La e-lettre bimestrielle de la Direction des affaires juridiques

N°6 du 16 novembre 2023 - Angle droit 23

Edito

par Olivier Fuchs


Les générations futures constituent l’un des socles de la pensée de l’écologie et, de Hans Jonas (Pour une éthique du futur) à Michel Serres (Le contrat naturel), leur prise en compte est reconnue comme une nécessité.

La traduction juridique d’une telle exigence ne relève en revanche aucunement de l’évidence. C’est même une « difficulté redoutable » pour reprendre les termes d’Alexandre Kiss (« L’irréversibilité et le droit des générations futures », Revue juridique de l’environnement, 1998, numéro spécial) que de déterminer ce que sont les générations futures et le droit qui leur est applicable. Le concept de patrimoine commun de l’humanité y a souvent été associé dans un premier temps, la dimension patrimoniale permettant certes de matérialiser le temps long et la succession des générations, elles-mêmes fondues dans le grand tout de l’humanité.

La Charte de l’environnement, au septième alinéa de son préambule, propose une autre traduction qui est l’expression d’une recherche d’équité intergénérationnelle ou, à tout le moins, d’un refus de l’aliénation par les générations présentes de la possibilité de choix libre des générations futures : « afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Le Conseil constitutionnel, se saisissant de cet alinéa et le combinant avec l’article 1er de la Charte, en a déduit par deux fois déjà que « lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard » (voir décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023 ; voir également la décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022). En tirant peu à peu les fils de cette exigence, le Conseil constitutionnel contribue à donner de la substance au droit des générations futures, ce dont il faut se réjouir. Le chemin est encore long, certes, pour donner sa pleine ampleur à cette exigence constitutionnelle, mais il est entamé.

Ajoutons que cette exigence de prise en compte du long terme se retrouve bien entendu dans les politiques publiques qui sont menées par le pôle ministériel, ainsi que le montre l’actualité normative et jurisprudentielle présentée dans ce numéro. Qu’il s’agisse des lanceurs d’alerte, du zéro artificialisation nette ou de composante immatérielle du paysage, de participation du public, de carburant bas carbone dans le transport maritime ou de planification énergétique et industrielle, il est évident que l’horizon ne peut en effet pas se cantonner à l’immédiateté.

Je vous souhaite une très bonne lecture !

Zoom sur …

Les lanceurs d’alerte

La protection des lanceurs d’alerte a largement évolué l’année dernière, sous l’effet de la transposition d’une directive européenne : ont été promulguées le 21 mars 2022 une loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte et une loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.

À cette occasion, le législateur national a élargi le champ de la protection des lanceurs d’alerte.

Venant compléter cette législation, le décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 a fixé les modalités d’établissement des procédures de recueil et de traitement des signalements.

Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ?

Un lanceur d’alerte est une personne physique, éventuellement anonyme, qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des faits constitutifs d’une infraction.

Le signalement peut porter sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement.

Le dispositif de protection des lanceurs d’alerte se distingue :
  • De l’obligation de tout fonctionnaire de donner avis, sans délai, au procureur de la République des crimes et délits dont il acquiert connaissance dans l’exercice de ses fonctions (article 40 al. 2 du code de procédure pénale),
  • De l’alerte et du droit de retrait relatifs aux situations de travail présentant un danger grave et imminent pour la vie ou la santé et aux défectuosités dans les systèmes de protection (article 5-6 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique).

Le lanceur d’alerte peut signaler les faits selon la procédure interne de recueil et de traitement des signalements mise en place par son employeur, ou à défaut saisir son supérieur hiérarchique.

Une alerte externe est également possible. Le signalement externe peut être adressé au défenseur des droits, à l’autorité judiciaire, à une institution, un organe ou un organisme de l’Union européenne, ou encore à l’autorité compétente dans le domaine de l’alerte. Les autorités compétentes sont listées dans une annexe au décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 : ainsi, par exemple, l’inspection générale de l’environnement et du développement durable peut être saisie d’alertes concernant la protection de l’environnement, la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture reçoit les alertes concernant la sécurité des transports maritimes et la direction générale de l’aviation civile reçoit celles en matière de sécurité des transports aériens.

Le signalement, écrit ou oral, peut porter sur des informations apprises dans ou hors du cadre professionnel du lanceur d’alerte, sous réserve, dans ce second cas, qu’il en ait eu connaissance personnellement.

Dans certains cas seulement, l’alerte peut prendre la forme d’une divulgation publique, notamment en cas de danger grave et imminent pour le lanceur d’alerte, ou si le lanceur d’alerte risque des représailles en saisissant l’autorité externe.

Quelle protection pour le lanceur d’alerte ?

D’une part, le lanceur d’alerte n’est pas responsable civilement et pénalement des dommages causés par son signalement s’il avait des motifs raisonnables de croire, lorsqu’il y a procédé, que le signalement était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause.

D’autre part, la loi interdit les représailles à l’encontre des lanceurs d’alerte. Il ne peut notamment pas faire l’objet d’une mesure discriminatoire ou disciplinaire en raison de son signalement, ni de menaces ou de tentatives de recourir à une telle mesure.
Ainsi, par exemple, la cour administrative d’appel de Paris a annulé, par un arrêt n° 21PA04628 du 28 juin 2023, une sanction d’avertissement prise à l’encontre d’un policier qui, ayant informé son supérieur hiérarchique de mauvais traitements et de propos injurieux et racistes à l’égard de personnes déférées, avait la qualité de lanceur d’alerte.

Enfin, le lanceur d’alerte a droit à la confidentialité de son identité, de celle de toute personne mentionnée dans le signalement, ainsi que des informations dénoncées.

L'actualité jurisprudentielle

Environnement (Déchets)


CE, 29 septembre 2023, Société PPG AC France et Cromology Services, n° 475737, Inédit

Environnement - Déchets - Responsabilité Elargie du Producteur

Constitutionnalité du dispositif de sanction des producteurs de produits générateurs de déchets

Le Conseil d’État juge que n’est pas sérieux le moyen tiré de ce que le dispositif de détermination du montant des sanctions applicables aux producteurs de produits générateurs de déchets méconnaitrait les principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité des peines. Il refuse donc de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité dont il était saisi.

En application du principe dit de « responsabilité élargie du producteur » (« REP ») issu de la directive européenne n° 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets et des articles L. 541-10 et suivants du code de l’environnement, les producteurs, importateurs ou distributeurs de produits sont tenus de pourvoir ou de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en sont issus. Afin d’assurer la mise en œuvre effective de cette obligation, le code de l’environnement prévoit qu’en cas « d’inobservation d’une prescription » encadrant le fonctionnement des régimes de responsabilité élargie des producteurs, le ministre chargé de l’environnement peut prononcer une amende administrative « dont le montant tient compte de la gravité des manquements constatés et des avantages qui en sont retirés ».

Deux sociétés productrices de produits chimiques se sont vues infliger une amende administrative sur ce fondement, au motif que l’éco-organisme dont elles assuraient la gouvernance avait momentanément cessé d’accomplir ses missions de financement de la collecte des déchets par les collectivités territoriales. Pour contester ces sanctions, elles soulevaient en particulier l’inconstitutionnalité du dispositif.

Rappelant « l’intérêt public qui s’attache à la prévention des atteintes à l’environnement et à la limitation de leurs conséquences, ainsi qu’à la contribution à la réparation des dommages causés à l’environnement par leur auteur », le Conseil d’État juge que les dispositions contestées ne méconnaissent pas les principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines dès lors qu’elles prévoient un montant plafonné par unité ou par tonne de produit concerné, que l’amende doit être définie selon les avantages qui sont retirés du comportement réprimé et que l’autorité administrative est appelée, sous le contrôle du juge administratif, à tenir compte des circonstances dans lesquelles les manquements sont intervenus, de leur gravité, ainsi que des conséquences que ces manquements ont pu avoir pour les collectivités territoriales chargées de la collecte des déchets.

Compte tenu de ces critères de détermination des sanctions, le Conseil d’État juge également qu’il ne peut être reproché aux dispositions de l’ancien article L. 541-10-11 du code de l’environnement de méconnaitre le principe de légalité des peines, l’égalité devant la loi et les droits de la défense ou encore l’objectif constitutionnel d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

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Environnement (Éolien terrestre)


CE, 4 octobre 2023, Société Combray Energie, n° 464855, aux Tables

Atteinte à la protection des paysages – Dimension immatérielle (littéraire) du paysage

À la recherche du paysage perdu


Pour l’application des articles L. 350-1 A et L. 511-1 du code de l’environnement, le juge des installations classées pour la protection de l’environnement apprécie le paysage et les atteintes qui peuvent lui être portées en prenant en considération des éléments présentant, le cas échéant, des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques, y compris littéraires.

Statuant sur la légalité d’un arrêté préfectoral refusant d’autoriser l’exploitation d’un parc éolien au sud-ouest de la commune d’Illiers-Combray, la cour administrative d’appel de Versailles avait relevé que la réalisation du projet de parc éolien risquerait de porter une atteinte significative notamment à l’intérêt paysager et patrimonial du site remarquable, classé au titre de l’article L. 631-1 du code du patrimoine, du village d’Illiers-Combray et de ses abords. Or, le classement de ce site, qui a le caractère d’une servitude d’utilité publique, trouve son fondement dans la protection et la conservation de paysages étroitement liés à la vie et à l’œuvre de Marcel Proust, dont un parcours pédestre favorise la découverte. De plus, le clocher de l’église d’Illiers-Combray et le jardin du Pré Catelan, dessiné par Jules Amiot, oncle de Marcel Proust, sont classés au titre des monuments historiques.

Le Conseil d’État juge que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en prenant ainsi en considération des éléments qui ont trait aux dimensions historiques, mémorielles, culturelles et notamment littéraires du paysage.

Bien entendu, comme l’a souligné le rapporteur public, « la seule évocation d’un paysage dans une œuvre littéraire ne saurait lui conférer une immunité faisant obstacle à l’implantation de toute installation ICPE ». Ainsi, si cette décision fait entrer le patrimoine littéraire dans le paysage jurisprudentiel du Conseil d’État en la matière, elle ne permet pas d’interdire l’implantation d’un parc éolien au seul motif que le paysage dans lequel il s’inscrit serait évoqué dans une œuvre littéraire.

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Environnement (Évaluation environnementale)


CE, 4 octobre 2023, FNE et USH, nos 465921 et 467653, Inédit

Evaluation environnementale - Examen au cas par cas - Article R. 122-2-1 du code de l’environnement

Le Conseil d’État repêche l’essentiel de la « clause filet »



Dans une précédente décision, le Conseil d’État avait considéré que la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement, relative aux projets soumis à évaluation environnementale ou à examen au cas par cas, ne permettait pas de garantir que tous les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement fassent effectivement l’objet d’une évaluation environnementale (CE, 15 avril 2021, FNE, n° 425424, aux Tables). En effet, alors que la nomenclature comprenait des seuils d’exclusion, il a jugé qu’« en ne prévoyant pas de soumettre à une évaluation environnementale, lorsque cela apparaît nécessaire, des projets qui, bien que se trouvant en-deçà des seuils qu’il fixe, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine en raison notamment de leur localisation », la disposition méconnaissait les objectifs de la directive du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. En conséquence, le Conseil d’État avait enjoint au Premier ministre de prendre des dispositions réglementaires à cet effet.

C’est en application de cette décision que le décret n° 2022-422 du 25 mars 2022 relatif à l’évaluation environnementale des projets, créant un article R.122-1-1 du code de l’environnement, a mis en place un dispositif de rattrapage, communément appelé « clause-filet », permettant à l’autorité compétente, dans certaines conditions, de soumettre à examen au cas par cas tout projet situé en-deçà des seuils de la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement qui lui apparaît susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine.

Les associations France Nature Environnement (FNE) et Union Sociale pour l’Habitat (USH) ont demandé l’annulation de ce décret.

Le Conseil d’État écarte notamment les moyens tirés de la méconnaissance du principe de clarté et d’intelligibilité de la norme, du principe de participation du public ou encore des exigences de l’article 9 bis de la directive du 13 décembre 2011 relatives à la prévention des conflits d’intérêts.

Il accueille néanmoins l’un des moyens soulevés, conduisant à une annulation seulement partielle, en considérant que le décret aurait dû prévoir une exception au principe du « silence vaut acceptation » qui s’applique aux déclarations préalables en matière d’urbanisme, ce principe ne pouvant s’appliquer lorsque, grâce à la clause-filet, le projet est soumis à évaluation environnementale, dès lors que les décisions conduisant à autoriser un projet soumis à évaluation environnementale doivent être expresses (selon une lecture combinée des dispositions des articles L. 122-1-1 et L. 123-2 du code de l’environnement et L. 424-4 du code de l’urbanisme). Seul l’article 8 du décret du 25 mars 2022 est donc annulé, et uniquement en tant qu’il ne prévoit pas l’hypothèse susvisée.

Cette décision du Conseil d’État valide ainsi l’essentiel du dispositif qui permet de sécuriser les projets au regard de la jurisprudence, en cours de construction, sur la question de la soumission à évaluation environnementale des projets situés en-deçà des seuils de la nomenclature (v. par exemple, CAA Marseille, 20 janvier 2023, n° 20MA04635, Ligue pour la protection des oiseaux), s’agissant d’une décision de non-opposition à déclaration portant sur un parc éolien).

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Environnement (Risques)


CE, 13 octobre 2023, Collectif des maires antipesticides, n° 463247, Inédit

Concentration des produits phytopharmaceutiques dans l’air ambiant – Absence de carence fautive

L’absence de règlementation limitant les concentrations de pesticides dans l’air ambiant ne constitue pas, en l’espèce, une carence fautive de l’État




Le Conseil d’État juge que le Collectif des maires antipesticides ne justifie pas de « l’existence d’une carence illégale de l’État à prendre des mesures utiles pour réglementer et protéger la population contre la pollution de l’air par les pesticides ».

Le Conseil d’État était saisi d’une demande d’annulation du refus implicite de la ministre de la transition écologique d’édicter une réglementation destinée à encadrer l’usage des pesticides par la fixation de valeurs limites de concentration dans l’air ambiant. Le collectif demandait également qu’il soit enjoint au ministre de prendre toutes mesures utiles pour réglementer et protéger la population contre la pollution de l’air par les pesticides.

Le Conseil d’État rejette la requête au motif qu’aucune des études invoquées ne concerne la pollution de l’air ambiant par les pesticides. Les études produites par les requérants portaient en effet sur d’autres risques, liés à la pollution des eaux et des sols par les pesticides, ou encore à leur usage par les professionnels, pour lesquels il existe des réglementations. Ces études ne permettent pas d’établir, au-delà des risques propres aux riverains affectés par l’épandage de pesticides, la pollution de l’air ambiant par ces produits, alors notamment qu’il n’existe aucune recommandation spécifique des agences sanitaires à ce sujet. Le juge administratif a donc considéré que n’était pas justifiée une carence fautive de l’État à adopter une réglementation relative à la pollution de l’air ambiant par les pesticides.

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Transports (Terrestre)


CE, 27 septembre 2023, Société Coyote System, n° 468050, Inédit

Procédure – Consultation préalable du public en cas d’incidence directe et significative sur l’environnement – Encadrement des services numériques d’assistance aux déplacements

Les informations et propositions fournies par les calculateurs d’itinéraires de déplacement ont une incidence sur l’environnement



Le Conseil d’État juge qu’un décret, définissant les informations que les services numériques d’assistance aux déplacements (i.e. les calculateurs d’itinéraires) doivent porter à la connaissance de leurs utilisateurs, a une incidence directe et significative sur l’environnement. En conséquence, son adoption devait être précédée d’une consultation du public.

La loi Climat et résilience du 22 août 2021 a créé une nouvelle obligation d’information des utilisateurs des services numériques d’assistance aux déplacements, quant aux impacts environnementaux de leurs déplacements. L’article L. 1115-8-1 du code des transports prévoit ainsi, notamment, que ces services indiquent les restrictions de circulation en zones à faibles émissions, ne doivent pas favoriser exclusivement l’utilisation du véhicule individuel, proposent un classement des itinéraires suggérés en fonction de leur impact environnemental et « visent à faciliter les déplacements monomodaux ou multimodaux au moyen de services de transport, de véhicules, de cycles, d’engins personnels de déplacement ou à pied ».

La société Coyote system, opérateur sur le marché des services numériques d’assistance aux déplacements, a contesté le décret du 3 août 2022 définissant les modalités d’application de cette obligation d’information.

Constatant que le décret a pour finalité, par l’intermédiaire de ces services, de mettre en avant les itinéraires dont l’impact est le plus faible en termes d’émissions de gaz à effet de serre, le Conseil d’État juge que « eu égard à sa finalité et à sa portée, ce décret, en encadrant les informations et les propositions fournies aux utilisateurs de véhicules individuels et de services de transports par les services numériques d’assistance aux déplacements, qu’ils consultent massivement, contribue à modifier leurs comportements au regard, en particulier, des incidences environnementales du choix des modes de transport et des trajets qu’ils empruntent ».

Il en conclut que le décret du 3 août 2022 « doit être regardé comme ayant une incidence directe et significative sur l’environnement, au sens des dispositions de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement précédemment citées. Son adoption devait, par conséquent, être précédée, à peine d’illégalité, d’une consultation préalable du public conformément à ces dispositions. ».

Avec cette décision, le Conseil d’État confirme qu’il faut avoir une conception extensive de l’obligation de participation.

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CE, 18 septembre 2023, Commune de Saint-Simon-de Bordes, n° 472320, Inédit

Compétence au sein de la juridiction administrative – Arrêté dépourvu de caractère règlementaire

Sans caractère réglementaire, pas de compétence du Conseil d’État



Le Conseil d’État juge que l’arrêté interministériel du 31 décembre 2022, établissant la liste des communes dans lesquelles est instituée une taxe spéciale d’aménagement destinée à financer la société du Grand Projet du Sud-Ouest, ne revêt pas un caractère réglementaire. Par suite, il en déduit que le recours en excès de pouvoir dont il était saisi contre cet arrêté ne relève pas de sa compétence de premier et dernier ressort.

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Urbanisme et aménagement


CE, 4 octobre 2023, Association des maires de France, nos 465341 et 465343, Inédit

Lutte contre l’artificialisation des sols – Incompétence négative

La mise en œuvre de l’objectif « zéro artificialisation nette » franchit une étape contentieuse importante… malgré des « polygones » juridiquement peu carrés !



Sous réserve d’une insuffisante définition de l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d’urbanisme, le Conseil d’État valide les décrets relatifs aux dispositifs de lutte contre l’artificialisation des sols. Une étape supplémentaire vers l’objectif de « zéro artificialisation nette » à l’horizon 2050 est ainsi franchie.

L’association des maires de France sollicitait l’annulation de deux décrets du 29 avril 2022 pris pour l’application de la loi dite Climat et résilience du 22 août 2021, qui prévoit un objectif de lutte contre l’artificialisation des sols. Le premier de ces décrets fixe les objectifs et règles générales en matière de lutte contre l’artificialisation des sols devant être prévus dans les documents de planification régionale que sont les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). Le second porte nomenclature de l’artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents d’urbanisme. Il définit le processus d’artificialisation des sols et détermine les surfaces devant être considérées comme artificialisées et celles comme non artificialisées, dans le cadre de la fixation et du suivi des objectifs de lutte contre ce phénomène dans les documents de planification et d’urbanisme.

Le Conseil d’֤État rejette la requête dirigée contre le décret n° 2022-762 portant sur les règles à prévoir dans le SRADDET, en relevant notamment que la détermination par le fascicule du SRADDET des règles territorialisées, qui permettent d’assurer la déclinaison des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols entre les différentes parties du territoire régional, ne méconnaît pas les principes issus de la loi Climat et résilience. De même, le Conseil d’État considère que les efforts déjà réalisés en matière de gestion économe des sols pourront être suffisamment pris en compte lors de l’élaboration du document régional.

En revanche, le Conseil d’État censure partiellement le décret n° 2022-763, dit décret « nomenclature », en jugeant qu’en se contentant de se référer à la simple notion de « polygone » puis en renvoyant, pour la définition de la surface de ces polygones, à un arrêté du ministre chargé de l’urbanisme et aux standards du Conseil national de l’information géographique (CNIG), le décret attaqué ne peut pas être regardé comme ayant suffisamment défini l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d’urbanisme.

Par cette seconde décision, le Conseil d’État rappelle et souligne l’exigence de précision dans la rédaction des décrets, lesquels ne peuvent renvoyer trop largement vers des arrêtés ministériels pour la détermination des modalités techniques d’application.

La nouvelle version du décret litigieux, actuellement en consultation, avait déjà prévu de corriger cette imprécision en assortissant la nomenclature définie en annexe de seuils de référence pour la définition des surfaces artificialisées et non artificialisées.

Le Conseil d’État ayant validé l’ensemble des autres dispositions des décrets attaqués, les dispositifs de lutte contre l’artificialisation des sols, au travers du « zéro artificialisation nette », se trouvent ainsi confortés.

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CE, 4 octobre 2023, M. et Mme C., n° 467962, aux Tables

Application des règles fixées par les POS ou les PLU - Opposabilité du plan - Utilisation de matériaux ou procédés favorables aux performances environnementales et énergétiques

L’article L. 111-16 du code de l’urbanisme ne permet pas d’écarter les dispositions du PLU qui visent à imposer la bonne intégration des projets dans le bâti existant



Le Conseil d’État précise, en application de l’article L. 111-16 du code de l’urbanisme, comment concilier les règles locales d’urbanisme relatives à l’aspect extérieur des constructions et les exigences de l’éco-construction.

En l’espèce, des propriétaires ont obtenu une décision de non opposition à déclaration préalable pour un projet de panneaux solaires thermiques en toiture mais, compte tenu de l’inclinaison des panneaux en question qui formaient une saillie particulièrement visible sur la toiture, la décision de non-opposition était assortie d’une prescription destinée à garantir l’insertion de ces panneaux dans la pente du toit. Les bénéficiaires de l’autorisation ont saisi le tribunal administratif de Grenoble afin d’obtenir l’annulation de la décision de non opposition en tant qu’elle était assortie de la prescription précitée. Leur requête ayant été rejetée par le tribunal et la cour, ils ont formé un pourvoi devant le Conseil d’État.

L’article L. 111-16 du code de l’urbanisme prévoit que, « nonobstant les règles relatives à l’aspect extérieur des constructions » contenues dans les documents locaux d’urbanisme, une autorisation d’urbanisme « ne peut s’opposer à l’utilisation de matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés de construction permettant d’éviter l’émission de gaz à effet de serre, à l’installation de dispositifs favorisant la retenue des eaux pluviales ou la production d’énergie renouvelable ». Il précise que l’autorisation « peut néanmoins comporter des prescriptions destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant ».

Interprétant pour la première fois ces dispositions, le Conseil d’État juge que « l’article L. 111-16 du code de l’urbanisme n’a ni pour objet, ni pour effet d’écarter l’application des dispositions réglementaires d’un plan local d’urbanisme relatives à l’aspect extérieur des constructions qui, sans interdire l’utilisation de matériaux ou procédés permettant d’éviter l’émission de gaz à effet de serre ou l’installation de dispositifs destinés à la production d’énergie renouvelable (…) imposent la bonne intégration des projets dans le bâti existant et le milieu environnant ».

Il en résulte que les dispositions d’un PLU qui exigent que l’insertion de tels dispositifs soit cohérente avec l’architecture de la construction sont opposables à une demande d’autorisation d’urbanisme.

L’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme peut ainsi se fonder sur les règles du PLU pour assurer la bonne intégration architecturale des dispositifs d’éco-construction. L’autorité agit alors par voie de prescription, les modifications portant sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet.

L'actualité normative

Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte

Le 16 mai 2023, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministre délégué chargé de l’industrie ont déposé au Sénat un projet de loi industrie verte. Son ambition était double : accélérer les efforts en faveur de la création d’emplois industriels et faire de l’industrie française un levier de réduction de l’empreinte carbone du pays.

La loi, qui a suivi la procédure accélérée devant le Parlement, comporte trois titres.

Son titre 1er comporte des mesures destinées à faciliter et à accélérer les implantations industrielles et à réhabiliter les friches. La loi prévoit notamment une planification du développement industriel à l’échelle régionale, au travers des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). Elle comporte des mesures de facilitation et d’accélération des procédures pour certains projets, et notamment d’accélération de la procédure d’autorisation environnementale, dès lors que la consultation du public est désormais menée en parallèle de l’instruction de la demande d’autorisation. Le débat public ou la concertation préalable peuvent également être mutualisés pour plusieurs projets d’aménagement ou d’équipement situés sur un même territoire. Une procédure exceptionnelle est mise en place pour les projets industriels d’intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale, qui seront identifiés par décret : mise en compatibilité plus rapide des documents locaux d’urbanisme et des documents de planification régionale, procédures de raccordement électrique accélérées, délivrance du permis de construire par l’État et non par les communes, qualification de raison impérative d’intérêt public majeur permettant d’obtenir une dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées pour certaines catégories de projets.

En matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, la loi renforce les pouvoirs de l’administration à l’égard des exploitants en situation irrégulière et des entreprises défaillantes, tout en limitant l’obligation de constitution de garanties financières, jugée inefficace.

Par ailleurs, l’article 2 de la loi, issu d’un amendement parlementaire, prévoit que l’État élabore une stratégie nationale pour une industrie verte pour la période 2023-2030, en déterminant notamment les filières stratégiques qui doivent être implantées ou développées prioritairement sur le territoire national.

Le titre 2 de la loi traite des enjeux environnementaux de la commande publique. La loi prévoit notamment l’extension à de nouveaux acheteurs de l’obligation d’adopter un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables, et la possibilité pour les acheteurs d’exclure des procédures de passation des contrats de la commande publique les entreprises qui ne satisfont pas à l’obligation d’établir un bilan des émissions de gaz à effet de serre prévue par l’article L. 229-25 du code de l’environnement.

Le titre 3 de la loi prévoit des mesures destinées à financer l’industrie verte. Elle crée notamment un nouveau produit d’épargne destiné aux personnes de moins de 21 ans, le « plan d’épargne avenir climat ».

La loi relative à l’industrie verte a été promulguée le 23 octobre sans que le Conseil constitutionnel en ait été saisi. Elle se place dans la lignée de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, et de la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, qui participent à placer les enjeux climatiques au cœur de l’action de l’État.

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Ordonnance n° 2023-870 du 13 septembre 2023 tendant à l’accélération de la délivrance et la mise en œuvre des autorisations d’urbanisme permettant la reconstruction et la réfection des bâtiments dégradés au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023

Ordonnance n° 2023-871 du 13 septembre 2023 visant à faciliter le financement de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023

Dans le cadre de l’habilitation conférée au Gouvernement par la loi n° 2023-656 du 25 juillet 2023 relative à l’accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, et à la suite de l’ordonnance du 26 juillet 2023 intervenue en matière de commande publique (cf. l’actualité normative du précédent numéro d’Angle droit), deux nouvelles ordonnances ont été publiées.

La première intervient dans le champ de l’urbanisme, ainsi que le permet l’articler 1er de la loi du 25 juillet 2023. Elle s’applique aux demandes d’autorisations d’urbanisme concernant les bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, déposées dans un délai de dix-huit mois suivant son entrée en vigueur.

Elle permet d’autoriser les reconstructions et réfections à l’identique ou avec certaines améliorations des bâtiments dégradés ou détruits, sans que les dispositions du plan local d’urbanisme puissent y faire obstacle. Elle déroge ainsi à l’article L. 111-15 du code de l’urbanisme, qui permet la reconstruction à l’identique, sauf lorsqu’un document d’urbanisme en dispose autrement.

Dans un souci d’accélération des reconstructions, l’ordonnance prévoit que les opérations et travaux de démolition, de terrassement et de fondation peuvent être engagés dès le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme. Elle réduit les différents délais d’instruction, de consultation et d’avis dans le cadre de demandes d’autorisations. Elle prévoit en particulier que les permis de construire, d’aménager ou de démolir sont instruits en un mois, et les déclarations préalables en quinze jours. Elle dispose, enfin, que lorsqu’est nécessaire une procédure de participation du public, celle-ci peut être mise en œuvre par voie électronique, et que les projets peuvent être exemptés d’enquête publique.

La seconde ordonnance du 13 septembre 2023, prise en application de l’article 3 de la loi du 25 juillet 2023, intervient pour faciliter le financement de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits. Elle déroge sur trois points aux règles de financement des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics, afin de réduire l’impact des opérations de reconstruction ou de réfection sur leur budget. Elle permet ainsi que le fonds de compensation de la TVA soit versé de manière anticipée l’année d’exécution des dépenses, lorsque ces dépenses sont engagées pour la réparation des dommages résultant des actes de dégradation. Elle crée une exception à l’obligation de participation minimale du maître d’ouvrage, permettant ainsi de couvrir la totalité des coûts de reconstruction par des subventions. Elle supprime enfin, à titre dérogatoire, le plafonnement des fonds de concours versés entre les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et leurs communes membres.

Deux projets de lois de ratification de ces ordonnances ont été déposés devant l’Assemblée nationale.

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Règlement (UE) 2023/1805 du Parlement européen et du Conseil du 13 septembre 2023 relatif à l’utilisation de carburants renouvelables et bas carbone dans le transport maritime

Ce règlement, dit FuelEU Maritime, vise à accroître la demande et l’utilisation cohérente de carburants renouvelables et bas carbone, ainsi qu’à réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur maritime, tout en garantissant la fluidité du trafic maritime et en évitant les distorsions sur le marché intérieur.

Pour ce faire, il comporte un ensemble de dispositions portant sur l’intensité des émissions de gaz à effet de serre des carburants utilisés par les navires, le soutien à l’adoption des "carburants renouvelables d’origine non biologique", l’exclusion des combustibles fossiles des processus de certification, l’obligation pour les navires à passagers et les porte-conteneurs d’utiliser l’alimentation électrique à quai, ou encore la mise en place de bilans de conformité pour les flottes de navires. Il établit par ailleurs des mécanismes de sanction pécuniaire dont les recettes devraient être utilisées pour des projets de soutien à la décarbonation du secteur maritime.

L’initiative FuelEU Maritime s’inscrit dans le cadre du paquet réglementaire "Ajustement à l’objectif 55" (Fit for 55). Présenté par la Commission européenne en juillet 2020, ce paquet vise à permettre à l’UE de réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 et d’atteindre la neutralité climatique en 2050.

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Décret n° 2023-921 du 5 octobre 2023 relatif à l’enregistrement des navires et à certaines règles concernant les hypothèques maritimes

Avec ce décret s’achève la codification dans le code des transports des règles relatives à l’enregistrement des navires, ainsi que des règles relatives à l’hypothèque maritime. L’enregistrement des navires, résultant de la fusion des procédures de francisation et d’immatriculation opérée par l’ordonnance n° 2021-1843 du 22 décembre 2021, et ses opérations connexes (radiation, gel, publicité et mutations de propriété sous pavillon français) sont désormais transférés aux services en charge des affaires maritimes. Les hypothèques maritimes sont quant à elles transférées aux greffes des tribunaux de commerce ainsi qu’au guichet unique du registre international français.

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Décret n° 2023-975 du 23 octobre 2023 précisant le cadre d’emploi des équipes privées de protection des navires

Ce texte complète les dispositions du décret n° 2023-252 du 4 avril 2023 relatif au cadre d’emploi des équipes privées de protection des navires, pris notamment en application des articles L. 5441-1 à L. 5442-12 du code des transports. Les agents des équipes privées de protection des navires peuvent intervenir à bord des navires battant pavillon français, à la demande et pour le compte de l’armateur, pour assurer une mission de protection en cas d’actes de terrorisme ou de piraterie. Le décret du 23 octobre 2023 précise notamment que la dotation en armes de ces agents est déterminée par la localisation de la menace selon qu’il s’agit d’actes de piraterie, à l’extérieur du navire, ou d’actes de terrorisme, à bord du navire.

L'actualité des réseaux

Rencontre avec les parquets



Le 3 octobre 2023, a eu lieu dans les locaux de la DREAL Hauts-de-France, la rencontre entre les parquets du ressort de la cour d’appel de Douai et les services en charge des polices pénales de l’environnement, de l’urbanisme et des transports : la DREAL, les DDTM du Nord et de Pas-de-Calais, l’Office français de la biodiversité et l’Aurorité de sûreté nucléaire.

Cet événement bisannuel, organisé par le service juridique mutualisé, a rassemblé une trentaine de participants, dont Mmes les procureures de la République de Lille et de Valenciennes.

Chaque service a pu présenter son organisation et le bilan de son activité pénale. Les échanges, très riches, ont aussi permis d’évoquer les différentes problématiques rencontrées telles que le besoin de formation des magistrats en charge des contentieux techniques et la nécessaire communication entre les services de l’État et les services de la Justice.

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3 questions à … ,

Pascal Berteaud, Directeur général du Cerema

Pouvez-vous nous présenter le Cerema, en particulier ses missions, son expertise et son implantation territoriale ?

Le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) a été créé en 2014. C’est un établissement public à caractère administratif, centre de ressources techniques et scientifiques au service de l’État et des collectivités territoriales, qui apporte son concours à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques en matière d’aménagement du territoire et d’adaptation au changement climatique.

Le Cerema privilégie l’innovation, l’expertise et la méthodologie, la capitalisation et la diffusion des savoir-faire et des connaissances techniques et scientifiques. Il assure également des interventions opérationnelles dans ses domaines d’activités, notamment dans l’urgence et après les crises, en intégrant, depuis le 1er janvier 2021, le centre national des ponts de secours (CNPS).

Labellisé Institut Carnot depuis 2020, l’établissement dispose aussi d’une dizaine d’équipes de recherche qui opèrent dans le champ de l’adaptation au changement climatique au profit des territoires. L’établissement dispose d’un centre de ressources et d’une plateforme ouverte qui vise à diffuser les connaissances.

Avec 26 implantations (23 en métropole et 3 en outre-mer) totalisant 2 500 agents, le Cerema dispose enfin d’un réseau de proximité fort d’une connaissance historique des problématiques et des contextes locaux.

Quelles sont les spécificités de cet établissement public? Pouvez-vous nous expliquer la portée concrète de sa réforme statutaire ? Quel premier bilan en tirez-vous, en terme de gouvernance et dans le rôle du Cerema vis-à-vis des collectivités territoriales ?

Le Cerema est un établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et le premier établissement à pilotage partagé entre l’État et les collectivités territoriales.

L’article 159 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (loi dite « 3DS »), dont le décret d’application a été publié le 16 juin 2022, est venu modifier la nature juridique de l’établissement en lui conférant un mode de gouvernance partagé entre les collectivités territoriales adhérentes et l’État, et en leur permettant un mode de passation des marchés publics simplifié.

Le texte renforce ainsi la gouvernance et le contrôle exercé par les collectivités territoriales sur l’établissement. Les collectivités influent ainsi davantage sur les orientations stratégiques de l’établissement et leurs déclinaisons opérationnelles. Elles contribuent à définir une expertise, des formations et des ressources au plus près de leurs enjeux en matière d’environnement, d’infrastructures et de transports, de prévention des risques, de sécurité routière et maritime, d’urbanisme, de construction et d’habitat, de climat et de transition énergétique.

Par un système d’adhésion volontaire, les collectivités territoriales et leurs groupements, peuvent désormais se saisir pleinement des ressources du Cerema, mobiliser plus facilement son expertise et accéder aux solutions innovantes qu’il développe.

Moins d’un an après le début de la campagne d’adhésion, le Cerema compte plus de 800 collectivités adhérentes, soit la quasi-totalité des régions, 80 départements, 367 communes et 353 EPCI, confirmant ainsi l’intérêt des collectivités aux domaines d’intervention de l’établissement.

Les premières instances régionales de gouvernance de l’établissement ont réuni plus de 1 000 participants composés des services de l’Etat local et plus de 50 % des collectivités adhérentes. Les échanges ont été nourris et constructifs et ont confirmé les attentes de territoires sur des accompagnements intégrés ou thématiques sur le champ de l’adaptation au changement climatique.

Comment le Cerema participe-t-il aux grandes problématiques environnementales actuelles, en particulier en matière de climat et de qualité de l’air ? Quels nouveaux chantiers pourraient être menés dans ce domaine ?

En juillet 2020, le Conseil d’État a constaté les insuffisances de l’action du gouvernement en matière de qualité de l’air et lui a enjoint de prendre des mesures pour réduire la pollution de l’air, sous astreinte de 10 M€ par semestre de retard. Par deux décisions en août 2021 et octobre 2022, il a estimé que des actions supplémentaires restaient nécessaires et a en conséquence condamné l’État à verser trois astreintes de 10 M€ chacune à destination de plusieurs organismes et associations engagés dans la lutte contre la pollution de l’air, dont le Cerema à hauteur de 7,5 M€.

Grâce à cette enveloppe, le Cerema a élaboré un programme national d’actions (« programme qualité de l’air ») s’inscrivant dans un objectif global d’amélioration de la qualité de l’air. Il a sélectionné et mis en avant, début 2022, 34 projets ayant des effets positifs directs sur la qualité de l’air ou permettant de mieux évaluer l’impact de certaines politiques publiques en matière de mobilité sur la qualité de l’air. Tous ces projets sont détaillés sur notre site internet. Je citerai par exemple l’amélioration des modalités d’organisation de la logistique urbaine en périmètre Zones à faibles émissions (ZFEm), ou encore la création de bases de données trafic standardisées relatives à la qualité de l’air.

Le Cerema a inscrit ces actions dans une triple démarche :
  • d’accompagnement concret des territoires à l’élaboration des politiques publiques, notamment des zones à faibles émissions mobilités (2022-2024)
  • de diffusion de la connaissance sur les sujets comme la mobilité ou l’urbanisme en lien avec la qualité de l’air, en réalisant des conférences techniques territoriales (CTT) dans chaque région (2022-2024)
  • d’amélioration de la connaissance en poursuivant les travaux visant à mieux appréhender les leviers de réduction des polluants, ainsi que leurs effets sur notre environnement et notre santé (2022-2023).

    Plus largement, le Cerema estime que les projets dans les territoires doivent dès à présent penser à leur adaptation au climat de demain. Expert de référence plaçant le climat au cœur de son action, le Cerema apporte son expertise pluridisciplinaire pour aider les acteurs des territoires à relever le défi de la transition écologique, accompagner les politiques et les projets d’aménagement et de transports, de leur émergence à leur mise en œuvre dans les territoires, tout en prenant en compte les enjeux climatiques et en répondant aux nouvelles aspirations des habitants. Le Cerema fait ainsi une priorité de l’adaptation au changement climatique, condition sine qua non de la résilience des territoires et, partant, de leur capacité à se transformer vers des modèles sobres en carbone.

N°6 du 16 novembre 2023 - Angle droit 23

Comité éditorial : Olivier Fuchs, Umberto Berkani, Lucie Antonetti, Ninon Boulanger, Soizic Dejou, Sophie Geay, Méhar Iqbal, Sabrina Lalaoui, Olivier Meslin, Sophie Namer, Emma Quarante, Clémence Roul, Louise Soulard, Licia Villotta, Isabelle Volette, Pascal Zabal

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