La e-lettre bimestrielle de la Direction des affaires juridiques

N°3 du 17 mai 2024 - Angle droit 26

Edito

par Olivier Fuchs


Ce numéro d’Angle droit fait la part belle au droit international.

Ce droit, vaste et ancien, est depuis longtemps une source majeure d’évolution de nos systèmes juridiques. Certains pans du droit se caractérisent ainsi par une forte dimension internationale (droit de l’environnement ou droit maritime par exemple) tandis que cette empreinte est moins forte dans d’autres secteurs (par exemple le droit de l’urbanisme).

On estime ainsi à plus de trois cents le nombre de traités internationaux concernant l’environnement, corpus qui ne cesse de s’enrichir, par exemple avec l’adoption en 2023 du traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine. Francesco Gaeta, directeur de l’action européenne et internationale, donne dans ce numéro un éclairage précieux sur le travail réalisé au quotidien pour faire naître ces conventions.

Ces instruments sont régulièrement critiqués par des juristes pour leur absence d’effectivité, avec l’idée qu’ils seraient trop souvent des déclarations de principe sans conséquences concrètes.

Il est vrai que l’effectivité de ces conventions en droit interne dépend pour partie de l’effet direct ou non des stipulations de ces conventions. Ce n’est toutefois pas la seule voie d’effectivité. Ainsi, à côté de la classique invocabilité de stipulations d’effet direct, une interprétation de dispositions nationales à la lumière de stipulations de conventions internationales est possible, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans son arrêt Commune de Grande Synthe (CE, 1er juillet 2021, n° 427301, au Recueil).

Les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme le 9 avril 2024, auxquels est consacré le « zoom sur » de ce numéro, illustrent par ailleurs que les juridictions internationales se saisissent de plus en plus volontiers de la question environnementale. La Cour a ainsi approfondi sa jurisprudence relative à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en jugeant que le droit à une vie privée et familiale englobe le droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie.

Ce numéro d’Angle Droit permet ainsi de montrer à quel point le droit de l’environnement, en particulier, se caractérise par une arborescence de sources (internationales, européennes et internes, avec notamment une dimension constitutionnelle affirmée) qui, prises dans leur globalité, font système et lui donnent toute sa cohérence. Cette multiplicité est sans conteste un facteur de richesse et vitalité.

Je vous souhaite une très bonne lecture de ce nouveau numéro !

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Zoom sur …

Trois décisions du 9 avril 2024 de la Cour européenne des droits de l’homme : Duarte Agostinho et autres c. Portugal et autres, Carême c. France et Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse


Le 9 avril 2024, la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu trois décisions précisant à quelles conditions elle pouvait être valablement saisie d’affaires mettant en cause l’inaction ou l’action insuffisante des États en matière de changement climatique.

Les affaires Duarte Agostinho et Carême ont donné lieu à des décisions d’irrecevabilité. La troisième affaire a par contre abouti à la condamnation de la Suisse au versement de 80 000 euros à l’association requérante en raison de la violation constatée de l’article 8 et de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

Pour quelles raisons les deux affaires Duarte Agostinho et Carême ont-elles été jugées irrecevables ?

L’affaire Duarte Agostinho et autres c. Portugal concernait six jeunes portugais alléguant que l’inaction climatique de 33 États européens, dont la France, avait eu des effets néfastes graves sur leurs conditions de vie. Dans cette affaire, la Cour a toutefois considéré que les requérants relevaient de la juridiction du Portugal, et non de celle des autres États défendeurs, de sorte que leur requête devait être déclarée irrecevable pour autant qu’elle concerne ces autres États. La Cour a par ailleurs estimé que le grief dirigé par les requérants contre le Portugal était irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

Dans l’affaire Carême c/France, la Cour a refusé de reconnaître la qualité de victime au requérant, ancien maire de la commune de Grande-Synthe, dans la mesure où celui-ci ne réside plus en France et ne démontre « aucun lien pertinent » avec la commune. Ainsi, il ne saurait prétendre à la qualité de victime nécessaire pour saisir la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention.

À ce propos, la Cour a précisé qu’ « eu égard au fait que toute personne, ou presque, pourrait avoir une raison légitime de ressentir une forme d’anxiété face aux risques futurs d’effets néfastes du changement climatique, juger que le requérant puisse prétendre à cette qualité de victime rendrait difficile de distinguer la défense des intérêts poursuivie par la voie de l’actio popularis – laquelle n’est pas reconnue dans le système de la Convention – des situations où il existe un besoin impérieux d’assurer la protection individuelle d’un requérant contre les atteintes que les effets du changement climatique pourraient porter à la jouissance de ses droits fondamentaux ». Ainsi, invoquer une forme d’anxiété face au changement climatique ne suffit pas pour former un recours devant la CEDH. Cette solution est cohérente avec la décision « Grande Synthe » du Conseil d’État du 19 novembre 2020, dans laquelle ce dernier a estimé qu’en se bornant à soutenir « que sa résidence actuelle se trouve dans une zone susceptible d’être soumise à des inondations à l’horizon de 2040, d’autre part, à se prévaloir de sa qualité de citoyen », M. Carême ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour contester le refus du Gouvernement de prendre toute mesure utile permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national (CE, 19 novembre 2020, n°427301, au recueil).

Quels sont les apports de la décision Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse ?

Dans cette affaire, l’association « Les aînées pour le climat » et quatre personnes physiques faisaient valoir que les autorités suisses n’avaient pas pris de mesures suffisantes pour atténuer les effets du changement climatique, et avaient ainsi méconnu les articles 2 et 8 de la Convention garantissant, respectivement, le droit à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale. Elles soutenaient également que leur droit d’accès à un tribunal avait été limité de manière disproportionnée, en violation de l’article 6§1.

Par une décision de près de 300 pages, la Cour détaille les conditions de recevabilité de requêtes invoquant la méconnaissance des stipulations de la Convention en raison de la méconnaissance par les autorités de l’État de leurs obligations en matière de lutte contre le changement climatique et ses effets.

En premier lieu, la Cour énonce les conditions au vu desquelles, dans le cadre de litiges en lien avec la problématique du changement climatique, les personnes physiques d’une part, et les associations d’autre part, peuvent se voir reconnaître la qualité de victime nécessaire pour agir devant elle en application de l’article 34 de la Convention.

S’agissant des personnes physiques, en cohérence avec l’arrêt Carême précité, la Cour observe qu’eu égard aux spécificités du changement climatique, « tout un chacun étant concerné par les risques actuels et futurs, de différentes façons et à des degrés divers », les critères déterminant la qualité de victime des personnes physiques doivent reposer sur l’existence d’un risque réel d’ « effet direct » sur le requérant. Cela suppose qu’il justifie « être exposé de manière intense aux effets néfastes du changement climatique », ainsi que du « besoin impérieux » que soit assurée sa protection individuelle « en raison de l’absence de mesures raisonnables ou adéquates de réduction du dommage » (points 484 à 488 de la décision).

Par suite, tout en admettant que les difficultés rencontrées lors d’épisodes de canicule par les requérantes-personnes physiques ont une incidence sur leur qualité de vie, la Cour déclare irrecevables les griefs formulés devant elle par celles-ci, les conditions de reconnaissance de la qualité de victime n’étant pas établies (points 532 et 533).

Concernant les associations, la Cour rappelle d’abord que « la possibilité d’accorder la qualité de victime à une association pour toute question de fond relevant de l’article 2 et/ou de l’article 8 de la Convention se trouve (…) limitée », par le fait qu’ « une association ne peut s’appuyer sur des considérations de santé ou sur des nuisances (…) que seules des personnes physiques peuvent ressentir (…) » (point 496 de la décision).

Elle observe cependant que l’introduction de recours relatifs au changement climatique par des associations est particulièrement justifié, dès lors notamment que ces litiges « comportent souvent des questions de droit et de fait complexes, ce qui exige d’importantes ressources financières et logistiques et une bonne coordination », et compte tenu de « la nature particulière du changement climatique, sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière, et la nécessité de favoriser la répartition intergénérationnelle de l’effort dans ce domaine (…) » (points 497 et 499).

Tenant compte de l’exclusion de l’actio popularis du système de la Convention, la Cour subordonne néanmoins la recevabilité des requêtes présentées par des associations au respect de conditions précises, parmi lesquelles celle de pouvoir être considérées comme véritablement représentatives et habilitées à agir « pour le compte d’adhérents ou d’autres individus touchés dans le pays concerné dont la vie, la santé ou le bien-être, tels que protégés par la Convention, se trouvent exposés à des menaces ou conséquences néfastes spécifiques liées au changement climatique » (point 502).

Dans le cas d’espèce, compte tenu notamment du but que l’association requérante s’est donné et de son nombre d’adhérents, la Cour estime que celle-ci possède « la nécessaire qualité pour agir dans la présente procédure et que l’article 8 trouve à s’appliquer dans le cadre de son grief » (points 521 à 526).

En second lieu, la Cour précise le lien existant entre les droits garantis par l’article 8 de la Convention et le changement climatique : elle énonce que l’article 8 doit être regardé « comme englobant le droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie » (point 519).

Elle juge ainsi que des obligations positives incombent aux États en application de l’article 8, qui leur impose « d’adopter, et d’appliquer effectivement et concrètement, une réglementation et des mesures aptes à atténuer les effets actuels et futurs, potentiellement irréversibles, du changement climatique ». En raison de cette exigence d’efficacité, les pouvoirs publics doivent agir en temps utile et de manière appropriée et cohérente, en proposant en ce sens une « méthodologie » comprenant la fixation de calendriers à respecter pour parvenir à la neutralité carbone, ou la fixation d’objectifs et trajectoires intermédiaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre (points 545, 549 et 550).

Elle rappelle cependant que son appréciation sur le point de savoir si l’ensemble des exigences ainsi définies sont satisfaites « revêt en principe un caractère global, qui signifie que l’existence d’une lacune sur un seul aspect particulier ne doit pas nécessairement conduire à considérer que l’État a outrepassé sa marge d’appréciation » (point 551).

Dans ce cadre, la Cour estime que la Suisse a pour sa part failli à son obligation positive découlant de l’article 8 de concevoir un cadre réglementaire fixant les buts et objectifs requis, compte tenu notamment de l’absence de budgets carbones ou d’autres mécanismes permettant de quantifier les limites nationales d’émissions de gaz à effet de serre (points 569 à 571).

En dernier lieu, la Cour considère que le rejet de la requête de l’association requérante par les juridictions suisses constitue une violation de l’article 6, paragraphe 1 de la convention. En effet, elle reconnaît une limitation disproportionnée du droit d’accès à un tribunal de l’association, en l’absence d’examen distinct de la qualité pour agir de l’association et des personnes physiques par les juridictions internes, qui n’ont pas fourni de raisons convaincantes pour justifier du bien-fondé de l’absence d’examen du recours (point 536). À cette occasion, la Cour a notamment rappelé le rôle déterminant des juridictions internes dans le traitement des affaires relatives au changement climatique.

Quelles perspectives pour les contentieux à venir ?

La définition par la Cour d’obligations positives que les États doivent mettre en œuvre pour assurer la protection des individus contre « les effets néfastes du changement climatiques », dans le respect de l’article 8 de la Convention, pourrait inciter les justiciables, et en particulier les associations, à saisir davantage les juridictions des différents États parties à la Convention de contentieux climatiques.

Les obligations définies par la Cour recoupent largement les obligations mises à la charge de l’État par la réglementation européenne et nationale pour assurer la mise en œuvre de l’accord de Paris, dont le respect est d’ores et déjà examiné, en ce qui concerne la France, dans le cadre du contentieux Commune de Grande Synthe, toujours en cours devant le Conseil d’État. Au regard des obligations définies par la Cour dans les décisions commentées, la France s’est dotée d’un calendrier pour atteindre la neutralité carbone et a d’ores et déjà adopté les budgets carbone permettant d’y parvenir (voir notamment l’article L. 100-4 du code de l’énergie).

L'actualité jurisprudentielle

Accès aux documents administratifs


CE, 11 mars 2024, Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse c/ Société CCM Benchmark Group, n° 488227, aux Tables

Contentieux administratif – Délai de recours

Application de la jurisprudence Czabaj au contentieux de l’accès aux documents administratifs

Le Conseil d’État précise les règles de délais applicables aux recours dirigés contre un refus de communiquer un document administratif et juge que la jurisprudence Czabaj est applicable à ces contestations.

La décision Czabaj (CE Ass., 13 juillet 2016, n° 387763, au Recueil) pose le principe selon lequel, en l’absence de mention des voies et délais de recours, le destinataire d’une décision individuelle ne peut exercer un recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. Ce délai raisonnable est en principe d’un an, sauf circonstances particulières, à compter du jour où il a eu connaissance de la décision.

En matière de communication de documents administratifs, si l’article L. 311-14 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) prévoit que « toute décision de refus d’accès aux documents administratifs est notifiée au demandeur sous la forme d’une décision écrite motivée comportant l’indication des voies et délais de recours », cette exigence n’est, en pratique, pas toujours respectée.

Dans la présente décision, le Conseil d’État rappelle d’abord qu’en application des articles R. 311-12 et R. 311-13 du CRPA, le silence gardé par l’administration dans le délai d’un mois à compter de la réception d’une demande de communication de documents administratifs fait naître une décision de refus. L’article L. 342-1 de ce code subordonne alors la recevabilité du recours contentieux à la saisine préalable pour avis de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Selon les dispositions des articles R. 343-4 et R. 343-5 du même code, le silence gardé par l’administration pendant un délai de deux mois à compter de l’enregistrement de la saisine de la CADA fait naître une décision implicite de confirmation de refus. Un recours contentieux peut alors être introduit.

Le Conseil d’État en déduit que lorsque l’administration oppose au demandeur un refus explicite de communication postérieurement à la saisine de la CADA, cette décision doit être regardée comme la confirmation du refus de communication au sens des dispositions précitées, seule susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux, même si elle intervient avant l’avis de la CADA. Cette décision explicite, qui fait obstacle à la naissance d’une décision implicite à l’expiration du délai de deux mois après la saisine de la CADA, constitue le point de départ du délai de recours contentieux.

En conséquence, il censure pour erreur de droit le tribunal administratif qui avait jugé que la décision à attaquer n’était pas celle, explicite, que l’administration a prise quelques jours après la saisine de la CADA, mais celle, implicite, survenue deux mois après cette saisine et après l’avis de la CADA.

S’agissant ensuite du point d’arrivée de ce délai, le Conseil d’État confirme l’application de la jurisprudence Czabaj au contentieux de la communication de documents administratifs. Il juge qu’en l’absence d’information tant de l’existence du recours administratif préalable obligatoire devant la CADA et des délais dans lesquels ce recours peut être exercé que des voies et délais de recours contentieux contre la confirmation du refus de communication, le demandeur peut demander l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il en a eu connaissance. Il rappelle que ce délai ne peut, sauf circonstances particulières, excéder un an et juge que la notification de l’avis de la CADA ne constitue pas une telle circonstance, contrairement à ce qu’avait estimé le tribunal administratif qui est également censuré pour ce motif.

Cette décision permet une juste conciliation entre le droit d’accès aux documents administratifs et les exigences de sécurité juridique et de bonne administration, le demandeur pouvant toujours, passé le délai d’un an, adresser à l’administration une nouvelle demande de communication de documents administratifs, puis saisir à nouveau la CADA.

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CE, 11 mars 2024, M. A…B… c/ Etablissement national des invalides de la Marine (ENIM), n° 454305, aux Tables

CADA – demande de protection fonctionnelle

La demande de protection fonctionnelle adressée par un agent public à l’administration dont il dépend n’est, par elle-même et quel que soit son contenu, pas communicable à un tiers

L’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) dispose que « ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : (…) 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ».

Le Conseil d’État juge que, lorsque le document administratif est une demande de protection fonctionnelle qu’un agent public a adressée à son administration, seul cet agent public a la qualité d’« intéressé ». Il n’est pas nécessaire que l’administration, avant de refuser la communication du document à un tiers, vérifie qu’est remplie la condition d’existence d’un possible préjudice causé par la divulgation de son comportement. En effet, le Conseil d’État juge que « la divulgation à un tiers d’une telle demande doit être regardée comme étant, par elle-même et quel que soit son contenu, susceptible de porter préjudice à son auteur, qui a seule qualité de personne intéressée au sens de ces dispositions ».

Cette solution doit être rapprochée de la jurisprudence portant sur la communicabilité des témoignages (CE, 21 septembre 2015, Rossin, n° 369808, au recueil Lebon), leur divulgation à des tiers étant susceptible de porter préjudice à leur auteur. En revanche, contrairement aux témoignages et, plus généralement, aux documents dont la communicabilité s’apprécie, au cas par cas, au regard de leur contenu (voir, notamment, CE, 8 février 2023, Centre hospitalier de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887, aux tables) et en fonction du contexte dans lequel ils ont été établis, la demande de protection fonctionnelle est, par nature, non communicable.

Dans la présente affaire, la communication d’une plainte pénale avait également été demandée par le requérant, sur le fondement des dispositions du CRPA. Le Conseil d’État a toutefois rappelé qu’un tel document ne constituait pas un document administratif au sens de l’article L. 300-2 de ce code dès lors qu’il se rattache à la fonction juridictionnelle.

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Domanialité publique

CE, 5 février 2024, MTECT c/ SAS KOS, n° 475508, aux Tables

Contravention de grande voirie – Régime des peines applicables – Principe de légalité des peines - Personnes morales

Pas de quintuplement des amendes prononcées à l’encontre des personnes morales en matière de contravention de grande voirie

Le Conseil d’État juge que la règle du quintuplement du montant des amendes pour les personnes morales ne s’applique pas en matière de contravention de grande voirie car ni l’article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), ni l’article 1er du décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ne renvoient explicitement aux dispositions de l’article 131-41 du code pénal.

Le tribunal administratif de Bastia, saisi d’un procès-verbal de contravention de grande voirie, avait condamné la société Kos à une amende de 5 000 euros. La cour administrative d’appel de Marseille ayant ramené cette condamnation à une amende de 1 500 euros après avoir jugé que les premiers juges avaient méconnu le principe de légalité de peines, un pourvoi en cassation a été formé devant le Conseil d’État pour déterminer si les dispositions de l’article 131-41 du code pénal, selon lequel « le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par le règlement qui réprime l’infraction », était applicable en matière de CGV.

Cependant, les dispositions relatives aux montants des amendes pour CGV, à savoir l’article L. 2132-26 du CG3P et l’article 1er du décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ne renvoient pas explicitement à cet article 131-41 du code pénal.

Appliquant le principe de valeur constitutionnelle qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789, selon lequel il ne peut y avoir de peine sans texte, et rappelant que les textes applicables en l’espèce étaient « d’interprétation stricte », le Conseil d’État a considéré que « la cour administrative de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit » en ramenant le montant de l’amende prononcée à l’encontre des sociétés contrevenantes à celui prévu pour les personnes physiques.

Dans ses conclusions (Romain Victor, Droit de la voirie, n° 237, mars-avril 2024), le rapporteur public, relevant « une malfaçon des textes » a indiqué qu’il proposait « un peu à regret » de rejeter les recours du ministre, notamment en raison de l’intérêt que présente un rapprochement du régime répressif des contraventions de grande voirie du régime applicable aux infractions pénales. Il a indiqué que pour rendre ce rapprochement « conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles qui gouvernent la matière pénale, on ne saurait oublier, sauf à encourir un reproche d’incohérence, que figurent parmi ces exigences constitutionnelles le principe de légalité des peines dont il est difficile de s’exonérer au bénéfice d’une interprétation constructive ou volontariste des textes ».

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Environnement

CE, 8 mars 2024, Association Hydrauxois, n° 460964, aux Tables

Loi sur l’eau - Police des installations, ouvrages, travaux ou activités (IOTA)

Comment reconnaître une opération globale nécessitant une demande d’autorisation ou déclaration unique au titre de la police des « IOTA » ?

L’article R. 214-42 du code de l’environnement prévoit qu’une demande d’autorisation ou de déclaration unique au titre de la législation des IOTA doit être présentée lorsque les ouvrages, installations, travaux ou activités envisagés sont réalisés par la même personne sur le même milieu aquatique et dépassent les seuils fixés par la nomenclature, que leur réalisation soit simultanée ou successive. La finalité de ces dispositions est d’assurer que les effets des opérations sur le milieu aquatique soient additionnés pour la détermination du régime auquel la demande est soumise.

Le Conseil d’État précise que, au sens de l’article R. 214-42 du code de l’environnement, « pour apprécier si des projets successifs doivent faire l’objet d’une demande unique, puis déterminer, en fonction des seuils applicables à ces opérations ou activités, s’ils doivent être soumis à déclaration ou autorisation au regard de la nomenclature définie à l’article R. 214-1 du même code, l’administration doit se fonder sur l’ensemble des caractéristiques des projets, en particulier la finalité des opérations envisagées et le calendrier prévu pour leur réalisation ».

En l’espèce, l’appréciation de la cour qui avait estimé ne pas être en présence d’un projet unique au sens de l’article R. 214-42 est censurée par le Conseil d’État. Le demandeur avait en effet informé les services de l’État de son intention de réaliser la vidange complète d’un étang situé sur le passage d’une rivière, de réaliser des travaux urgents de curage sur la rivière et avait déposé une déclaration pour détruire la digue de l’étang. Le Conseil relève ainsi que, dès sa première demande, le demandeur avait indiqué que la vidange de l’étang était envisagée pour l’effacement du plan d’eau et que les travaux de curage des sédiments et la destruction de la digue avaient pour finalité la suppression définitive de cet étang. Ces différents travaux constituaient donc une seule et même opération dépendant d’une seule personne concernant le même milieu aquatique dont l’instruction aurait dû être réalisée sous la forme d’une procédure unique en application de l’article R. 214-42 du code de l’environnement.


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CE, 5 mars 2024, Association Générations futures, n° 467743, Inédit

Protection de la santé ou de l’environnement - Produits phytopharmaceutiques interdits dans l’UE - Prohibition d’exportation vers un pays tiers

Annulation partielle du décret du 23 mars 2022 prévoyant des délais de grâce


L’article L. 253-8 IV du code rural et de la pêche maritime (CRPM), créé par la loi EGALIM du 30 octobre 2018, interdit depuis le 1er janvier 2022 la production, le stockage et la mise en circulation en vue de l’exportation depuis le territoire national vers un pays tiers de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées à l’échelle européenne et dont le renouvellement n’a pas été sollicité pour des raisons liées à la protection de la santé ou de l’environnement (dites substances « non soutenues »). Cette législation résulte du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009.

Le décret n° 2022-411 du 23 mars 2022 relatif aux modalités de mise en œuvre de cette interdiction prévoit la possibilité d’octroyer des délais de grâce aux produits concernés par ce dispositif, et en particulier pour les substances dont le renouvellement n’a pas été sollicité pour des raisons liées à la protection de la santé ou de l’environnement (dites substances « non soutenues »). Ces délais de grâce sont possibles jusqu’à une date fixée par arrêté et déterminée sur la base d’une évaluation de l’impact de l’interdiction de production, de stockage et de mise en circulation en vue de leur exportation des produits contenant les substances concernées.

Le Conseil d’État, saisi d’un recours formé par l’association « Générations futures », prononce l’annulation partielle de ce décret.

Il juge en effet qu’aucun délai de grâce n’était possible s’agissant des substances « non soutenues » dès lors, d’une part, que ni règlementation européenne, ni la loi EGALIM n’en avait prévu, et d’autre part, qu’aucun encadrement suffisant de sa durée n’était fixé par le décret. En conséquence, l’interdiction d’exporter des produits contenant de telles substances devait être regardé comme applicable dès l’entrée en vigueur de l’article L. 253-8 IV du code rural et de la pêche maritime, soit depuis le 1er janvier 2022.

En revanche, le Conseil d’État rejette la demande de l’association visant à l’annulation des dispositions du décret autorisant d’exporter hors UE pendant un certain délai de grâce des produits phytopharmaceutiques contenant des substances qui font l’objet d’un règlement d’exécution portant non approbation expresse, ou refus de renouvellement de leur autorisation d’approbation au titre et selon la procédure prévue par le règlement européen pour un motif de dangerosité sanitaire ou environnementale, en l’absence de préoccupations immédiates concernant la protection de la santé ou de l’environnement. Les produits contenant ces substances peuvent ainsi continuer d’être produits, stockés et mis en circulation en vue d’être exportés hors de l’UE jusqu’à la fin du délai de grâce fixé par le règlement d’exécution les concernant.

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Marques publiques

CAA de Paris, 15 mars 2024, Association Francophonie Avenir, n° 22PA05155

Loi Toubon – Emploi de la langue française par les personnes publiques

Contours de l’interdiction faite aux personnes publiques d’employer des termes étrangers pour constituer une marque

La loi n° 94-665 du 4 août 1994 (dite « loi Toubon ») a créé plusieurs obligations d’emploi de la langue française, notamment à la charge des personnes publiques. Son article 14 dispose ainsi que « l’emploi d’une marque (…) constituée d’une expression ou d’un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu’il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l’enrichissement de la langue française. (…) ». Le décret n° 96-602 du 3 juillet 1996, pris en application de cette loi, a créé auprès du Premier ministre une commission, dénommée « commission d’enrichissement de la langue française » (CELF) , chargée de l’approbation de ces expressions ou termes français de même sens. Cette commission, par une décision du 2 juillet 2021 publiée au JORF, a décidé que « les mots, termes, expressions et tournures de la langue française attestés dans les huitième et neuvième éditions du Dictionnaire de l’Académie française et dans le Trésor de la langue française sont approuvés dans les conditions prévues par le décret du 3 juillet 1996 ».

En l’espèce, une association contestait le refus implicite opposé par la ministre de la transition écologique à sa demande de ne plus utiliser dans l’espace public la marque « French Impact », déposée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle, et d’enjoindre de retirer cette expression de l’ensemble des supports de communication. La requérante soutenait notamment que l’utilisation par l’État de cette marque méconnaissait les dispositions de la loi Toubon, dès lors que les termes étrangers employés pour la constituer disposaient d’équivalents en langue française.

Pour confirmer le rejet prononcé en première instance de cette demande, la cour administrative d’appel de Paris a fait application de la jurisprudence élaborée par le Conseil d’État à l’occasion de l’emploi de la marque « Let’s Grau » déposée par la commune du Grau du-Roi (CE, 22 juillet 2020, n° 435372), selon laquelle l’utilisation d’expressions en langues étrangères n’est interdite aux personnes morales de droit public « que s’il existe une expression française de même sens approuvée par la commission d’enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel de la République française ».

La cour constate en l’espèce que l’expression « French Impact » n’avait, à la date du refus de la ministre, pas fait l’objet de l’approbation d’un terme français équivalent publié au JORF et ne méconnaît donc pas les dispositions de la loi du 4 août 1994. Elle confirme donc, d’une part, que les décisions de la commission d’enrichissement de la langue française n’ont pas de portée rétroactive et, d’autre part, que le critère de l’interdiction faite aux personnes publiques d’employer des termes étrangers pour constituer une marque est uniquement l’approbation ou non d’un équivalent français par la CELF et non pas l’existence effective d’une traduction française.

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Transports

CE, 19 mars 2024, Chambre syndicale des cochers chauffeurs de voitures de place CGT-TAXIS c/ MTECT, n° 488615, Inédit]

Autorisations de stationnement/licences de taxis – Transport des personnes à mobilité réduite dans le cadre de JOP 2024 - Principe d’égalité

Taxis et personnes à mobilité réduite : constitutionnalité du dispositif spécial JOP

La loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024 permet, à titre dérogatoire, la délivrance de licences de taxis à des personnes morales pour répondre en urgence au besoin d’augmenter l’offre de taxis pour les personnes en fauteuil roulant à Paris pendant les JOP. Le Conseil d’État juge que ces dispositions n’instaurent pas de rupture d’égalité avec les taxis personnes physiques, en raison de la différence de situation entre ces deux catégories d’exploitants et du rapport direct avec l’objet de la loi.

Depuis la loi du 1er octobre 2014 dite « Loi Thévenoud », et aux termes de l’article L. 3121-1-2 du code des transports, seules les personnes physiques peuvent se voir délivrer des autorisations de stationnement (licences de taxis) nécessaires à l’exercice de l’activité de chauffeur de taxi. Cependant, en raison de l’insuffisance de l’offre de service à l’attention des personnes en fauteuil roulant à Paris et afin de satisfaire à l’objectif gouvernemental de disposer de 1000 taxis parisiens accessibles aux personnes à mobilité réduite pendant les JOP, l’article 26 de la loi du 19 mai 2023 a instauré une expérimentation permettant au préfet de police de Paris de délivrer, à titre dérogatoire, des autorisations de stationnement aux personnes morales sans l’ouvrir aux personnes physiques.

À l’occasion de son recours en annulation contre le décret d’application du 28 juillet 2023, la Chambre syndicale des cochers chauffeurs de voitures de place CGT-Taxis a introduit une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contre les dispositions de l’article 26 de cette loi du 19 mai 2023. Elle soutenait que ces dispositions portaient atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant la loi, protégé par l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en ce qu’elles réservaient le bénéfice du dispositif expérimental dérogatoire aux seules personnes morales.

Le Conseil d’État fait application de sa jurisprudence constante selon laquelle « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Il juge ainsi que les personnes morales (i.e. les compagnies de taxis) et les personnes physiques (artisans taxis, exploitants individuels) titulaires d’autorisations de stationnement sont placées, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 1er octobre 2014, dans une situation différente. Il retient également que la différence de traitement ainsi instituée est en rapport direct avec l’objet de cette loi.

Le Conseil d’État juge par conséquent que la QPC ne présente pas de caractère sérieux, et qu’il n’y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

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Urbanisme

CE, 8 avril 2024, Sté d’HLM Promologis, n° 472443, aux Tables

Aménagement – Projet urbain partenarial

Sur le droit d’obtenir un projet de convention de projet urbain partenarial

Créé par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, le projet urbain partenarial (PUP) est une forme de participation des personnes privées au financement des équipements publics. En vertu de l’article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme , lorsqu’une opération d’aménagement ou de construction nécessite la réalisation d’équipements publics, le propriétaire des terrains, l’aménageur ou le constructeur peut conclure avec la personne publique compétente en matière d’urbanisme une convention de projet urbain partenarial, laquelle prévoit le financement par l’opérateur privé de tout ou partie des équipements, en contrepartie d’une exonération de la part communale de la taxe d’aménagement pendant une certaine durée.

En 2014, et notamment afin de clarifier les responsabilités des différents aménageurs intervenant sur une même zone dans le financement des équipements publics, la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové a ajouté un II à ce même article. Ces dispositions prévoient que lorsque des équipements publics ayant vocation à faire l’objet d’une première convention de PUP desservent également des terrains autres que ceux qu’elle concerne, une délibération de la commune « fixe les modalités de partage des coûts des équipements » et délimite un périmètre à l’intérieur duquel les autres opérateurs participent, dans le cadre de conventions, « à la prise en charge de ces mêmes équipements publics (…) dès lors qu’ils répondent aux besoins des futurs habitants ou usagers de leurs opérations ».

Si la première convention de PUP présente ainsi un caractère contractuel (CE, 12 mai 2023, Société Massonex, n°464062, aux Tables), le dispositif du II l’est nettement moins comme le démontre cette affaire.

En l’espèce, la commune avait approuvé la création d’une zone de PUP et conclu au sein de celle-ci une première convention de PUP avec une société. D’autres sociétés, également propriétaires dans la zone de PUP, ont demandé à la commune de leur communiquer un projet de convention, ce que celle-ci a refusé de faire, tout en suspendant leur demande de délivrance d’un permis d’aménager dans l’attente qu’elle produise une convention de PUP les liant à la commune. Le Conseil d’État juge toutefois que lorsqu’un opérateur fait état d’un projet d’aménagement ou de construction situé sur un terrain inclus dans une zone de PUP et pour lequel les besoins des futurs habitants ou usagers de cette opération nécessitent des équipements publics mentionnés par la délibération de la collectivité, celui-ci est en droit de se voir proposer un projet de convention de projet urbain partenarial appliquant à l’opération en cause les modalités de répartition des coûts de ceux des équipements publics répondant aux besoins des futurs habitants ou usagers de cette opération.

En d’autres termes, la collectivité compétente doit dans cette configuration proposer une convention au propriétaire, aménageur ou constructeur qui le demande. Toute autre solution aurait pu conduire, comme le disait le rapporteur public, à un « scenario kafkaïen » dans lequel une collectivité pourrait faire obstacle à un projet en imposant une obligation à l’opérateur tout en ne le mettant pas en mesure de la remplir.

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CE, avis, 21 mars 2024, Madame N et autres, n° 490536, aux Tables

Autorisations d’utilisation des sols - Régimes du permis de construire et de la déclaration préalable

Précisions sur le régime des antennes-relais au regard du code de l’urbanisme

Le Conseil d’État précise le régime applicable, au titre du droit des sols, aux antennes-relais de radiotéléphonie mobile. Il juge que les antennes-relais d’une hauteur supérieure à 12 mètres et dont la surface de plancher ou l’emprise au sol est inférieure à 5 m² sont soumises à déclaration préalable. Celles de faible importance, d’une hauteur inférieure à 12 mètres et de moins de 5 m², demeurent dispensées de toute formalité.

Le Conseil d’État avait été saisi de ce sujet par le tribunal administratif de Rennes qui, par un jugement avant dire droit, lui avait transmis deux questions de droit. La première visait à savoir si les constructions d’antennes-relais qui ont une surface de plancher ou une emprise au sol inférieure à 5 m² devaient être soumises à permis de construire. À travers la seconde question, le tribunal demandait si, pour la détermination de ces surfaces et l’application des dispositions de l’article R. 421-9 du code de l’urbanisme, il devait ou non être tenu compte de l’emprise au sol susceptible d’être également générée par les pylônes supportant les antennes-relais.

La lecture de l’article R. 421-9 du code de l’urbanisme dans sa rédaction actuellement en vigueur, et notamment du c) de cet article, qui prévoit que doivent être précédées d’une déclaration préalable les constructions d’une hauteur supérieure à douze mètres et d’une emprise au sol ou d’une surface de plancher inférieure ou égale à 5 m², mais qui précise également que ces dispositions ne sont pas applicables aux antennes-relais de radiotéléphonie mobile, laissait en effet planer un doute sur le régime de ces installations. Cette incertitude n’était pas levée par le j) de ce même article, relatif aux antennes-relais de radiotéléphonie mobile ayant une surface de plancher et une emprise au sol comprise entre 5 et 20 m², mais ne traitant pas des mêmes installations ayant une surface de plancher inférieure à 5 m².

Par son avis, le Conseil d’État précise que les dispositions des c) et j) de l’article R. 421-9, dans leur rédaction issue du décret du 10 décembre 2018, doivent être lues comme soumettant à la procédure de déclaration préalable la construction d’antennes-relais d’une hauteur supérieure à douze mètres dont la surface de plancher et l’emprise au sol créées sont inférieures ou égales à 5 mètres carrés. Les projets comportant des antennes d’une hauteur inférieure ou égale à 12 mètres et entraînant la création d’une surface de plancher et d’une emprise au sol inférieures ou égales à 5 m² restent pour leur part dispensés de toute formalité.

La difficulté d’interprétation des textes en question était bien identifiée et des dispositions rectificatives visant à inscrire les antennes-relais d’une emprise au sol inférieure ou égale à 5 m², quelle que soit leur hauteur, dans le régime de la déclaration préalable ont été insérées dans un projet de décret qui devrait être prochainement adopté.

S’agissant de la seconde question posée par le tribunal, le Conseil d’État indique que pour l’appréciation des seuils applicables à ces projets de constructions, « seules la surface de plancher et l’emprise au sol des locaux et installations techniques doivent être prises en compte, et non l’emprise au sol des pylônes ».

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L'actualité normative et consultative

Textes

Cette directive, publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 30 avril 2024, a pour objet d’établir des règles minimales pour la définition et la sanction d’infractions pénales afin de protéger l’environnement de manière plus efficace.

La directive comprend une liste de comportements devant être pénalement incriminés par les États membres lorsqu’ils sont illicites et commis intentionnellement ou par négligence grave.

Si certaines infractions déjà prévues dans la directive 2008/99/CE sont conservées, ce nouveau texte prévoit des incriminations plus nombreuses et définit de façon plus précise les comportements incriminés. Il prévoit notamment, parmi les nouvelles catégories d’infractions, la mise sur le marché de produits dont l’utilisation à grande échelle est mortifère ou cause des dommages substantiels à l’environnement, les violations graves de la législation européenne sur les produits chimiques, la réalisation sans autorisation de projets soumis à évaluation environnementale causant des dommages substantiels à l’environnement, le rejet de substances polluantes par les navires, les opérations pétrolières et gazières en mer ou encore le captage illégal d’eaux de surface ou souterraines. La directive ne limite toutefois pas la définition des infractions environnementales, les États membres pouvant prévoir des infractions supplémentaires en vue de protéger l’environnement.

La directive prévoit également que les infractions pénales qu’elle définit sont dites "qualifiées" lorsque le comportement incriminé cause la destruction ou endommage gravement un écosystème suffisamment important ou un habitat au sein d’un site protégé, ou cause des dommages à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau. Elle fixe par ailleurs des circonstances aggravantes et atténuantes.

La directive harmonise la nature et les niveaux des peines principales encourues pour les personnes physiques (emprisonnement) et les personnes morales (amende), en prévoyant des minima de peines maximales devant être prévues par la législation nationale. À cet égard, les peines maximales devant être fixées par les États sont plus importantes pour les infractions qualifiées. La directive prévoit également l’obligation pour les Etats membres de recourir à des peines complémentaires dont la liste n’est pas contraignante.

Elle comporte des dispositions procédurales destinées à améliorer l’efficacité de la lutte contre la criminalité environnementale (gel et confiscation, outils d’enquête, coordination et coopération entre les autorités compétentes) ainsi que des règles de procédure pénale pour simplifier la coopération judiciaire (prescription, compétence juridictionnelle).

Elle prévoit des dispositions relatives aux droits de la société civile (protection des lanceurs d’alerte, publication d’informations et accès à la justice).

Enfin, elle oblige les États membres à allouer suffisamment de ressources aux services en charge de la lutte contre les infractions pénales environnementales, à former le personnel judiciaire, à élaborer une stratégie nationale de lutte contre les infractions pénales environnementales et à mettre en place un système de suivi statistique de l’efficacité de leurs mesures.

Les États membres disposent d’un délai de deux ans à compter de son entrée en vigueur pour la transposer dans leur droit national, soit jusqu’au 20 mai 2026.

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Ces deux décrets ont pour objectif de rendre pleinement effectif le dispositif de lutte contre le dumping social adopté par la loi n° 2023-659 du 26 juillet 2023, entrée en vigueur le 1er janvier 2024 et visant à protéger les conditions sociales de certains gens de mer.

Le premier de ces décrets applique, sous certaines conditions, ledit dispositif aux navires transporteurs de passagers réalisant des liaisons entre au moins un port français et au moins un port du Royaume-Uni ou un port des îles Anglo-Normandes. Il précise les droits sociaux des salariés prévus aux articles L.5592-1 à L.5592-3 du code des transports et complète les dispositions législatives relatives aux sanctions administratives et pénales.

Le second décret précise, quant à lui, la liste des documents et informations tenus à la disposition des membres de l’équipage et affichés dans les locaux qui leur sont réservés ainsi que la liste des documents tenus à la disposition des agents de contrôle.

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Sur le fondement de l’article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, le décret du 8 avril 2024 autorise la mise en œuvre par le ministère de l’intérieur (direction générale de la gendarmerie nationale) d’un traitement de données à caractère personnel dénommé « traitement d’optimisation des données et informations d’intérêt nucléaire » (ODIINuc).

Ce fichier est nécessaire au Commandement spécialisé pour la sécurité du nucléaire (CoSSeN), service à compétence nationale placé sous la double tutelle du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de l’énergie, pour assurer l’exercice de ses missions en lien avec la sécurité des établissements, ouvrages, installations et activités nucléaires. Il vient compléter le dispositif de protection des sites nucléaires civils et doit favoriser la coopération des différents acteurs œuvrant pour la sécurité nucléaire.

Le décret prévoit plus précisément que la mise en œuvre de ce fichier poursuit trois finalités : la collecte et l’exploitation d’informations sur des personnes impliquées dans des évènements révélant un risque d’atteinte à la sécurité nucléaire (1°), le contrôle et le suivi des demandes d’autorisation d’accès aux établissements, ouvrages, installations impliquant des matières nucléaires et des demandes d’autorisation relatives aux activités de la filière nucléaire (2°), ainsi que le traitement des demandes d’habilitation au secret de la défense nationale intéressant le domaine du nucléaire (3°). Il détermine en outre les catégories de données traitées, les destinataires du traitement et les durées de conservation des données.

Conformément à l’article 31 précité, la CNIL a été consultée sur ce dispositif (Délibération n° 2023-108 du 5 octobre 2023 portant avis sur un projet de décret portant autorisation d’un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif à la sécurité des établissements, ouvrages, installations et activités nucléaires dénommé « traitement d’optimisation des données et informations d’intérêt nucléaire »). Elle a considéré que les finalités poursuivies étaient légitimes, mais a demandé des précisions, notamment sur les conditions de traitement de données relatives à des événements susceptibles de porter atteinte à la sureté de l’État, qui relèvent d’un régime juridique spécifique. Elle a également recommandé au ministère de veiller, dans le cadre de la mise en œuvre du traitement, à ce que la collecte de données à caractère personnel soit justifiée par un lien suffisamment caractérisé entre la personne concernée et un événement portant atteinte à la sécurité nucléaire. Ces observations ont été prises en compte pour la finalisation du décret, qui prévoit notamment une définition des données intéressant la sureté de l’État et précise que ces données font l’objet d’une identification dans le traitement.

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L’arrêté ministériel du 19 avril 2024 autorise et encadre la mise en œuvre, par les services de police et de gendarmerie compétents, de traitements de données à caractère personnel collectées par des dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé du respect des règles de circulation sur les voies réservées à certaines catégories de véhicules (ci-après, voies réservées).

Le recours à des dispositifs de contrôle automatisé de la circulation sur les voies réservées est prévu par l’article L. 130-9-1 du code de la route et vise à faciliter la constatation d’infractions et la recherche de leurs auteurs. Cet article permet plus précisément l’installation de dispositifs de vidéo-verbalisation portant soit sur les données signalétiques des véhicules, soit, lorsque la voie a été réservée aux véhicules transportant un nombre minimal d’occupants, notamment dans le cadre du covoiturage, sur le nombre de personnes à bord.

L’arrêté du 19 avril 2024 constitue un acte réglementaire unique au sens du IV de l’article 31 de la loi informatique et libertés et permet ainsi d’autoriser les traitements de données mis en œuvre par les différents services de police et de gendarmerie mentionnés par l’article L. 130-9-1 précité, à la condition que ces services transmettent préalablement à la CNIL un engagement de conformité de leur traitement au cadre qu’il fixe.

Cet arrêté définit de manière limitative, notamment, les catégories de données traitées et les destinataires du traitement. Il fixe également la durée de conservation des données, qui ne peut excéder 8 jours qu’à des fins probatoires, lorsque les nécessités de la procédure pénale l’imposent. Il exige par ailleurs une anonymisation des données utilisées à des fins statistiques, par un procédé garantissant la suppression irréversible du lien entre lesdites données et le numéro de série ou tout identifiant du véhicule, de son conducteur, propriétaire ou locataire.

Pour faciliter la constatation d’infractions et conformément au III de l’article L. 130-9-1 précité, sont prévues des mises en relation du traitement avec la base de données des certificats qualité de l’air délivrés en application de l’article R. 318-2 du code de la route, le traitement des données d’immatriculation des véhicules prévu à l’article R. 330-1 du même code, ainsi que les fichiers des véhicules spécifiquement autorisés à circuler sur les voies concernées.

Conformément à l’article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, le dispositif a été soumis pour avis à la CNIL (Délibération n°2023-123 du 23 novembre 2023 portant avis sur un projet d’arrêté portant création d’un système d’ACVR). La CNIL a pris acte des garanties prévues par le ministère pour assurer la protection des droits des personnes concernées et a jugé le dispositif conforme au principe de minimisation des données. Le ministère s’est engagé à lui transmettre le rapport d’évaluation qui sera établi à l’issue d’une période de deux ans de mise en œuvre du système.

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3 questions à … ,

Francesco Gaeta, directeur de l’action européenne et internationale du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

La direction de l’action européenne et internationale a récemment adopté une stratégie européenne et internationale. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La stratégie européenne et internationale du MTECT, publiée le 9 mai 2023, vise à définir une vision à moyen terme (période 2023-2027) commune à l’ensemble du pôle ministériel et identifie les priorités et les initiatives à engager en Europe et dans le Monde pour la mettre en œuvre. Elle est structurée autour de quatre chapitres thématiques couvrant l’ensemble du champ de compétences ministérielles, et de deux chapitres transversaux présentant les moyens d’action à mobiliser, la gouvernance et le pilotage de la stratégie.

Lors de sa conception, cette stratégie a fait l’objet d’une large consultation afin de recueillir les attentes et les suggestions de nos principaux partenaires, toutes catégories confondues (autres ministères, ONG, secteurs économiques, think tanks, …). Le conseil national de la transition écologique a émis un avis qui a été pris en considération dans le texte final.

La stratégie a fait l’objet d’une première évaluation de sa mise en œuvre, concernant l’année 2023. Cette évaluation fait état d’un très bon taux d’exécution (77% d’objectifs atteints) et d’une excellente dynamique, la stratégie faisant l’objet d’une forte appropriation tant au sein du ministère qu’auprès des opérateurs sous tutelle.

Votre direction a participé à la négociation du traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine. Quelles sont les avancées attendues de ce nouveau texte international ?

Les zones ne relevant pas de la juridiction nationale sont traditionnellement un espace de liberté où les États ne possèdent ni souveraineté ni droits souverains, et juridiction seulement sur les navires battant leur pavillon. Avec l’accroissement et la diversification des activités qui s’y déroulent, ces zones, qui représentent les deux tiers de la surface de l’Océan et près de la moitié de la surface du globe, sont de plus en plus menacées du point de vue environnemental.

L’objectif de l’accord est ainsi d’améliorer la gouvernance de l’Océan, de renforcer la coopération et la coordination entre les différentes enceintes régionales et multilatérales existantes et de créer des outils innovants destinés à assurer une meilleure gestion et protection de l’environnement marin et de ses ressources biologiques.

Au-delà de cette dimension environnementale, l’accord prévoit un mécanisme d’accès et de partage juste et équitable des avantages issus de l’utilisation des ressources génétiques marines et des obligations liées au renforcement des capacités et au transfert de technologies marines au profit des États en développement.

Le traité a été signé par 89 États parties. Pour entrer en vigueur, il doit être ratifié par 60 États. Or, à ce jour, seuls quatre États l’ont fait. La France, qui devrait ratifier le traité avant l’été, est fortement mobilisée au niveau international pour qu’il entre en vigueur avant la Conférence des Nations unies sur l’Océan qui se tiendra à Nice en juin 2025.

Vous êtes le chef négociateur pour la France en filière environnement du G7. La ministérielle environnement-énergie-climat vient de se dérouler. Quels sont les résultats obtenus ?

Les négociations en filière environnement du G7 sont par nature complexes. Si les pays européens ont des priorités très convergentes, les positions des États-Unis et du Japon sont souvent beaucoup plus éloignées des nôtres. Aussi, le communiqué des ministres du G7 est très attendu par les parties prenantes, car il permet de comprendre les points de convergence entre les grandes puissances économiques de la planète et influence ainsi la suite des événements internationaux. Cette année, le communiqué ministériel a marqué des avancées importantes sur différents sujets liés à la triple crise planétaire. On note particulièrement le langage ambitieux sur la lutte contre la pollution plastique, le G7 reconnaissant pour la première fois la nécessité de réduire la production et la consommation de plastiques vierges faisant ainsi écho aux négociations en cours sur un traité international pour mettre fin à la pollution plastique. Le communiqué fait également état d’engagements significatifs sur la lutte contre la déforestation et sur l’atteinte des objectifs et cibles du Cadre Mondial pour la Biodiversité. La circularité du secteur du textile, la protection de l’océan et la préservation des ressources en eau sont autant de thématiques qui ont vu les États du G7 aller de l’avant. L’organisation par la France de la 3e conférence des Nations unies sur l’Océan est par ailleurs bien identifiée comme l’une des priorités multilatérales de l’année 2025 en donnant à la France un rôle clef dans la préservation de l’océan.

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N°3 du 17 mai 2024 - Angle droit 26

Comité éditorial : Olivier Fuchs, Umberto Berkani, Lucie Antonetti, Amandine Berrruer, Ninon Boulanger, Soizic Dejou, Sophie Geay, Stéphanie Grossier, Méhar Iqbal, Sabrina Lalaoui, Nadia Lyazid, Olivier Meslin, Sophie Namer, Emma Quarante, Clémence Roul, Louise Soulard, Licia Villotta, Isabelle Volette, Pascal Zabal

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