Domanialité publique
CE, 13 novembre 2023, Syndicat de la copropriété « La joie de Vivre », n° 474211, aux Tables
Contravention de grande voirie – Tierce opposition – Conditions de recevabilité – Représentation du syndicat de copropriété par le propriétaire des installations litigieuses
Précisions sur les conditions de recevabilité de la tierce opposition formée par un syndicat de copropriété contre une décision ordonnant la remise en état du domaine public
Le Conseil d’État juge qu’un syndicat de copropriété ne peut utilement se prévaloir, à l’appui de la contestation d’un jugement prescrivant à l’un des copropriétaires une remise en état du domaine public, du fait que celle-ci est susceptible de porter atteinte à ses propres intérêts privés.
La tierce opposition permet à une personne de remettre en cause une décision d’une juridiction qui préjudicie à ses droits dans une instance où elle n’a pas été présente, en application de l’article R. 832 1 du code de justice administrative. Elle repose donc sur deux conditions cumulatives : le tiers opposant doit n’avoir été ni présent ni représenté à l’instance initiale et la décision juridictionnelle en cause doit préjudicier à ses droits. Toutefois, lorsque l’intérêt défendu par la partie présente à l’instance correspond exactement à celui du tiers opposant, alors qualifié « d’intérêts concordants », la requête en tierce opposition est rejetée pour irrecevabilité (CE, 14 mai 2003, Beogradska Bank Ad Beograd, n° 238105, au Recueil).
Dans cette affaire, un syndicat de copropriété a formé une requête en tierce opposition à l’encontre d’un arrêt de la cour administrative de Marseille confirmant la condamnation d’une société, propriétaire d’un lot au sein de la copropriété, à démolir des ouvrages irrégulièrement implantés sur le domaine public maritime. Il soutenait en substance que ses intérêts ne concordaient pas, dans l’instance de contravention de grande voirie, avec ceux de du propriétaire du lot incriminé dès lors que la destruction des ouvrages implantés sans autorisation sur le domaine public maritime était susceptible d’avoir des conséquences sur les parties communes de la copropriété.
Après avoir rappelé que seuls des intérêts généraux, tenant notamment aux nécessités de l’ordre public, pouvaient faire obstacle aux conséquences juridiques d’une occupation irrégulière du domaine public (CE, 23 décembre 2010, Ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement c/ Commune de Fréjus, n° 306544, au Recueil), le Conseil d’État juge que « Dès lors qu’il ne peut utilement se prévaloir, pour contester un jugement de tribunal administratif prescrivant la remise en état du domaine public, de ce que cette remise en état est susceptible de porter atteinte à ses propres intérêts privés, les intérêts d’un syndicat de copropriété et ceux du propriétaire des installations litigieuses sont, dans l’instance par laquelle ce dernier a été déféré comme prévenu d’une contravention de grande voirie au titre de l’occupation sans autorisation du domaine public, concordants. Le syndicat doit donc être regardé comme étant représenté devant la cour par cette société au sens de l’article R. 832-1 du code de justice administrative, de sorte que sa tierce opposition est irrecevable ».
Cette décision ferme donc la porte, dans cette configuration, à une réouverture de l’instance par le biais de la tierce opposition.
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Environnement (Chasse)
TC, 4 décembre 2023, Association intercommunale de chasse agréée de Fosse-Vira c/ Office national des forêts, n° 4294, au Recueil
Ordre juridictionnel compétent - Conclusion d’un bail pour l’exploitation de la chasse dans les bois et forêts - Association communale ou intercommunale de chasse agréée
Le Tribunal des conflits étend la compétence de la juridiction administrative en matière de convention de chasse entre l’ONF et une ACCA
Le Tribunal des conflits a été saisi par le tribunal administratif de Montpellier, en application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, pour trancher une question de compétence entre les deux ordres de juridiction soulevant une difficulté sérieuse.
En l’espèce, l’Office national des forêts (ONF) a conclu en 2016 un bail de gré à gré avec une association communale de chasse agréée (ACCA) pour l’exploitation de la chasse sur un lot de forêt domaniale. En 2022, une autre association a demandé à l’ONF de résilier ce bail et de conclure avec elle un nouveau bail de chasse portant sur les mêmes parcelles. L’ONF n’ayant pas fait droit à ses demandes, la seconde ACCA a saisi le tribunal administratif de Montpellier du litige.
Le contentieux des contrats de gestion du domaine privé des personnes publiques, qui comprend les bois et forêts des personnes publiques relevant du régime forestier (
article L. 2212-1 du code général de la propriété des personnes publiques), relève en grande partie de la compétence du juge judiciaire. Il est ainsi de jurisprudence constante que le juge judiciaire est compétent pour connaitre de la contestation par une personne privée de l’acte par lequel le gestionnaire du domaine privé initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle dont l’objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n’affecte ni son périmètre ni sa consistance (
TC, 22 novembre 2010, SARL Brasserie du Théâtre, n° C376 au Recueil).
En 2012, le Tribunal des conflits a cependant consacré la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la contestation par l’intéressé de l’acte administratif par lequel une personne morale de droit public refuse d’engager avec lui une relation contractuelle ayant un tel objet (
TC, 5 mars 2012, Dewailly, n° C3833 au Recueil).
Dans le prolongement de cette décision, le Tribunal des conflits retient la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l’annulation, d’une part, de l’acte autorisant la conclusion d’une convention dont l’objet est la valorisation ou la protection de ce domaine, et, d’autre part, de l’acte refusant de mettre fin à une telle convention.
Au cas présent, la contestation portant à la fois sur l’acte par lequel le bail de chasse de 2016 a été conclu ainsi que sur les refus de l’ONF de résilier ce bail et de conclure avec l’association de Fosse-Vira un nouveau bail, le Tribunal des conflits juge que la juridiction administrative est compétente pour connaître de l’entier litige.
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Environnement (Déchets)
CC, 27 octobre 2023, Association Meuse nature environnement et autres, n° 2023-1066
CE, 1er décembre 2023, Association Meuse Nature Environnement et autres, n° 467331, aux Tables
Stockage en couche géologique profonde – Déchets radioactifs – Droit des générations futures – Déclaration d’utilité publique – Opération d’intérêt national
Plusieurs pas de plus pour Cigéo
Les deux décisions commentées valident les dispositions législatives permettant la création du centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue (Cigéo) et rejettent les recours contre les décrets qualifiant l’opération d’intérêt national et déclarant le projet d’utilité publique.
La réflexion relative au stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue, entamée en 1991, a connu une étape décisive vingt années plus tard avec l’adoption, après un débat public conduit en 2013, de la loi du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une telle installation, et définissant, notamment, la notion de réversibilité du stockage.
Pour la réalisation du projet, deux décrets du 7 juillet 2022 ont permis, d’une part, d’inscrire le projet Cigéo parmi les opérations d’intérêt national mentionnées à l’article R. 102-3 du code de l’urbanisme, et d’autre part, de déclarer le projet d’utilité publique et de mettre en compatibilité les documents d’urbanisme des territoires dans lesquels il s’implante.
Saisi d’un recours contre ces deux décrets, le Conseil d’État a, d’abord, renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 25 juillet 2016, avec les droits et libertés garantis par la Constitution.
Dans le prolongement de ses décisions n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 et n° 2022-843 DC du 12 août 2022, mais en des termes inédits, le Conseil constitutionnel juge que le législateur, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement, doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard. Le Conseil constitutionnel se fonde, pour ce faire, sur l’article 1er de la Charte de l’environnement « éclairé par le septième alinéa de son préambule », et en déduit que « les limitations apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».
En l’espèce, le Conseil constitutionnel juge certes que l’autorisation du stockage géologique des déchets radioactifs en couche géologique profonde est susceptible de « porter une atteinte grave et durable à l’environnement », mais refuse d’y voir une méconnaissance des exigences constitutionnelles.
Il souligne ainsi, d’abord, que l’objectif poursuivi par le législateur était précisément que ces déchets puissent être stockés dans des conditions permettant de protéger l’environnement et la santé contre les risques à long terme de dissémination de substances radioactives et, en outre, que la charge de la gestion de ces déchets ne soit pas reportée sur les seules générations futures. Il juge, ensuite, que l’article L. 542-10-1 prévoit des garanties propres à assurer le respect des exigences constitutionnelles.
Ces garanties sont, notamment, celle de la réversibilité de l’installation, laquelle est « mise en œuvre par la progressivité de la construction, l’adaptabilité de la conception et la flexibilité d’exploitation du stockage, et inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérentes avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage ». Par ailleurs, la procédure spécifique d’autorisation, qui prévoit diverses consultations préalables, comprend une phase pilote permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de la sûreté de l’installation. Enfin, seule une loi peut décider de la fermeture définitive du centre et la participation des citoyens tout au long de l’activité du centre de stockage.
Le Conseil constitutionnel ayant déclaré conforme à la Constitution les dispositions relatives aux centres de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs, le Conseil d’État a procédé à l’examen de la légalité des décrets du 7 juillet 2022.
Il rejette d’abord le recours contre le décret inscrivant Cigeo sur la liste des opérations d’intérêt national de l’article R. 102-3 du code de l’urbanisme, qui permet des dérogations au droit commun de l’aménagement et de l’urbanisme. Il juge en particulier que l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme, qui fixe les objectifs que l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme vise à atteindre, ne peut être utilement invoqué à l’encontre d’un décret qui permet d’inscrire une opération comme étant d’intérêt national.
Il rejette ensuite le recours contre la déclaration d’utilité publique et retient, notamment, l’utilité publique de l’opération. La contestation des requérants portait surtout sur le principe même du stockage, angle d’attaque qui avait perdu de sa force après la décision du Conseil constitutionnel. Le Conseil d’État juge qu’eu égard à l’intérêt public, reconnu législativement, que présente le projet, les inconvénients qu’il présente, notamment en termes de coût, ne présentent pas un caractère excessif de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique.
Par suite, les requêtes tendant à l’annulation de ces deux décrets sont rejetées.
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CE, 10 novembre 2023, Société EcoDDS, n°449213, Inédit
Déchets - Responsabilité Elargie du Producteur
Responsabilité élargie du producteur : une réforme validée
La loi du 10 février 2020, dite loi AGEC, a opéré une refonte du régime de responsabilité élargie du producteur (REP), régime qui organise le traitement des déchets par les fabricants et distributeurs de la filière. Un décret d’application du 27 novembre 2020 portant réforme de la REP concrétise cette refonte en introduisant plusieurs dispositions transversales à l’ensemble des filières, avec notamment pour objectif de « fixer les modalités de mise en œuvre de la REP par les éco-organismes et les systèmes individuels ».
Attaqué point par point par un éco-organisme, le décret du 27 novembre 2020 a été validé par le Conseil d’Etat, à l’exception des seules dispositions modifiant l’article R. 541-174 du code de l’environnement.
Ces dernières dispositions prévoyaient la possibilité pour un producteur de désigner un mandataire chargé d’assurer le respect de ses obligations relatives à la REP. Le Conseil d’Etat a retenu qu’« En prévoyant que le mandataire désigné par le producteur pour assurer le respect de ses obligations relatives au régime de responsabilité élargie des producteurs est " subrogé " dans toutes les obligations de celui dont il a accepté le mandat, alors que ni l’article L. 541-10 du code de l’environnement, ni aucune autre disposition législative ne prévoit la possibilité d’une telle subrogation, le pouvoir réglementaire a excédé sa compétence ». Alors que le rapporteur public qualifiait de « malfaçon rédactionnelle » la disposition en cause, cette décision rappelle donc les limites du pouvoir réglementaire.
Pour le reste, le Conseil d’Etat écarte les autres moyens soulevés à l’encontre du décret du 27 novembre 2020, et valide ainsi le nouveau régime de la REP, lequel sera présenté dans sa globalité dans une prochaine édition d’Angle droit.
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Environnement (ICPE)
CE, 10 novembre 2023, Société Enedel 7, n° 474431, au Recueil
Environnement - ICPE – Office du juge saisi de conclusions contre un arrêté d’enregistrement
Le pouvoir de régularisation du juge concernant les ICPE soumises à enregistrement
La fortune de l’article L. 181-18 du code de l’environnement est grande et la régularisation des autorisations environnementales par ce biais très largement mise en œuvre. Cet article, issu de l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, impose au juge administratif saisi d’un recours contre une autorisation environnementale de limiter la portée de l’annulation de cette autorisation à la seule partie affectée ou, si l’illégalité constatée est régularisable, de sursoir à statuer pour permettre la régularisation de l’acte.
La question de l’application de cet article au contentieux de l’enregistrement des ICPE n’était toutefois pas tranchée et c’est pourquoi, à l’occasion d’un contentieux relatif à une installation de méthanisation, la cour administrative d’appel de Bordeaux a posé une question en ce sens au Conseil d’État.
Puisque les mots ont un sens et que l’autorisation n’est pas l’enregistrement, le Conseil d’État dit d’abord pour droit que les dispositions de l’article L. 181-18 ne sont pas applicables en matière d’enregistrement, y compris si les demandes ont été instruites comme une autorisation environnementale et sous réserve des cas où le projet, en application du 7° du paragraphe I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement, bénéficie d’une autorisation environnementale tenant lieu d’enregistrement ou s’il est soumis à évaluation environnementale donnant lieu à une autorisation du préfet en application du troisième alinéa du II de l’article L. 122-1-1 du même code.
Toutefois, et compte tenu des pouvoirs étendus du juge des installations classées, le Conseil d’État précise qu’il est toujours loisible à celui-ci, au titre de son office de juge de plein contentieux, de surseoir à statuer afin de permettre la régularisation de la décision d’enregistrement.
En d’autres termes, la régularisation est possible mais sur le fondement des pouvoirs généraux découlant de l’office du juge. Le champ d’application de cette mesure est similaire en ce qui concerne les pouvoirs du juge quel que soit le fondement retenu. En revanche, dans le cadre de l’article L. 181-18, l’obligation de surseoir à statuer pour régulariser, sauf refus motivé, imposée au juge depuis la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, ne s’applique pas hors du cadre de cet article, le juge des installations classées ayant la possibilité, mais non l’obligation, d’y procéder.
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Environnement (Qualité de l’air)
CE, 24 novembre 2023, Association Les amis de la Terre, n°428409, au Recueil
Qualité de l’air - Astreinte
Une liquidation d’astreinte diminuée de moitié pour tenir compte des progrès réalisés
Dans le contentieux du dépassement des seuils de pollution de l’air, le Conseil d’État réduit de moitié le montant de l’astreinte prononcée à l’encontre de l’État, pour tenir compte à la fois des progrès réalisés et des dépassements encore constatés s’agissant de la concentration de dioxyde d’azote dans l’air à Paris et Lyon. Il condamne ainsi l’État à un montant de 10 millions d’euros pour la période courant du 12 juillet 2022 au 12 juillet 2023.
Cette astreinte fait suite à une première décision du Conseil d’État du 12 juillet 2017 constatant le dépassement des valeurs limites dans 12 zones en ce qui concerne le dioxyde d’azote (NO2) et 3 zones en ce qui concerne les particules fines PM10, et enjoignant à l’État de prendre des mesures pour y remédier dans le délai le plus court possible. Par des décisions du 10 juillet 2020, du 4 août 2021 et du 17 octobre 2022, le Conseil d’État a liquidé une astreinte de 10 millions d’euros par semestre pour non-respect de cette injonction, malgré la diminution progressive du nombre de zones concernées.
Dans cette nouvelle décision, le Conseil d’État confirme que sa décision du 12 juillet 2017 a été exécutée, d’une part, concernant les dépassements des valeurs limites pour les particules fines PM 10, ce qu’il avait déjà jugé en juillet 2022, et, d’autre part, s’agissant du dioxyde d’azote pour toutes les zones à l’exception de celles de Lyon et de Paris. Toulouse et Marseille-Aix sortent ainsi des zones en dépassement.
En revanche, pour ce qui concerne Lyon, le Conseil d’État estime que si les mesures résultant notamment de la révision du plan de protection de l’atmosphère (PPA) en 2022 et les nouvelles mesures de restriction de la circulation dans le cadre de la ZFE-m de la métropole de Lyon « sont susceptibles de permettre de ramener le niveau de concentration en dioxyde d’azote en dessous de la valeur limite pour l’ensemble des stations de mesure à Lyon », ces évolutions ne sont pas garanties à ce stade compte tenu des dépassements encore existants.
Pour ce qui concerne Paris, le Conseil d’État souligne que le PPA, dont la révision doit intervenir en 2024, ne devrait pas constituer une évolution permettant de garantir le respect des seuils, compte tenu de l’ampleur du dépassement constaté et alors par ailleurs que les mesures relatives aux restrictions de circulation des véhicules polluants demeurent insuffisantes.
Le Conseil d’État juge néanmoins que « les améliorations constatées depuis l’intervention des décisions antérieures, et notamment la réduction du nombre des zones concernées par les dépassements et la baisse globale tant du nombre des stations de mesure constatant des dépassements que de l’importance de ces dépassements pour les zones qui demeurent en dépassement » justifient une diminution de moitié du taux de l’astreinte.
Cette astreinte a été répartie entre l’association requérante Les amis de la terre et d’autres personnes œuvrant en faveur de la qualité de l’air (l’ADEME, le CEREMA, l’ANSES, l’INERIS, Air Parif, Atmo Auvergne Rhône-Alpes, Atmo Occitanie et Atmo Sud).
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Environnement (Risques)
CE, 10 novembre 2023, Ministre de la Transition Ecologique c/ WP France 23, n° 459079, aux Tables
Eolien – Saturation visuelle – Critères d’analyse – Angles de respiration
De nouvelles précisions apportées par le Conseil d’État sur la méthode d’appréciation de la saturation visuelle causée par un projet éolien
Le Conseil d’État précise la méthode d’appréciation de la saturation visuelle causée par un projet éolien. Cette appréciation doit tenir compte de l’effet d’encerclement résultant de l’incidence du projet sur les angles d’occupation et de respiration.
L’affaire concernait un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs sur le territoire de la commune de La Neuville-Sire-Bernard dont l’autorisation avait été refusée par la préfète de la Somme. Ce projet venait en effet s’inscrire dans un ensemble de 72 éoliennes déjà construites ou autorisées dans un rayon de 10 kilomètres autour du village du Plessier-Rozainvilliers. Il aggravait le phénomène d’encerclement du village par un cumul des angles occupés par les éoliennes, ne laissant autour de ce village qu’un angle de 56° sans éolienne, soit un angle inférieur au champ de vision humain (60°).
Sur pourvoi du ministre de la transition écologique, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai qui avait donné tort à l’administration. Le Conseil juge qu’en ne prenant pas en compte l’impact de ce projet sur les angles de respiration, la cour a commis une erreur de droit dans sa méthode d’analyse de la saturation visuelle.
Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de l’arrêt du Conseil d’État du 1er mars 2023, EDPR France Holding, n° 459716, aux Tables, par lequel il avait jugé que « le phénomène de saturation visuelle qu’est susceptible de générer un projet peut être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de l’article L. 511-1 du code de l’environnement » (voir Angle Droit n° 3 du 31 mai 2023). Il vient préciser les critères d’analyse de la saturation visuelle énoncés dans cette même décision (« indice d’occupation de l’horizon, indice de densité sur les horizons occupés et indice d’espace de "respiration" ou angle de "respiration" »).
Ainsi, pour apprécier les inconvénients à la commodité du voisinage générés par un projet éolien, le juge tient compte de l’effet d’encerclement résultant du projet et, pour ce faire, évalue depuis les points de vue pertinents l’incidence du projet sur les angles d’occupation et de respiration. Ces angles dépendent de l’ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d’écrans visuels. Un angle de respiration est défini comme le plus grand angle continu sans éolienne depuis un point de vue pertinent.
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Urbanisme et aménagement
CC, 24 novembre 2023, n°2023-1071 QPC
Lois de validation – Droit de préemption – Espaces naturels sensibles
Décisions de préemption dans les espaces naturels sensibles : une validation législative déclarée inconstitutionnelle
Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, déclare inconstitutionnelles les dispositions du II de l’article 233 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite climat et résilience, qui validaient rétroactivement l’ensemble des décisions de préemption prises depuis le 1er janvier 2016 dans les anciens périmètres sensibles.
Tout est parti d’une difficulté de codification. L’ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 a en effet recodifié, à compter du 1er janvier 2016, la partie législative du Livre Ier du code de l’urbanisme, mais en omettant de reprendre dans le code nouveau les dispositions de l’ancien article L. 142-12 du code de l’urbanisme, qui dès lors étaient abrogées. Ces dispositions assuraient le pont entre deux régimes de protection des espaces naturels qui se sont succédés : celui des périmètres sensibles définis par le préfet (ancien article L. 142-1 du code de l’urbanisme) et celui des espaces naturels sensibles définis par le département (article L. 142-12 du même code issu de la loi n° 85 729 du 18 juillet 1985).
En raison de ce choix discutable, le droit de préemption dans les espaces naturels sensibles s’est avéré inapplicable depuis le 1er janvier 2016 dans les zones de préemption créées par les préfets au titre de la législation sur les périmètres sensibles avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985, sauf à ce qu’elles aient été reprises et incluses dans les zones de préemption déterminées par les départements au titre des espaces naturels sensibles (CE, avis, 29 juillet 2020, GFA Jourdain Pugibet, n° 439801).
Il existait donc un risque d’annulation des décisions de préemption prises depuis le 1er janvier 2016 dans les anciens périmètres sensibles.
Le législateur a voulu remédier à cette situation par l’adoption du II de l’article 233 de la loi climat et résilience en validant, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les décisions de préemption intervenues dans les périmètres sensibles entre le 1er janvier 2016 et son entrée en vigueur, en tant que leur légalité serait contestée par un moyen tiré de l’abrogation de l’article L. 142-12 du code de l’urbanisme.
Par la décision commentée, le Conseil constitutionnel déclare ces dispositions inconstitutionnelles au motif de l’absence de motif impérieux d’intérêt général justifiant l’atteinte portée au droit au recours.
D’une part, le Conseil constitutionnel considère que le risque qu’un contentieux important résulte de la contestation des décisions de préemption n’est pas établi au regard du faible nombre de celles-ci qui, n’étant pas devenues définitives, font ou sont susceptibles de faire l’objet d’un recours. D’autre part, les juges de la rue Montpensier écartent l’existence d’un risque financier important pour les personnes publiques. Ils tiennent en outre compte de la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle, lorsque le juge administratif se prononce sur les conséquences de l’annulation de la décision de préemption, il lui appartient de s’assurer que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général s’attachant à la préservation et à la mise en valeur de sites remarquables (cf. CE, 20 septembre 2020, Ville de Paris, n° 436978, au Recueil).
Cette déclaration d’inconstitutionnalité a pris effet à compter du 25 novembre 2023, date de publication de la décision, et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
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CE, 30 octobre 2023, Mme B., n° 474408, aux Tables
Expropriation pour cause d’utilité publique - Opération de restauration immobilière - Contrôle du juge de l’excès de pouvoir – Application de la théorie du bilan
La question de la conformité à la Constitution des articles L. 313-4 et suivants du code de l’urbanisme, relatifs aux opérations de restauration immobilières, n’est pas sérieuse
Le Conseil d’État refuse de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions législatives permettant l’expropriation d’un immeuble dont le propriétaire n’a pas fait connaître son intention de réaliser ou faire réaliser les travaux qui ont été prescrits dans le cadre d’une opération de restauration immobilière (ORI).
À l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté déclarant cessibles les immeubles nécessaires à la réalisation d’une ORI, la constitutionnalité des articles L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 313-4-2 du code de l’urbanisme, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005, a été contestée au motif d’une atteinte excessive au droit de propriété.
Pour écarter ce moyen comme non sérieux, le Conseil d’État juge que l’expropriation n’est possible « que pour la réalisation d’opérations dont l’utilité publique est préalablement et formellement constatée par l’autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif ».
C’est dès lors le contrôle du bilan dégagé par l’arrêt Ville Nouvelle Est qui s’applique (CE, 28 mai 1971, n° 78825, au Recueil) et le juge administratif doit vérifier que l’opération « répond à la finalité d’intérêt général tenant à la préservation du bâti traditionnel et des quartiers anciens par la transformation des conditions d’habitabilité d’immeubles dégradés nécessitant des travaux et que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d’ordre social ou économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ».
Par ailleurs, concernant l’arrêté de cessibilité, le juge doit « s’assurer que l’inclusion d’un immeuble déterminé dans le périmètre d’expropriation est en rapport avec l’opération déclarée d’utilité publique et de juger de la nécessité des travaux impartis au propriétaire par le programme de travaux ».
Constatant le caractère non sérieux du moyen, le Conseil d’État refuse donc de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
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CE, 1er décembre 2023, Commune de Gorbio, n° 448905, au Recueil
Autorisations d’utilisation des sols - Demande de pièces complémentaires - Interruption ou modification du délai d’instruction
Conséquences de la modification d’une demande de permis de construire en cours d’instruction
Le Conseil d’État apporte d’importantes précisions quant au régime juridique applicable en cas de modification d’une demande de permis de construire en cours d’instruction.
Dans cette affaire, la commune de Gorbio avait refusé une demande de permis de construire deux immeubles à usage d’habitation. S’estimant toutefois titulaire d’une autorisation tacite, le pétitionnaire avait sollicité l’annulation de la décision de refus et le tribunal administratif de Nice, puis la cour administrative d’appel de Marseille, avaient fait droit à cette demande d’annulation. Saisi d’un pourvoi en cassation par la commune, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour en raison de l’erreur de droit commise par celle-ci à avoir jugé que l’envoi par la société pétitionnaire à la commune de pièces nouvelles, qui correspondaient à des modifications de la demande de permis de construire initiale, n’était pas susceptible d’influer sur la date de naissance d’un permis tacite.
Le Conseil d’État rappelle qu’en l’absence de dispositions expresses du code de l’urbanisme y faisant obstacle, il est loisible à l’auteur d’une demande de permis de construire d’apporter à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications qui n’en changent pas la nature.
Si en principe, ces modifications sont sans incidence sur la date de naissance d’un permis tacite, cette règle connaît des exceptions.
Le Conseil d’État précise en effet que, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction, l’autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite. Dans une telle situation, l’administration doit alors être regardée comme saisie d’une nouvelle demande se substituant à l’initiale à compter de la date de la réception par l’autorité compétente des pièces nouvelles.
Il appartient enfin, si nécessaire, à l’autorité compétente d’indiquer au demandeur dans le délai d’un mois prévu par l’article R. 423-38 du code de l’urbanisme les pièces manquantes nécessaire à l’examen du projet ainsi modifié.