La e-lettre bimestrielle de la Direction des affaires juridiques

N°1 du 23 janvier 2024 - Angle droit 24

Edito

par Olivier Fuchs


La multiplication des contentieux climatiques raconte l’histoire de mobilisations citoyennes, prenant des formes diverses, qui visent à porter la question du changement climatique dans le prétoire et, notamment, à faire reconnaître les obligations climatiques incombant aux Etats. Ces contentieux se multiplient à l’échelle mondiale et, dans leur diversité, révèlent progressivement des questions juridiques originales et délicates (voir par exemple M. Torre-Schaub et B. Lormeteau (dir.), Les dynamiques du contentieux climatiques, 2021).

En France, ces contentieux ont pris deux formes principales, qui se distinguent par leur différence de focale : l’un tourné vers le passé, l’autre vers le futur.

Le premier contentieux regarde le passé. Il est centré autour de la recherche de responsabilité de l’Etat pour non atteinte des objectifs fixés en matière climatique. En 2021, le tribunal administratif de Paris a ainsi jugé, sur la demande de plusieurs associations, que la responsabilité de l’Etat était engagée en raison du préjudice écologique né du non-respect par l’Etat des engagements qu’il avait pris dans le cadre du premier budget carbone (2015-2018). Le tribunal a donc enjoint de prendre toutes les mesures utiles afin d’y remédier. En décembre dernier, au regard des baisses d’émission intervenues au cours des années 2020 à 2022 et compte tenu des mesures multisectorielles déployées par l’Etat afin d’accélérer le rythme de réduction de production des gaz à effets de serre, le tribunal a regardé ce préjudice écologique comme étant réparé (voir TA de Paris, 22 décembre 2023, n°23211828).

Le second contentieux implique de se projeter dans le futur : il vise en effet à s’assurer du respect par l’Etat de la trajectoire fixée pour atteindre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre résultant des textes internationaux, européens et nationaux. L’exercice est alors délicat, ne serait-ce que parce que les prévisions en la matière présentent nécessairement un degré d’incertitude significatif. Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a reconnu, dans l’affaire Commune de Grande-Synthe (CE, 10 mai 2023, n°467982), que les mesures conséquentes adoptées et les investissements consentis dans une multitude de secteurs manifestent la volonté du Gouvernement d’atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés en l’état à l’échéance 2030.

Ces éléments sont positifs ; ils signalent une évolution tangible. Ils ne sont néanmoins pas suffisants et les efforts doivent être poursuivis et renforcés. Le Conseil d’Etat, dans cette dernière décision, rappelle notamment l’ampleur des réductions de gaz à effet de serre attendues par les 3ème et 4ème budgets carbone par rapport au niveau constaté jusqu’ici. Dès lors, et sans prononcer d’astreinte, il maintient néanmoins les injonctions à prendre toutes mesures utiles de nature à assurer le respect de la trajectoire.

Les contentieux climatiques garderont donc toute leur acuité durant les mois à venir et vous pourrez suivre les prochains épisodes dans Angle droit !

Bonne lecture !

Zoom sur …

L’ordonnance du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte


L’adaptation des territoires littoraux au recul du trait de côte constitue un objectif majeur : 1/5e du littoral français est soumis à l’érosion, phénomène naturel amplifié par le changement climatique. Il existe ainsi un risque de submersion progressive du littoral, qui concerne les espaces naturels mais aussi les zones urbanisées. Pour garantir la sécurité des biens et des personnes face à ce phénomène, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets comporte notamment des dispositions visant à adapter les documents d’urbanisme des communes concernées par le phénomène d’érosion du littoral, limitant fortement les constructions et travaux autorisés dans les zones exposées et instituant un droit de préemption pour l’adaptation des territoires au phénomène. Par cette loi, le législateur a également habilité le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance en vue de créer des outils applicables dans les territoires exposés au recul du trait de côte.

L’ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte est née de cette habilitation. Elle a notamment pour objectif de faciliter la maîtrise foncière des terrains directement exposés au retrait du trait de côte et de faciliter la recomposition des secteurs menacés. Les recours introduits contre cette ordonnance ont été rejetés (CE, 13 octobre 2023, n° 464202, inédit).

L’ordonnance apporte, en premier lieu, des précisions sur les modalités d’évaluation des biens dans le cadre du nouveau droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte, en déterminant surtout les modalités d’évaluation des biens à défaut d’accord amiable sur le prix.

Le Conseil d’État a, sur ce point, refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité (même décision) en écartant notamment l’allégation d’une atteinte au droit de propriété pour ne pas prendre en compte, dans la détermination de l’indemnité versée au propriétaire, l’état des ouvrages de protection et les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte. Il a jugé que l’évaluation des biens immobiliers en cause relève, à défaut d’accord amiable, du juge judiciaire, compétent en matière d’expropriation, et tient compte de l’exposition du bien au recul du trait de côte, garantissant la prise en compte de la situation particulière de chaque bien.

Ces dispositions, par ailleurs, ne sont pas contraires au principe d’égalité : certes, en créant un dispositif spécifique, le sort réservé aux biens expropriés pour risques naturels majeurs n’est pas le même selon qu’ils sont situés ou non sur le territoire d’une commune dotée d’une zone exposée au recul du trait de côte, mais cette différence de situation justifie un traitement différent.

L’ordonnance comporte, ensuite, des dispositions relatives au bail réel d’adaptation à l’érosion côtière. Ce dispositif, introduit aux articles L. 321-18 à L. 321-33 du code de l’environnement par l’article 5 de l’ordonnance, permet aux personnes publiques de mettre en location des biens dans les zones exposées au recul du trait de côte, dans des conditions dérogatoires au droit commun. À l’échéance du contrat de bail, le bailleur doit procéder à la renaturation du terrain.

Le Conseil d’État écarte les moyens tirés de ce que ces dispositions feraient peser sur la collectivité publique bailleresse le coût de la renaturation et de la dépollution en fin de bail. Il n’y voit pas de méconnaissance de l’article 4 de la Charte de l’environnement, qui aurait justifié le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il précise par ailleurs qu’aucun principe général du droit n’implique qu’il incomberait nécessairement au preneur à bail de remettre les lieux en l’état, que les dispositions de la directive 2004/35/CE du 21 avril 2004, transposées aux articles L. 160-1 et suivants du code de l’environnement, ne sont pas applicables au bail réel immobilier institué par l’ordonnance attaquée, dont le régime ne fait au demeurant pas par lui-même obstacle à l’application du principe du pollueur-payeur et, enfin, et en tout état de cause, que le coût de la renaturation et de la dépollution du terrain pourra être pris en charge par le preneur à bail.

L’ordonnance comporte enfin des possibilités de déroger aux dispositions du code de l’urbanisme propres au littoral.

Les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance contestée, codifiées aux articles L. 312-8 à L. 312-10 du code de l’urbanisme, autorisent ainsi, en vue de la relocalisation de constructions, d’ouvrages ou d’installations menacés par l’évolution du trait de côte, qu’il soit dérogé aux dispositions du code de l’urbanisme relatives au littoral, sous réserve, d’une part, de la signature d’un contrat de projet partenarial d’aménagement prévoyant une opération d’aménagement ayant pour objet de mettre en œuvre la recomposition spatiale du territoire des communes concernées et, d’autre part, de l’accord du représentant de l’État.

Ces dispositions ont également été contestées au motif de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales, en ce qu’elles instaureraient une tutelle de l’État en matière d’urbanisme, dès lors que la relocalisation est subordonnée à l’accord de son représentant. Pour écarter le caractère sérieux de cette question, le Conseil d’État juge que les dispositions litigieuses ne portent pas à la libre administration des collectivités territoriales une atteinte qui excèderait la réalisation de l’objectif d’intérêt général poursuivi par les nécessités de protection de l’espace particulièrement sensible que constitue le littoral.

L’ordonnance permet ainsi de compléter le dispositif législatif applicable et permet aux différents acteurs d’anticiper et de mieux se préparer et s’adapter au recul du trait de côte auxquels font face les communes littorales.

L'actualité jurisprudentielle

Domanialité publique


CE, 13 novembre 2023, Syndicat de la copropriété « La joie de Vivre », n° 474211, aux Tables

Contravention de grande voirie – Tierce opposition – Conditions de recevabilité – Représentation du syndicat de copropriété par le propriétaire des installations litigieuses

Précisions sur les conditions de recevabilité de la tierce opposition formée par un syndicat de copropriété contre une décision ordonnant la remise en état du domaine public

Le Conseil d’État juge qu’un syndicat de copropriété ne peut utilement se prévaloir, à l’appui de la contestation d’un jugement prescrivant à l’un des copropriétaires une remise en état du domaine public, du fait que celle-ci est susceptible de porter atteinte à ses propres intérêts privés.

La tierce opposition permet à une personne de remettre en cause une décision d’une juridiction qui préjudicie à ses droits dans une instance où elle n’a pas été présente, en application de l’article R. 832 1 du code de justice administrative. Elle repose donc sur deux conditions cumulatives : le tiers opposant doit n’avoir été ni présent ni représenté à l’instance initiale et la décision juridictionnelle en cause doit préjudicier à ses droits. Toutefois, lorsque l’intérêt défendu par la partie présente à l’instance correspond exactement à celui du tiers opposant, alors qualifié « d’intérêts concordants », la requête en tierce opposition est rejetée pour irrecevabilité (CE, 14 mai 2003, Beogradska Bank Ad Beograd, n° 238105, au Recueil).

Dans cette affaire, un syndicat de copropriété a formé une requête en tierce opposition à l’encontre d’un arrêt de la cour administrative de Marseille confirmant la condamnation d’une société, propriétaire d’un lot au sein de la copropriété, à démolir des ouvrages irrégulièrement implantés sur le domaine public maritime. Il soutenait en substance que ses intérêts ne concordaient pas, dans l’instance de contravention de grande voirie, avec ceux de du propriétaire du lot incriminé dès lors que la destruction des ouvrages implantés sans autorisation sur le domaine public maritime était susceptible d’avoir des conséquences sur les parties communes de la copropriété.

Après avoir rappelé que seuls des intérêts généraux, tenant notamment aux nécessités de l’ordre public, pouvaient faire obstacle aux conséquences juridiques d’une occupation irrégulière du domaine public (CE, 23 décembre 2010, Ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement c/ Commune de Fréjus, n° 306544, au Recueil), le Conseil d’État juge que « Dès lors qu’il ne peut utilement se prévaloir, pour contester un jugement de tribunal administratif prescrivant la remise en état du domaine public, de ce que cette remise en état est susceptible de porter atteinte à ses propres intérêts privés, les intérêts d’un syndicat de copropriété et ceux du propriétaire des installations litigieuses sont, dans l’instance par laquelle ce dernier a été déféré comme prévenu d’une contravention de grande voirie au titre de l’occupation sans autorisation du domaine public, concordants. Le syndicat doit donc être regardé comme étant représenté devant la cour par cette société au sens de l’article R. 832-1 du code de justice administrative, de sorte que sa tierce opposition est irrecevable ».

Cette décision ferme donc la porte, dans cette configuration, à une réouverture de l’instance par le biais de la tierce opposition.

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Environnement (Chasse)


TC, 4 décembre 2023, Association intercommunale de chasse agréée de Fosse-Vira c/ Office national des forêts, n° 4294, au Recueil

Ordre juridictionnel compétent - Conclusion d’un bail pour l’exploitation de la chasse dans les bois et forêts - Association communale ou intercommunale de chasse agréée

Le Tribunal des conflits étend la compétence de la juridiction administrative en matière de convention de chasse entre l’ONF et une ACCA

Le Tribunal des conflits a été saisi par le tribunal administratif de Montpellier, en application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, pour trancher une question de compétence entre les deux ordres de juridiction soulevant une difficulté sérieuse.

En l’espèce, l’Office national des forêts (ONF) a conclu en 2016 un bail de gré à gré avec une association communale de chasse agréée (ACCA) pour l’exploitation de la chasse sur un lot de forêt domaniale. En 2022, une autre association a demandé à l’ONF de résilier ce bail et de conclure avec elle un nouveau bail de chasse portant sur les mêmes parcelles. L’ONF n’ayant pas fait droit à ses demandes, la seconde ACCA a saisi le tribunal administratif de Montpellier du litige.

Le contentieux des contrats de gestion du domaine privé des personnes publiques, qui comprend les bois et forêts des personnes publiques relevant du régime forestier (article L. 2212-1 du code général de la propriété des personnes publiques), relève en grande partie de la compétence du juge judiciaire. Il est ainsi de jurisprudence constante que le juge judiciaire est compétent pour connaitre de la contestation par une personne privée de l’acte par lequel le gestionnaire du domaine privé initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle dont l’objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n’affecte ni son périmètre ni sa consistance (TC, 22 novembre 2010, SARL Brasserie du Théâtre, n° C376 au Recueil).

En 2012, le Tribunal des conflits a cependant consacré la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la contestation par l’intéressé de l’acte administratif par lequel une personne morale de droit public refuse d’engager avec lui une relation contractuelle ayant un tel objet (TC, 5 mars 2012, Dewailly, n° C3833 au Recueil).

Dans le prolongement de cette décision, le Tribunal des conflits retient la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l’annulation, d’une part, de l’acte autorisant la conclusion d’une convention dont l’objet est la valorisation ou la protection de ce domaine, et, d’autre part, de l’acte refusant de mettre fin à une telle convention.

Au cas présent, la contestation portant à la fois sur l’acte par lequel le bail de chasse de 2016 a été conclu ainsi que sur les refus de l’ONF de résilier ce bail et de conclure avec l’association de Fosse-Vira un nouveau bail, le Tribunal des conflits juge que la juridiction administrative est compétente pour connaître de l’entier litige.

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Environnement (Déchets)


CC, 27 octobre 2023, Association Meuse nature environnement et autres, n° 2023-1066

CE, 1er décembre 2023, Association Meuse Nature Environnement et autres, n° 467331, aux Tables


Stockage en couche géologique profonde – Déchets radioactifs – Droit des générations futures – Déclaration d’utilité publique – Opération d’intérêt national

Plusieurs pas de plus pour Cigéo


Les deux décisions commentées valident les dispositions législatives permettant la création du centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue (Cigéo) et rejettent les recours contre les décrets qualifiant l’opération d’intérêt national et déclarant le projet d’utilité publique.

La réflexion relative au stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue, entamée en 1991, a connu une étape décisive vingt années plus tard avec l’adoption, après un débat public conduit en 2013, de la loi du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une telle installation, et définissant, notamment, la notion de réversibilité du stockage.

Pour la réalisation du projet, deux décrets du 7 juillet 2022 ont permis, d’une part, d’inscrire le projet Cigéo parmi les opérations d’intérêt national mentionnées à l’article R. 102-3 du code de l’urbanisme, et d’autre part, de déclarer le projet d’utilité publique et de mettre en compatibilité les documents d’urbanisme des territoires dans lesquels il s’implante.

Saisi d’un recours contre ces deux décrets, le Conseil d’État a, d’abord, renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 25 juillet 2016, avec les droits et libertés garantis par la Constitution.

Dans le prolongement de ses décisions n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 et n° 2022-843 DC du 12 août 2022, mais en des termes inédits, le Conseil constitutionnel juge que le législateur, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement, doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard. Le Conseil constitutionnel se fonde, pour ce faire, sur l’article 1er de la Charte de l’environnement « éclairé par le septième alinéa de son préambule », et en déduit que « les limitations apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

En l’espèce, le Conseil constitutionnel juge certes que l’autorisation du stockage géologique des déchets radioactifs en couche géologique profonde est susceptible de « porter une atteinte grave et durable à l’environnement », mais refuse d’y voir une méconnaissance des exigences constitutionnelles.

Il souligne ainsi, d’abord, que l’objectif poursuivi par le législateur était précisément que ces déchets puissent être stockés dans des conditions permettant de protéger l’environnement et la santé contre les risques à long terme de dissémination de substances radioactives et, en outre, que la charge de la gestion de ces déchets ne soit pas reportée sur les seules générations futures. Il juge, ensuite, que l’article L. 542-10-1 prévoit des garanties propres à assurer le respect des exigences constitutionnelles.

Ces garanties sont, notamment, celle de la réversibilité de l’installation, laquelle est « mise en œuvre par la progressivité de la construction, l’adaptabilité de la conception et la flexibilité d’exploitation du stockage, et inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérentes avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage ». Par ailleurs, la procédure spécifique d’autorisation, qui prévoit diverses consultations préalables, comprend une phase pilote permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de la sûreté de l’installation. Enfin, seule une loi peut décider de la fermeture définitive du centre et la participation des citoyens tout au long de l’activité du centre de stockage.

Le Conseil constitutionnel ayant déclaré conforme à la Constitution les dispositions relatives aux centres de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs, le Conseil d’État a procédé à l’examen de la légalité des décrets du 7 juillet 2022.

Il rejette d’abord le recours contre le décret inscrivant Cigeo sur la liste des opérations d’intérêt national de l’article R. 102-3 du code de l’urbanisme, qui permet des dérogations au droit commun de l’aménagement et de l’urbanisme. Il juge en particulier que l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme, qui fixe les objectifs que l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme vise à atteindre, ne peut être utilement invoqué à l’encontre d’un décret qui permet d’inscrire une opération comme étant d’intérêt national.

Il rejette ensuite le recours contre la déclaration d’utilité publique et retient, notamment, l’utilité publique de l’opération. La contestation des requérants portait surtout sur le principe même du stockage, angle d’attaque qui avait perdu de sa force après la décision du Conseil constitutionnel. Le Conseil d’État juge qu’eu égard à l’intérêt public, reconnu législativement, que présente le projet, les inconvénients qu’il présente, notamment en termes de coût, ne présentent pas un caractère excessif de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique.

Par suite, les requêtes tendant à l’annulation de ces deux décrets sont rejetées.

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CE, 10 novembre 2023, Société EcoDDS, n°449213, Inédit

Déchets - Responsabilité Elargie du Producteur

Responsabilité élargie du producteur : une réforme validée


La loi du 10 février 2020, dite loi AGEC, a opéré une refonte du régime de responsabilité élargie du producteur (REP), régime qui organise le traitement des déchets par les fabricants et distributeurs de la filière. Un décret d’application du 27 novembre 2020 portant réforme de la REP concrétise cette refonte en introduisant plusieurs dispositions transversales à l’ensemble des filières, avec notamment pour objectif de « fixer les modalités de mise en œuvre de la REP par les éco-organismes et les systèmes individuels ».

Attaqué point par point par un éco-organisme, le décret du 27 novembre 2020 a été validé par le Conseil d’Etat, à l’exception des seules dispositions modifiant l’article R. 541-174 du code de l’environnement.

Ces dernières dispositions prévoyaient la possibilité pour un producteur de désigner un mandataire chargé d’assurer le respect de ses obligations relatives à la REP. Le Conseil d’Etat a retenu qu’« En prévoyant que le mandataire désigné par le producteur pour assurer le respect de ses obligations relatives au régime de responsabilité élargie des producteurs est " subrogé " dans toutes les obligations de celui dont il a accepté le mandat, alors que ni l’article L. 541-10 du code de l’environnement, ni aucune autre disposition législative ne prévoit la possibilité d’une telle subrogation, le pouvoir réglementaire a excédé sa compétence ». Alors que le rapporteur public qualifiait de « malfaçon rédactionnelle » la disposition en cause, cette décision rappelle donc les limites du pouvoir réglementaire.

Pour le reste, le Conseil d’Etat écarte les autres moyens soulevés à l’encontre du décret du 27 novembre 2020, et valide ainsi le nouveau régime de la REP, lequel sera présenté dans sa globalité dans une prochaine édition d’Angle droit.

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Environnement (ICPE)


CE, 10 novembre 2023, Société Enedel 7, n° 474431, au Recueil

Environnement - ICPE – Office du juge saisi de conclusions contre un arrêté d’enregistrement

Le pouvoir de régularisation du juge concernant les ICPE soumises à enregistrement


La fortune de l’article L. 181-18 du code de l’environnement est grande et la régularisation des autorisations environnementales par ce biais très largement mise en œuvre. Cet article, issu de l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, impose au juge administratif saisi d’un recours contre une autorisation environnementale de limiter la portée de l’annulation de cette autorisation à la seule partie affectée ou, si l’illégalité constatée est régularisable, de sursoir à statuer pour permettre la régularisation de l’acte.

La question de l’application de cet article au contentieux de l’enregistrement des ICPE n’était toutefois pas tranchée et c’est pourquoi, à l’occasion d’un contentieux relatif à une installation de méthanisation, la cour administrative d’appel de Bordeaux a posé une question en ce sens au Conseil d’État.

Puisque les mots ont un sens et que l’autorisation n’est pas l’enregistrement, le Conseil d’État dit d’abord pour droit que les dispositions de l’article L. 181-18 ne sont pas applicables en matière d’enregistrement, y compris si les demandes ont été instruites comme une autorisation environnementale et sous réserve des cas où le projet, en application du 7° du paragraphe I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement, bénéficie d’une autorisation environnementale tenant lieu d’enregistrement ou s’il est soumis à évaluation environnementale donnant lieu à une autorisation du préfet en application du troisième alinéa du II de l’article L. 122-1-1 du même code.

Toutefois, et compte tenu des pouvoirs étendus du juge des installations classées, le Conseil d’État précise qu’il est toujours loisible à celui-ci, au titre de son office de juge de plein contentieux, de surseoir à statuer afin de permettre la régularisation de la décision d’enregistrement.

En d’autres termes, la régularisation est possible mais sur le fondement des pouvoirs généraux découlant de l’office du juge. Le champ d’application de cette mesure est similaire en ce qui concerne les pouvoirs du juge quel que soit le fondement retenu. En revanche, dans le cadre de l’article L. 181-18, l’obligation de surseoir à statuer pour régulariser, sauf refus motivé, imposée au juge depuis la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, ne s’applique pas hors du cadre de cet article, le juge des installations classées ayant la possibilité, mais non l’obligation, d’y procéder.

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Environnement (Qualité de l’air)

CE, 24 novembre 2023, Association Les amis de la Terre, n°428409, au Recueil

Qualité de l’air - Astreinte

Une liquidation d’astreinte diminuée de moitié pour tenir compte des progrès réalisés

Dans le contentieux du dépassement des seuils de pollution de l’air, le Conseil d’État réduit de moitié le montant de l’astreinte prononcée à l’encontre de l’État, pour tenir compte à la fois des progrès réalisés et des dépassements encore constatés s’agissant de la concentration de dioxyde d’azote dans l’air à Paris et Lyon. Il condamne ainsi l’État à un montant de 10 millions d’euros pour la période courant du 12 juillet 2022 au 12 juillet 2023.

Cette astreinte fait suite à une première décision du Conseil d’État du 12 juillet 2017 constatant le dépassement des valeurs limites dans 12 zones en ce qui concerne le dioxyde d’azote (NO2) et 3 zones en ce qui concerne les particules fines PM10, et enjoignant à l’État de prendre des mesures pour y remédier dans le délai le plus court possible. Par des décisions du 10 juillet 2020, du 4 août 2021 et du 17 octobre 2022, le Conseil d’État a liquidé une astreinte de 10 millions d’euros par semestre pour non-respect de cette injonction, malgré la diminution progressive du nombre de zones concernées.

Dans cette nouvelle décision, le Conseil d’État confirme que sa décision du 12 juillet 2017 a été exécutée, d’une part, concernant les dépassements des valeurs limites pour les particules fines PM 10, ce qu’il avait déjà jugé en juillet 2022, et, d’autre part, s’agissant du dioxyde d’azote pour toutes les zones à l’exception de celles de Lyon et de Paris. Toulouse et Marseille-Aix sortent ainsi des zones en dépassement.

En revanche, pour ce qui concerne Lyon, le Conseil d’État estime que si les mesures résultant notamment de la révision du plan de protection de l’atmosphère (PPA) en 2022 et les nouvelles mesures de restriction de la circulation dans le cadre de la ZFE-m de la métropole de Lyon « sont susceptibles de permettre de ramener le niveau de concentration en dioxyde d’azote en dessous de la valeur limite pour l’ensemble des stations de mesure à Lyon », ces évolutions ne sont pas garanties à ce stade compte tenu des dépassements encore existants.

Pour ce qui concerne Paris, le Conseil d’État souligne que le PPA, dont la révision doit intervenir en 2024, ne devrait pas constituer une évolution permettant de garantir le respect des seuils, compte tenu de l’ampleur du dépassement constaté et alors par ailleurs que les mesures relatives aux restrictions de circulation des véhicules polluants demeurent insuffisantes.

Le Conseil d’État juge néanmoins que « les améliorations constatées depuis l’intervention des décisions antérieures, et notamment la réduction du nombre des zones concernées par les dépassements et la baisse globale tant du nombre des stations de mesure constatant des dépassements que de l’importance de ces dépassements pour les zones qui demeurent en dépassement » justifient une diminution de moitié du taux de l’astreinte.

Cette astreinte a été répartie entre l’association requérante Les amis de la terre et d’autres personnes œuvrant en faveur de la qualité de l’air (l’ADEME, le CEREMA, l’ANSES, l’INERIS, Air Parif, Atmo Auvergne Rhône-Alpes, Atmo Occitanie et Atmo Sud).

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Environnement (Risques)


CE, 10 novembre 2023, Ministre de la Transition Ecologique c/ WP France 23, n° 459079, aux Tables

Eolien – Saturation visuelle – Critères d’analyse – Angles de respiration

De nouvelles précisions apportées par le Conseil d’État sur la méthode d’appréciation de la saturation visuelle causée par un projet éolien


Le Conseil d’État précise la méthode d’appréciation de la saturation visuelle causée par un projet éolien. Cette appréciation doit tenir compte de l’effet d’encerclement résultant de l’incidence du projet sur les angles d’occupation et de respiration.

L’affaire concernait un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs sur le territoire de la commune de La Neuville-Sire-Bernard dont l’autorisation avait été refusée par la préfète de la Somme. Ce projet venait en effet s’inscrire dans un ensemble de 72 éoliennes déjà construites ou autorisées dans un rayon de 10 kilomètres autour du village du Plessier-Rozainvilliers. Il aggravait le phénomène d’encerclement du village par un cumul des angles occupés par les éoliennes, ne laissant autour de ce village qu’un angle de 56° sans éolienne, soit un angle inférieur au champ de vision humain (60°).

Sur pourvoi du ministre de la transition écologique, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai qui avait donné tort à l’administration. Le Conseil juge qu’en ne prenant pas en compte l’impact de ce projet sur les angles de respiration, la cour a commis une erreur de droit dans sa méthode d’analyse de la saturation visuelle.

Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de l’arrêt du Conseil d’État du 1er mars 2023, EDPR France Holding, n° 459716, aux Tables, par lequel il avait jugé que « le phénomène de saturation visuelle qu’est susceptible de générer un projet peut être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de l’article L. 511-1 du code de l’environnement » (voir Angle Droit n° 3 du 31 mai 2023). Il vient préciser les critères d’analyse de la saturation visuelle énoncés dans cette même décision (« indice d’occupation de l’horizon, indice de densité sur les horizons occupés et indice d’espace de "respiration" ou angle de "respiration" »).

Ainsi, pour apprécier les inconvénients à la commodité du voisinage générés par un projet éolien, le juge tient compte de l’effet d’encerclement résultant du projet et, pour ce faire, évalue depuis les points de vue pertinents l’incidence du projet sur les angles d’occupation et de respiration. Ces angles dépendent de l’ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d’écrans visuels. Un angle de respiration est défini comme le plus grand angle continu sans éolienne depuis un point de vue pertinent.

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Urbanisme et aménagement

CC, 24 novembre 2023, n°2023-1071 QPC

Lois de validation – Droit de préemption – Espaces naturels sensibles

Décisions de préemption dans les espaces naturels sensibles : une validation législative déclarée inconstitutionnelle

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, déclare inconstitutionnelles les dispositions du II de l’article 233 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite climat et résilience, qui validaient rétroactivement l’ensemble des décisions de préemption prises depuis le 1er janvier 2016 dans les anciens périmètres sensibles.

Tout est parti d’une difficulté de codification. L’ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 a en effet recodifié, à compter du 1er janvier 2016, la partie législative du Livre Ier du code de l’urbanisme, mais en omettant de reprendre dans le code nouveau les dispositions de l’ancien article L. 142-12 du code de l’urbanisme, qui dès lors étaient abrogées. Ces dispositions assuraient le pont entre deux régimes de protection des espaces naturels qui se sont succédés : celui des périmètres sensibles définis par le préfet (ancien article L. 142-1 du code de l’urbanisme) et celui des espaces naturels sensibles définis par le département (article L. 142-12 du même code issu de la loi n° 85 729 du 18 juillet 1985).

En raison de ce choix discutable, le droit de préemption dans les espaces naturels sensibles s’est avéré inapplicable depuis le 1er janvier 2016 dans les zones de préemption créées par les préfets au titre de la législation sur les périmètres sensibles avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985, sauf à ce qu’elles aient été reprises et incluses dans les zones de préemption déterminées par les départements au titre des espaces naturels sensibles (CE, avis, 29 juillet 2020, GFA Jourdain Pugibet, n° 439801).

Il existait donc un risque d’annulation des décisions de préemption prises depuis le 1er janvier 2016 dans les anciens périmètres sensibles.

Le législateur a voulu remédier à cette situation par l’adoption du II de l’article 233 de la loi climat et résilience en validant, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les décisions de préemption intervenues dans les périmètres sensibles entre le 1er janvier 2016 et son entrée en vigueur, en tant que leur légalité serait contestée par un moyen tiré de l’abrogation de l’article L. 142-12 du code de l’urbanisme.

Par la décision commentée, le Conseil constitutionnel déclare ces dispositions inconstitutionnelles au motif de l’absence de motif impérieux d’intérêt général justifiant l’atteinte portée au droit au recours.

D’une part, le Conseil constitutionnel considère que le risque qu’un contentieux important résulte de la contestation des décisions de préemption n’est pas établi au regard du faible nombre de celles-ci qui, n’étant pas devenues définitives, font ou sont susceptibles de faire l’objet d’un recours. D’autre part, les juges de la rue Montpensier écartent l’existence d’un risque financier important pour les personnes publiques. Ils tiennent en outre compte de la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle, lorsque le juge administratif se prononce sur les conséquences de l’annulation de la décision de préemption, il lui appartient de s’assurer que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général s’attachant à la préservation et à la mise en valeur de sites remarquables (cf. CE, 20 septembre 2020, Ville de Paris, n° 436978, au Recueil).

Cette déclaration d’inconstitutionnalité a pris effet à compter du 25 novembre 2023, date de publication de la décision, et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

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CE, 30 octobre 2023, Mme B., n° 474408, aux Tables

Expropriation pour cause d’utilité publique - Opération de restauration immobilière - Contrôle du juge de l’excès de pouvoir – Application de la théorie du bilan

La question de la conformité à la Constitution des articles L. 313-4 et suivants du code de l’urbanisme, relatifs aux opérations de restauration immobilières, n’est pas sérieuse

Le Conseil d’État refuse de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions législatives permettant l’expropriation d’un immeuble dont le propriétaire n’a pas fait connaître son intention de réaliser ou faire réaliser les travaux qui ont été prescrits dans le cadre d’une opération de restauration immobilière (ORI).

À l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté déclarant cessibles les immeubles nécessaires à la réalisation d’une ORI, la constitutionnalité des articles L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 313-4-2 du code de l’urbanisme, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005, a été contestée au motif d’une atteinte excessive au droit de propriété.

Pour écarter ce moyen comme non sérieux, le Conseil d’État juge que l’expropriation n’est possible « que pour la réalisation d’opérations dont l’utilité publique est préalablement et formellement constatée par l’autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif ».

C’est dès lors le contrôle du bilan dégagé par l’arrêt Ville Nouvelle Est qui s’applique (CE, 28 mai 1971, n° 78825, au Recueil) et le juge administratif doit vérifier que l’opération « répond à la finalité d’intérêt général tenant à la préservation du bâti traditionnel et des quartiers anciens par la transformation des conditions d’habitabilité d’immeubles dégradés nécessitant des travaux et que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d’ordre social ou économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ».

Par ailleurs, concernant l’arrêté de cessibilité, le juge doit « s’assurer que l’inclusion d’un immeuble déterminé dans le périmètre d’expropriation est en rapport avec l’opération déclarée d’utilité publique et de juger de la nécessité des travaux impartis au propriétaire par le programme de travaux ».

Constatant le caractère non sérieux du moyen, le Conseil d’État refuse donc de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.

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CE, 1er décembre 2023, Commune de Gorbio, n° 448905, au Recueil

Autorisations d’utilisation des sols - Demande de pièces complémentaires - Interruption ou modification du délai d’instruction

Conséquences de la modification d’une demande de permis de construire en cours d’instruction

Le Conseil d’État apporte d’importantes précisions quant au régime juridique applicable en cas de modification d’une demande de permis de construire en cours d’instruction.

Dans cette affaire, la commune de Gorbio avait refusé une demande de permis de construire deux immeubles à usage d’habitation. S’estimant toutefois titulaire d’une autorisation tacite, le pétitionnaire avait sollicité l’annulation de la décision de refus et le tribunal administratif de Nice, puis la cour administrative d’appel de Marseille, avaient fait droit à cette demande d’annulation. Saisi d’un pourvoi en cassation par la commune, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour en raison de l’erreur de droit commise par celle-ci à avoir jugé que l’envoi par la société pétitionnaire à la commune de pièces nouvelles, qui correspondaient à des modifications de la demande de permis de construire initiale, n’était pas susceptible d’influer sur la date de naissance d’un permis tacite.

Le Conseil d’État rappelle qu’en l’absence de dispositions expresses du code de l’urbanisme y faisant obstacle, il est loisible à l’auteur d’une demande de permis de construire d’apporter à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications qui n’en changent pas la nature.

Si en principe, ces modifications sont sans incidence sur la date de naissance d’un permis tacite, cette règle connaît des exceptions.

Le Conseil d’État précise en effet que, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction, l’autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite. Dans une telle situation, l’administration doit alors être regardée comme saisie d’une nouvelle demande se substituant à l’initiale à compter de la date de la réception par l’autorité compétente des pièces nouvelles.

Il appartient enfin, si nécessaire, à l’autorité compétente d’indiquer au demandeur dans le délai d’un mois prévu par l’article R. 423-38 du code de l’urbanisme les pièces manquantes nécessaire à l’examen du projet ainsi modifié.

L'actualité normative et consultative

Textes

Décret n° 2023-1008 du 31 octobre 2023 portant sixième partie réglementaire du code des transports


La codification des règles de droit en matière de transport se poursuit : est introduite dans le code des transports une sixième partie réglementaire (livres Ier à VII) relative à l’aviation civile, qui complète la partie législative de ce code relative à l’aviation civile. En parallèle, le décret abroge l’essentiel de la partie réglementaire du code de l’aviation civile.

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Décret n° 2023-1019 du 3 novembre 2023 relatif à la mutualisation entre certains établissements publics de l’État des fonctions et moyens nécessaires à la réalisation de leurs missions


Ce décret confirme la brèche, ouverte par la loi 3DS, dans le principe de spécialité des établissements publics afin de répondre à leurs besoins de mutualisation.

Les agences de l’eau ont manifesté, dès 2019, la volonté de mutualiser, par convention, certaines de leurs fonctions supports par la création d’une direction commune. Or, cette volonté se heurtait au principe de spécialité, défini comme l’impossibilité pour un établissement public « de se livrer à des activités excédant le cadre des missions qui lui ont été assignées par les textes qui l’ont institué » (voir par exemple : CE, 19 novembre 1975, n° 94791, publié au Recueil ; CE, 3 décembre 1993, n°139021, Inédit).

La jurisprudence apprécie certes souplement les conditions de respect du principe de spécialité, en reconnaissant aux établissements publics le droit d’exercer des activités accessoires ou annexes dès lors qu’elles constituent le complément nécessaire au fonctionnement des services confiés par les textes institutifs. Le Conseil d’État a également reconnu la possibilité pour un établissement d’exercer en-dehors de sa zone géographique des activités qui sont le complément de sa mission et qui présentent un intérêt direct pour l’amélioration des conditions d’exercice de cette mission (avis n° 352.281 du 15 juillet 1992 relatif à la RATP).

Ces conditions n’apparaissaient toutefois pas remplies pour le projet de mutualisation de fonctions supports envisagé par les agences de l’eau. Dès lors, seule une disposition législative était de nature à lever la difficulté. En effet, selon l’article 34 de la Constitution, le législateur est seul compétent pour fixer les règles concernant la création de catégories d’établissements publics, parmi lesquelles figurent la spécialité de l’établissement (CC, 21 décembre 1966, Agence de défense des biens et intérêts des rapatriés, n° 66-7 FNR). Quelques dispositions législatives permettaient d’ailleurs déjà à certains établissements publics bien définis de mutualiser une ou plusieurs fonctions, notamment l’article L. 212-4 du code du patrimoine s’agissant de la gestion des documents d’archives.

La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi « 3DS », a été le vecteur législatif retenu. Par son article 201, le législateur a ouvert la voie à l’exercice, par les établissements publics de l’État, de missions appartenant à d’autres établissements de même nature, lorsqu’ils exercent les mêmes missions sur des périmètres géographiques différents.

Le décret du 3 novembre 2023 fixant les modalités d’application de cet article a permis de fixer la liste des fonctions supports mutualisables : certaines opérations budgétaires et financières, la gestion des ressources humaines, l’immobilier, la logistique, les achats, les systèmes d’information et de communication, l’expertise juridique, la communication, la documentation et les éventuelles activités européennes et internationales.

À l’initiative des établissements publics intéressés, cette mutualisation pourra prendre la forme d’un groupement d’intérêt public ou d’une convention de coopération dont le contenu minimal est précisé par le décret.

Enfin, à défaut de signature d’une convention de groupement d’intérêt public ou de coopération ayant pour objet de mutualiser tout ou partie des fonctions supports, le Gouvernement garde la faculté, s’il l’estime nécessaire, de demander à certains établissements publics de procéder à la mutualisation d’une ou plusieurs de ces fonctions. À l’expiration d’un délai d’un an, prorogeable à deux reprises, qui court à compter des demandes des ministres de tutelle, la mutualisation peut être organisée par décret.

À terme, pour les établissements publics qui le souhaitent, cette possibilité sera de nature à favoriser le partage des compétences, des moyens et des expertises et à améliorer la qualité du service rendu par leurs fonctions supports dans un cadre budgétaire contraint.

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Décret n° 2023-1048 du 16 novembre 2023 relatif aux garanties d’origine de l’électricité

Ce décret modifie les modalités et les conditions de la mise aux enchères des garanties d’origine de l’électricité d’origine renouvelable produite par les installations bénéficiant d’un dispositif de soutien. Il modifie également en conséquence les missions de l’organisme désigné pour assurer la délivrance, le transfert et l’annulation des garanties d’origine. Il fait évoluer les règles d’utilisation des garanties d’origine électriques issues de l’ensemble des sources d’énergies primaire et précise les règles applicables aux garanties d’origine de l’électricité autoconsommée et bénéficiant de mécanismes de soutien.

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Décret n° 2023-1056 du 17 novembre 2023 réglementant la publicité en mer territoriale et sur les eaux intérieures maritimes françaises

De même que la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets interdit, depuis le 1er octobre 2022, la publicité diffusée au moyen d’une banderole tractée par un aéronef, le présent décret vise à réglementer la publicité en mer territoriale et sur les eaux intérieures maritimes françaises. Il interdit la publicité lumineuse et réglemente la publicité non lumineuse, tout en ouvrant les exceptions nécessaires à la poursuite d’activités nautiques et à l’organisation d’évènements nautiques.

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Décret n° 2023-1074 du 21 novembre 2023 relatif au transfert de la gestion des digues domaniales aux communes et groupements de collectivités territoriales compétents en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations


La gestion des ouvrages de prévention des inondations est devenue une compétence exclusive et obligatoire des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre depuis l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2018, des dispositions relatives à la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) issues de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (loi MAPTAM).

En phase transitoire, et jusqu’au 28 janvier 2024, la loi MAPTAM prévoit que l’État et ses établissements publics conservent la gestion des digues qu’ils géraient auparavant, pour le compte de l’autorité locale qui exerce la compétence GEMAPI (dite « le gémapien »).

Passée l’échéance du 28 janvier 2024, les digues domaniales ont vocation à être mises à disposition du « gémapien », par voie de convention, conformément aux dispositions du premier alinéa du I de l’article L. 566-12-1 du code de l’environnement issu de la loi MAPTAM. A défaut de convention, le décret du 21 novembre 2023 prévoit qu’un arrêté du préfet de département constate la mise à disposition des digues au 29 janvier 2024. La liste des digues domaniales mises à disposition des communes ou groupements de collectivités territoriales respectivement concernés est établie par arrêté du ministre chargé de la prévention des risques naturels.

Le décret précise les modalités selon lesquelles le détenteur de la compétence GEMAPI est substitué à l’État ou à un établissement public de l’État dans l’ensemble de ses droits et obligations nés des contrats et marchés publics conclus pour les besoins de la gestion de la digue domaniale pendant la phase transitoire, que cette mise à disposition soit conventionnelle ou constatée par arrêté préfectoral.

Par dérogation à ce principe général de substitution, le décret permet que l’État ou l’établissement public de l’État achève, à la demande du « gémapien », l’exécution de marchés publics de travaux ou de service conclus par lui, pour les besoins de sa gestion pendant la période transitoire, qui seront toujours en cours à l’achèvement de cette période.

Le décret introduit également une adaptation à une disposition du décret n° 2018-514 du 25 juin 2018 relatif aux subventions de l’État pour des projets d’investissement, quand une demande de subvention du « gémapien » porte sur des travaux qui font l’objet d’un marché en cours conclu initialement par l’État ou un établissement public de l’État.

Il facilite enfin la procédure de désaffectation d’une digue domaniale qui vient d’être transférée dans le cas où elle n’a plus d’utilité pour la prévention des inondations.

Ses dispositions sont applicables au cas des digues domaniales localisées dans le département de la Moselle et en Alsace, malgré l’existence d’un droit local historique.

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Décret n° 2023-1103 du 27 novembre 2023 relatif à la notification des recours en matière d’autorisations environnementales

La loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a fait évoluer les règles en matière de contentieux des autorisations environnementales, en créant une obligation, pour les tiers, de notifier à l’auteur de la décision et à son bénéficiaire les recours qu’ils forment. Inscrite à l’article L. 181-17 du code de l’environnement, cette obligation poursuit l’objectif de garantir une plus grande sécurité juridique pour les porteurs de projets, qui peuvent se trouver dans une situation incertaine lorsqu’ils ignorent si un recours a été déposé contre une autorisation dont ils sont bénéficiaires.

Le décret du 27 novembre 2023 définit d’abord le champ d’application de cette nouvelle obligation, en précisant qu’elle s’impose en cas de recours administratif et contentieux contre les autorisations environnementales, les arrêtés fixant une ou plusieurs prescriptions complémentaires et les décisions refusant de retirer ou d’abroger de tels actes. Il détermine ensuite les modalités de notification, par lettre recommandée avec accusé de réception, et fixe un délai de quinze jours francs pour y procéder, ce délai commençant à courir à la date du dépôt du recours contentieux ou de la date d’envoi du recours administratif. Le décret prévoit également les conséquences de l’absence de notification, à savoir l’irrecevabilité du recours contentieux lorsque celui-ci n’a pas été notifié ou l’absence de prorogation du délai de recours contentieux par le recours administratif non notifié. En dernier lieu, il prévoit que l’obligation de notification est mentionnée lors de la publicité de l’acte, afin d’en informer les potentiels requérants.

Ce dispositif s’inspire largement de l’obligation de notification créée en droit de l’urbanisme par la loi du 9 février 1994 et aujourd’hui prévue par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme. Ce n’est ni la première importation de mécanismes contentieux issus du droit de l’urbanisme dans le domaine du droit de l’environnement, ni la dernière, la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte ayant ajouté à l’article L. 181-17 du code de l’environnement un alinéa calqué sur l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme.

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Décret n° 2023-1104 du 28 novembre 2023 portant diverses dispositions relatives aux réexamens périodiques des réacteurs électronucléaires et à la mise à l’arrêt des installations nucléaires de base

Ce texte a notamment pour objet d’améliorer l’accès à l’information du public et des États étrangers lors du réexamen périodique d’un réacteur électronucléaire au-delà de la trente-cinquième année de fonctionnement. Il actualise également les dispositions relatives à l’arrêt définitif d’une installation au vu des évolutions apportées par la loi du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

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Décret n° 2023-1126 du 1er décembre 2023 relatif à la réalisation du réseau transeuropéen de transport (RTE-T)

Le décret introduit dans le code des transports les dispositions nécessaires à la transposition de la directive n° 2021/1187 du 7 juillet 2021 visant à accélérer la réalisation du réseau transeuropéen de transport. Il définit, à cette fin, les projets entrant dans son champ d’application et pose le principe d’une priorité dans leur instruction en fixant un délai de quatre ans, à compter de la notification du projet à l’autorité compétente, pour la délivrance de toutes les autorisations rendues nécessaires par sa réalisation. Il précise enfin les missions de l’autorité désignée comme point de contact des promoteurs de projet concernés et confie ce rôle au préfet de région.

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Décret n° 2023-1155 du 8 décembre 2023 portant publication de la lettre française du 1er décembre 2022 portant retrait du traité sur la charte de l’énergie (ensemble un protocole), fait à Lisbonne le 17 décembre 1994

Par cet acte, est publiée la lettre par laquelle la France a notifié officiellement au dépositaire du traité sur la charte de l’énergie son retrait de ce traité.

Aux termes du traité sur la charte de l’énergie (dit TCE), les parties contractantes devaient notamment "œuvrer en vue de promouvoir l’accès aux marchés internationaux des matières et produits énergétiques à des conditions commerciales et, de manière générale, de développer un marché ouvert et concurrentiel de l’énergie" (art. 3) et "encourager et créer des conditions stables, équitables, favorables et transparentes pour la réalisation d’investissements dans sa zone par les investisseurs des autres parties contractantes" (art. 10). Le TCE prévoyait également des dispositions en matière de règlement des différends entre une partie contractante et un investisseur d’une autre partie contractante au sujet d’un investissement réalisé par ce dernier dans la zone de la première et qui portaient sur un manquement allégué à une obligation de la première partie contractante (art. 26). Ce sont ces dernières dispositions qui ont conduit le gouvernement à vouloir se retirer du traité car, en offrant aux nouveaux investissements dans les énergies fossiles la protection offerte par le TCE, elles pouvaient être une entrave à la politique de décarbonation.

Conformément à l’article 47 du traité, les dispositions de celui-ci continueront à s’appliquer, à compter de la date du retrait, pendant une période de vingt ans aux investissements réalisés dans la zone d’une partie contractante par des investisseurs d’autres parties contractantes ou dans la zone d’autres parties contractantes par des investisseurs de cette partie contractante. Toutefois, dans un avis paru au Journal officiel le même jour que le décret du 8 décembre 2023, le Gouvernement a rappelé que le TCE n’avait pas vocation à s’appliquer dans les relations, dites intra-européennes, de la France avec les autres États membres de l’Union européenne, d’une part, ou avec l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), d’autre part et, en particulier, que l’article 26 paragraphe 2, alinéa c sur le règlement des conflits ne saurait être valablement invoqué par des investisseurs français à l’encontre d’autres États membres de l’Union européenne ou d’Euratom, ou par des investisseurs originaires d’autres États membres de l’Union contre la France, ni faire l’objet, dans de telles situations intra-européennes, d’une application prolongée au titre de l’article 47.

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Avis


CNIL, Délibération de la formation restreinte n° SAN-2023-016
du 9 novembre 2023


Les traitements automatisés de données à caractère personnel des agents publics dont la finalité est limitée, par l’acte réglementaire qui les régit, à une communication de nature administrative, ne peuvent servir à une communication de nature politique.

Le 26 janvier 2023, un courriel a été envoyé à plus de deux millions d’agents publics actifs, qui renvoyait vers une vidéo contenant un message filmé de deux ministres concernant la réforme des retraites et un document de présentation intitulé « Pour nos retraites : un projet de justice, d’équilibre et de progrès ». A la suite de ce message, la CNIL a reçu de nombreuses plaintes d’agents publics qui reprochaient aux ministères concernés de leur avoir transmis un message politique en utilisant des adresses électroniques personnelles collectées à des fins administratives.

Ces adresses étaient issues de l’Espace numérique sécurisé des agents publics (ENSAP), dont les finalités, définies à l’article 1er du décret n° 2022-1446 du 21 novembre 2022, concernent les échanges entre les agents et l’administration relatifs aux pensions de l’Etat, à la paye et à l’élection des représentants du personnel dans la fonction publique de l’Etat.

Dans sa délibération, la formation restreinte rappelle que « les traitements automatisés de données à caractère personnel des agents publics dont la finalité est limitée, par l’acte réglementaire qui les régit, à une communication de nature administrative, ne peuvent servir à une communication de nature politique ».

L’argument selon lequel l’envoi d’un tel message ne visait pas à promouvoir le projet de réforme, mais seulement à informer, en tant qu’employeur, les agents publics sur les axes les concernant et l’impact pouvant en résulter pour eux, est écarté. En effet, la CNIL considère qu’en l’espèce, la communication litigieuse, compte tenu de l’intitulé du courriel, du contenu de la vidéo et de la teneur générale du message, ne correspond pas à une communication de nature administrative, mais à un message à connotation politique.

Elle en conclut qu’a été méconnue l’obligation, prévue au b) de l’article 5 du règlement général relatif à la protection des données (RGPD), de traiter les données à caractère personnel de manière compatible avec les finalités pour lesquelles elles ont été collectées.

Au regard du nombre particulièrement important de personnes concernées et de la nature des responsables de traitement qui disposent de prérogatives de puissance publique, la formation restreinte a prononcé un rappel à l’ordre à l’encontre des ministères concernés et rendu publique sa décision.

L'actualité des réseaux

Retour sur le colloque RDPA 2023

Chaque année, le barreau de Marseille organise, en partenariat avec la cour administrative d’appel de Marseille, le tribunal administratif et l’université Aix-Marseille, des rencontres de droit et de procédure administrative (RDPA), dont l’objectif est de réunir à la fois des professionnels du droit (avocats et magistrats) et des praticiens (du secteur public et privé) pour échanger sur un sujet d’actualité du droit public.
Partant du constat suivant lequel les enjeux environnementaux sont aujourd’hui au cœur des politiques publiques et des préoccupations des citoyens, la 21e édition de ce colloque portait sur la prise en compte de ces enjeux dans le domaine de l’aménagement et aux modalités permettant de concilier des injonctions – aménager/préserver l’environnement – qui, de prime abord, pouvaient apparaître contradictoires.

La MRAE et la DREAL PACA ont été conviées à apporter leur contribution à cette manifestation, qui a été ouverte par le directeur des affaires juridiques du pôle ministériel.

Sous l’angle du triptyque de l’aménageur (planification / conception / réalisation), cette journée a permis de réfléchir et d’échanger sur la place du droit de l’environnement dans les normes qui encadrent les opérations d’aménagement, l’évaluation et la prise en compte des enjeux environnementaux dans la planification urbaine ainsi que l’incidence de ce nouveau cadre juridique sur la mise en œuvre des opérations et la pratique des différents acteurs. Ont également été abordées les problématiques de la réhabilitation des sols pollués dans le cadre d’opération d’aménagement mais aussi de la préservation des espèces protégées.

La table ronde consacrée aux « enjeux environnementaux et procédures préalables à l’aménagement » a plus particulièrement permis à la DREAL et à la MRAE de présenter la démarche d’évaluation environnementale, en mettant en relief les grands principes qui guident ce processus et les enjeux associés.

L’objectif était de sensibiliser les acteurs de l’aménagement à l’importance de l’évaluation environnementale, pour parvenir à la réalisation de projets les moins impactants possibles pour l’environnement et pour sécuriser les opérations. À cette occasion, l’accent a été mis sur la nécessité d’intégrer la prise en compte des préoccupations environnementales le plus en amont possible - quand des marges de manœuvre existent encore pour faire évoluer les choix d’aménagement -, mais aussi d’appréhender de manière la plus exhaustive possible les impacts, tout en les hiérarchisant en fonction de nature de l’opération et des enjeux sur le secteur concerné. De même, l’importance de démarche ERC (à mettre en œuvre dans le bon ordre !) et d’une bonne articulation entre les différentes évaluations qui peuvent se succéder, à des échelles différentes – documents d’urbanisme et projet d’aménagement par exemple – ont été soulignées.

Au-delà de cette table ronde, les différentes interventions qui se sont succédées ont permis de riches échanges avec les différents acteurs du secteur, et ont fait émerger le constat que les politiques ou règles environnementales n’étaient désormais plus perçues - ou plus seulement ! - comme des contraintes pesant sur les aménageurs mais comme un enjeu à relever et intégrer dans leurs stratégies ou leurs pratiques.
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3 questions à … ,

Gilles Bloch, président du Muséum national d’Histoire naturelle

Pouvez-vous nous présenter les différentes missions du Muséum national d’Histoire naturelle ? Au regard de la diversité de ces missions - et de vos publics - quelles sont vos différentes priorités pour 2024 ?

Le Muséum est une institution scientifique riche de près de 400 ans d’histoire qui se situe à l’interface entre science, culture et société. À la fois centre de recherche, musée et université, il accueille 2 600 agents sur 12 sites à Paris et en région. Sa mission se décline en cinq grandes activités statutaires indissociables :
  • la recherche : ses 600 chercheurs étudient le tissu vivant et inerte de notre planète depuis leurs origines jusqu’à nos jours ;
  • la gestion des collections : avec près de 68 millions de spécimens conservés et deux millions de documents dans ses bibliothèques, le Muséum recueille la mémoire de la diversité de la nature et la rend accessible aux scientifiques du monde entier ;
  • l’expertise : le Muséum assure une mission d’expertise pour l’État et pour de nombreux acteurs nationaux (collectivités ou entreprises) et internationaux ;
  • l’enseignement : cette activité historique s’appuie sur la recherche et la richesse de nos collections et se caractérise par la pluridisciplinarité des cursus proposés ;
  • la diffusion des connaissances : en 2023, plus de 3,8 millions de visiteurs payants se sont rendus sur nos différents sites pour découvrir notre offre permanente et nos expositions temporaires. 2024 est une année anniversaire pour notre établissement puisque la Grande Galerie de l’Évolution fêtera ses 30 ans et le Parc zoologique les 10 ans de sa réouverture.

    En termes de priorités pour l’année à venir, nous travaillons à moderniser davantage notre façon de travailler. L’un des défis sera de préserver nos collections qui se heurtent à des contraintes d’espace de stockage. La numérisation d’un certain nombre d’entre elles est aussi capitale pour pouvoir faciliter l’accès aux spécimens et les rendre disponibles pour la communauté scientifique. De même, la rénovation de notre patrimoine immobilier, ancien et très dégradé, est indispensable pour l’accueil de nos publics mais aussi pour la qualité de travail de nos agents. Enfin, notre ambition est de poursuivre le travail initié de placer la protection de la biodiversité au cœur du débat public et de permettre à chacun d’appréhender ces enjeux cruciaux pour l’avenir.

Votre établissement a la spécificité de disposer de deux tutelles, comment cela se traduit-il dans votre organisation et dans vos choix stratégiques ?

Notre établissement est en effet sous la double tutelle du ministère de la Transition écologique et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Ce qui peut paraître contre intuitif car le Muséum est surtout connu du grand public pour accueillir du public dans ses jardins, parcs zoologiques et galeries.

En tant qu’établissement de recherche de haut niveau, le Muséum abrite près de 600 chercheurs qui œuvrent à la description, l’archivage et l’analyse scientifique de la géodiversité, de la biodiversité, mais également de la diversité humaine, dans ses dimensions aussi bien biologiques que sociales. Chaque année, ce sont plus de 1 500 publications scientifiques qui paraissent dans les revues les plus prestigieuses. Il joue donc un rôle important dans le rayonnement international de la recherche française.

Mais nos liens sont également très étroits avec le ministère de la Transition écologique notamment à travers notre activité d’expertise. Une activité d’autant plus importante que la confiance dans la science s’est érodée. Or, la science n’est pas affaire de croyance ou d’opinion, pas plus qu’elle ne doit se laisser amadouer par des biais partisans mais s’appuie sur des faits et sur un principe d’universalisme de la connaissance.

C’est là le rôle et la richesse du Muséum : Il mobilise la connaissance du monde qui nous entoure pour accompagner les pouvoirs publics et la société dans son ensemble. Il est urgent de faire entendre la voix de la science, à l’heure où la biodiversité nécessite une attention soutenue de chacun pour rendre vivable notre planète.

Le Muséum a co-édité en novembre dernier un ouvrage sur la justice environnementale. Quel regard portez-vous sur l’apport et l’évolution du droit de l’environnement ces dernières années et comment votre établissement se fait-il l’écho des débats de société sur le sujet à l’heure actuelle ? Plus globalement, quel rôle joue le Museum dans l’aide à la décision des pouvoirs publics et comment travaillez-vous pour une meilleure connaissance de la biodiversité sur le territoire ?

On ne peut que se réjouir de la montée en puissance du droit environnemental porté par les grandes conférences internationales depuis la Conférence de Stockholm en 1972.

La mise en place progressive de cette diplomatie environnementale contribue à éveiller les consciences et à infuser dans l’opinion à grande échelle. D’autant qu’on constate que le curseur se déplace du côté de la biodiversité après avoir longtemps pointé sur les enjeux climatiques. Récemment, le Congrès mondial de l’UICN à Marseille, la COP15 à Montréal ou les différents rapports de l’IPBES procèdent de cette même démarche de mettre sur le devant de la scène la protection de la biodiversité en rappelant sa dimension patrimoniale.

Même si nous sommes au milieu du gué, la prise en considération de la biodiversité comme un enjeu majeur pour l’avenir de la planète est un signal fort. Et s’il reste encore du chemin à parcourir, nous sommes entrés dans une dynamique plus vertueuse qui devra être suivie d’actes.

Ces dernières années, le Muséum s’est doté de nouveaux outils pour porter la voix de l’Histoire naturelle dans le débat public. Je pense bien sûr aux différents Manifestes dont le dernier traite de la justice environnementale mais également à nos Tribunes ou à nos podcasts qui s’adressent aussi bien au public adulte qu’aux plus jeunes (« Pour que nature vive », « Bestioles »…).

On peut également citer notre partenariat avec la SNCF qui propose de faire découvrir les trésors de nos collections dans les gares de France ou encore le Tour de France de la biodiversité qui valorise le patrimoine naturel de chaque étape de la grande boucle depuis plus de 10 ans.

À travers son activité d’expertise, le Muséum s’engage également auprès des acteurs publics et privés en proposant des outils d’action en faveur de la biodiversité.
Ces dispositifs sont au cœur de notre stratégie pour accompagner les pouvoirs publics à faire bouger les lignes et transmettre aux générations futures l’envie d’agir pour protéger le vivant.

N°1 du 23 janvier 2024 - Angle droit 24

Comité éditorial : Olivier Fuchs, Umberto Berkani, Lucie Antonetti, Ninon Boulanger, Soizic Dejou, Sophie Geay, Stéphanie Grossier, Méhar Iqbal, Sabrina Lalaoui, Nadia Lyazid, Olivier Meslin, Sophie Namer, Emma Quarante, Clémence Roul, Louise Soulard, Licia Villotta, Isabelle Volette, Pascal Zabal

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