La e-lettre bimestrielle de la Direction des affaires juridiques

N°5 du 11 septembre 2024 - Angle droit 28

Edito

par Olivier Fuchs





Ça y est, le rideau est tombé dimanche sur les jeux olympiques et paralympiques 2024, lesquels ont été une incontestable réussite sportive et culturelle. Bien des bilans en seront tirés dans les prochaines semaines et mois et, sans préempter ceux-ci, Angle droit a choisi de saluer ce succès, auquel ont contribué de nombreux agents, directions et services du ministère, en revenant sur les sous-jacents juridiques de la préparation et du déroulement des Jeux.


La préparation d’un tel évènement, dans un temps contraint, a requis en de nombreux domaines une grande dose d’inventivité et le droit n’a pas échappé à ce mouvement.


Il s’agissait, comme l’explique le « zoom sur » de ce numéro, tout à la fois d’accompagner les projets en comprimant le temps nécessaire à leur réalisation, de déroger, parfois, à des règles de fond pour des raisons bien comprises d’intérêt général, d’expérimenter aussi, le tout dans un cadre spécifique, précisé notamment par le contrat de ville-hôte signé avec le CIO et mettant aux prises une multitude d’acteurs publics comme privés.

Au cours des mois s’est donc formé un corpus juridique spécifique aux JOP, résultant notamment de l’adoption de lois et d’actes réglementaires, dont il a fallu assurer la conjugaison avec l’application des règles de droit commun puisque, bien heureusement, lorsque dérogations et expérimentations il y a eu, celles-ci se devaient d’être aussi limitées que possibles.

Il est certain que le véritable laboratoire juridique qu’ont constitué les jeux olympiques et paralympiques devra à l’avenir faire l’objet d’analyses et d’études approfondies, afin que l’héritage des jeux soient aussi un héritage juridique. Parmi bien d’autres sujets tout aussi passionnants, il était important qu’en clôture des jeux, Angle droit contribue d’ores et déjà à cette réflexion.


Bonne lecture !

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Zoom sur …

La dimension juridique des jeux olympiques et paralympiques

Organiser un évènement de l’ampleur des jeux olympiques et paralympiques et assurer son bon déroulement est assurément un défi d’ampleur. Au-delà des performances sportives et de la dimension culturelle, derrière le rideau, c’est tout un ensemble de compétences qui ont été mises en œuvre avec des répercussions dans de nombreux domaines d’activité, et le droit n’y a pas échappé.

Les jeux olympiques et paralympiques, c’est d’abord un cadre juridique original et inhabituellement contraint. Outre l’articulation d’une lex sportiva avec le droit général, ce qui est le lot habituel des compétitions sportives, l’organisation des jeux suppose en particulier la conclusion d’un contrat de ville hôte entre le comité international olympique, association de droit suisse qui seule détient la propriété des jeux, la ville de Paris et le comité national olympique et sportif français. Ce contrat détermine les droits et responsabilités des parties dans l’organisation des jeux. Il prévoit, par ailleurs, la constitution d’un comité d’organisation des jeux (COJO) chargé de l’organisation de l’évènement en lui-même, tandis que la construction et la rénovation des équipements pérennes nécessaires à la tenue des jeux ont été confiées à un établissement public créé à cette fin, la société de livraison des équipements olympiques (Solideo).

Pour atteindre les objectifs fixés dans le contrat de ville hôte et rendre possible l’évènement, s’est développé au fil des mois un corpus juridique spécifique. En termes de production normative notamment, deux lois dédiées à l’organisation des jeux ont été nécessaires (loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 et loi n° 2023-380 du 19 mai 2023) ainsi que de nombreuses mesures réglementaires.

L’un des objectifs majeurs poursuivis par ces textes a été de lever certaines contraintes ou d’adapter les procédures et règles de fond, dès lors que le constat était fait de ce que le droit commun n’était pas toujours adapté à l’échelle d’un tel évènement ou au temps imparti à sa préparation.

La loi du 26 mars 2018 a, par exemple, adapté les modalités de consultation du public pour les projets, plans et programmes nécessaires à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des jeux (article 9) et a dispensé les constructions temporaires directement liées à l’évènement de toute formalité au titre du code de l’urbanisme, sous réserve de respecter des durées maximales d’implantation et de remise en état fixées par la loi (article 10). La même loi a prévu la possibilité d’appliquer la procédure d’extrême urgence prévue à l’article L. 522-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique à la prise de possession des immeubles nécessaires à la réalisation du village olympique et paralympique, du pôle des médias et des ouvrages nécessaires aux compétitions (article 13). Elle a également permis l’octroi de permis de construire ou d’aménager à double usage, autorisant les travaux nécessaires à un état provisoire pour l’usage de l’immeuble dans le cadre de la préparation, de l’organisation ou du déroulement des jeux olympiques et paralympiques, et par la même occasion les travaux nécessaires à l’état définitif du bien après les jeux (article 15 et décret n° 2018-512 du 26 juin 2018 pris pour son application). De nombreux immeubles construits pour les jeux doivent en effet trouver une nouvelle affectation par la suite, tels que ceux situés au sein du village des athlètes, en Seine-Saint-Denis.

Les règles contentieuses ont également été adaptées, avec l’objectif de concilier l’exercice normal des voies de recours avec les exigences calendaires d’organisation de l’évènement. Ainsi, le décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 a attribué à la cour administrative d’appel de Paris la compétence pour statuer, en premier et dernier ressort, sur l’ensemble des litiges relatifs aux opérations d’urbanisme et d’aménagement liées aux jeux. Le Conseil d’État a été légitimement vigilant dans l’interprétation de ces dispositions, veillant à ce que seuls les projets réellement nécessaires à l’organisation des jeux puissent bénéficier de ce « coupe-file » contentieux (voir notamment CE, 17 octobre 2022, Association FNE, n°459219, aux tables et du même jour Association Collectif pour le triangle de Gonesse, n°464620, aux tables).

Le cadre spécifique des jeux a aussi conduit, parfois, à gommer le droit commun. L’article 17 de la loi du 26 mars 2018 écarte ainsi l’application de l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, relatif à la procédure de sélection préalable pour l’occupation de dépendances du domaine public, pour les autorisations délivrées au COJO ainsi que les titres de sous-occupation délivrés à ses partenaires marketing. La loi prévoit également que ces titres peuvent être délivrés gratuitement, créant ainsi une exception au principe de paiement d’une redevance. En effet, et alors que des dérogations aux règles de la domanialité publique ne se heurtaient à aucun principe supra-légal, leur application au cas d’espèce s’avérait impossible, eu égard au rôle particulier du COJO dans l’organisation des jeux et aux droits accordés à ses partenaires eu égard à leurs contributions financières à l’organisation des jeux.

Autant que possible, il a été prêté attention au fait de ne pas créer un droit d’exception qui échapperait largement au droit commun mais de limiter les dérogations à ce qui apparaissait nécessaire à la bonne organisation de l’évènement.

Les exemples donnés ci-dessus ne doivent par ailleurs pas faire oublier que, en dehors de ces cas particuliers, les autorités administratives ont mobilisé leurs pouvoirs habituels. C’est ainsi que la fermeture de la Seine à la navigation en particulier pour l’organisation de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques a résulté de l’application des pouvoirs classiquement attribués au préfet et au ministre par l’article R. 4241-38 du code des transports dans le cadre de tous types de manifestations sportives, fêtes nautiques et autres manifestations.

Enfin, certaines évolutions du droit ont par ailleurs une vocation plus pérenne et perdureront après les jeux. Ainsi en va-t-il, par exemple, des autorisations de stationnement délivrées à titre expérimental, pour une durée de cinq années, afin de renforcer l’accessibilité des transports publics particuliers aux personnes utilisatrices de fauteuil roulant, sur le fondement de l’article 26 de la loi du 19 mai 2023. C’est également le cas de l’obligation, énoncée à l’article 11 de la loi du 26 mars 2018, de raccordement des péniches parisiennes au réseau public de collecte des eaux usées domestiques : cette obligation applicable sans limitation de durée, qui a contribué à la baignabilité de la Seine pour les épreuves de jeux olympiques et paralympiques, œuvre plus largement en faveur d’une réduction durable de la pollution des eaux.

L’héritage des jeux olympiques est donc également un héritage juridique.

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L'actualité jurisprudentielle

Energie (Mines)

CE, 24 juillet 2024, MTECT c/ Société European Gas Limited, n° 471780, aux Tables

Permis exclusif de recherches – Motifs légaux de refus d’octroi

La limitation du réchauffement climatique est un motif d’intérêt général permettant de refuser de délivrance d’un permis exclusif de recherches

Le Conseil d’Etat juge que la limitation du réchauffement climatique, par la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation des énergies fossiles, constitue un motif d’intérêt général sur lequel l’administration peut se fonder pour rejeter une demande de permis exclusif de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux.

En l’espèce, le litige porté devant le Conseil d’Etat portait sur le refus de délivrance d’un permis exclusif de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux, dit « permis Bleue Lorraine Nord », fondé sur les choix de politique énergétique de la France.

Après avoir rappelé les dispositions régissant le droit minier, le Conseil d’Etat juge que « ce régime ne confère aucun droit à l’attribution d’un permis exclusif de recherches pour les opérateurs qui en font la demande alors même qu’ils justifieraient des capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien de tels travaux ». Ainsi, l’administration peut rejeter la demande d’un tel permis « en se fondant sur un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de l’autorisation en cause ». Le Conseil d’Etat juge que « s’agissant des permis de recherches d’hydrocarbures, la limitation du réchauffement climatique par la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation des énergies fossiles constitue un tel motif ».

Il valide, par conséquent, le motif du refus de permis exclusif de recherches d’hydrocarbures opposé à la société European Gas Limited, fondé sur les choix de politique énergétique de la France résultant, d’une part, de ses engagements dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015 et, d’autre part, des orientations et objectifs de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte tendant notamment à promouvoir le développement des énergies renouvelables et à réduire les consommations d’énergie fossile.

Cette décision marque une nouvelle étape dans la prise en compte des exigences tenant à la lutte contre le réchauffement climatique par le juge administratif.

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CE, 8 juillet 2024, MTECT c/ société Vermilion Moraine et autre, n° 470155, aux Tables

Permis exclusif de recherches de mines – Capacités techniques et financières

A la recherche des capacités techniques du demandeur d’un permis exclusif de recherches

Le Conseil d’Etat juge qu’une société peut se prévaloir des titres et références de personnels employés par sa société mère, sans être tenue de justifier de contrats de mise à disposition ou d’un engagement formel en ce sens de la part de cette dernière, pour justifier de ses capacités techniques en vue d’obtenir un permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures.

Le code minier impose, pour obtenir un permis exclusif de recherches de mines ou pour obtenir la mutation d’un tel permis, de justifier des capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien les travaux de recherches et pour assumer les obligations destinées à préserver notamment la sécurité et la salubrité publiques ou encore la protection de l’environnement et du patrimoine. Pour démontrer ses capacités techniques, le demandeur doit fournir les titres, diplômes et références professionnelles des cadres de l’entreprise chargés de la conduite et du suivi des travaux d’exploration, d’exploitation de mines ou de recherches.

En l’espèce, deux sociétés partenaires sollicitaient la mutation et la prolongation d’un permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux, et l’une d’elles détaillait, pour justifier de ses capacités techniques, les compétences et carrières de dix salariés de sa société mère, immatriculée aux Etats-Unis.
Retenant une conception stricte des dispositions règlementaires applicables, le ministre du redressement productif et le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ont rejeté cette demande, au motif que la société ne démontrait pas disposer de capacités techniques propres.

Le rapporteur public dans cette affaire, par un raisonnement analogue à celui ayant fondé la décision de refus litigieuse, estimait « nécessaire que l’intéressée produise un engagement ferme de mise à disposition de la part des employeurs », afin « d’éviter qu’un titre minier ne soit délivré, ou transféré, à des « coquilles vides » dépourvues des moyens nécessaires pour assumer les obligations découlant de la règlementation applicable dont les enjeux en termes de sécurité, de salubrité et de protection de l’environnement sont particulièrement sensibles ».

Le Conseil d’Etat a adopté une approche plus souple en jugeant que la société devait être regardée comme justifiant des capacités techniques requises pour que soit autorisée la mutation à son profit du permis exclusif de recherches en litige, et « qu’aucune disposition législative ou règlementaire n’imposait que la société pétitionnaire dût justifier, dans le cadre d’une demande de mutation d’un permis exclusif de recherches, des contrats de travail de ces personnels, ni n’imposaient qu’ils soient employés en propre et non par la société mère ».

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Environnement

CE, 8 juillet 2024, M. B… A… et autres, n°465780, Inédit

Contentieux administratif — Intérêt à agir – Critères d’appréciation

« Plaisir de voir » ne vaut pas nécessairement « intérêt à agir »

Le Conseil d’État, par une décision d’espèce, apporte quelques précisions sur l’appréciation de l’intérêt à agir d’une personne physique pour contester une dérogation au régime de protection des espèces au titre de l’article L. 411–2 du code de l’environnement.

Dans cette affaire, des requérants, voisins d’un projet immobilier, contestaient l’arrêté préfectoral autorisant le porteur de projet à déplacer les tortues d’Hermann présentes sur le site et à détruire leur habitat et prévoyant des mesures de compensation. Ils soutenaient disposer d’un intérêt à agir au motif que la mise en œuvre du projet les priverait du plaisir de voir ces tortues terrestres traverser leurs parcelles.

Le Conseil d’État juge que ces considérations sont insuffisantes pour caractériser un intérêt suffisamment personnel et direct à agir des requérants. Les juges ont sans doute été sensibles au fait que le dossier laissait voir, selon le rapporteur public, qu’en l’espèce la contestation de la dérogation espèces protégées était regardée par les requérants comme une sorte de « session de rattrapage d’un voisin qui n’aurait pas contesté à temps un permis de construire ».

Cette décision illustre donc que, s’agissant de requérants autres que les associations de protection de l’environnement, l’intérêt à agir à l’encontre des dérogations au régime de protection des espèces protégées doit être justifié par des atteintes personnelles et certaines portées aux personnes physiques requérantes.

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CE, 15 juillet 2024, Synadiet et autres, nos 489807, 490014, Inédit

Liste des substances présentant des propriétés de perturbation endocrinienne – Substance présentant par ailleurs des bénéfices pour la santé

Vitamine D : gare à l’excès


Le Conseil d’État rejette les requêtes en annulation de deux arrêtés du 28 septembre 2023, le premier fixant la liste des substances présentant des propriétés de perturbation endocrinienne avérées ou présumées et y inscrivant le cholécalciférol, communément connu sous l’appellation de « vitamine D3 », le second précisant les modalités de contenu et de conditions de présentation des informations requises par le code de la santé publique.

Il relève que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, dans une note d’appui scientifique et technique, avait qualifié de perturbateur endocrinien cette substance dès lors qu’un apport excessif au-delà de la limite supérieure de sécurité répondait aux trois conditions requises (effet néfaste constaté, interaction avec le système endocrinien et responsabilité de cette interaction dans l’apparition de l’effet néfaste).

Le Conseil d’État juge que, dès lors que l’arrêté "liste" mentionne à la fois les propriétés de perturbateur endocrinien de la vitamine D3 et les bénéfices que cette substance présente pour la santé, et que l’arrêté "modalités" prévoit une information spécifique mentionnant ses bénéfices sanitaires, l’arrêté "liste" n’emporte pas d’effets sur la santé publique injustifiés et excessifs eu égard à la confusion qu’il serait susceptible de créer dans l’esprit du public.

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Environnement (ICPE)

CE, 24 juillet 2024, Commune de Plumieux, n° 472039, aux Tables

ICPE – Composition du dossier de demande d’autorisation environnementale – Conformité du projet au PLU – Modification du PLU postérieure au dépôt de la demande

Evolution du PLU en cours d’instruction d’une demande d’autorisation environnementale

La preuve de la conformité d’un projet d’installation classée aux documents d’urbanisme applicables au stade du dépôt de son dossier ne dispense pas le pétitionnaire de l’actualiser si ces mêmes règles sont modifiées avant la date de la décision du préfet.

Dans cette affaire concernant un projet de parc éolien, le pétitionnaire avait déposé un dossier de demande d’autorisation comportant un document établissant la conformité du projet au PLU approuvé le 5 septembre 2017, en vigueur à la date de la demande. Toutefois, la communauté de communes a approuvé un nouveau PLU intercommunal le 9 mars 2021, soit antérieurement à la délivrance de l’autorisation, intervenue le 30 juin 2021.

Se posait donc la question de l’interprétation de l’article D. 181-15-2 du code de l’environnement, selon lequel le dossier de demande d’autorisation environnementale comprend « un document établi par le pétitionnaire justifiant que le projet est conforme, selon le cas, au règlement national d’urbanisme, au PLU ou au document en tenant lieu ou à la carte communale en vigueur au moment de l’instruction ».

Le Conseil d’État juge qu’en se bornant à relever que le dossier de demande d’autorisation comportait un document établissant que le projet était conforme au plan local d’urbanisme en vigueur à la date du dépôt de la demande, sans rechercher si le nouveau PLU comportait des dispositions qui étaient de nature à avoir une incidence sur le projet de parc éolien justifiant qu’un complément soit apporté sur ce point au dossier de demande d’autorisation, la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit.

Ainsi, en cas d’évolution des règles d’urbanisme applicables, le demandeur d’une autorisation environnementale doit mettre à jour le document, joint à son dossier, relatif à la conformité du projet à ces règles. Une telle obligation ne pèse toutefois sur le pétitionnaire que dans le cas où les évolutions en cause sont de nature à avoir une incidence sur le projet.

Cette solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence SMIETOM de la région Tournan-en-Brie aux termes de laquelle le respect des obligations procédurales, desquelles relèvent les règles de composition du dossier, sont appréciées par le juge des installations classées d’autorisation « au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation » (CE 22 sept. 2014, n° 367889, aux Tables).

Il en résulte pour le pétitionnaire une obligation de vigilance quant à l’évolution des documents d’urbanisme applicables. Cette obligation, au regard des projets en cause, n’apparaît toutefois pas démesurée.


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CE, 12 juillet 2024, Association « Regards de la Durande », nos 464958, 464970, aux Tables

ICPE – Autorisation ICPE – éoliennes – recevabilité de l’intervention d’une région au soutien du pourvoi

Sur l’intérêt à intervenir d’une collectivité territoriale

A quelles conditions les collectivités territoriales peuvent-elle intervenir dans une instance concernant une autorisation environnementale ?

Cette question est d’une importance particulière pour les tiers dans un contentieux où leur intérêt à agir, c’est-à-dire à introduire une instance, est limité par des dispositions spécifiques (article R. 181-50 du code de l’environnement).

Il faut, d’une part, que le tiers qui introduit l’instance puisse faire état d’un intérêt « en raison des inconvénients ou de dangers pour les intérêts mentionnés à l’article L. 181-3 », à savoir notamment la protection de la nature, de l’environnement et des paysages ou encore la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. Il faut ensuite, lorsqu’il s’agit d’une personne morale de droit public, que les inconvénients et dangers pour ces intérêts protégés soient de nature à affecter sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue (CE, 1er décembre 2023, Région AURA, n°470723, aux Tables ; CE, 1er décembre 2023, Département de la Charente-Maritime, n°467009, aux Tables).

Ainsi, peut contester un parc éolien sur le territoire d’une commune voisine une commune qui fait valoir que son environnement et son activité touristique sont directement affectés en raison notamment de nuisances paysagères et patrimoniales. En revanche, le Conseil d’Etat a refusé de reconnaître à une région un intérêt à agir pour demander l’annulation d’un arrêté portant autorisation d’exploiter un parc éolien, la région n’étant « investie d’aucune responsabilité en matière de protection des paysages et de la biodiversité contre les atteintes que l’installation d’éoliennes pourrait provoquer sur son territoire » (décision n°470273).

Reste alors pour les régions la voie de l’intérêt à intervenir. Celui-ci est traditionnellement apprécié de manière plus souple que l’intérêt à agir, étant reconnu à « toute personne qui justifie d’un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l’objet du litige » (CE Sect. 25 juill. 2013, OFPRA, n° 350661, au Recueil).

Dans sa décision commentée, le Conseil d’Etat a ainsi jugé que la région AURA justifiait « compte tenu notamment de ses compétences en matière de développement touristique régional et eu égard à la nature et à l’objet du présent litige qui concerne des sites et monuments d’intérêt majeur au plan régional (…), d’un intérêt suffisant à intervenir au soutien du pourvoi de l’association ». Il ressort de cette décision non un intérêt à intervenir de manière générale pour les régions, mais la nécessité de prouver le caractère suffisant de leur intérêt en fonction notamment des caractéristiques du projet et la région.

Cette décision offre ainsi aux collectivités un accès, via le mécanisme de l’intervention, au juge administratif dans les litiges relatifs aux autorisations environnementales, en particulier celles portant sur la construction et l’exploitation de parcs éoliens. Un tel accès est susceptible d’avoir des conséquences sur l’issue du litige, dès lors qu’un intervenant est admis à soulever des moyens qui n’auraient pas été invoqués par la partie au soutien de laquelle il intervient, à la seule condition que la cause juridique à laquelle se rattachent ces moyens ait été ouverte.

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Environnement (Risques)

CEDH, 21 mai 2024, Alsace Nature et autres c. France, n° 11833/24

Stockage souterrain de déchets dangereux – Demande de mesure provisoire au titre de l’article 39 du règlement de la Cour européenne des droits de l’homme

Confinement des déchets de Stocamine : pas de risque imminent d’atteinte irréparable à un droit protégé par la Convention

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rejette la demande de mesure provisoire, présentée sur le fondement de l’article 39 de son règlement, visant à ce que soit ordonnée la suspension des travaux de confinement des 42 000 tonnes de déchets dangereux stockés depuis plus de vingt ans à 550 mètres sous terre à Wittelsheim (site dit « Stocamine »).

Au terme de nombreuses années de batailles techniques et juridiques, par un arrêté du 28 septembre 2023, le préfet du Haut-Rhin a autorisé la prolongation, pour une durée illimitée, de l’autorisation donnée à la société des Mines de Potasse d’Alsace (anciennement Stocamine) de stockage souterrain en couches géologiques profondes, de produits dangereux, non radioactifs, et a prescrit leur confinement. Alors que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg avait prononcé la suspension de l’exécution de cet arrêté, le Conseil d’État a, par une décision n° 489591-489601 du 16 février 2024, annulé cette ordonnance et rejeté la demande présentée par l’association Alsace Nature et autres devant le tribunal, au motif que la condition d’urgence ne pouvait pas être regardée comme remplie.

Faisant suite à cette décision, plusieurs associations ont introduit une requête devant la CEDH assortie d’une demande de mesures provisoires au titre de l’article 39 du règlement de la Cour. Les dispositions de cet article 39 permettent à la Cour, « dans des cas exceptionnels », d’indiquer des mesures provisoires, « en cas de risque imminent d’atteinte irréparable à un droit protégé par la Convention qui, en raison de sa nature, ne serait pas susceptible de réparation, de restauration ou d’être indemnisée de manière adéquate ».

Les requérants invoquaient les risques d’atteinte aux droits protégés, d’une part, par l’article 2 (droit à la vie) et l’article 8 (droit à une vie privée et familiale normale) de la Convention, mais aussi par ses articles 6 (droit à un procès équitable) et 13 (droit au recours effectif), « lus seuls ou de manière combinée avec ses articles 2 et 8 ».

La CEDH juge que « les parties requérantes n’ont pas suffisamment établi, dans les circonstances très particulières de l’espèce, le « risque imminent d’atteinte irréparable à un droit protégé par la Convention » dont elles se prévalent ».

Faisant référence à la procédure de référé-suspension mise en œuvre devant la juridiction administrative, la Cour a notamment observé que « l’évaluation effectuée par les autorités internes, dans un contentieux de l’urgence, repose sur des motifs sérieux dont elle ne voit, dans le cadre de l’article 39 § 1 de son règlement, aucune raison de s’écarter ».

L’examen par le Conseil d’État de l’ordonnance de suspension du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, mais aussi la motivation de sa décision d’annulation de cette ordonnance ont ainsi été des éléments déterminants dans la décision de la CEDH « de ne pas indiquer au gouvernement français la mesure provisoire », sollicitée au titre de l’article 39 de son règlement.

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Fonction publique

CC, 4 juillet 2024, M. Sébastien L., n° 2024-1098 QPC

Droit à la protection fonctionnelle – Différence de traitement -– Régime de l’audition libre

Ouverture du bénéfice de la protection fonctionnelle à l’agent public entendu sous le régime de l’audition libre

Le Conseil constitutionnel ouvre la possibilité de bénéficier de la protection fonctionnelle aux agents qui sont entendus sous le régime de l’audition libre par un service d’enquête.

L’article L.134-4 du code général de la fonction publique prévoit l’octroi de la protection fonctionnelle à l’agent faisant l’objet de poursuites pénales, entendu en qualité de témoin assisté, placé en garde en vue ou qui se voit proposer une mesure de composition pénale, mais non à l’agent entendu dans le cadre d’une audition libre.

Le Conseil constitutionnel juge que, dès lors que les personnes entendues sous le régime de l’audition libre ont le droit, au même titre que dans le cadre d’une garde à vue, d’être assistées par un avocat, ces dispositions créent une différence de traitement injustifiée entre les agents selon le régime juridique de leur audition, et méconnaissent ainsi le principe d’égalité devant la loi prévu à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

En conséquence, il déclare les deux derniers alinéas de l’article L. 134-4 du code général de la fonction publique contraires à la Constitution.

Eu égard aux conséquences manifestement excessives d’une abrogation immédiate de ces dispositions, qui priverait l’ensemble des agents publics entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde en vue ou se voyant proposer une mesure de composition pénale du droit à la protection fonctionnelle, il reporte l’abrogation de ces dispositions au 1er juillet 2025. Le législateur dispose ainsi d’un délai d’une année pour adopter de nouvelles dispositions en remplacement de celles-ci.

Le Conseil constitutionnel précise que, jusqu’au 1er juillet 2025 ou dans l’attente de l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection à l’agent public entendu sous le régime de l’audition libre.

Ainsi, à compter du 4 juillet 2024 et sous réserve des contentieux en cours, les demandes de protection fonctionnelle des agents publics pénalement mis en cause comme faisant l’objet d’une audition libre peuvent désormais, sous réserve du respect des autres conditions et dispositions applicables, donner lieu à une décision d’octroi de la protection fonctionnelle.

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Urbanisme et aménagement

CE, 25 juin 2024, Glorieux, n° 474026, aux Tables

Autorisation d’urbanisme – Avis conforme défavorable – Compétence liée pour retirer une autorisation délivrée

Compétence liée pour refuser et compétence liée pour retirer

L’autorité compétente pour délivrer une autorisation d’urbanisme se trouve en situation de compétence liée pour retirer une telle autorisation, lorsqu’elle est intervenue en méconnaissance d’un avis conforme défavorable.

En l’espèce, ayant délivré tacitement deux permis de construire faute d’avoir répondu dans les temps aux demandes présentées, le maire d’Aulnay-sur-Mauldre a ensuite édicté deux arrêtés refusant de délivrer les permis sollicités. En application du a) de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme, le préfet avait en effet rendu pour chacun un avis conforme défavorable au motif que les projets se situaient en dehors des parties urbanisées de la commune en méconnaissance de la règle de constructibilité limitée (article L. 111-3 du code de l’urbanisme).

La cour administrative d’appel de Versailles a requalifié ces refus tardifs en retraits, car ils sont intervenus postérieurement à la naissance des permis de construire tacites, et a prononcé leur annulation pour défaut de mise en œuvre de la procédure contradictoire préalable au retrait prévue par l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration.

Le Conseil d’État rappelle d’abord que « lorsque la délivrance d’une autorisation d’urbanisme est subordonnée à l’avis conforme d’une autre autorité, le refus d’un tel accord s’impose à l’autorité compétente pour statuer sur la demande d’autorisation » (CE, Assemblée, 26 octobre 2001, Eisenchteter, n° 216471, au Recueil).

Il juge ensuite que « lorsque la demande qui a fait l’objet d’un refus d’accord a donné lieu à une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou à un permis de construire, d’aménager ou de démolir tacites, l’autorité compétente pour statuer sur cette demande est tenue, dans le délai de 3 mois prévu à l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, de retirer la décision de non opposition ou d’autorisation tacite intervenue en méconnaissance de ce refus ».

Ainsi, le maire était tenu de retirer les permis de construire tacites intervenus malgré l’avis conforme défavorable du préfet et cette situation de compétence liée rendait inopérant le moyen tiré de l’absence de procédure contradictoire préalable.

Pour retenir cette solution, le Conseil d’État prend pleinement en compte la nature des avis conformes, véritable « collaboration effective à la décision » selon les mots du Président Laferrière rappelés dans les conclusions de M. Boutron, rapporteur public sur cette affaire.


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CC, 10 juillet 2024, n° 2024-1099 QPC

Droit pénal de l’urbanisme – Mesures de restitution – Exécution provisoire

Exécution de jugement à toute ALUR

Le Conseil constitutionnel déclare conformes à la Constitution les dispositions relatives à l’exécution provisoire d’un jugement par lequel, constatant une infraction au code de l’urbanisme, le juge pénal ordonne la démolition d’ouvrages, la mise en conformité ou la réaffectation des sols.

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a modifié l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme. Lorsque le juge constate une infraction et ordonne au bénéficiaire des travaux irréguliers de démolir les ouvrages, de mettre en conformité les lieux et ouvrages avec les règles d’urbanisme, ou de réaffecter le sol, il peut prévoir l’exécution provisoire de ces mesures de restitution. L’exécution provisoire permet au jugement ordonnant les mesures de restitution de produire ses effets alors même qu’il n’est pas devenu définitif.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel considère, en premier lieu, qu’au regard des conditions dans lesquelles l’exécution provisoire peut être ordonnée par le juge, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 doit être écarté. En effet, l’exécution provisoire d’une mesure de restitution ne peut être ordonnée par le juge qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation, et le juge est tenu d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter au droit au respect de la vie privée et familiale de la personne prévenue.

En second lieu, le Conseil constitutionnel écarte le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété garanti par l’article 2 de la Déclaration de 1789. Il juge que, les dispositions contestées visant à assurer l’efficacité des mesures de restitution ordonnées par le juge pénal en cas de condamnation pour violation des règles d’urbanisme, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. De plus, le Conseil constituionnel relève qu’il revient au juge d’apprécier si le prononcé de l’exécution provisoire de la mesure de restitution est nécessaire au regard des circonstances de l’espèce.

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CE, 13 juin 2024, Sociétés Piquey-Nord et Piquey-Sud, n° 473684, aux Tables

Plans locaux d’urbanisme – Modifications demandées par le préfet – Enquête publique

Modifications du projet de PLU sollicitées par le préfet et enquête publique

Le Conseil d’État juge que les modifications apportées à un plan local d’urbanisme (PLU) afin de satisfaire les demandes formulées par le préfet, en application des dispositions de l’article L. 153-25 du code de l’urbanisme, requièrent une nouvelle enquête publique lorsque ces modifications portent atteinte à l’économie générale du plan.

« Survivance du contrôle de légalité a priori » selon les mots du rapporteur public C. Malverti, l’article L. 153-25 du code de l’urbanisme permet au préfet, dans le mois qui suit la transmission de la délibération d’approbation du plan local d’urbanisme portant sur un territoire qui n’est pas couvert par un schéma de cohérence territoriale, de demander aux auteurs du plan d’apporter les modifications qu’il estime nécessaires pour des motifs limitativement énumérés. Le PLU ne devient alors exécutoire que si les modifications sollicitées sont effectuées, sauf pour l’auteur du plan à obtenir l’annulation de ces demandes par le juge.

En l’espèce, le préfet de la Gironde a fait usage de cette procédure en demandant à la commune de Lège-Cap-Ferret de modifier son projet de PLU, laquelle a alors approuvé son PLU ainsi modifié sans avoir réalisé de nouvelle enquête publique.

Le Conseil d’État juge que « si la commune ou l’EPCI décide de procéder [aux modifications demandées par le préfet], il lui appartient de prendre une nouvelle délibération approuvant le plan ainsi modifié, qui a pour effet de substituer celui-ci au plan non exécutoire précédemment approuvé. De telles modifications ne peuvent toutefois intervenir sans être soumises à une nouvelle enquête publique lorsqu’elles portent atteinte à l’économie générale du plan. »

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante du Conseil d’État selon laquelle un projet de PLU peut être modifié après l’enquête publique, sans qu’il soit nécessaire de le soumettre à une nouvelle enquête, uniquement si les modifications procèdent de l’enquête et ne remettent pas en cause l’économie générale du projet (CE, 12 mars 20210, Lille métropole communauté urbaine, n°312108, aux Tables). La procédure particulière de l’article L. 153-25 du code de l’urbanisme ne constitue donc pas une nouvelle hypothèse de dispense d’enquête publique mais s’insère dans le cadre général applicable à celle-ci.

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CE, 14 juin 2024, MTECT c/ SCI « Les marchés méditerranéens », n° 476986, aux Tables

Déclaration d’utilité publique – Régularisation – Exception d’illégalité

Pas de régularisation possible lorsqu’une DUP n’est attaquée que par voie d’exception

Après avoir admis la possibilité de régularisation par voie d’action, c’est-à-dire lorsqu’elle est directement attaquée, d’une déclaration d’utilité publique (CE, 9 juillet 2021, n° 437634, publié au Recueil), la question se posait de savoir si une telle possibilité était ouverte lorsque la DUP est attaquée par voie d’exception, c’est-à-dire à l’occasion du recours contre un autre acte, par exemple un arrêté de cessibilité.

Le Conseil d’État apporte une réponse négative à cette question. Il juge que « si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un acte déclarant d’utilité publique et urgents des travaux, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la modification de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Il en va toutefois différemment lorsqu’est invoqué par voie d’exception, à l’appui de conclusions dirigées contre un arrêté de cessibilité, un vice affectant l’acte déclaratif d’utilité publique sur le fondement duquel cet arrêté de cessibilité a été pris. Dans cette hypothèse, un tel vice est insusceptible d’être régularisé dans le cadre du recours dirigé contre l’arrêté de cessibilité ».

Le Conseil d’État, après avoir ouvert la porte à la régularisation des DUP, veille ainsi à ce que cette possibilité ne conduise pas à des configurations trop complexes à la fois d’un point de vue administratif et contentieux.

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L'actualité normative et consultative


Règlement (UE) 2024/1991 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2024 relatif à la restauration de la nature

L’Union européenne se dote d’un texte visant à restaurer la biodiversité mais également à atténuer le changement climatique en favorisant un meilleur captage du carbone par les milieux naturels.

Ce règlement prévoit que les États membres doivent notamment mettre en œuvre des mesures de restauration sur au moins 20 % des zones terrestres et 20 % des zones marines de leur territoire d’ici à 2030. Ils doivent également mettre en place des mesures de restauration concernant au moins 30 % de la surface des habitats naturels terrestres côtiers et d’eau douce concernés par le règlement (zones humides, habitats pastoraux, habitat d’eau douce, forêts, steppes, landes, fourrés et habitats rocheux et dunaires) qui ne sont pas en bon état d’ici à 2030, 60 % de cette surface d’ici à 2040 et 90 % de celle-ci d’ici à 2050, enfin rétablir une surface favorable pour chacun de ces types d’habitats d’ici à 2050. Les mêmes objectifs sont fixés aux mêmes échéances concernant nombre d’écosystèmes marins (prairies sous-marines, forêts de macroalgues, gisements conchylicoles, bancs de maerl, bancs d’éponges, de corail et bancs coralligènes, sources hydrothermales et de fluide froid). La restauration des sites Natura 2000 est priorisée. En dehors de ceux-ci, les projets d’intérêt public majeur demeurent possibles quand bien même la zone fait l’objet de mesures de restauration, à condition qu’il n’existe pas de solution alternative moins préjudiciable.

Le règlement prévoit aussi que les projets d’installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables sont présumés relever d’un intérêt public majeur.

Le législateur européen a par ailleurs prévu certains objectifs de restauration précis à atteindre à court terme. À titre d’exemple, la tendance au déclin des populations de pollinisateurs devra être inversée d’ici à 2030 et 25 000 kilomètres de cours d’eau à courant libre devront être restaurés sur l’ensemble du territoire de l’Union d’ici à 2030.

Le suivi des mesures de restauration sera facilité grâce aux indicateurs, notamment biologiques et chimiques, mentionnés par le règlement. Devront notamment être pris en compte l’indice des papillons de prairie ainsi que le stock de carbone organique dans les sols minéraux des terres cultivés pour les écosystèmes agricoles.
Pour l’application de ce règlement, les États membres doivent établir des plans nationaux de restauration permettant d’atteindre les objectifs fixés et les soumettre à la commission européenne au plus tard le 1er septembre 2026. Ceux-ci font l’objet d’une évaluation préalable par la Commission, qui peut adresser des observations aux États membres, ceux-ci devant en tenir compte dans la version définitive.

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Décrets n° 2024-705 et n° 2024-706 du 5 juillet 2024 approuvant les concessions d’utilisation du domaine public maritime (CUDPM) situées hors des limites administratives des ports accordées respectivement à EDF et RTE en vue de la réalisation et l’exploitation d’une paire d’unités de production électronucléaires de type EPR2 sur le site de la centrale nucléaire de Penly, située sur le territoire de la commune de Petit Caux (Seine Maritime)

L’article 14 de la loi n° 2023 491 du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes permet l’octroi de concessions d’utilisation du domaine public maritime en dehors des zones portuaires et industrialo-portuaires, lorsque ces concessions sont nécessaires à la réalisation de réacteurs électronucléaires.

Faisant application de ces dispositions, les deux décrets du 5 juillet 2024 approuvent deux concessions d’utilisation du domaine public maritime en dehors des ports. Ces concessions sont accordées, d’une part, à la société Électricité de France (EDF) en vue de la réalisation et l’exploitation d’une paire d’unités de production électronucléaires de type EPR2 et la poursuite de l’exploitation des unités de production existantes et, d’autre part, à la société Réseau de transport d’électricité (RTE) pour l’installation et l’exploitation des ouvrages de raccordement de ces nouvelles unités de production d’électricité EPR2 sur le site du centre nucléaire de production d’électricité de Penly.

Ils approuvent les concessions, consenties pour une durée de trente ans, octroyées sur le fondement des conventions de concession d’utilisation du domaine public maritime conclues le 29 avril 2024 entre le préfet de la Seine Maritime et EDF / RTE et des cahiers des charges annexés comportant les conditions générales et spécifiques que ces sociétés doivent respecter.

Les décrets précisent également les modalités de modification des clauses des conventions conclues, des cahiers des charges et des annexes, ainsi que l’autorité administrative compétente pour mettre en œuvre les prescriptions et les mesures de police et répressives nécessaires en cas de manquement aux dispositions légales en vigueur ou en cas de non respect des conditions posées par le cahier des charges annexé à la convention de concession.

La parution de ces décrets d’approbation des CUDPM permet aux concessionnaires d’engager les travaux préparatoires sur la partie littorale et maritime du site.

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Décret n° 2024-704 du 5 juillet 2024 modifiant le code de l’urbanisme et le code de l’environnement en vue de favoriser l’implantation des installations industrielles vertes

Décret n° 2024-742 du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d’application de la loi industrie verte et de simplification en matière d’environnement

Ces deux décrets portent application de la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte.

Alors que la loi a élargi le champ d’application de la déclaration de projet aux installations industrielles de fabrication, d’assemblage ou de recyclage des produits ou des équipements qui participent aux chaînes de valeur des activités dans les secteurs des technologies favorables au développement durable, le décret du 5 juillet 2024 définit lesdits secteurs.

Le décret du 5 juillet précise également les informations à fournir à l’autorité administrative compétente afin qu’elle reconnaisse par anticipation qu’un projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur, pour l’obtention ultérieure d’une dérogation à l’interdiction des atteintes aux espèces protégées.

Ce décret donne enfin compétence au préfet pour délivrer les autorisations d’urbanisme nécessaires à la réalisation d’un projet industriel qualifié par décret de projet d’intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale.

Le décret du 6 juillet 2024 prévoit les dispositions règlementaires nécessaires à l’application d’un ensemble de dispositions de la loi relative à l’industrie verte visant à accélérer et simplifier les procédures administratives applicables aux entreprises dans le domaine de l’environnement.

À cet égard, il organise la parallélisation des phases d’examen des dossiers et de consultation publique lors de l’instruction des autorisations environnementales, dès le dépôt d’un dossier complet.

Également pour l’application de la loi industrie verte, le texte mutualise les débats publics et les concertations préalables pour un ensemble de projets situés dans un territoire « homogène et délimité » sous l’égide de la Commission nationale du débat public.

Il prévoit les modalités de mise en œuvre de la procédure de tiers demandeur, initialement instaurée par la loi ALUR du 24 mars 2014 pour permettre de transférer à un tiers la responsabilité de la réhabilitation d’un site sur lequel une activité d’installation classée a été exploitée, et étendue à la mise en sécurité des sites par la loi industrie verte.

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3 questions à … ,

Florence Cochu-Guillemain, Personne responsable de l’accès aux documents administratifs et à l’information environnementale


Pouvez-vous nous présenter la PRADA du MTECT, ses missions et ses spécificités ?

La Personne Responsable de l’Accès aux Documents Administratifs (PRADA), qui doit être désignée dans chaque ministère, est un acteur clé dans la transparence des administrations publiques, dont le rôle est de garantir le droit d’accès des citoyens aux documents administratifs. Ses missions sont définies par l’article R. 330-4 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

La PRADA du MTECT est également, en application de l’article R. 124-2 du code de l’environnement, responsable de l’accès à l’information relative à l’environnement. Elle garantit ainsi l’accès des citoyens à ces informations qui bénéficient d’un régime de communication plus favorable et participe à la transparence et l’information du public sur les enjeux environnementaux.

Concrètement, en tant que PRADA, je réceptionne et traite les demandes d’accès aux documents administratifs ou informations environnementales qui parviennent sur la boite mail dédiée (prada.sg@developpement-durable.gouv.fr), en lien avec les services concernés chargés d’y répondre. La PRADA ne centralise pas l’ensemble des demandes, qui peuvent également être adressées directement à un service d’administration centrale, et ont vocation à être traitées par celui-ci. J’apporte toutefois, dans ce cadre, un appui et une expertise juridique sur le caractère communicable ou non des documents et informations concernés, afin de sécuriser juridiquement les décisions rendues, en particulier en cas de refus ou de demande sensible. J’assure par ailleurs de nombreuses formations pour sensibiliser les services au droit d’accès et aux spécificités de l’information environnementale.

Par ailleurs, la PRADA est l’unique interlocutrice de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), laquelle peut être saisie par tout administré qui se voit opposer un refus de communication, implicite ou explicite, à sa demande. Dans ce cadre, je suis amenée à collecter les observations des services concernés en vue d’un retour à la CADA qui doit se prononcer sur la communicabilité des documents. La PRADA offre, là encore, un soutien juridique aux services auxquels revient la décision finale de communiquer ou non.

Enfin, j’assure le suivi des demandes et veille au respect des délais fixés par les textes.

Quel bilan faites-vous de l’année 2023 ?

En 2023, on observe une nette augmentation, de l’ordre de 24%, des demandes d’accès aux documents administratifs.

Ces demandes sont diverses et couvrent l’ensemble des thématiques du pôle ministériel : énergie, climat, biodiversité, logement, urbanisme, routes, mer, aviation civile, etc. Certaines directions du ministère, comme la DGALN, la DGEC et la DGPR, sont particulièrement sollicitées, souvent par des associations environnementales.

Sur les 133 demandes d’accès connues de la PRADA en 2023, 39 % provenaient d’associations, 29 % de journalistes, 27 % de particuliers, et 5 % d’étudiants ou chercheurs.

En particulier, on constate une hausse des demandes des journalistes, en lien avec la mise en œuvre des politiques publiques.

Beaucoup de dossiers trouvent une issue favorable dès la phase procédurale initiale. Seulement 11 % des demandes ont abouti, en 2023, à une procédure contentieuse, qui conduit principalement à trancher des questions de droit relatives au caractère communicable ou non de documents.

Quels sont, d’après vous, les enjeux futurs liés à l’open data et à la communication des documents administratifs ?

L’open data, en rendant les données publiques accessibles à tous, s’inscrit dans une logique de diffusion proactive des informations détenues par les administrations, tandis que la communication sur demande nécessite une sollicitation préalable. Ces deux modes d’accès répondent aux objectifs de transparence administrative et démocratique reconnus constitutionnellement.

Pour le droit d’accès sur demande, l’enjeu réside dans la capacité à répondre à un nombre croissant de sollicitations dans des délais de plus en plus courts. La réduction des délais de traitement par la CADA témoigne de cette exigence. Par exemple, pour les demandes d’accès aux informations environnementales, la CADA, afin de respecter le délai d’un mois imposé par la directive européenne 2003/4/CE, a désigné un rapporteur permanent dédié.

En ce qui concerne l’open data, la grande quantité de données générées par les activités numériques de notre ministère, conjuguée à la multiplicité des sources d’information, conduit parfois à une méconnaissance de l’existence de certaines informations publiques, entraînant ainsi des demandes d’accès inutiles.

L’enjeu consiste, d’une part, à sensibiliser les services à leurs obligations de diffusion (en vertu du CRPA et du code de l’environnement) et, d’autre part, à améliorer la lisibilité et le référencement des données mises en ligne via un portail unique ou le répertoire des informations publiques (RIP) imposé au titre de l’article L. 322-6 du CRPA. Il est également crucial de maintenir un haut niveau de protection des données sensibles, notamment les données personnelles, et de mieux communiquer sur les règles régissant la diffusion publique.

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N°5 du 11 septembre 2024 - Angle droit 28

Comité éditorial : Olivier Fuchs, Umberto Berkani, Lucie Antonetti, Amandine Berruer, Ninon Boulanger, Soizic Dejou, Sophie Geay, Stéphanie Grossier, Méhar Iqbal, Sabrina Lalaoui, Nadia Lyazid, Olivier Meslin, Sophie Namer, Emma Quarante, Clémence Roul, Louise Soulard, Licia Villotta, Isabelle Volette, Pascal Zabal

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