire devait être annulé, « il ne ressort toutefois d’aucune pièce du dossier que le maire de la commune (…) aurait pris une quelconque décision ayant un tel objet ou un tel effet ».

Sur la base de cette solution juridique, le juge administratif a procédé à l’annulation de la prorogation tacite, celle-ci se fondant sur une autorisation d’urbanisme définitivement retirée. Il convient donc dans un tel cas de figure, d’analyser précisément tant les termes de l’accord de médiation, que ceux du dispositif de l’ordonnance d’homologation rendue par le juge administratif.

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CE, 28 novembre 2024, M. A, n° 488592, aux Tables )

Recours gracieux contre les permis de construire : quelle adresse ? (analyse par le service urbanisme habitat et construction de la DDT Haute-Saône)

Le Conseil d’État juge que la notification d’un recours gracieux à une adresse figurant sur le panneau d’affichage du permis de construire est régulière, même si elle diffère de celle mentionnée dans l’acte attaqué.

Dans ce litige, relatif à un permis de construire délivré par le maire de Saint-Jean-de-Sixt pour un bâtiment collectif, un tiers a introduit un recours contentieux, rejeté pour irrecevabilité au motif que la notification de son recours gracieux avait été effectuée à une adresse différente de celle indiquée dans l’acte administratif, en l’espèce l’adresse figurant sur le panneau d’affichage.

Le Conseil d’État annule l’arrêt confirmant ce jugement, en retenant que la notification était régulière dès lors qu’elle avait permis d’informer effectivement le bénéficiaire du permis.

L’article R. 600-1 vise à protéger la sécurité juridique des autorisations d’urbanisme, en assurant une information rapide des bénéficiaires sur les recours introduits. Jusqu’ici, la jurisprudence retenait une approche stricte : la notification devait en principe respecter l’adresse mentionnée dans l’acte attaqué. Toutefois, des exceptions ont été reconnues lorsque l’information effective était garantie.

Dans cette affaire, la notification du recours gracieux a été faite à l’adresse figurant sur le panneau d’affichage. Bien que cette adresse diffère de celle de l’acte, elle était associée au bénéficiaire du permis. Le Conseil d’État a donc privilégié une approche pragmatique, en se fondant sur l’effectivité de l’information fournie au bénéficiaire du permis.

Cette décision illustre une interprétation moins formaliste, en évitant que des recours valables soient rejetés pour des erreurs mineures, tout en préservant les droits des bénéficiaires de permis de construire.

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3 questions à … ,

Pierre-Antoine Molina, Délégué interministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques

Pouvez-vous présenter la DIJOP et indiquer quel sera son rôle à travers les différentes étapes de la préparation des JOP2030 ?

La Délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (DIJOP) créée pour les besoins de l’organisation des Jeux de Paris en 2024, a vu son rôle étendu aux Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) d’Hiver de 2030 « les Alpes Françaises » par un décret du mois d’octobre 2024. Alors que s’achèvent ses missions pour les JOP 2024 qui visent à réaliser les retours d’expérience, suivre les études d’impact et la mise en œuvre de l’héritage, la DIJOP joue un rôle central dans la préparation des JOP 2030. Pour ces Jeux, la DIJOP assure la coordination des différents ministères impliqués dans l’organisation de l’événement, et leurs relations ave le comité d’organisation et la Solideo. Elle a d’ailleurs piloté la création du comité d’organisation des Jeux d’hiver 2030 et de la société de livraison des ouvrages olympiques Alpes 2030 ainsi que la mise en place d’instances de suivi associant les parties prenantes des Jeux. Elle travaille actuellement à la finalisation du programme d’équipements, d’infrastructures de transport et d’aménagements publics nécessaires à l’organisation des Jeux, en veillant à la maîtrise des dépenses et du calendrier par un exercice de consolidation budgétaire. Elle prépare , en lien avec les administrations compétentes, les textes législatifs et réglementaires nécessaires à l’accueil des Jeux. Elle assure les relations de l’État avec le Comité d’organisation des Jeux, le Comité National Olympique du Sport Français, le Comité Paralympique du Sport Français et les collectivités territoriales au premier rang desquelles les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur à l’origine de la candidature olympique.

Pendant les phases de planification et de préparation, elle pilotera la définition de la carte définitive des sites olympiques et paralympiques et des modalités de financement du programme d’équipements publics et veillera à l’élaboration des plans de sécurité, de transport et d’hébergement.

Enfin, elle assure le pilotage des démarches visant à arrêter une stratégie, des objectifs, une méthodologie et des indicateurs de suivi en matière d’héritage des Jeux d’une part, et d’impact environnemental de cet événement d’autre part.

Les grands événements sont souvent l’occasion d’expérimentations et de nouveautés juridiques : est-il d’ores et déjà prévu que les JOP2030 fassent l’objet d’un dispositif juridique spécifique ?

Les grands événements sportifs internationaux, et les JOP en particulier, entraînent souvent la mise en place de dispositifs juridiques spécifiques et d’expérimentations ou innovations techniques visant à respecter les exigences propres à ces événements, leur calendrier de préparation souvent contraint ainsi que les ambitions sociales et environnementales qui y sont légitimement attachées. Deux lois ont été adoptées en 2018 et 2023 pour les besoins de l’organisation des Jeux de Paris. Une partie des dispositions de ces lois ont été pérennisées, d’autres étaient spécifiques au cahier des charges du Comité International Olympique ou au contexte des Jeux de Paris. Les services de l’Etat ont d’ores et déjà identifié un ensemble de mesures législatives et réglementaires nécessaires pour faciliter l’organisation des Jeux d’hiver 2030. Cela concerne des domaines tels que l’urbanisme, l’aménagement, les transports, la santé, la sécurité ou encore la lutte contre le dopage. Beaucoup de ces mesures sont étroitement inspirées des dispositions prévues pour les Jeux de 2024 et non pérennisées, d’autres tiendront compte du cadre dans lequel s’inscrivent les Jeux d’Hiver 2030.

Les JOP 2024 ont divisé par deux l’empreinte carbone des Jeux par rapport aux éditions de Londres 2012 et Rio 2016, et ont promu un modèle plus circulaire et plus respectueux de l’environnement. Quelles sont les ambitions des JOP2030 en matière environnementale ?

Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ont été conçus dès la phase de candidature avec des ambitions environnementales élevées. SOLIDEO et Paris 2024 ont publié des rapports fin 2024 mettant en lumière les actions menées et les résultats atteints. Les conventions tripartites SOLIDEO (au nom l’Etat) / maître d’ouvrage (collectivités locales ou promoteur privé) / Paris 2024 comportaient, en complément des dimensions calendaires et financières, des ambitions environnementales fortes qui se traduisaient par exemple par des objectifs sur le bilan carbone des ouvrages. De son côté, le COJO a intégré dès le début dans son fonctionnement la question environnementale par exemple en privilégiant la location plutôt que l’achat et en pensant dès le début à la seconde vie des équipements acquis.

En cohérence avec l’Agenda 2020+5 du CIO et les politiques publiques françaises, les Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de 2030 dans les Alpes françaises s’engagent à être un modèle de responsabilité environnementale. Parmi les axes que nous devons élaborer, on peut citer par exemple :

  • Réduire l’empreinte carbone des Jeux et contribuer à réduire sur le long terme les émissions des Alpes françaises. La réutilisation et la rénovation d’infrastructures existantes (pour plus de 90% des besoins des Jeux) ou l’utilisation de véhicules électriques ou à hydrogène contribueront à cet axe pendant les Jeux. L’amélioration des réseaux ferrés, la mise en place de bus à haut niveau de service et la construction d’ascenseurs valléens permettront de réduire durablement les émissions de gaz à effet de serre des Alpes au-delà des Jeux. Les conventions SOLIDEO 2030 (comme celles de 2024) devront prévoir un budget carbone pour chaque ouvrage olympique.
  • Protéger la biodiversité et les milieux naturels. Les travaux pour construire ou rénover des infrastructures pour les Jeux porteront une attention particulière au respect de la biodiversité dans un contexte très sensible au plan environnemental.
  • Développer l’économie circulaire. Les Jeux 2024 ont été un démonstrateur pour l’économie circulaire (exemples : réutilisation des matériaux sur le village olympique et des équipements sportifs). Pour 2030, le contexte sera différent mais il est important d’intégrer cette dimension de manière transversale dès maintenant. Ceci est aussi un moyen d’impliquer les structures sociales locales.
  • Renforcer la résilience. Les infrastructures construites pour les Jeux de 2024 ont pris en compte le climat de 2050 ; Paris 2024 a pensé le programme des épreuves en intégrant la dimension climatique. Pour 2030, il convient d’adopter une approche similaire en prenant en compte dans les choix d’investissement les résultats des études ClimSnow, en définissant des stratégies concertées en matières de consommation d’eau, ou en sécurisant les infrastructures de transport face à l’évolution des risques induits par le changement climatique.

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N°2 du 26 mars 2025 - Angle droit 31

Comité éditorial : Olivier Fuchs, Umberto Berkani, Amandine Berruer, Ninon Boulanger, Sadan Camara-Keita, Soizic Dejou, Sophie Geay, Stéphanie Grossier, Méhar Iqbal, Sabrina Lalaoui, Nadia Lyazid, Olivier Meslin, Liliane Micot, Sophie Namer, Emma Quarante, Louise Soulard, Licia Villotta, Isabelle Volette, Pascal Zabal

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