Accès aux documents administratifs
CE, 11 mars 2024, Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse c/ Société CCM Benchmark Group, n° 488227, aux Tables
Contentieux administratif – Délai de recours
Application de la jurisprudence Czabaj au contentieux de l’accès aux documents administratifs
Le Conseil d’État précise les règles de délais applicables aux recours dirigés contre un refus de communiquer un document administratif et juge que la jurisprudence Czabaj est applicable à ces contestations.
La décision Czabaj (CE Ass., 13 juillet 2016, n°
387763, au Recueil) pose le principe selon lequel, en l’absence de mention des voies et délais de recours, le destinataire d’une décision individuelle ne peut exercer un recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. Ce délai raisonnable est en principe d’un an, sauf circonstances particulières, à compter du jour où il a eu connaissance de la décision.
En matière de communication de documents administratifs, si l’article L. 311-14 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) prévoit que « toute décision de refus d’accès aux documents administratifs est notifiée au demandeur sous la forme d’une décision écrite motivée comportant l’indication des voies et délais de recours », cette exigence n’est, en pratique, pas toujours respectée.
Dans la présente décision, le Conseil d’État rappelle d’abord qu’en application des articles R. 311-12 et R. 311-13 du CRPA, le silence gardé par l’administration dans le délai d’un mois à compter de la réception d’une demande de communication de documents administratifs fait naître une décision de refus. L’article L. 342-1 de ce code subordonne alors la recevabilité du recours contentieux à la saisine préalable pour avis de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Selon les dispositions des articles R. 343-4 et R. 343-5 du même code, le silence gardé par l’administration pendant un délai de deux mois à compter de l’enregistrement de la saisine de la CADA fait naître une décision implicite de confirmation de refus. Un recours contentieux peut alors être introduit.
Le Conseil d’État en déduit que lorsque l’administration oppose au demandeur un refus explicite de communication postérieurement à la saisine de la CADA, cette décision doit être regardée comme la confirmation du refus de communication au sens des dispositions précitées, seule susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux, même si elle intervient avant l’avis de la CADA. Cette décision explicite, qui fait obstacle à la naissance d’une décision implicite à l’expiration du délai de deux mois après la saisine de la CADA, constitue le point de départ du délai de recours contentieux.
En conséquence, il censure pour erreur de droit le tribunal administratif qui avait jugé que la décision à attaquer n’était pas celle, explicite, que l’administration a prise quelques jours après la saisine de la CADA, mais celle, implicite, survenue deux mois après cette saisine et après l’avis de la CADA.
S’agissant ensuite du point d’arrivée de ce délai, le Conseil d’État confirme l’application de la jurisprudence Czabaj au contentieux de la communication de documents administratifs. Il juge qu’en l’absence d’information tant de l’existence du recours administratif préalable obligatoire devant la CADA et des délais dans lesquels ce recours peut être exercé que des voies et délais de recours contentieux contre la confirmation du refus de communication, le demandeur peut demander l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il en a eu connaissance. Il rappelle que ce délai ne peut, sauf circonstances particulières, excéder un an et juge que la notification de l’avis de la CADA ne constitue pas une telle circonstance, contrairement à ce qu’avait estimé le tribunal administratif qui est également censuré pour ce motif.
Cette décision permet une juste conciliation entre le droit d’accès aux documents administratifs et les exigences de sécurité juridique et de bonne administration, le demandeur pouvant toujours, passé le délai d’un an, adresser à l’administration une nouvelle demande de communication de documents administratifs, puis saisir à nouveau la CADA.
*
CE, 11 mars 2024, M. A…B… c/ Etablissement national des invalides de la Marine (ENIM), n° 454305, aux Tables
CADA – demande de protection fonctionnelle
La demande de protection fonctionnelle adressée par un agent public à l’administration dont il dépend n’est, par elle-même et quel que soit son contenu, pas communicable à un tiers
L’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) dispose que « ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : (…) 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ».
Le Conseil d’État juge que, lorsque le document administratif est une demande de protection fonctionnelle qu’un agent public a adressée à son administration, seul cet agent public a la qualité d’« intéressé ». Il n’est pas nécessaire que l’administration, avant de refuser la communication du document à un tiers, vérifie qu’est remplie la condition d’existence d’un possible préjudice causé par la divulgation de son comportement. En effet, le Conseil d’État juge que « la divulgation à un tiers d’une telle demande doit être regardée comme étant, par elle-même et quel que soit son contenu, susceptible de porter préjudice à son auteur, qui a seule qualité de personne intéressée au sens de ces dispositions ».
Cette solution doit être rapprochée de la jurisprudence portant sur la communicabilité des témoignages (CE, 21 septembre 2015, Rossin, n° 369808, au recueil Lebon), leur divulgation à des tiers étant susceptible de porter préjudice à leur auteur. En revanche, contrairement aux témoignages et, plus généralement, aux documents dont la communicabilité s’apprécie, au cas par cas, au regard de leur contenu (voir, notamment, CE, 8 février 2023, Centre hospitalier de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887, aux tables) et en fonction du contexte dans lequel ils ont été établis, la demande de protection fonctionnelle est, par nature, non communicable.
Dans la présente affaire, la communication d’une plainte pénale avait également été demandée par le requérant, sur le fondement des dispositions du CRPA. Le Conseil d’État a toutefois rappelé qu’un tel document ne constituait pas un document administratif au sens de l’article L. 300-2 de ce code dès lors qu’il se rattache à la fonction juridictionnelle.
***
Domanialité publique
CE, 5 février 2024, MTECT c/ SAS KOS, n° 475508, aux Tables
Contravention de grande voirie – Régime des peines applicables – Principe de légalité des peines - Personnes morales
Pas de quintuplement des amendes prononcées à l’encontre des personnes morales en matière de contravention de grande voirie
Le Conseil d’État juge que la règle du quintuplement du montant des amendes pour les personnes morales ne s’applique pas en matière de contravention de grande voirie car ni l’article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), ni l’article 1er du décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ne renvoient explicitement aux dispositions de l’article 131-41 du code pénal.
Le tribunal administratif de Bastia, saisi d’un procès-verbal de contravention de grande voirie, avait condamné la société Kos à une amende de 5 000 euros. La cour administrative d’appel de Marseille ayant ramené cette condamnation à une amende de 1 500 euros après avoir jugé que les premiers juges avaient méconnu le principe de légalité de peines, un pourvoi en cassation a été formé devant le Conseil d’État pour déterminer si les dispositions de l’article 131-41 du code pénal, selon lequel « le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par le règlement qui réprime l’infraction », était applicable en matière de CGV.
Cependant, les dispositions relatives aux montants des amendes pour CGV, à savoir l’article L. 2132-26 du CG3P et l’article 1er du décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ne renvoient pas explicitement à cet article 131-41 du code pénal.
Appliquant le principe de valeur constitutionnelle qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789, selon lequel il ne peut y avoir de peine sans texte, et rappelant que les textes applicables en l’espèce étaient « d’interprétation stricte », le Conseil d’État a considéré que « la cour administrative de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit » en ramenant le montant de l’amende prononcée à l’encontre des sociétés contrevenantes à celui prévu pour les personnes physiques.
Dans ses conclusions (Romain Victor, Droit de la voirie, n° 237, mars-avril 2024), le rapporteur public, relevant « une malfaçon des textes » a indiqué qu’il proposait « un peu à regret » de rejeter les recours du ministre, notamment en raison de l’intérêt que présente un rapprochement du régime répressif des contraventions de grande voirie du régime applicable aux infractions pénales. Il a indiqué que pour rendre ce rapprochement « conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles qui gouvernent la matière pénale, on ne saurait oublier, sauf à encourir un reproche d’incohérence, que figurent parmi ces exigences constitutionnelles le principe de légalité des peines dont il est difficile de s’exonérer au bénéfice d’une interprétation constructive ou volontariste des textes ».
***
Environnement
CE, 8 mars 2024, Association Hydrauxois, n° 460964, aux Tables
Loi sur l’eau - Police des installations, ouvrages, travaux ou activités (IOTA)
Comment reconnaître une opération globale nécessitant une demande d’autorisation ou déclaration unique au titre de la police des « IOTA » ?
L’article R. 214-42 du code de l’environnement prévoit qu’une demande d’autorisation ou de déclaration unique au titre de la législation des IOTA doit être présentée lorsque les ouvrages, installations, travaux ou activités envisagés sont réalisés par la même personne sur le même milieu aquatique et dépassent les seuils fixés par la nomenclature, que leur réalisation soit simultanée ou successive. La finalité de ces dispositions est d’assurer que les effets des opérations sur le milieu aquatique soient additionnés pour la détermination du régime auquel la demande est soumise.
Le Conseil d’État précise que, au sens de l’article R. 214-42 du code de l’environnement, « pour apprécier si des projets successifs doivent faire l’objet d’une demande unique, puis déterminer, en fonction des seuils applicables à ces opérations ou activités, s’ils doivent être soumis à déclaration ou autorisation au regard de la nomenclature définie à l’article R. 214-1 du même code, l’administration doit se fonder sur l’ensemble des caractéristiques des projets, en particulier la finalité des opérations envisagées et le calendrier prévu pour leur réalisation ».
En l’espèce, l’appréciation de la cour qui avait estimé ne pas être en présence d’un projet unique au sens de l’article R. 214-42 est censurée par le Conseil d’État. Le demandeur avait en effet informé les services de l’État de son intention de réaliser la vidange complète d’un étang situé sur le passage d’une rivière, de réaliser des travaux urgents de curage sur la rivière et avait déposé une déclaration pour détruire la digue de l’étang. Le Conseil relève ainsi que, dès sa première demande, le demandeur avait indiqué que la vidange de l’étang était envisagée pour l’effacement du plan d’eau et que les travaux de curage des sédiments et la destruction de la digue avaient pour finalité la suppression définitive de cet étang. Ces différents travaux constituaient donc une seule et même opération dépendant d’une seule personne concernant le même milieu aquatique dont l’instruction aurait dû être réalisée sous la forme d’une procédure unique en application de l’article R. 214-42 du code de l’environnement.
*
CE, 5 mars 2024, Association Générations futures, n° 467743, Inédit
Protection de la santé ou de l’environnement - Produits phytopharmaceutiques interdits dans l’UE - Prohibition d’exportation vers un pays tiers
Annulation partielle du décret du 23 mars 2022 prévoyant des délais de grâce
L’article L. 253-8 IV du code rural et de la pêche maritime (CRPM), créé par la loi EGALIM du 30 octobre 2018, interdit depuis le 1er janvier 2022 la production, le stockage et la mise en circulation en vue de l’exportation depuis le territoire national vers un pays tiers de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées à l’échelle européenne et dont le renouvellement n’a pas été sollicité pour des raisons liées à la protection de la santé ou de l’environnement (dites substances « non soutenues »). Cette législation résulte du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009.
Le décret n° 2022-411 du 23 mars 2022 relatif aux modalités de mise en œuvre de cette interdiction prévoit la possibilité d’octroyer des délais de grâce aux produits concernés par ce dispositif, et en particulier pour les substances dont le renouvellement n’a pas été sollicité pour des raisons liées à la protection de la santé ou de l’environnement (dites substances « non soutenues »). Ces délais de grâce sont possibles jusqu’à une date fixée par arrêté et déterminée sur la base d’une évaluation de l’impact de l’interdiction de production, de stockage et de mise en circulation en vue de leur exportation des produits contenant les substances concernées.
Le Conseil d’État, saisi d’un recours formé par l’association « Générations futures », prononce l’annulation partielle de ce décret.
Il juge en effet qu’aucun délai de grâce n’était possible s’agissant des substances « non soutenues » dès lors, d’une part, que ni règlementation européenne, ni la loi EGALIM n’en avait prévu, et d’autre part, qu’aucun encadrement suffisant de sa durée n’était fixé par le décret. En conséquence, l’interdiction d’exporter des produits contenant de telles substances devait être regardé comme applicable dès l’entrée en vigueur de l’article L. 253-8 IV du code rural et de la pêche maritime, soit depuis le 1er janvier 2022.
En revanche, le Conseil d’État rejette la demande de l’association visant à l’annulation des dispositions du décret autorisant d’exporter hors UE pendant un certain délai de grâce des produits phytopharmaceutiques contenant des substances qui font l’objet d’un règlement d’exécution portant non approbation expresse, ou refus de renouvellement de leur autorisation d’approbation au titre et selon la procédure prévue par le règlement européen pour un motif de dangerosité sanitaire ou environnementale, en l’absence de préoccupations immédiates concernant la protection de la santé ou de l’environnement. Les produits contenant ces substances peuvent ainsi continuer d’être produits, stockés et mis en circulation en vue d’être exportés hors de l’UE jusqu’à la fin du délai de grâce fixé par le règlement d’exécution les concernant.
***
Marques publiques
CAA de Paris, 15 mars 2024, Association Francophonie Avenir, n° 22PA05155
Loi Toubon – Emploi de la langue française par les personnes publiques
Contours de l’interdiction faite aux personnes publiques d’employer des termes étrangers pour constituer une marque
La loi n° 94-665 du 4 août 1994 (dite « loi Toubon ») a créé plusieurs obligations d’emploi de la langue française, notamment à la charge des personnes publiques. Son article 14 dispose ainsi que « l’emploi d’une marque (…) constituée d’une expression ou d’un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu’il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l’enrichissement de la langue française. (…) ». Le décret n° 96-602 du 3 juillet 1996, pris en application de cette loi, a créé auprès du Premier ministre une commission, dénommée « commission d’enrichissement de la langue française » (CELF) , chargée de l’approbation de ces expressions ou termes français de même sens. Cette commission, par une décision du 2 juillet 2021 publiée au JORF, a décidé que « les mots, termes, expressions et tournures de la langue française attestés dans les huitième et neuvième éditions du Dictionnaire de l’Académie française et dans le Trésor de la langue française sont approuvés dans les conditions prévues par le décret du 3 juillet 1996 ».
En l’espèce, une association contestait le refus implicite opposé par la ministre de la transition écologique à sa demande de ne plus utiliser dans l’espace public la marque « French Impact », déposée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle, et d’enjoindre de retirer cette expression de l’ensemble des supports de communication. La requérante soutenait notamment que l’utilisation par l’État de cette marque méconnaissait les dispositions de la loi Toubon, dès lors que les termes étrangers employés pour la constituer disposaient d’équivalents en langue française.
Pour confirmer le rejet prononcé en première instance de cette demande, la cour administrative d’appel de Paris a fait application de la jurisprudence élaborée par le Conseil d’État à l’occasion de l’emploi de la marque « Let’s Grau » déposée par la commune du Grau du-Roi (CE, 22 juillet 2020, n° 435372), selon laquelle l’utilisation d’expressions en langues étrangères n’est interdite aux personnes morales de droit public « que s’il existe une expression française de même sens approuvée par la commission d’enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel de la République française ».
La cour constate en l’espèce que l’expression « French Impact » n’avait, à la date du refus de la ministre, pas fait l’objet de l’approbation d’un terme français équivalent publié au JORF et ne méconnaît donc pas les dispositions de la loi du 4 août 1994. Elle confirme donc, d’une part, que les décisions de la commission d’enrichissement de la langue française n’ont pas de portée rétroactive et, d’autre part, que le critère de l’interdiction faite aux personnes publiques d’employer des termes étrangers pour constituer une marque est uniquement l’approbation ou non d’un équivalent français par la CELF et non pas l’existence effective d’une traduction française.
***
Transports
CE, 19 mars 2024, Chambre syndicale des cochers chauffeurs de voitures de place CGT-TAXIS c/ MTECT, n° 488615, Inédit]
Autorisations de stationnement/licences de taxis – Transport des personnes à mobilité réduite dans le cadre de JOP 2024 - Principe d’égalité
Taxis et personnes à mobilité réduite : constitutionnalité du dispositif spécial JOP
La loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024 permet, à titre dérogatoire, la délivrance de licences de taxis à des personnes morales pour répondre en urgence au besoin d’augmenter l’offre de taxis pour les personnes en fauteuil roulant à Paris pendant les JOP. Le Conseil d’État juge que ces dispositions n’instaurent pas de rupture d’égalité avec les taxis personnes physiques, en raison de la différence de situation entre ces deux catégories d’exploitants et du rapport direct avec l’objet de la loi.
Depuis la loi du 1er octobre 2014 dite « Loi Thévenoud », et aux termes de l’article L. 3121-1-2 du code des transports, seules les personnes physiques peuvent se voir délivrer des autorisations de stationnement (licences de taxis) nécessaires à l’exercice de l’activité de chauffeur de taxi. Cependant, en raison de l’insuffisance de l’offre de service à l’attention des personnes en fauteuil roulant à Paris et afin de satisfaire à l’objectif gouvernemental de disposer de 1000 taxis parisiens accessibles aux personnes à mobilité réduite pendant les JOP, l’article 26 de la loi du 19 mai 2023 a instauré une expérimentation permettant au préfet de police de Paris de délivrer, à titre dérogatoire, des autorisations de stationnement aux personnes morales sans l’ouvrir aux personnes physiques.
À l’occasion de son recours en annulation contre le décret d’application du 28 juillet 2023, la Chambre syndicale des cochers chauffeurs de voitures de place CGT-Taxis a introduit une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contre les dispositions de l’article 26 de cette loi du 19 mai 2023. Elle soutenait que ces dispositions portaient atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant la loi, protégé par l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en ce qu’elles réservaient le bénéfice du dispositif expérimental dérogatoire aux seules personnes morales.
Le Conseil d’État fait application de sa jurisprudence constante selon laquelle « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Il juge ainsi que les personnes morales (i.e. les compagnies de taxis) et les personnes physiques (artisans taxis, exploitants individuels) titulaires d’autorisations de stationnement sont placées, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 1er octobre 2014, dans une situation différente. Il retient également que la différence de traitement ainsi instituée est en rapport direct avec l’objet de cette loi.
Le Conseil d’État juge par conséquent que la QPC ne présente pas de caractère sérieux, et qu’il n’y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
***
Urbanisme
CE, 8 avril 2024, Sté d’HLM Promologis, n° 472443, aux Tables
Aménagement – Projet urbain partenarial
Sur le droit d’obtenir un projet de convention de projet urbain partenarial
Créé par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, le projet urbain partenarial (PUP) est une forme de participation des personnes privées au financement des équipements publics. En vertu de l’article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme , lorsqu’une opération d’aménagement ou de construction nécessite la réalisation d’équipements publics, le propriétaire des terrains, l’aménageur ou le constructeur peut conclure avec la personne publique compétente en matière d’urbanisme une convention de projet urbain partenarial, laquelle prévoit le financement par l’opérateur privé de tout ou partie des équipements, en contrepartie d’une exonération de la part communale de la taxe d’aménagement pendant une certaine durée.
En 2014, et notamment afin de clarifier les responsabilités des différents aménageurs intervenant sur une même zone dans le financement des équipements publics, la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové a ajouté un II à ce même article. Ces dispositions prévoient que lorsque des équipements publics ayant vocation à faire l’objet d’une première convention de PUP desservent également des terrains autres que ceux qu’elle concerne, une délibération de la commune « fixe les modalités de partage des coûts des équipements » et délimite un périmètre à l’intérieur duquel les autres opérateurs participent, dans le cadre de conventions, « à la prise en charge de ces mêmes équipements publics (…) dès lors qu’ils répondent aux besoins des futurs habitants ou usagers de leurs opérations ».
Si la première convention de PUP présente ainsi un caractère contractuel (CE, 12 mai 2023, Société Massonex, n°464062, aux Tables), le dispositif du II l’est nettement moins comme le démontre cette affaire.
En l’espèce, la commune avait approuvé la création d’une zone de PUP et conclu au sein de celle-ci une première convention de PUP avec une société. D’autres sociétés, également propriétaires dans la zone de PUP, ont demandé à la commune de leur communiquer un projet de convention, ce que celle-ci a refusé de faire, tout en suspendant leur demande de délivrance d’un permis d’aménager dans l’attente qu’elle produise une convention de PUP les liant à la commune. Le Conseil d’État juge toutefois que lorsqu’un opérateur fait état d’un projet d’aménagement ou de construction situé sur un terrain inclus dans une zone de PUP et pour lequel les besoins des futurs habitants ou usagers de cette opération nécessitent des équipements publics mentionnés par la délibération de la collectivité, celui-ci est en droit de se voir proposer un projet de convention de projet urbain partenarial appliquant à l’opération en cause les modalités de répartition des coûts de ceux des équipements publics répondant aux besoins des futurs habitants ou usagers de cette opération.
En d’autres termes, la collectivité compétente doit dans cette configuration proposer une convention au propriétaire, aménageur ou constructeur qui le demande. Toute autre solution aurait pu conduire, comme le disait le rapporteur public, à un « scenario kafkaïen » dans lequel une collectivité pourrait faire obstacle à un projet en imposant une obligation à l’opérateur tout en ne le mettant pas en mesure de la remplir.
*
CE, avis, 21 mars 2024, Madame N et autres, n° 490536, aux Tables
Autorisations d’utilisation des sols - Régimes du permis de construire et de la déclaration préalable
Précisions sur le régime des antennes-relais au regard du code de l’urbanisme
Le Conseil d’État précise le régime applicable, au titre du droit des sols, aux antennes-relais de radiotéléphonie mobile. Il juge que les antennes-relais d’une hauteur supérieure à 12 mètres et dont la surface de plancher ou l’emprise au sol est inférieure à 5 m² sont soumises à déclaration préalable. Celles de faible importance, d’une hauteur inférieure à 12 mètres et de moins de 5 m², demeurent dispensées de toute formalité.
Le Conseil d’État avait été saisi de ce sujet par le tribunal administratif de Rennes qui, par un jugement avant dire droit, lui avait transmis deux questions de droit. La première visait à savoir si les constructions d’antennes-relais qui ont une surface de plancher ou une emprise au sol inférieure à 5 m² devaient être soumises à permis de construire. À travers la seconde question, le tribunal demandait si, pour la détermination de ces surfaces et l’application des dispositions de l’article R. 421-9 du code de l’urbanisme, il devait ou non être tenu compte de l’emprise au sol susceptible d’être également générée par les pylônes supportant les antennes-relais.
La lecture de l’article R. 421-9 du code de l’urbanisme dans sa rédaction actuellement en vigueur, et notamment du c) de cet article, qui prévoit que doivent être précédées d’une déclaration préalable les constructions d’une hauteur supérieure à douze mètres et d’une emprise au sol ou d’une surface de plancher inférieure ou égale à 5 m², mais qui précise également que ces dispositions ne sont pas applicables aux antennes-relais de radiotéléphonie mobile, laissait en effet planer un doute sur le régime de ces installations. Cette incertitude n’était pas levée par le j) de ce même article, relatif aux antennes-relais de radiotéléphonie mobile ayant une surface de plancher et une emprise au sol comprise entre 5 et 20 m², mais ne traitant pas des mêmes installations ayant une surface de plancher inférieure à 5 m².
Par son avis, le Conseil d’État précise que les dispositions des c) et j) de l’article R. 421-9, dans leur rédaction issue du décret du 10 décembre 2018, doivent être lues comme soumettant à la procédure de déclaration préalable la construction d’antennes-relais d’une hauteur supérieure à douze mètres dont la surface de plancher et l’emprise au sol créées sont inférieures ou égales à 5 mètres carrés. Les projets comportant des antennes d’une hauteur inférieure ou égale à 12 mètres et entraînant la création d’une surface de plancher et d’une emprise au sol inférieures ou égales à 5 m² restent pour leur part dispensés de toute formalité.
La difficulté d’interprétation des textes en question était bien identifiée et des dispositions rectificatives visant à inscrire les antennes-relais d’une emprise au sol inférieure ou égale à 5 m², quelle que soit leur hauteur, dans le régime de la déclaration préalable ont été insérées dans un projet de décret qui devrait être prochainement adopté.
S’agissant de la seconde question posée par le tribunal, le Conseil d’État indique que pour l’appréciation des seuils applicables à ces projets de constructions, « seules la surface de plancher et l’emprise au sol des locaux et installations techniques doivent être prises en compte, et non l’emprise au sol des pylônes ».
*