Accès aux documents administratifs
CE, 20 décembre 2023, Association « Ouvre Boite », n° 467161, au Recueil
Étendue du droit à la communication – Limite tenant aux possibilités techniques de l’administration au regard des outils informatiques dont elle dispose ou pourrait disposer
Précisions sur la limite de l’accès aux documents administratifs tenant aux possibilités techniques de l’administration
Le Conseil d’État juge que les dispositions du premier alinéa de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), aux termes desquelles l’accès aux documents administratifs s’exerce « dans la limite des possibilités techniques de l’administration », font seulement obligation à l’administration de donner accès aux documents demandés en ayant recours, le cas échéant, aux outils informatiques dont elle dispose à la date à laquelle elle se prononce et en utilisant les fonctionnalités dont ceux-ci sont dotés. Elles ne lui font obligation ni de recourir à un logiciel qui serait mis à sa disposition par le demandeur, ni de développer un nouvel outil informatique, ni de développer de nouvelles fonctionnalités sur les outils dont elle dispose.
Dans cette affaire, l’association « Ouvre Boite » avait demandé au ministre de l’intérieur, sur le fondement des articles L. 311-1, L. 311-9 et L. 312-1-2 du CRPA, la publication en ligne des fichiers correspondant aux délibérations budgétaires des collectivités territoriales et de leurs groupements, versés dans l’application « Actes Budgétaires ». Les documents versés dans l’application sous forme de fichiers uniques, rassemblant les documents budgétaires et leurs annexes, représentaient plusieurs centaines de milliers de fichiers pouvant contenir des données à caractère personnel concernant, notamment, le personnel de la collectivité ou du groupement, les personnes physiques bénéficiaires de prêts, aides et autres concours financiers, ou encore les personnes physiques débitrices à l’égard de l’administration. Or, en vertu du deuxième alinéa de l’article L. 312-1-2 du CRPA, de tels documents ne pouvaient être rendus publics, sans l’accord des intéressés, qu’après avoir fait l’objet d’un traitement permettant de rendre impossible l’identification de ces personnes.
Le Conseil d’État estime, d’une part, que l’anonymisation manuelle de ces documents ferait peser une charge disproportionnée sur l’administration saisie au regard des moyens dont elle dispose.
Il relève, d’autre part, que les services du ministère ne disposent pas d’un outil informatique permettant de procéder de façon satisfaisante à l’anonymisation des données personnelles de manière automatisée. Or le premier alinéa de l’article L. 311-9 du CRPA ne leur fait obligation, pour procéder à l’anonymisation, ni d’utiliser le logiciel libre proposé par l’association, ni de développer un outil informatique pour satisfaire la demande, alors même que le ministère disposerait des ressources financières et humaines permettant de réaliser ce développement. Dans ces conditions, eu égard aux fonctionnalités de l’application « Actes budgétaires » dans laquelle les fichiers demandés sont stockés, il juge que la demande de mise en ligne de l’intégralité de ces derniers excède les possibilités techniques de l’administration au sens de cet article. Pour ce motif, la demande de l’association est rejetée.
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Données personnelles et technologies de l’information
CNIL, Délibération de la formation restreinte n° SAN-2023-021 du 27 décembre 2023
Traitement de données à caractère personnel – Atteinte excessive aux droits des intéressés
Surveillance des salariés : la CNIL sanctionne Amazon France logistique d’une amende de 32 millions d’euros
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a prononcé une amende administrative de 32 millions d’euros à l’encontre de la société Amazon France Logistique, pour avoir notamment mis en œuvre des traitements de données à caractère personnel concernant l’activité et les performances de ses salariés disproportionnés au regard des objectifs poursuivis.
Cette sanction fait suite à plusieurs missions de contrôle menées en novembre 2019, portant sur les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par les entités du groupe Amazon à l’égard des salariés travaillant dans ses entrepôts.
Au sein de ces entrepôts, pour la réalisation de certaines tâches, les salariés sont munis de scanners leur permettant de s’identifier, de recevoir des consignes et de scanner les étiquettes des articles qu’ils traitent. La société collecte ainsi en continu des données relatives à l’activité des salariés, qui sont associées à l’identité de chacun sous la forme de 43 indicateurs de productivité, de qualité et relatifs aux périodes d’inactivité.
La CNIL reproche à Amazon d’avoir mis en place, par le biais de ces scanners, un système de surveillance de l’activité et des performances des salariés excessivement intrusif et de nature à avoir des répercussions morales négatives sur le salarié, le conduisant à devoir potentiellement justifier à tout moment de chaque pause ou courte interruption. La CNIL juge aussi excessive la durée de conservation, de 31 jours, de l’ensemble des données recueillies par le dispositif ainsi que des indicateurs statistiques en découlant.
C’est au regard de la gravité des manquements constatés, de la portée des traitements de données et du nombre de personnes concernées, que la CNIL a prononcé cette amende équivalant à près de 3 % du chiffre d’affaires de la société réalisé en 2021.
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Droit administratif général
CE, 5 février 2024, Association des centres de lavage indépendants, n° 470962, aux Tables
Répartition des compétences entre autorités disposant du pouvoir règlementaire – Dispositions ne pouvant être modifiées que par décret en conseil des ministres - Exceptions
Faut-il un décret en Conseil des ministres pour modifier un décret en Conseil des ministres ?
Le Conseil d’État apporte des précisions sur la possibilité de modifier, par un décret en Conseil d’État, des dispositions du code de l’environnement introduites par un décret du Président de la République délibéré en Conseil des ministres, alors même que celui-ci ne le prévoyait pas explicitement. Cette solution est dégagée à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret du 29 juillet 2022 relatif à la gestion quantitative de la ressource en eau en dehors de la période de basses eaux.
Aux termes de sa jurisprudence
Meyet, le Conseil d’État juge que les dispositions issues d’un décret délibéré en Conseil des ministres ne peuvent en principe être modifiées que par un décret en Conseil des ministres signé par le Président de la République. La méconnaissance de cette obligation a pour effet d’entacher l’acte d’incompétence (CE, Assemblée, 10 septembre 1992, n°
140376, publié au recueil). Par exception, il est possible pour le Premier ministre de modifier un décret en Conseil des ministres par un décret en Conseil d’État ou par un décret simple lorsque le décret originel du Président de la République le prévoit explicitement (on parle alors de « déméyétisation expresse ») (CE, 9/8 SSR, 9 septembre 1996, n°
140970, publié au recueil).
Dans sa décision du 5 février 2024, le Conseil d’État reconnaît une hypothèse de modification d’un décret du Président de la République délibéré en Conseil des ministres par un décret du Premier ministre en Conseil d’État dans le cas où les dispositions créées par le premier sont codifiées
« dans des conditions qui manifestent qu’elles relèvent du décret en Conseil d’État ou du décret simple » (« démeyetisation implicite »). En pratique, si les dispositions introduites par le décret en Conseil des ministres sont codifiées par un « R. » ou un « D. » sans être accompagné d’une étoile (*), cela signifie implicitement qu’elles peuvent être modifiées par un décret non délibéré en Conseil des ministres. En effet, ainsi que le précise le guide de légistique, les articles de la partie réglementaire relevant d’un décret en Conseil d’Etat et en Conseil des ministres sont identifiés par un « R.* » tandis que ceux relevant d’un décret en Conseil des ministres mais non du Conseil d’État le sont par un « D.* ». Les articles relevant d’un décret en Conseil d’État sont signalés par la lettre « R. » tandis que ceux qui relèvent du décret simple sont signalés par la lettre « D. ».
Au cas présent, le décret attaqué comportait des dispositions de « démeyetisation expresse » mais également des dispositions de « démeyetisation implicite » résultant de la codification de l’article R. 211 21-2 du code de l’environnement sans ajout d’une étoile (*) par le décret en conseil des ministres n° 2021-795 du 23 juin 2021. Une interprétation stricte aurait pu conduire le Conseil d’Etat à considérer que la présence de dispositions de « démeyetisation expresse » faisaient obstacle à la survenance d’une « démeyetisation implicite ».
Le Conseil d’État juge néanmoins que
« si l’article R. 211-21-2 du code de l’environnement a été créé par le décret en Conseil d’État du 23 juin 2021 […] qui avait été délibéré en conseil des ministres, il résulte de ce qui a été dit que cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que cet article soit ultérieurement modifié par un décret en Conseil d’État n’ayant pas été délibéré en conseil des ministres, dès lors qu’il est identifié par un " R. " dans le code de l’environnement, et sans qu’y fasse obstacle, en l’espèce, la circonstance que le décret du 23 juin 2021 a prévu au I de son article 8, par une mention qui revêt un caractère superfétatoire, que les dispositions de son article 2, qui complètent un article identifié par un " D. " du code de l’environnement, pouvaient " être modifiées par décret simple " ».
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Energie
CE, 4 janvier 2024, FF3C, Entreprises d’énergies du territoire, n° 469215, Inédit
Participation du public aux décisions ayant une incidence sur l’environnement – mise en place d’un dispositif d’incitation permettant la réduction des émissions de CO2
Les dispositions instaurant le « Coup de boost fioul » devaient être précédées d’une consultation du public
Le Conseil d’État juge que les dispositions « Coup de boost fioul » doivent être regardées comme ayant une incidence directe et significative sur l’environnement et, qu’ainsi, leur adoption devait être précédée d’une consultation du public. Il annule donc les dispositions des I et III à VII de l’article 1er de l’arrêté du 22 octobre 2022 modifiant l’arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d’application du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE).
Ces dispositions avaient pour objectif d’inciter les ménages à remplacer leur chaudière au fioul par des équipements utilisant des sources d’énergie renouvelable . Elles prévoyaient notamment une bonification des certificats en faveur des signataires de la charte « coup de pouce chauffage » qui s’engageaient à accorder aux ménages et à leurs bailleurs des réductions tarifaires sur certaines opérations engagées jusqu’au 30 juin 2023 ainsi que la suppression, les bonifications existantes, de la condition que l’équipement de chauffage remplacé ne soit pas à condensation.
Le Conseil d’État relève que « eu égard à leur finalité et à leur portée, ces dispositions, en incitant davantage les consommateurs à remplacer leurs chaudières existantes au fioul, tendent à accélérer la diminution du parc installé de chaudières utilisant cette énergie et à développer ainsi l’utilisation des énergies renouvelables, en réduisant les émissions de dioxyde de carbone (CO2) » et que « l’opération mise en place par ces dispositions serait susceptible de conduire au remplacement de près de 150 000 chaudières au fioul sur sa période d’application, représentant 5 % du parc de chaudières existantes », permettant « d’éviter l’émission de près d’un million de tonnes de CO2 par an ». Il juge, dans ces conditions, que les dispositions en cause doivent être regardées comme ayant une incidence directe et significative sur l’environnement, au sens de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement. Leur adoption devait, dès lors, être précédée, à peine d’illégalité, d’une consultation du public en application de cet article. À défaut de mise en œuvre d’une telle procédure, elles sont annulées.
Le Conseil d’État considère toutefois qu’il y a lieu de déroger au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et de moduler dans le temps les effets de sa décision, compte tenu de l’intérêt général qui s’attache à la confiance des agents économiques dans le fonctionnement du dispositif des CEE et des conséquences manifestement excessives d’une telle annulation sur la situation de ces personnes. L’annulation prononcée ne prendra donc effet qu’au 1er avril 2024.
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CE, 5 février 2024, Association France Nature Environnement, n° 461978, Inédit
Politique énergétique – Programmation pluriannuelle de l’énergie pour la Guyane – Projet de création d’une centrale thermique
Validation du projet de centrale de Larivot
Le Conseil d’État rejette la requête de l’association France Nature Environnement tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet de sa demande d’abrogation des 1° et 2° de l’article 7 du décret n° 2017-457 du 30 mars 2017 relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de la Guyane.
Par ces dispositions, le Gouvernement a prévu deux objectifs en matière de production d’électricité pour le territoire guyanais : d’une part, le remplacement de la centrale au fioul de Dégrad des Cannes par une nouvelle centrale thermique, la centrale du Larivot, d’une puissance totale de 120 MW, pouvant fonctionner au fioul léger, au gaz naturel ou aux bioliquides, et d’autre part, la mise en place d’un plan d’approvisionnement en bioliquides durables.
La demande d’abrogation partielle du PPE et le recours contentieux qui s’en est suivi s’inscrivaient dans un contexte particulier. En effet, après avoir attaqué l’autorisation environnementale et le permis de construire, l’association poursuivait ainsi, par une autre voie contentieuse, sa contestation du projet de centrale du Larivot.
L’association invoquait notamment une méconnaissance des objectifs définis au niveau national en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de réduction de la consommation des énergies fossiles. À cet égard, le Conseil d’État juge que la PPE de la Guyane « n’est pas manifestement incompatible avec les objectifs prévus aux 1° et 3° du I de l’article L. 100-4 du code de l’énergie, et que le pouvoir réglementaire n’a pas omis, en l’édictant, de prendre en compte l’orientation E1 de la stratégie nationale bas-carbone ». Par ailleurs, dès lors qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impose que l’objectif de remplacement des capacités des centrales existantes par une nouvelle centrale thermique soit accompagné d’une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il écarte comme étant inopérant le moyen tiré de ce que les dispositions contestées seraient illégales faute d’avoir été accompagnées d’une telle trajectoire.
L’association soulevait également la méconnaissance de l’objectif d’autonomie énergétique fixé à horizon 2030 par le 8° du I de l’article L. 100-4 pour chaque collectivité de l’article 73 de la Constitution. Sur ce point, le Conseil d’État juge que « les dispositions litigieuses apporteront une contribution positive à l’autonomie énergétique de la Guyane et ne sont pas manifestement incompatibles avec l’objectif énoncé au 8° du I de l’article L. 100-4 du code de l’énergie » et qu’il n’est pas établi que ces dispositions « conduiraient, par elles-mêmes, à la substitution de cultures alimentaires par des cultures énergétiques ». Il considère ainsi qu’en édictant la PPE de la Guyane, le pouvoir réglementaire n’a pas omis de prendre en compte le point de vigilance des orientations de la stratégie nationale bas-carbone relatives à la production d’énergie selon lequel « dans les territoires d’Outre-Mer, les cultures énergétiques ne doivent pas venir se substituer aux cultures alimentaires ».
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CAA Versailles, 25 janvier 2024, Société Maksyma, n° 21VE03437
CEE – Capacité financière du délégataire – Substitution de motif
Substitution de motifs en appel pour l’appréciation des capacités d’une société en matière de délégation d’obligations d’économie d’énergie
Confrontée au refus du ministre de la transition écologique et solidaire de faire droit à sa demande de délégation d’obligation d’économies d’énergie incombant à la société Bertholon Grangé, la société Maksyma a obtenu du tribunal administratif de Cergy-Pontoise l’annulation de cette décision, au motif que, contrairement à ce qu’elle faisait valoir, l’administration disposait des éléments suffisants pour apprécier la capacité financière de la société Maksyma et que celle-ci disposait d’une capacité technique suffisante pour être habilitée en qualité de délégataire.
L’administration a alors fait appel de ce jugement en demandant une substitution de motifs, en arguant que les documents produits, notamment l’analyse financière des documents comptables, montraient que la société ne disposait pas des capacités financières suffisantes pour assurer la délégation demandée.
Se fondant sur les bilans et des comptes de résultats produits par la société Maksyma au titre des exercices clos des années 2016 et 2017, la cour administrative d’appel valide l’analyse du ministre en acceptant de procéder à cette substitution de motifs. La cour juge que ce nouveau motif est de nature à fonder légalement la décision contestée et, par ailleurs, que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif et que cette substitution ne prive pas la société d’une garantie procédurale.
Cet arrêt montre tout l’intérêt que peut représenter cette technique contentieuse de la substitution de motifs, tout en rappelant que celle-ci est encadrée par de nombreuses et nécessaires garanties.
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Environnement (Climat)
TA de Paris, 22 décembre 2023, Association OXFAM France et autres, n° 2321828
Environnement – Préjudice écologique – Emissions de GES
« Affaire du siècle » : fin de l’acte I
Le tribunal administratif de Paris a clos le premier épisode de l’« Affaire du siècle » après avoir constaté que si la réparation en nature du préjudice écologique résultant du dépassement du premier budget carbone n’était pas complète au 31 décembre 2022, aucune mesure d’exécution complémentaire n’était nécessaire, compte tenu du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre constaté en 2023, auquel les mesures sectorielles adoptées par l’État ont contribué.
L’article 1246 du code civil prévoit que « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ». Faisant application de ce principe, le tribunal administratif de Paris a jugé, le 3 février 2021, que l’État devait être regardé comme responsable d’une partie du préjudice écologique résultant de l’augmentation de la température globale moyenne par rapport à l’époque préindustrielle et de ses effets sur l’ensemble du territoire national. Cette responsabilité est reconnue à proportion du dépassement, estimé à 61 Mt CO2 eq., du plafond national des émissions de gaz à effet de serre fixé pour la période 2015-2018, c’est à dire du premier « budget carbone » prévu par l’article L. 222-1-A du code de l’environnement.
À cette occasion, le tribunal a rappelé qu’en vertu de l’article 1249 du code civil, la réparation du préjudice écologique s’effectuait en priorité en nature.
Dans un deuxième jugement du 14 octobre 2021, compte tenu de l’ampleur des réductions des émissions de gaz à effet de serre constatées en 2019 et 2020 par rapport aux tranches annuelles indicatives du budget carbone fixées pour ces deux années, le tribunal a constaté que le préjudice écologique ne perdurait plus qu’à hauteur de 15 Mt CO2 eq. Faisant application du pouvoir d’injonction prévu à l’article 1252 du code civil, il a néanmoins ordonné au gouvernement « de prendre toutes les mesures sectorielles utiles » de nature à permettre la réparation intégrale du préjudice et prévenir l’aggravation des dommages, au plus tard au 31 décembre 2022.
Dans son dernier jugement du 22 décembre 2023, le tribunal a relevé que la réduction totale des émissions de gaz à effet de serre pour les années 2021 et 2022 par rapport aux tranches annuelles indicatives du budget carbone pour ces deux années était de 12 Mt CO2 eq. Par suite, l’exécution du jugement du 14 octobre 2021 ne pouvait pas être regardée comme complète au 31 décembre 2022. Cependant, tenant compte du fait que l’État établissait avoir mis en œuvre des mesures destinées à compenser le préjudice écologique, mais aussi du rythme de diminution des gaz à effet de serre, encore constaté au premier trimestre 2023, rapporté au quantum du préjudice restant à réparer, il a retenu qu’à la date de son jugement, il n’y avait pas lieu de prononcer des mesures d’exécution supplémentaires.
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Environnement (Santé)
CE, 22 janvier 2024, Synadiet et autres, n° 489819, Inédit
Information du public – Classement des substances ayant des propriétés de perturbation endocrinienne – Défaut d’urgence liée aux effets sur la santé publique
Pas d’urgence à prescrire par ordonnance de la vitamine D
Par un arrêté du 28 février 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministre de la santé et de la prévention ont classé le cholécalciférol (« vitamine D3 ») parmi les substances présentant des propriétés de perturbation endocrinienne avérées obligeant les personnes mettant sur le marché des produits en contenant à mettre à disposition du public une information par voie électronique sur les précautions d’usage de la substance.
Deux syndicats et une association ont demandé la suspension de l’arrêté en faisant valoir, notamment, que le classement de la vitamine D comme perturbateur endocrinien était susceptible d’emporter des effets sur la santé publique justifiant une suspension en urgence, au motif que les dispositions aggraveraient la situation de mauvaise couverture de ses besoins en vitamine D par la population, en la détournant de ces produits.
Le juge des référés du Conseil d’État a écarté cette argumentation et considéré en conséquence qu’aucune urgence ne justifiait la suspension de l’arrêté.
Le juge a rappelé que l’arrêté et l’information mise à disposition du public mentionnaient, avant même de viser les précautions d’usage, les bénéfices sur la santé de la vitamine D3, en accord avec la position de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement et du travail (Anses). Au regard de ces éléments et prenant en considération les risques de santé que comporte une carence prolongée en vitamine D, le juge des référés considère que « les effets potentiels sur la santé publique de l’exécution de l’arrêté contesté n’apparaissent pas tels qu’ils justifient sa suspension d’ici le jugement du recours pour excès de pouvoir ».
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Fonction publique
CE Sect., 22 décembre 2023, Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, c/ M. X, n° 462455, au Recueil
Sanction disciplinaire - Droits de la défense – Communication du dossier – Protection des témoins par l’anonymisation des témoignages – Contrôle du juge
Portée du droit à la communication du dossier dans le cadre d’une procédure disciplinaire
Le Conseil d’État précise la portée du droit pour un agent public d’être mis à même d’obtenir la communication de son dossier avant de faire l’objet d’une mesure disciplinaire, lorsque l’autorité disciplinaire s’est fondée sur le rapport établi par une mission d’inspection et sur des témoignages recueillis par les inspecteurs.
Cette décision vient utilement éclairer la jurisprudence issue des décisions « Decottignies » (CE, 5 février 2020, n°433130, au Recueil) et « de Vincenzi » (CE, 28 janvier 2021, n°435946, aux Tables), qui avait suscité des interrogations de la part des administrations et services chargés de missions d’inspection.
Dans ce dossier, pour infliger une sanction disciplinaire à un professeur de lycée, le ministre de l’éducation nationale s’était fondé sur un rapport d’inspection mais également sur des témoignages d’élèves dont le fonctionnaire n’avait eu communication que par extraits.
Le Conseil d’État juge que, dans le cas où, pour prendre une sanction à l’encontre d’un agent public, l’autorité disciplinaire se fonde sur le rapport établi par une mission d’inspection, elle doit mettre cet agent à même de prendre connaissance de celui-ci ou des parties de celui-ci relatives aux faits qui lui sont reprochés, ainsi que des témoignages recueillis par les inspecteurs dont elle dispose, notamment ceux au regard desquels elle se détermine. Ce droit s’exerce toutefois sous réserve, non plus de disjoindre ceux « dont la communication serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné » (formule des décisions précitées de 2020 et 2021) mais de la possibilité d’en communiquer certains à l’intéressé, s’il en forme la demande, « selon des modalités préservant l’anonymat du témoin, lorsque résulterait de la communication de [son] témoignage un risque avéré de préjudice ».
Le Conseil d’État indique qu’il revient à l’autorité disciplinaire d’apprécier au cas par cas ce risque « au regard de la situation particulière du témoin vis-à-vis de l’agent public mis en cause, sans préjudice de la protection accordée à certaines catégories de témoins par la loi ». Pour la rapporteure publique, l’aménagement de la communication ne doit pas être réservé à des « cas rarissimes », précisant notamment qu’ « il paraît raisonnable de considérer qu’en principe, et sous réserve de l’existence de circonstances particulières, une personne se trouvant sous l’autorité de l’agent mis en cause puisse être protégée ».
Le Conseil d’État juge également que « Dans le cas où l’agent public se plaint de ne pas avoir été mis à même de demander communication ou de ne pas avoir obtenu communication d’une pièce ou d’un témoignage utile à sa défense, il appartient au juge d’apprécier, au vu de l’ensemble des éléments qui ont été communiqués à l’agent, si celui-ci a été privé de la garantie d’assurer utilement sa défense ». Le juge doit donc apprécier, au vu de l’ensemble des éléments communiqués, si l’absence de certaines de pièces a effectivement privé l’agent public de cette garantie.
Cette décision apporte ainsi des précisions attendues sur le droit de l’agent poursuivi à la communication des témoignages rendus contre lui et sa conciliation avec la protection des témoins.
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Transports
CE, 2 février 2024, Union des aéroports français et francophones associés, n° 476191, Inédit
Décarbonation des transports – Limitation du trafic aérien
Légalité des modalités d’interdiction des vols intérieurs de courte durée en cas d’alternative de moins de 2h30
La mesure visant à supprimer les liaisons aériennes sur le territoire français, lorsqu’une alternative de liaison ferroviaire directe de moins de 2 heures 30 est possible, est issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Inscrite à l’article L. 6412-3 du code des transports par la loi du 22 août 2021 dite Climat et Résilience, elle a fait l’objet d’un décret destiné à prévoir ses conditions d’application. Le Conseil d’État rejette le recours contre ce décret du 22 mai 2023 précisant les conditions d’application de l’interdiction des services réguliers de transport aérien public de passagers intérieurs dont le trajet est également assuré par voie ferrée en moins de deux heures trente.
Le Conseil d’État juge en particulier que l’article L. 6412-3 du code des transports et le décret attaqué ne contreviennent pas à l’article 20 du règlement (CE) 1008/2008 du Parlement et du Conseil du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l’exploitation des services aériens. Cette disposition permet aux États membres de limiter ou refuser l’exercice des droits de trafic aérien, lorsqu’il existe des problèmes graves en matière d’environnement et lorsque d’autres modes de transport fournissent un service satisfaisant, sous réserve que la mesure soit non discriminatoire, ne provoque pas de distorsion de la concurrence entre les transporteurs aériens, ne soit pas plus restrictive pour résoudre les problèmes et ait une durée de validité limitée, à l’issue de laquelle elle est réexaminée. À cet égard, le Conseil d’État estime notamment que la mesure est susceptible de contribuer à court terme à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le domaine du transport aérien, de sorte qu’elle ne peut être regardée, eu égard aux enjeux de la lutte contre le changement climatique, comme étant plus restrictive que nécessaire.
Par ailleurs, alors que la loi prévoyait la possibilité pour le pouvoir règlementaire de déroger à l’interdiction qu’elle édicte lorsque les services aériens assurent majoritairement le transport de passagers en correspondance ou qu’ils peuvent être regardés comme assurant un transport aérien décarboné, le décret en litige n’a pas énoncé de telles dérogations. Sur ce point, le Conseil d’État considère qu’il n’est pas illégal pour le pouvoir règlementaire de ne pas avoir fait usage de la faculté qui était ouverte par le législateur.
C’est ainsi une mesure emblématique de la Convention citoyenne pour le climat qui est validée par le Conseil d’État.
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Urbanisme et aménagement
CE, 17 janvier 2024, Association Bien vivre en pays d’Urfé, n° 462638, aux Tables
Loi Montagne – Protection des espèces animales
L’article L. 122-9 du code de l’urbanisme protège les milieux montagnards mais pas ses espèces animales
Le Conseil d’État précise le champ d’application de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme, applicable aux communes situées en zone de montagne, aux termes duquel « les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ». Il juge que ces dispositions n’ont pas pour objet de prévenir les risques pour les espèces animales qui pourraient résulter d’un projet autorisé par un permis de construire.
Statuant sur un pourvoi en cassation relatif à des permis de construire des éoliennes, le Conseil d’État juge que les dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme prévoient une exigence de compatibilité entre les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols et les exigences de préservation des espaces, milieux et paysages caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard. Pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, ces documents et décisions doivent comporter des dispositions de nature à concilier l’occupation du sol projetée et les aménagements s’y rapportant avec l’exigence de préservation de l’environnement montagnard prévue par la loi. Ainsi, il est possible d’invoquer, à l’occasion d’un recours contre un tel document ou décision, l’atteinte que causerait le projet aux milieux montagnards et, par suite, aux habitats naturels qui s’y trouvent situés. Ces dispositions n’ont en revanche pas pour objet de prévenir les risques que le projet serait susceptible de causer à une espèce animale caractéristique de la montagne.
Cette décision vient ainsi trancher pour la première fois la question du champ d’application de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme, lequel ne couvre pas les atteintes à une espèce caractéristique de la montagne.
Cette décision apporte également un éclairage sur une question de procédure administrative contentieuse relative à la composition des formations de jugement statuant à la fois avant-dire droit et sur le fond du litige. Le Conseil d’État précise qu’ « il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe général du droit que la composition d’une formation de jugement statuant définitivement sur un litige doive être distincte de celle ayant décidé, dans le cadre de ce même litige, de surseoir à statuer par une décision avant dire droit dans l’attente d’une mesure de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ».
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CE, 17 janvier 2024, Société Agri Bioénergies, nos 467572,467772, aux Tables
Plan local d’urbanisme – Définition de l’activité agricole – Unité de méthanisation
Des précisions sur la détermination de la qualité d’activité agricole en droit de l’urbanisme
Le Conseil d’État juge que le caractère agricole d’un projet d’unité de méthanisation ayant bénéficié d’un permis de construire doit être apprécié au regard de la définition qu’en donne le lexique du règlement du PLU, éclairée par les articles L. 311-1 et D. 311-18 du code rural et de la pêche maritime, selon lesquels la méthanisation peut être assimilée à une activité agricole.
Dans cette affaire, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes avait suspendu l’arrêté du préfet d’Ille-et-Vilaine délivrant à la société Agri Bioénergies un permis de construire une unité de méthanisation sur le territoire de la commune de Bourg-des-Comptes. Pour déterminer si le permis de construire pouvait bénéficier de l’exception aux règles de recul prévue par le règlement du plan local d’urbanisme pour les bâtiments d’exploitation agricole, il a jugé que la circonstance selon laquelle la méthanisation pouvait être assimilée à une activité agricole au sens des dispositions des articles L. 311-1 et D. 311-18 du code rural et de la pêche maritime était sans incidence sur la légalité du permis de construire litigieux, délivré en application de la législation sur l’urbanisme.
Le Conseil d’État censure cette ordonnance au motif qu’ « en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait, afin de déterminer si le projet litigieux pouvait bénéficier de l’exception aux règles de recul prévue à l’article A 3.2.1 du règlement du plan local d’urbanisme, de rechercher si le projet d’unité de méthanisation en cause pouvait être regardé comme une activité agricole au regard de la définition qu’en donne le lexique du règlement du plan local d’urbanisme de la commune (…), éclairée par les dispositions du code rural et de la pêche maritime (…), le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a commis une erreur de droit. »
Sans revenir à proprement parler sur le principe d’indépendance des législations, le Conseil d’État permet ainsi à l’administration, dans son appréciation de la nature agricole de l’exploitation d’une unité de méthanisation, de se référer, outre aux règles d’urbanisme applicables, à la définition donnée par le code rural et de la pêche maritime de cette activité.
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CE, 29 janvier 2024, Ministre de la Transition Ecologique c/ Commune de Thyez, n° 470379, aux Tables
Plan local d’urbanisme – Procédure d’élaboration - Surfaces agricoles – CDPENAF
CDPENAF et AOP Abondance et Reblochon : le Conseil d’État affine les critères
Le Conseil d’État détermine le critère en vertu duquel un projet de document d’urbanisme doit être soumis, pour avis conforme, à la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) dès lors qu’il a pour conséquence une réduction de surfaces affectées à des productions bénéficiant d’une appellation d’origine protégée (AOP), ainsi que le prévoit l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime.
Le litige trouvait en l’espèce sa source dans le classement en zone à urbaniser d’une trentaine d’hectares de surfaces agricoles de la commune de Thyez qui était affectés à la production de l’AOP « Abondance » et « Reblochon »
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Le Conseil d’État considère qu’il convient de retenir, pour l’appréciation du critère de saisine de la CDPENAF, les surfaces qui sont recensées comme étant effectivement exploitées à ce titre et non celles qui seraient susceptibles de l’être au regard des prescriptions d’urbanisme applicables.
En conséquence, le Conseil d’État fait droit au pourvoi du ministre de la transition écologique et annule un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon qui avait, pour sa part, jugé que le calcul pouvait être réalisé en intégrant l’évolution des superficies des zonages agricoles et naturels du PLU susceptibles d’être affectés aux productions.
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Urbanisme et aménagement (Fiscalité)
CE, 19 février 2024, M. B…, n° 471114, aux Tables
Activité agricole – Fiscalité de l’aménagement – Exonération – Bâtiment destiné à héberger les animaux
Précisions sur la fiscalité applicable aux bâtiments hébergeant les animaux au sein d’une exploitation agricole
Le Conseil d’État précise le champ d’application du 3° de l’article L. 331-7 du code de l’urbanisme relatif aux hypothèses d’exonération de la taxe d’aménagement pour les locaux destinés à héberger les animaux dans les exploitations et coopératives agricoles, en l’espèce un maraîcher exerçant à titre complémentaire une activité de prise en pension de chevaux et cherchant à obtenir à obtenir un permis de construire à cette fin.
Il juge que « les bâtiments « destinés à héberger les animaux », au sens et pour l’application du 3° de l’article L. 331-7 du code de l’urbanisme, s’entendent de ceux hébergeant les animaux de l’exploitation agricole, ainsi que, le cas échéant, ceux pris en pension à titre d’activité complémentaire ».
Cette décision précise ainsi la portée de l’exonération du 3° de l’article L. 331-7 du code de l’urbanisme. Dès lors que l’article L. 524-3 du code du patrimoine relatif à la redevance d’archéologie préventive prévoit la même exonération par renvoi à l’article L. 331-7 du code de l’urbanisme, la solution dégagée par le Conseil d’État vaut tant pour la taxe d’aménagement que pour cette redevance.
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