La e-lettre bimestrielle de la Direction des affaires juridiques

N°5 du 15 septembre 2023 - Angle droit 22

Edito

par Olivier Fuchs


En cette rentrée, le contenu du cartable d’Angle droit ne manque pas de diversité, illustrant la variété des sujets qui sont traités au quotidien par nos ministères.

De nombreuses décisions de justice ont d’abord marqué la période estivale, qui feront voyager le lecteur de l’océan indien au Pacifique, mais aussi de la montagne (dans les Pyrénées où évoluent les ours bruns ou pour apporter des précisions sur ce qui est constructible en zones de montagne) à la mer, par exemple sur le littoral de Dunkerque au large duquel un parc éolien offshore est projeté, en passant par les villes et les campagnes. Cette actualité interroge également la conformité à la Constitution de l’interdiction des étiquettes non compostables sur les fruits et légumes, des obligations de verdissement des parcs automobiles privés ou encore des autorisations de stationnement des taxis.

L’été a été riche, également, de deux lois qui font l’objet d’une analyse, la première relative à la lutte contre le dumping social transmanche, la seconde habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures nécessaires à l’accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023.

Ce numéro d’Angle droit propose également un zoom sur l’opération Wuambushu conduite à Mayotte depuis le printemps dernier, dans son volet lutte contre le logement insalubre et l’habitat informel, ce qui vise les constructions édifiées sans droit ni titre, non raccordées aux réseaux et dépourvues des équipements permettant d’en assurer la salubrité et la sécurité. La conduite de cette opération a donné lieu à plusieurs péripéties juridiques pour ce premier vrai test de mise en œuvre du dispositif prévu par l’article 197 de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, qui sont retracées dans ce numéro.

Ce panorama ne serait pas complet sans mentionner l’actualité des réseaux juridiques et des services déconcentrés, qui porte sur les sanctions en matière de déficit de logements sociaux, et sans remercier vivement Sophie Mourlon, qui a très récemment été nommée directrice générale de l’énergie et du climat, d’avoir accepté de se prêter au jeu des « trois questions à », afin d’éclairer les grands enjeux de cette direction générale et des textes récemment adoptés dans ce champ.

Il me reste à vous souhaiter à toutes et tous une très bonne rentrée et une agréable lecture !

Zoom sur …

Habitat informel à Mayotte : les embûches de l’opération Wuambushu



La lutte contre le logement insalubre et l’habitat informel constitue un enjeu majeur à Mayotte. Cet archipel, devenu le cent-unième département le 31 mars 2011, connaît une croissance démographique forte qui a conduit à ce qu’en vingt ans, sa population double. Le parc de logements a connu un doublement également, passant d’environ 30 000 à 60 000 résidences principales. L’INSEE estime toutefois qu’en 2017, près de quatre logements sur dix étaient des constructions en tôle (bangas) essentiellement concentrées sur la commune de Mamoudzou et son aire urbaine comprenant les communes de Dembeni et de Koungou, en Grande-Terre.

L’habitat dit « informel » s’est ainsi très largement développé sur ce territoire. Cette notion d’habitat informel, introduite dans une loi du 23 juin 2011, désigne les constructions, édifiées sans droit ni titre, qui ne bénéficient pas du raccordement aux réseaux et des équipements collectifs propres à en assurer la desserte, la salubrité et la sécurité dans des conditions satisfaisantes.

Cette situation, de même que celle que connaît la Guyane, a justifié l’intervention des pouvoirs publics. Le législateur a ainsi adopté l’article 197 de la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), introduisant un nouvel article 11-1 dans la loi n°2011-725 du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer. Ces dispositions permettent au préfet, à Mayotte et en Guyane, d’ordonner par arrêté aux occupants d’habitations situées dans un périmètre déterminé d’évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à leur démolition.

Plusieurs conditions encadrent ce pouvoir exorbitant : les constructions doivent être édifiées sans droit ni titre et constituer un habitat informel, former un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d’assiette et présenter des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique. En termes procéduraux, un rapport motivé établi par les services chargés de l’hygiène et de la salubrité ainsi qu’une proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence adaptée à chaque occupant sont annexés à l’arrêté préfectoral. L’évacuation et la démolition peuvent être exécutées d’office, à l’expiration d’un délai minimal d’un mois, et sous réserve d’un recours suspensif devant le juge administratif des référés.

La mise en œuvre concrète de l’opération de réduction de l’habitat informel à Mayotte supposait de surmonter plusieurs embûches d’un point de vue juridique. Elle s’est déroulée en quatre actes.

L’acte 1 s’est d’abord joué en plein de cœur de Paris, au Palais-Royal. Le Conseil d’Etat, saisi par plusieurs personnes physiques et la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, a en effet refusé, par une décision du 10 mars 2023, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 197 de la loi ELAN. Le Conseil d’Etat a considéré que cette question ne présentait pas de caractère sérieux après avoir écarté les griefs relatifs notamment à l’absence de conciliation équilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine, à l’atteinte au principe de fraternité et à l’absence de garanties légales suffisantes.

C’est à Mayotte que s’est tenu l’acte 2 et il a mis aux prises les deux ordres de juridiction et, plus précisément, le tribunal administratif et le tribunal judiciaire.

Alors que le préfet de Mayotte avait pris le 2 décembre 2022 un premier arrêté ordonnant l’évacuation et la destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Majicavo Koropa Talus II, sur le territoire de la commune de Koungou, le président du tribunal administratif statuant en tant que juge des référés en a suspendu l’exécution, faisant ainsi droit à la demande de 31 habitants du site concerné par l’opération. Il a considéré, par une ordonnance du 27 février 2023, que le moyen tiré de ce que l’arrêté a été pris sans que les requérants aient reçu de véritables propositions d’hébergement ou de relogement adaptées à leur situation, était de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité. En effet, l’Etat n’a pas été en mesure de prouver la consistance des propositions d’hébergement faites aux requérants, ne permettant ainsi pas au juge d’exercer son contrôle sur la réalité et le caractère adapté desdites propositions. L’exécution d’office de l’arrêté préfectoral a ainsi été temporairement empêchée pour les habitations des requérants, mais demeurait possible pour les bangas voisins situés dans le périmètre de l’arrêté.

C’est par une ordonnance de sa présidente du 24 avril 2023 que le tribunal judiciaire de Mamoudzou, statuant également en référé, est entré en scène. Les mêmes 31 requérants l’avaient saisi d’une requête en assignation, sur le fondement de la voie de fait, c’est-à-dire en soutenant que l’exécution d’office de l’arrêté préfectoral faisait sortir l’administration de ses attributions et aboutissait à l’extinction de leur droit de propriété. Considérant que la démolition des habitations avoisinantes aurait pour effet d’entrainer la destruction de certaines des demandeurs et la perte de leurs biens, ce qui constituait une atteinte grave à leur droit de propriété, elle a ordonné au préfet de Mayotte de cesser toute opération d’évacuation et de démolition des habitats visés dans le périmètre de l’arrêté, y compris celles des habitants non concernés par l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif du 27 février 2023.

Cette prise de position du tribunal judiciaire interrogeait tant elle retenait une conception extensive de la voie de fait.

Pour que la situation se dénoue, il a fallu attendre les actes 3 et 4.

Devant le tribunal administratif, tout d’abord, le préfet de Mayotte a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte d’une demande de mettre fin à la suspension prononcée le 27 février 2023, en faisant valoir les diligences accomplies par l’administration pour notifier les propositions de logement ou d’hébergement d’urgence à l’ensemble des personnes concernées. Par une ordonnance du 13 mai 2023, le juge des référés a fait droit à cette demande. La suspension levée devant le juge administratif, encore fallait-il, pour que l’opération puisse se dérouler, parvenir à remettre en cause la décision du tribunal judiciaire.

Ce fut chose faite lorsque la chambre d’appel de Mamoudzou de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, statuant sur l’appel formé par le préfet, a, par un arrêt du 17 mai 2023, infirmé l’ordonnance du tribunal judiciaire du 24 avril 2023. La cour d’appel a en effet constaté l’absence de voie de fait, dès lors que les requérants, occupant des abris édifiés dans des conditions illicites sur des parcelles dont ils n’étaient pas propriétaires, ne justifiaient pas de leur droit de propriété, qui ne pouvait se déduire de leur seul statut d’occupant. La cour a également considéré qu’ils ne démontraient pas le caractère certain et irrémédiable des atteintes à leurs biens. En l’absence de la constatation d’une voie de fait, le juge judiciaire est incompétent pour connaitre du litige entre les parties. En outre, l’ordonnance du 13 mai 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte ayant mis fin aux effets de la mesure de suspension de l’arrêté contesté, la juridiction a constaté que plus rien ne restait à juger.

C’est alors que l’opération Wuambushu a pu être effectivement conduite, forte d’une base législative solide et de procédures administratives améliorées pour garantir aux personnes concernées le plein respect de leurs droits, sous le contrôle du juge. Des arrêtés préfectoraux concernant d’autres périmètres visés par des opérations de démolition d’habitat informel ont d’ailleurs depuis lors fait l’objet de recours devant le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, qui les a rejetés.

L’opération de lutte contre l’habitat informel a ainsi pu être conduite après que toutes ces haies furent franchies. En épilogue, il faut souhaiter qu’elle soit une pierre, parmi d’autres, permettant de garantir à terme que, dans ce territoire soumis à de multiples contraintes, chacun, ou à tout le moins un nombre toujours croissant de personnes, puisse vivre dans des logements décents.

L'actualité jurisprudentielle

Contentieux


CE, 30 juin 2023, Association Tournai-Villedieu Environnement et autres, n°450481, aux Tables

Pourvoi en cassation - autorisation environnementale –– article L. 181-18 du code de l’environnement - arrêt avant-dire droit - non-lieu à statuer

De l’importance d’être constant dans la contestation (où quand se pourvoir contre l’arrêt avant-dire droit sans se pourvoir contre l’arrêt ultérieur conduit au non-lieu)



Le Conseil d’État considère qu’il n’y a pas lieu à statuer sur les conclusions du pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt avant-dire droit d’une cour prononçant un sursis à statuer en vue de la régularisation d’un vice entachant une autorisation environnementale si le second arrêt, par lequel la cour constate la régularisation de ce vice et rejette l’ensemble des conclusions des requérants est devenu définitif faute d’avoir lui-même fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Une association de protection de l’environnement ainsi que des particuliers avaient contesté des arrêtés du préfet de l’Orne autorisant l’exploitation d’une carrière et ses installations connexes. Par un arrêt du 8 janvier 2021, la cour administrative d’appel de Nantes a sursis à statuer sur leur requête jusqu’à l’expiration d’un délai de six mois afin de permettre à la société bénéficiaire de l’autorisation de régulariser son projet.

Par un second arrêt en date du 18 janvier 2022, la cour a constaté qu’un arrêté préfectoral complémentaire avait régularisé le vice de procédure qu’elle avait retenu dans son arrêt avant-dire droit du 8 janvier 2021 et a rejeté l’ensemble des conclusions des requérants.

Constatant qu’en l’absence de pourvoi en cassation, ce second arrêt, qui rejette l’ensemble des conclusions présentées devant la cour administrative d’appel de Nantes, est devenu définitif, le Conseil d’État en déduit que les conclusions du pourvoi en cassation qui avait auparavant été déposé contre l’arrêt avant-dire droit du 8 janvier 2021 sont devenues sans objet et qu’il n’y a pas lieu d’y statuer.

Cette décision du Conseil d’État étend aux recours dirigés aux arrêts avant-dire droit pris sur le fondement de l’article L. 181-18 du code de l’environnement le principe selon lequel il n’y a pas lieu de statuer sur le recours dirigé contre une décision avant-dire droit dans le cas où aucun recours n’a été déposé contre la décision finale (pour une hypothèse comparable, voir CE, 24 janvier 1994, n°88740, au Recueil). Il est vrai qu’une solution inverse conduirait potentiellement à la coexistence de deux décisions juridictionnelles définitives, d’égale valeur et pourtant inconciliables.
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CE, 22 juin 2023, GAEC Duriez et Les Robins des mâts et autres, nos 466303 et 465349, Inédits

Procédure - Motivation de la requête – Conditions de recevabilité d’un appel sommaire

Un sommaire trop sommairement déclaré irrecevable !



Le Conseil d’État rappelle qu’une requête d’appel sommaire doit être regardée comme recevable dès lors qu’elle contient l’exposé des moyens soulevés à l’encontre du jugement, « alors-même que ceux-ci n’auraient pas été, à ce stade, assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ».

L’article R. 411-1 du code de justice administrative prévoit notamment qu’une requête est recevable si elle contient l’exposé des faits, des moyens et des conclusions soumises au juge administratif. À cet égard, le Conseil d’État considère que l’appel sommaire est insuffisamment motivé si l’appelant se borne à relever des erreurs dans le jugement du tribunal administratif « sans indiquer même sommairement la règle ou le principe qu’aurait méconnu le tribunal ni la nature de l’erreur d’appréciation qu’il aurait commise » (CE, 28 mars 2003, n° 237259, aux Tables).

Cette jurisprudence n’autorise bien entendu pas le juge à déclarer irrecevable toute requête sommaire annonçant un mémoire complémentaire. Les deux décisions commentées du 22 juin 2023 permettent de rappeler ce point, parfois un peu oublié par certains juges du fond. Le Conseil d’État précise ainsi que le juge d’appel ne peut rejeter comme irrecevable un appel sommaire au motif que celui-ci ne répond pas à l’exigence de motivation posée à l’article R. 411-1 du code de justice administrative, alors que l’appelant a soutenu que le jugement attaqué était entaché d’insuffisance de motivation, d’erreur de droit et d’erreur d’appréciation, quand bien même il n’a pas, à ce stade, précisé davantage le bien-fondé de ces griefs.

Ces deux décisions sont bienvenues : elles rappellent qu’il ne faut pas faire une lecture trop sommaire de la jurisprudence de 2003 précitée et, de ce fait, permettent de ne pas s’engager sur une pente glissante qui aurait conduit à ce qu’une requête ou un pourvoi sommaire ne puisse plus être sommaire.
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Contentieux (Intérêt à agir)


Conseil d’Etat, 19 juillet 2023, Ligue des droits de l’homme, n°469986, Inédit

Mayotte – arrêté préfectoral ordonnant l’évacuation et la destruction de constructions bâties illicitement – questions de l’accès au logement et du respect de la vie privée et familiale pouvant affecter un nombre important de personnes précaires – intérêt à agir d’une association ayant un ressort national

Intérêt donnant qualité pour agir d’une association ayant un ressort national dans un contentieux soulevant des questions dont la portée excède le seul objet local

Le Conseil d’Etat reconnait à la Ligue des droits de l’homme, alors même qu’elle présente un champ d’action national, un intérêt lui donnant qualité pour agir à l’encontre de l’arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le préfet de Mayotte a ordonné l’évacuation et la destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, dans la commune de Mamoudzou.

Saisi par des habitants et par la Ligue des droits de l’homme sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte avait certes suspendu l’exécution de l’arrêté du 19 septembre 2022, mais avait rejeté les conclusions en tant qu’elles étaient présentées par la Ligue des droits de l’homme, au motif que les effets de l’arrêté contesté devaient être regardés comme strictement cantonnés à la situation très particulière de Mayotte.

Le Conseil d’Etat rappelle que « si, en principe, le fait qu’une décision administrative ait un champ d’application territorial limité fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour en demander l’annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales » (CE, 4 novembre 2015, Association Ligue des droits de l’homme, n°375178, publié au Recueil).

En l’espèce, le Conseil d’Etat censure le raisonnement du juge des référés en raison de l’erreur de droit à ne pas avoir recherché si les implications de la décision excédaient les seules circonstances locales. Réglant l’affaire au fond, il juge ensuite que l’arrêté du 19 septembre 2022, qui est de nature à affecter de façon spécifique l’accès au logement et le respect de la vie privée et familiale d’un nombre important de personnes en situation de précarité occupant sur certaines parties du territoire de Mayotte des habitats informels, soulève, de ce fait, des questions dont la portée excède son seul objet local. Par suite, la Ligue des droits de l’homme, quand bien même son champ d’action est national, présentait bien un intérêt pour agir.

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Energie


CE, 9 août 2023, Association Greenpeace France, n°462777, Inédit

Acte administratif insusceptible de recours pour excès de pouvoir - Annonces faites lors d’un discours, dont la mise en œuvre est conditionnée à l’adoption de mesures subséquentes

Le discours du Président de la République du 10 février 2022 ne constitue pas un acte susceptible de recours



Le Conseil d’État juge que les annonces du Président de la République faites à l’occasion de son déplacement dans le territoire de Belfort le 10 février 2022 dans un discours intitulé « Reprendre en main notre destin énergétique ! », ne révèlent pas l’existence d’un acte susceptible d’être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir.

Certains discours, communiqués de presse ou annonces politiques peuvent en effet révéler des décisions qui sont susceptibles d’être contestées devant le juge administratif. Cela peut être le cas, notamment, lorsque la déclaration ou le communiqué exprime une position ferme et non une simple déclaration d’intention et que la décision ainsi exprimée n’est pas la confirmation de décisions antérieures ni n’a vocation à être concrétisée par des décisions ultérieures, seules ces décisions formalisées étant sinon susceptibles de recours.

Les annonces du discours qui étaient ici attaquées par l’association Greenpeace France portaient sur la prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires en activité et la création de six nouveaux réacteurs nucléaires, ainsi que le lancement d’études sur la création de huit EPR2 additionnels.

Le Conseil d’État juge dans son arrêt que « si, par ces annonces politiques, le Président de la République a manifesté le souhait de voir prolonger la durée de fonctionnement de certaines centrales existantes et de voir réaliser un programme de construction de nouveaux réacteurs, la mise en œuvre de ces intentions reste conditionnée à l’adoption de plusieurs mesures et au respect de procédures, que le Président de la République a au demeurant lui-même rappelées ». Dès lors, il en déduit fort logiquement que « seules les décisions à venir, prises conformément aux dispositions législatives et réglementaires applicables, seront susceptibles de faire l’objet de recours contentieux ».
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Environnement


CC, 16 avril 2023, n° 2023-1055 QPC

Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) - étiquettes fruits et légumes – article 80 de la loi AGEC - liberté d’entreprendre

L’interdiction des étiquettes non compostables sur les fruits et légumes ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre



L’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie (loi AGEC) dispose qu’ : « Au plus tard le 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition d’étiquettes directement sur les fruits ou les légumes, à l’exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées ». Par une décision du 16 avril 2023, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 étaient conformes à la Constitution et, en particulier, qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

Cette décision a été rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par l’association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (INTERFEL) et renvoyée au Conseil constitutionnel par une décision du Conseil d’État n°455929 du 26 avril 2023.

Pour écarter le grief tiré de l’atteinte portée par ces dispositions à la liberté d’entreprendre, le Conseil constitutionnel a estimé qu’en les adoptant, « le législateur a entendu favoriser le compostage des biodéchets et la réduction des déchets plastiques pour mettre en œuvre les objectifs de réduction et de valorisation des déchets ménagers » et a poursuivi ce faisant l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement. Il a considéré ensuite que l’interdiction édictée portant sur l’apposition des seules étiquettes qui ne sont pas compostables et constituées en tout ou partie de matières biosourcées, le législateur a apporté aux conditions d’exercice de l’activité économique des entreprises commercialisant des fruits et légumes une restriction qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

Le Conseil constitutionnel a également écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, après avoir relevé que les dispositions contestées n’instituaient aucune différence de traitement selon que les fruits et légumes sont produits en France ou importés.

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Environnement (Chasse)


CE, 28 juillet 2023, Association AVES et autre, n° 445646, Inédit

Vénerie sous terre – Période complémentaire – État de conservation favorable - Blaireautins

Période complémentaire de la vènerie sous terre du blaireau : un « oui » sous réserves



Dans un arrêt inédit bien qu’attendu, le Conseil d’État juge que la possibilité d’autoriser l’exercice de la vènerie sous terre du blaireau pendant une période complémentaire n’a pas, par elle-même, pour effet de porter atteinte à l’état de conservation de cette espèce chassable, dès lors qu’il appartient au préfet, lorsqu’il l’autorise, de vérifier le respect de cette condition.

Le Conseil d’État rejette la requête tendant à l’abrogation de l’article R. 424-5 du code de l’environnement qui prévoit la possibilité d’autoriser une période complémentaire de la vènerie sous terre du blaireau en dehors du temps de chasse, soit entre le 15 mai et le 15 septembre de chaque année.

Dans ce litige, les requérantes soutenaient que cette période complémentaire impliquait nécessairement, compte tenu de ce qu’elle peut être ouverte entre le 15 mai et le 15 septembre de chaque année, période coïncidant avec celle des naissances, la destruction de jeunes blaireaux non adultes et, partant, méconnaissait les dispositions des articles L. 424-10 et L. 420-1 du code de l’environnement qui, respectivement, interdisent la destruction des portées et petits des mammifères et prévoient le respect de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique.

Le Conseil d’État rejette cette demande en jugeant que « les dispositions du deuxième alinéa de l’article R. 424-5 du code de l’environnement, si elles permettent au préfet d’autoriser une période de chasse complémentaire par vénerie sous terre du blaireau à compter du 15 mai, n’ont pas par elles-mêmes pour effet d’autoriser la destruction de petits blaireaux ou de nuire au maintien de l’espèce dans un état de conservation favorable, le préfet étant notamment tenu, pour autoriser cette période de chasse complémentaire, de s’assurer, en considération des avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage et des circonstances locales, qu’une telle prolongation n’est pas de nature à porter atteinte au bon état de la population des blaireaux ni à favoriser la méconnaissance, par les chasseurs, de l’interdiction légale de destruction des petits blaireaux ».

Il revient donc aux préfets de s’assurer que les circonstances locales justifient l’ouverture d’une telle période complémentaire, sous le contrôle des juridictions de première instance, lesquelles sont attachées à la production d’éléments scientifiques solides permettant de montrer l’absence d’incidence sur le bon état de conservation de l’espèce.
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Environnement (Déchets)


CE, 26 juin 2023, M. B c/ Commune de Marigny-le-Lozon, n° 457040, aux Tables

Notion de déchets au sens de l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement – modalités d’appréciation – biens en état d’abandon

Précisions sur les critères objectifs permettant de caractériser l’intention du détenteur de se défaire d’un déchet



L’article L. 541-1-1 du code de l’environnement qualifie de déchet « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ». Par la décision commentée, le Conseil d’Etat précise les critères permettant d’apprécier si les biens déposés sur un terrain par son propriétaire sont en état d’abandon et peuvent donc être qualifiés de déchets au sens de ces dispositions.

En l’espèce, le maire d’une commune avait mis en demeure un particulier d’évacuer les déchets présents sur sa propriété dans un délai de quinze jours. La mise en demeure étant restée sans effet, le maire a prononcé une astreinte jusqu’à exécution complète de l’arrêté de mise en demeure, dans la limite du montant évalué de l’évacuation des déchets.

Précisant la décision Société Ahouandjinou (24 novembre 2021, n°437105, aux Tables), le Conseil d’Etat précise que la qualification de déchet « dépend du caractère suffisamment certain ou non d’une réutilisation du bien sans opération de transformation préalable » et que « lorsque des biens se trouvent, compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d’usage et de la durée et des conditions de leur dépôt, en état d’abandon sur un terrain, ils peuvent alors être regardés, comme des biens dont leur détenteur s’est effectivement défait ». A cet égard, la circonstance que le détenteur aurait indiqué ne pas vouloir se défaire de ces biens n’est pas susceptible de remettre en cause la qualification retenue si la réutilisation n’est pas certaine et quand bien même le propriétaire aurait déposé les déchets sur un terrain lui appartenant. Ce faisant, le Conseil d’Etat choisit une approche résolument objective pour apprécier l’intention de se défaire.

Appliquant ces critères, le Conseil d’Etat constate qu’alors même qu’ils y ont été déposés par son propriétaire qui a indiqué ne pas vouloir s’en défaire, les biens accumulés sur le terrain se trouvent en l’espèce en état d’abandon « compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d’usage et de la durée et des conditions de leur dépôt ». Ces biens présentent, dès lors, le caractère de déchets au regard des dispositions de l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement.
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Environnement (Espèces protégées)


CE, 10 juillet 2023, Association One Voice et autre, n° 465654, 466825, Inédit

Ours – Effarouchement renforcé - Etat de conservation favorable – Production au contentieux d’éléments scientifiques fiables et précis

Effarouchement renforcé des ours : de l’importance de justifier devant le juge de l’assise scientifique des mesures prises



L’arrêté du 20 juin 2022 relatif à la mise en œuvre de mesures d’effarouchement de l’ours brun est jugé légal, y compris en tant qu’il encadre l’effarouchement des femelles gestantes et suitées.

Le Conseil d’État rejette en effet les requêtes formées contre l’arrêté du 20 juin 2022 qui, faisant suite à trois arrêtés expérimentaux édictés en 2019, 2020 et 2021, encadre de façon pérenne les mesures d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux.

En première intention, il était possible d’être raisonnablement pessimiste sur les chances de survie de cet arrêté. En effet, après un resserrement du régime applicable sous l’aiguillon contentieux pour mieux encadrer les mesures d’effarouchement renforcé (voir notamment CE, 4 février 2021, Association Ferus – Ours, Loup, Lynx, n° 434058, Inédit), un arrêté du 31 mai 2021 avait détaillé et encadré les conditions et les modalités de réalisation des tirs d’effarouchement renforcé. Cet arrêté avait cependant fait l’objet d’une annulation, par une décision du 31 octobre 2022 (n° 455273, Inédit), laquelle était fondée sur la méconnaissance de la condition posée par l’article L. 411-2 du code de l’environnement tenant au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de l’espèce dans son aire de répartition naturelle en tant seulement que l’arrêté n’encadrait pas suffisamment les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des femelles gestantes et suitées, c’est-à-dire des femelles attendant ou accompagnées d’un ourson.

L’arrêté du 20 juin 2022, ici attaqué, était substantiellement similaire à celui du 31 mai 2021 ayant été annulé, ce qui n’était pas surprenant puisqu’il avait été adopté antérieurement à la décision du Conseil d’État du 31 octobre 2022.

Le débat contentieux s’est toutefois orienté différemment compte tenu de la production d’éléments nouveaux, tirés en particulier de la littérature scientifique internationale et d’un bilan consolidé de l’expérimentation triennale 2019-2021. Le Conseil d’État a considéré, au regard de ces nouveaux éléments, que la condition du maintien du bon état de conservation était respectée, dans la mesure où aucun effet négatif de l’effarouchement renforcé n’est établi, notamment concernant le risque de perte de l’embryon pour les femelles gestantes ou de séparation définitive d’avec le petit pour les femelles suitées.

Cet arrêt est une illustration éclairante de l’importance majeure de la production au contentieux d’éléments scientifiques fiables et précis afin de démontrer que les mesures prises ne portent pas atteinte à l’état de conservation d’une espèce.
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Environnement (Participation du public)


CE, 10 juillet 2023, Société du Port d’Ostende et autres, n°457659 et s., aux Tables

Parc éolien en mer - régularité du débat public préalable – décision de poursuivre le projet

Parc éolien offshore au large de Dunkerque : le Conseil d’État confirme la régularité de la procédure de débat public suivie



Le projet d’implantation d’un parc éolien en mer au large de Dunkerque fait l’objet d’une contestation multiforme de la part du port d’Ostende, de la commune de La Panne, de la région Flamande et de l’État belge. L’un des actes de cette contestation s’est joué devant le Conseil d’État qui, par l’arrêt commenté du 10 juillet 2023, rejette la demande de ces requérants d’annuler la décision du 10 mai 2021 des maîtres d’ouvrage (la société Eoliennes en mer de Dunkerque et Réseau de Transport d’Electricité) de poursuivre, à l’issue du débat public, le projet d’implantation d’un parc éolien en mer du Nord au large de Dunkerque.

Le premier enseignement de cet arrêt, lui valant à ce titre une mention aux Tables du Recueil, est que le juge administratif est compétent pour connaître du recours formé contre l’acte par lequel un maître d’ouvrage privé décide, en application de l’article L. 121-13 du code de l’environnement, du principe et des conditions de la poursuite d’un projet ayant été soumis à débat public. Des considérations tirées, d’une part, de la nécessité d’un bloc de compétence unifié quelle que soit la qualité du maître d’ouvrage et, d’autre part, de l’adhérence entre cette décision particulière de poursuite du projet et les actes subséquents qui interviendront tout au long de la naissance de ce projet, lesquels relèveront de la juridiction administrative, ont conduit le Conseil d’État à retenir la compétence de la juridiction administrative.

Cette étape passée, le Conseil d’État rappelle que l’acte en cause ayant pour seul objet de tirer les conséquences du débat public, il ne peut être contesté que sur le fondement de vices qui lui sont propres et de l’irrégularité de la conduite de ce débat public, ce qui ne concerne donc pas le bien-fondé de l’opération, laquelle pourra être contestée lors des actes ultérieurs en autorisant la réalisation.

Dans ce cadre de contrôle restreint, le Conseil d’État écarte l’ensemble des moyens soulevés par les requérants, notamment ceux tirés du défaut de consultation régulière du public. Il relève notamment que le paragraphe 4 de l’article 6 de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998, qui implique de consulter le public dès le commencement de la procédure, n’a pas été méconnu dès lors que le projet de création d’un parc éolien en mer, de même que sa zone d’implantation, avaient fait l’objet de concertations locales menées dès 2014 par le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais et le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, avec les collectivités du littoral et le public, associant les autorités et citoyens belges. Il écarte également le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement, en relevant en particulier que le débat public a été organisé dans des conditions et par des moyens permettant d’assurer l’information de l’ensemble du public concerné.

Le Conseil d’État juge par ailleurs qu’aucune disposition n’impose la soumission du projet à débat public avant le lancement de la procédure de dialogue compétitif qui conduit à définir la zone d’implantation du parc éolien.
Cette haie contentieuse passée, le projet de parc peut donc se poursuivre, même si tout laisse à penser que la course d’obstacles n’est pas terminée.
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Environnement (Risques)


CE, 10 juillet 2023, Société A, n° 452045, aux Tables

Travaux à proximité d’ouvrages de réseaux de transport et de distribution – Obligations déclaratives du responsable de projet auprès des exploitants d’ouvrage- Sanctions

Sanction administrative liée au défaut de renouvellement d’une déclaration de projet de travaux à proximité d’ouvrages de réseaux de transport et de distribution



Le Conseil d’État juge que le défaut de renouvellement de la déclaration de projet de travaux à proximité des ouvrages mentionnés à l’article L. 554-1 du code de l’environnement est passible de la sanction administrative prévue par le 3° de l’article R. 554-35 du code de l’environnement.

L’amende administrative prévue au 3° de l’article R. 554-35 du code de l’environnement avait été infligée à la société A par le préfet de la Loire-Atlantique, après que des travaux réalisés dans le cadre d’un programme d’enfouissement de lignes à haute tension, pour lesquels la déclaration de travaux n’avait pas été renouvelée, aient entrainé la perforation à Campbon, le 5 avril 2016, d’un pipeline et causé le déversement sur le sol de près de 400 000 litres d’hydrocarbures. La cour administrative d’appel de Nantes avait annulé l’arrêté du préfet de la Loire-Atlantique portant sanction.

Saisi par le ministre de la transition écologique d’un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour, le Conseil d’État juge que « le responsable de projet qui envisage de réaliser des travaux à proximité d’ouvrages mentionnés à l’article L. 554-1 du code de l’environnement doit, d’une part, adresser à chacun des exploitants d’ouvrages en service mentionnés à l’article R. 554-20 du même code et dont la zone d’implantation est touchée par l’emprise des travaux, une déclaration de projet de travaux dans les conditions fixées par l’article R. 554-21 de ce code et, d’autre part, procéder, sauf exceptions prévues au V de l’article R. 554-22, à une nouvelle déclaration dans les mêmes conditions si le marché de travaux ou la commande des travaux ne sont pas signés dans les trois mois suivant la date de la consultation du guichet unique prévu à l’article R. 554-20 ».

Le défaut de renouvellement de la déclaration devant être regardé comme un défaut de déclaration de projet au sens du 3° de l’article R. 554-35 du code de l’environnement, il est dès lors passible de la sanction administrative prévue par ces dispositions.

Le Conseil d’État censure en conséquence l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy qui annulait l’arrêté préfectoral infligeant la sanction prononcée.
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Transports


CE, 7 août 2023, M. C et M. E, nos 474905 et 471411, Inédits

Modalités d’exploitation des autorisations de stationnement pour taxis – Principe d’égalité - Liberté d’entreprendre

Autorisations de stationnement des taxis : Circulez !



Le Conseil d’Etat juge qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les dispositions des articles L. 3121-1-2 et L. 3121-2 du code des transports, qui imposent une obligation d’exploitation personnelle, une durée de validité limitée et un caractère incessible aux autorisations de stationnement délivrées postérieurement à la loi dite Thévenoud de 2014.

Les requérants faisaient valoir, d’une part, que les dispositions en cause méconnaissent la liberté d’entreprendre en instaurant une obligation d’exploiter personnellement l’autorisation de stationnement et une interdiction de la céder. Pour écarter ce grief, le Conseil d’Etat considère que ces nouvelles obligations, qui sont destinées à clarifier et à améliorer les conditions d’exploitation des taxis, ainsi qu’à éviter des phénomènes spéculatifs entravant l’accès aux autorisations de stationnement, sont justifiées par un objectif d’intérêt général et ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre au regard de l’objectif poursuivi.

Les requérants relevaient, d’autre part, une atteinte au principe d’égalité devant la loi résultant d’une différence de traitement entre les titulaires d’autorisations selon qu’elle avait été délivrée avant ou après l’entrée en vigueur de la loi Thévenoud. Ils invoquaient également une atteinte aux situations légalement acquises. Le Conseil d’Etat écarte ces moyens en précisant que la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n’est pas, en elle-même, contraire au principe d’égalité, et qu’en l’espèce elle est justifiée par un objectif d’intérêt général tiré de la volonté du législateur de réformer progressivement le régime juridique des autorisations de stationnement nécessaires à l’exercice de la profession de taxi, afin de remédier aux inconvénients constatés dans le fonctionnement de la profession, sans porter atteinte aux droits des personnes déjà titulaires d’une telle autorisation. Le Conseil d’Etat juge enfin que la modification pour l’avenir des règles applicables ne porte pas atteinte à une situation légalement acquise.
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CE, 2 août 2023, Syndicat SESAM LLD, n°454045, Inédit

Obligation de verdissement des parcs automobiles privés – Principe d’égalité - Liberté d’entreprendre

Une question prioritaire de constitutionnalité sur le verdissement des parcs automobiles privés ne passe pas le filtre du Conseil d’Etat



Le Conseil d’Etat refuse de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions législatives imposant une obligation de verdissement des parcs automobiles privés, lors du renouvellement annuel de ce parc, au motif que celle-ci ne présente pas de caractère sérieux.

A l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir contre le décret n° 2021-515 du 29 avril 2021 relatif aux obligations d’achat ou d’utilisation de véhicules d’un poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles, ou à très faibles émissions par les entreprises (véhicules électriques et hybrides rechargeables), le Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités a introduit une question prioritaire de constitutionnalité contre les dispositions de l’article L. 224-10 du code de l’environnement, dans sa version applicable au litige, qui en constituent la base légale.

Ainsi que le relève le Conseil d’Etat, « en imposant aux entreprises gestionnaires d’un parc de plus de cent véhicules automobiles l’acquisition ou l’utilisation, à l’occasion du renouvellement de ce parc, d’une proportion croissante de véhicules à faibles niveaux d’émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques, le législateur a entendu réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au secteur des transports, notamment pour satisfaire aux engagements de la France exprimés à l’article L. 220-1 du code de l’environnement ».

C’est en s’appuyant sur cet objectif d’intérêt général que le Conseil d’Etat écarte le grief tiré de l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre. Il relève que « les taux prévus par les dispositions législatives contestées évoluant progressivement de 10 à 50 % selon un calendrier étalé de 2022 à 2030 ne sont pas manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif que s’est assigné le législateur, à l’article L. 100-4 du code de l’énergie, de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Par ailleurs, ils ne le sont pas non plus, ainsi que cela ressort notamment des travaux parlementaires, au regard de l’évolution de l’offre de marché de véhicules à faibles émissions présentée par les constructeurs ».

Le Conseil d’Etat ne regarde pas plus comme sérieux le grief tiré de ce que les dispositions législatives en cause entrainent une rupture d’égalité entre les entreprises ayant pour activité la location de véhicules en longue durée (« leasing ») et les sociétés de financement (prêts) auxquelles il peut être fait appel pour l’acquisition de véhicules automobiles, au motif que ces dernières, qui ne gèrent pas de parcs de véhicules automobiles, et qui n’offrent pas à leurs clients des prestations de même nature que les sociétés de location de longue durée, se trouvent, au regard de la législation considérée, dans une situation différente.
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Transports (Mer)


CE, 16 juin 2023, Polynésie française contre secrétariat d’État chargé de la mer, n° 460333, Inédit

Police et sécurité de la circulation maritime – Sécurité de la navigation – Principe de spécialité législative en Polynésie française

Confirmation de la répartition des compétences entre l’État et la Polynésie française en matière de sécurité maritime



Par cette décision, le Conseil d’État confirme l’application en Polynésie française de l’ordonnance n° 2021-1330 du 13 octobre 2021 relative aux conditions de navigation des navires autonomes et des drones maritimes, dès lors notamment qu’elle respecte la répartition des compétences entre l’État et cette collectivité d’outre-mer.

Prise sur le fondement du III de l’article 135 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, l’ordonnance du 13 octobre 2021 a pour objet d’encadrer le développement des drones maritimes et des navires autonomes ou commandés à distance, respectivement qualifiés sur le plan juridique d’engins flottants et de navires. Cette ordonnance définit ainsi un ensemble de règles visant à garantir la sécurité maritime et la protection de l’environnement tout en permettant l’exploitation et la navigation de ces engins.
Sollicitant l’annulation de l’ordonnance en tant que ses dispositions s’appliquent à son territoire, la Polynésie française soutenait notamment que celle-ci ne respectait pas le principe de spécialité législative applicable en Polynésie française en vertu de l’article 74 de la Constitution et de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française (LOPF).

Après avoir rappelé les compétences respectives de la Polynésie française et de l’État, précisées par la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, le Conseil d’État examine, pour chacune des dispositions de l’ordonnance, leur rattachement aux compétences ainsi définies par la loi organique. À l’issue de cet examen, il juge qu’aucune de ces dispositions ne se rattache aux missions confiées à la Polynésie française en matière de sécurité de la circulation et la navigation dans les eaux intérieures du territoire, d’immatriculation des navires, de sécurité des navires d’une longueur de référence inférieure à 24 mètres qui ne sont pas destinés au transport de passagers, de protection de l’environnement et de conservation du domaine public ou encore de formation professionnelle. Les dispositions de l’ordonnance ont trait, en revanche, à la police et à la sécurité de la circulation maritime ainsi qu’à la sécurité des navires, autre que celle des navires relevant de la compétence de la Polynésie française, et relèvent ainsi des compétences attribuées à l’État.

L’ensemble des dispositions concernant la Polynésie française ayant été validées par le Conseil d’État, le cadre juridique applicable à l’exploitation et la navigation des drones maritimes et navires autonomes devra être complété par l’adoption de textes d’application.
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Urbanisme et aménagement (Habitat)


CE, 26 juin 2023, Syndicat des professionnels de la location meublée, n° 458799, aux Tables

Réglementation des activités économiques - Meublés de tourisme - Faculté de soumettre à autorisation la location d’un local commercial en tant que meublé de tourisme - Champ d’application des règles du code du tourisme.

Précisions sur le régime juridique applicable en matière de location d’un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme



Les règles applicables en matière de location d’un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme ne se cumulent pas et ne se confondent pas avec celles relatives aux changements d’usage des locaux meublés d’habitation.

La loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a ajouté à l’article L. 324-1-1 du code du tourisme un IV bis selon lequel « sur le territoire des communes ayant mis en œuvre la procédure d’enregistrement prévue au III [de ce même article], une délibération du conseil municipal peut soumettre à autorisation la location d’un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme. Cette autorisation est délivrée au regard des objectifs de protection de l’environnement urbain et d’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, par le maire de la commune dans laquelle est situé le local ».

Cette disposition s’inscrit dans le cadre plus général des dispositifs prévus notamment par le code de la construction et de l’habitation visant à réguler, essentiellement dans les communes littorales ou touristiques, les locations de meublés de tourisme via des plateformes dédiées et à assurer le maintien sur le marché locatif d’un nombre suffisant de logements.

Le décret 2021-757 du 11 juin 2021 pris pour l’application de ces dispositions de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme était contesté par le syndicat des professionnels de la location meublée.

Par la décision commentée, le Conseil d’État rejette cette requête. Il juge que les dispositions du IV bis ajoutées à l’article L 324-1-1 du code du tourisme, ont pour seul objet de compléter le cadre juridique de la location des meublés de tourisme, pour permettre aux communes de soumettre à autorisation la location en qualité de locaux à usage commercial, tels que ceux accueillant des commerces et des restaurants. En revanche, ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de régir la situation des locaux meublés à usage d’habitation soumis pour leur part à l’application des article L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation quelle que soit la destination des immeubles dans lesquels ils sont inclus.

Le Conseil d’État délimite également le champ matériel des locaux concernés par les dispositions du code du tourisme en indiquant que les locaux à usage commercial dont la location est susceptible d’être soumise à autorisation en application du code du tourisme sont les locaux inclus dans des constructions dont la destination est le commerce et les activités de service au sens du 3° de l’article R. 151-27 du code de l’urbanisme, ou, pour les communes dont le plan local d’urbanisme relève du régime antérieur à la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, celles dont la destination est le commerce, l’hébergement hôtelier ou l’artisanat au sens des dispositions antérieurement applicables.
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Urbanisme et aménagement


CE, 10 juillet 2023, M. F. et autres, n° 462717, aux Tables

Plans d’occupation des sols (POS) et plans locaux d’urbanisme (PLU) - Faculté de déroger aux règles de densité en faveur d’un projet de transformation à usage principal d’habitation d’un immeuble (3° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme) - Règles relatives à l’emprise au sol, à la hauteur ou au gabarit.

La dérogation aux règles de densité prévues au 3° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme s’applique à la fois aux règles d’emprise au sol, de hauteur ou de gabarit fixées par le PLU



Par une décision rendue le 10 juillet 2023, le Conseil d’État confirme que les dispositions du 3° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme permettent de déroger à l’ensemble des règles affectant la densité d’un projet, et en particulier aux règles de hauteur fixées par un plan local d’urbanisme.

Aux termes de cet article, dans sa rédaction alors en vigueur, l’autorité compétente peut « (…)3° Déroger aux règles relatives à la densité et aux obligations en matière de création d’aires de stationnement et, dès lors que la commune ne fait pas l’objet d’un arrêté au titre de l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation, aux règles adoptées en application de l’article L. 151-15 du présent code, pour autoriser la transformation à usage principal d’habitation d’un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation, dans la limite d’une majoration de 30 % du gabarit de l’immeuble existant (…) ».

L’article UG 10 du règlement de PLU de Paris prévoit des règles de gabarit-enveloppe déterminant le prospect, c’est-à-dire les conditions de distance et d’éloignement à respecter pour l’implantation d’un bâtiment selon sa hauteur au droit de la façade à son point le plus haut, selon, notamment, qu’il se trouve en bordure de voie ou en recul de l’alignement et, enfin, selon le secteur d’implantation. En l’espèce, sur le terrain d’assiette du projet litigieux, le garage existant dépassait déjà la hauteur permise par le PLU et le projet autorisé prévoyait encore une surélévation.

Au titre de la dérogation aux règles d’un PLU accordée pour des projets portant transformation d’un immeuble existant en logement dans les communes situées en zone tendue, prévue au 3° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme, la maire de Paris a autorisé le projet.

Dans leur pourvoi, les requérants faisaient valoir que les « règles de densité » mentionnées au 3° de l’article L. 152-6 seraient les seules règles auxquelles il peut être dérogé, à l’exclusion des règles de hauteur, la notion de « gabarit » n’étant évoquée que comme un résultat à atteindre et non comme une règle susceptible de dérogation.

Confirmant tant le jugement de rejet du tribunal administratif de Paris que l’analyse du ministère, présentée dans ses observations produites au soutien de la Ville de Paris, le Conseil d’État juge qu’ « il résulte de l’économie générale des dispositions précitées (…) qu’elles permettent, dans le cadre de l’autorisation d’un projet de transformation à usage principal d’habitation d’un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation, de déroger aux règles affectant la densité, c’est-à-dire à celles relatives à l’emprise au sol, à la hauteur ou au gabarit des bâtiments fixées par le règlement du plan local d’urbanisme, dans la limite d’une majoration de 30 % du gabarit de l’immeuble existant ».

À noter que dans ses conclusions sur l’affaire, le rapporteur public relevait avoir eu de « fortes raisons d’hésiter », « confronté à une malfaçon législative » et avoir conscience de ce que la solution proposée constituait « un effort d’interprétation significatif » mais justifié par la clarté de l’objectif du dispositif, à savoir la densification des constructions dans les zones urbaines tendues.
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CE du 12 juin 2023, n° 466725, SCI Mornans, aux Tables

Règles générales d’utilisation du sol - Prescriptions d’aménagement et d’urbanisme - lois des 9 janvier 1985 et 28 décembre 2016 relatives au développement et à la protection des territoires de montagne - annexes de taille limitée aux constructions existantes

Précisions sur la notion d’annexe de taille limitée en zone de montagne



En zone de montagne, la détermination des « annexes de taille limitée » s’effectue en tenant compte, d’une part, de leur implantation et, d’autre part, de leur taille limitée et de leur ampleur par rapport aux constructions principales existantes.
En vertu de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme, l’urbanisation en zone de montagne doit en principe être exclusivement réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants.

Par une décision du 12 juin 2023, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative de Lyon n° 21LY01460 du 14 juin 2022 sur pourvoi du ministre de la transition écologique, et apporte d’utiles précisions sur les conditions de mise en œuvre de l’exception prévue à ce principe par ce même article L. 122-5 s’agissant de la « construction d’annexes, de taille limitée, aux constructions existantes », notion introduite par la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne.

Le Conseil d’État a ainsi jugé que « la cour administrative de Lyon, en se bornant […] à apprécier la taille limitée de chacune des annexes, a commis une erreur de droit, faute d’avoir recherché si l’ensemble des constructions secondaires, existantes et envisagées, pouvaient, eu égard, d’une part, à leur implantation par rapport aux constructions principales existantes et à leur ampleur limitée en proportion de ces dernières, et, d’autre part, à leur taille elle-même limitée, être regardées comme constituant des annexes de taille limitée au sens de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme ». Le Conseil d’État censure donc la cour pour ne s’être interrogée que sur le premier critère alors que les deux critères ainsi définis sont cumulatifs.

L’application de ces critères devrait donc permettre d’assurer un réel contrôle des constructions d’annexes dans les zones de montagne pour garantir le respect des grands objectifs issus de la loi Montagne du 9 janvier 1985, notamment celui d’éviter le mitage de l’urbanisation en zone de montagne.
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L'actualité normative

Loi n° 2023-659 du 26 juillet 2023 visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche et à renforcer la sécurité du transport maritime

En mars 2022, la compagnie de transport de passagers assurant les liaisons entre la France et le Royaume-Uni, P&O Ferries, licenciait plus de 700 marins anglais et procédait à leur remplacement par des salariés en provenance d’États aux normes sociales moins-disantes et dont le niveau de rémunération était en-dessous du salaire minimum britannique.

Afin de lutter contre cette pratique de dumping social, et également assurer la sécurité de la navigation et lutter contre les pollutions marines dans l’une des zones les plus fréquentées du trafic maritime international, une proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche et à renforcer la sécurité du transport maritime, inspirée du « Seaferer’s Wages Bill » voté par le parlement britannique, a été adoptée à l’unanimité, le 19 juillet 2023, par l’Assemblée nationale.

Qualifiée par ses auteurs de loi de police, cette loi définit les obligations sociales incombant aux compagnies maritimes, quelle que soit la loi applicable à leurs contrats de travail et le pavillon du navire, dès lors qu’elles assurent certaines liaisons régulières internationales de transport de passagers et touchent un port français. Il s’agit notamment de définir le salaire minimum horaire comme étant le niveau de rémunération applicable aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité établies en France et d’obliger une durée de repos à terre au moins équivalente à la durée d’embarquement des marins.

Les lignes maritimes, la fréquence de touchée d’un port français et la durée maximale d’embarquement, ainsi que le dispositif de contrôle et de sanctions pénales et administratives prévu par la loi, qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2024, seront précisés par des décrets à venir.
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Loi n° 2023-656 du 25 juillet 2023 relative à l’accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023

Ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023 portant diverses adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique nécessaires à l’accélération de la reconstruction et de la réfection des équipements publics et des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023

Après le décès d’un adolescent lors d’un contrôle routier, qui a généré une vive et légitime émotion, des violences urbaines, du 27 juin au 5 juillet, ont entraîné des dégâts matériels importants, portant principalement sur des bâtiments publics et privés dans environ cinq cent communes. En complément des mesures administratives mises en œuvre par la circulaire de la Première ministre du 5 juillet dernier, le Gouvernement a souhaité accélérer au maximum la conduite des travaux nécessaires, notamment pour faciliter la réouverture rapide des services publics et des commerces ayant subi des dégâts.

Le vote de la loi du 25 juillet 2023 répond à cette préoccupation en autorisant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures d’adaptation pour accélérer la reconstruction et la réfection des bâtiments concernés, et ce dans trois champs.

En matière d’urbanisme, d’abord (article 1er de la loi), il est proposé d’aménager le droit de reconstruction à l’identique, prévu à l’article L. 111-15 du code de l’urbanisme, d’autoriser l’engagement des travaux dès le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme requise ou encore d’adapter les règles de délivrance des autorisations d’urbanisme. L’article 3 de la loi vise ensuite à permettre d’adopter des mesures tendant à faciliter le financement des travaux que les collectivités territoriales touchées par les évènements, notamment les communes, vont devoir effectuer.

Enfin, l’article 2 de la loi a permis l’adoption de l’ordonnance du 26 juillet 2023 portant adaptation du droit de la commande publique. Pendant un délai de neuf mois, soit jusqu’au 28 avril 2024 inclus, les acheteurs publics concernés peuvent bénéficier de dispositions particulières.

En application de l’article 1er de cette ordonnance, les acheteurs sont autorisés à recourir à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis d’appel à la concurrence, mais avec mise en concurrence. Cela concerne les marchés de travaux inférieurs à 1,5 millions d’euros HT et les lots dont le montant est inférieur à 1 million d’euros HT, à condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots d’un marché alloti.

Cette procédure permet de réduire les délais de passation en dispensant les acheteurs des formalités liées à la publication préalable d’un avis de marché et de mettre directement en concurrence quelques entreprises identifiées. L’étude d’impact du projet de la loi d’habilitation indique que l’acheteur a l’obligation de consulter « au moins deux opérateurs économiques ». Ceci ne dispense pas les acheteurs publics du respect des exigences d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics, comme le rappelle le Conseil d’Etat dans son avis n°407325 du 11 juillet 2023 rendu sur le projet de loi d’habilitation.

L’article 2 de l’ordonnance permet aux acheteurs de déroger, sans justification et sans limitation de montant, au principe d’allotissement des marchés nécessaires à ces reconstructions ou à ces réfections. Ceci permet de simplifier la passation de ces marchés et de bénéficier de gains en termes de temps et de coûts.

L’article 3 crée enfin un nouveau cas de recours au marché de conception-réalisation mentionné à l’article L. 2171-2 du code de la commande publique afin d’autoriser les maîtres d’ouvrages à confier à un opérateur économique une mission globale portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments.

L’arsenal juridique sera complet avec la publication prochaine des ordonnances permettant adaptation des règles d’urbanisme et de financement.




Pour en savoir plus :

Dossier législatif de la loi du 25 juillet 2023

Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023 portant diverses adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique nécessaires à l’accélération de la reconstruction et de la réfection des équipements publics et des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023

Circulaire de la Première ministre du 5 juillet 2023, relative à l’accélération des procédures pour faciliter les opérations de réparation ou de reconstruction suite aux dégradations intervenues dans certaines zones urbaines

Voir aussi :

Fiche technique de la DAJ du Ministère de l’économie, 27 juillet 2023 faisant suite à la publication de l’ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023

Nouvelle fiche technique de la DAJ du Ministère de l’économie sur les conséquences juridiques des dégradations survenues sur les chantiers en cours pendant les violences urbaines, 31 juillet 2023. Cette fiche porte sur le partage de responsabilité entre les entrepreneurs et les maîtres d’ouvrages pour les dommages causés sur les chantiers en cours, ainsi que sur les aménagements contractuels susceptibles de faciliter la poursuite de leur exécution.=]

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L'actualité des réseaux

Déficit de logements locatifs sociaux : un exemple venu du Nord



Faisant usage des dispositions de l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation, le préfet du Nord a pris des arrêtés de carence à l’encontre de trois communes, afin de constater le déficit de logements locatifs sociaux à réaliser à l’échelle communale et leur imposer la majoration du prélèvement sur leurs ressources fiscales prévu par l’article L.302-7 du même code.

Par trois jugements nos 2102313, 2104655 et 2101318 du 30 juin et du 31 juillet 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté les requêtes de ces trois communes tendant à l’annulation des arrêtés préfectoraux.

La juridiction, pour ce faire, a fait application des arrêts CE, 2 juillet 2021, Commune de Neuilly-sur-Seine, n°433733, aux Tables et CE, 28 octobre 2022, Commune d’Auvers-sur-Oise, n°453414, aux Tables.

Le Conseil d’Etat a, par ses arrêts, jugé que lorsqu’une commune n’a pas respecté son objectif triennal de réalisation de logements sociaux, il appartient au préfet, sur le fondement des dispositions de l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation, d’apprécier si, compte tenu de l’écart existant entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale, des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, il y a lieu de prononcer la carence de la commune, et, dans l’affirmative, s’il y a lieu de lui infliger une majoration du prélèvement annuel prévu à l’article L. 302-7 du même code, en en fixant alors le montant dans la limite des plafonds fixés par l’article L. 302-9-1.

Lorsque la commune demande l’annulation d’un arrêté préfectoral prononçant sa carence et lui infligeant un prélèvement majoré en application de ces dispositions, il appartient au juge de plein contentieux de déterminer si le prononcé de la carence procède d’une erreur d’appréciation des circonstances de l’espèce et, dans la négative, d’apprécier si, compte tenu des circonstances de l’espèce, la sanction retenue est proportionnée à la gravité de la carence et d’en réformer, le cas échéant, le montant.

Dans ce cadre, le tribunal administratif a considéré que les sanctions de majoration de 30% à 60% du prélèvement prévu par l’article L. 302-7 du code n’étaient pas disproportionnées, en tenant compte du faible taux de réalisation de logements au regard des objectifs assignés, de l’absence de justification de cette carence, de l’insuffisance des efforts pour y remédier et, pour chaque commune, au caractère réitéré du constat de la carence. Dans l’un des jugements, le tribunal s’est également fondé sur le faible taux de réponse favorable aux demandes d’attribution de logement social sur le territoire communal. Le tribunal a également relevé que les difficultés invoquées par les communes pour réaliser des logements sociaux ne permettaient pas de justifier les carences constatées et qu’il ne résultait pas de l’instruction que les communes se sont dotées de tous les outils permettant d’atteindre leurs objectifs.

Les requêtes ont ainsi été rejetées, validant par là-même le bon usage par le préfet du Nord des dispositions de l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation.

3 questions à … ,

Sophie Mourlon, directrice générale de l’énergie et du climat

Vous avez été très récemment nommée directrice générale de l’énergie et du climat. Quels sont les grands enjeux auxquels est confrontée cette direction générale ?

L’objectif cardinal de la DGEC, c’est la lutte contre le réchauffement climatique. En 2021, les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire français représentent 6 tCO2e par habitant (sans compter le transport aérien et maritime international et les émissions des produits importés). Le défi de la réduction des émissions est immense, et doit conduire à mobiliser dès maintenant et dans la durée tous les secteurs : les transports, le logement, l’industrie, l’agriculture…

La France s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050. L’enjeu à court terme est de réduire plus rapidement nos émissions, en réduisant notre consommation d’énergie et de produits, et en accélérant la décarbonation de notre économie. C’est l’objet de la Stratégie nationale bas carbone.


Nous devons porter dans le même temps d’autres grands objectifs :
  • La sécurité d’approvisionnement en énergie, dont la guerre en Ukraine est venue rappeler l’importance pour le fonctionnement de notre économie et la vie de chacun d’entre nous ;
  • La protection des consommateurs et la compétitivité de notre économie, qui sont mis à rude épreuve en cas de crise, comme nous l’avons vu avec l’envolée des prix liée à la reprise économique après la crise sanitaire et avec les conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ;
  • L’amélioration de la qualité de l’air, qui est un enjeu sanitaire important.

Tout cela s’envisage à la fois sur le court terme – et parfois le très court terme en cas de crise ! – mais également dans le temps long. Nous devons ainsi intégrer les besoins prévisibles en énergie, les trajectoires de développement des nouvelles énergies, les enjeux de sécurité approvisionnement en gaz et en pétrole dans la prochaine Politique pluriannuelle de l’énergie.

Enfin nous travaillons à une nouvelle version du Plan national d’adaptation au changement climatique, pour faire face à la hausse prévisible des températures, qui devra intégrer l’hypothèse d’un réchauffement mondial supérieur à 2°C.

Pouvez-vous nous expliquer, en quelques mots, les grands objectifs poursuivis par la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et la loi relative au nucléaire qui ont été votées au cours des six derniers mois ?

La loi relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables est le volet législatif d’un plan plus large d’accélération des énergies renouvelables. Elle vise à simplifier les procédures d’autorisation des projets et à mobiliser les espaces déjà artificialisés. Les travaux législatifs ont également conduit à inclure un nouveau processus pour planifier avec les élus locaux le déploiement des énergies renouvelables dans les territoires et mieux partager la valeur des projets avec les territoires qui les accueillent.

La loi relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes est une mesure anticipée pour faciliter le programme de construction de nouvelles capacités nucléaires. Ce texte vise à accélérer la procédure complexe nécessaire à la création de nouveaux réacteurs nucléaires. Il ne modifie pas les exigences environnementales et de sûreté nucléaire, mais précise l’articulation des procédures entre elles, en particulier avec les autorisations d’urbanisme.

Cette loi ne définit pas la place de l’énergie nucléaire dans le mix énergétique français. Des dispositions relatives à la place de l’hydrogène bas-carbone, par exemple, introduites en première lecture par les parlementaires, ont été censurées par le Conseil constitutionnel.

Ces deux lois répondent à l’un des piliers de la politique énergétique voulue par le Gouvernement : le développement rapide des énergies décarbonées.

L’État est de plus en plus mis en cause au contentieux en ce qui concerne le réchauffement climatique ou la qualité de l’air. Comment prendre en compte ce nouveau risque contentieux dans les politiques publiques portées par la direction générale ?

S’agissant de la lutte contre le réchauffement climatique, nous sommes doublement soumis au contrôle du juge : à la fois sur l’avenir, et plus précisément sur la crédibilité de nos politiques publiques pour atteindre nos objectifs futurs (affaire "Grande Synthe" devant le Conseil d’État), et sur le passé, c’est-à-dire sur notre capacité à réparer un préjudice écologique né du non-respect de nos budgets carbone ("Affaire du Siècle" devant le TA de Paris). Ce double contrôle nous oblige à être à la fois ambitieux et réalistes dans les objectifs que nous nous fixons, et à nous assurer que nous pourrons nous donner les moyens de les atteindre, tout en respectant nos obligations européennes et internationales. Ce contrôle nous conduit également à devoir rappeler à nos partenaires, services ministériels et parties prenantes, que le respect des budgets carbone n’est pas optionnel et que nous devons donc agir collectivement pour les atteindre.

S’agissant de l’amélioration de la qualité de l’air, le contrôle du juge (français et européen) se place principalement sur la capacité à atteindre le plus rapidement possible les valeurs-limites de concentrations de polluants atmosphériques, dans les quelques agglomérations toujours en dépassement. Ces contentieux sont un aiguillon pour l’action, d’autant plus que les mesures à prendre dépendent non seulement de l’État mais aussi des collectivités territoriales et d’autres parties prenantes : la perspective du contentieux est souvent évoquée dans les raisons d’agir, juste après les motivations sanitaires. Les enjeux financiers sont importants (plusieurs dizaines de millions d’euros en amende, puis en astreinte annuelle) et sont mis en exergue et nous sommes amenés à le rappeler lors des discussions budgétaires. Le projet de révision de la directive européenne sur la qualité de l’air ambiant et son futur niveau d’ambition constituent un point de vigilance. Il nous faut trouver un juste équilibre entre ambition sanitaire et capacité à faire. Par ailleurs, de nombreux contentieux indemnitaires pour préjudice sanitaire sont traités par le juge et ont récemment fait intervenir la CJUE.

Le contentieux est très présent dans nos politiques publiques, y compris au niveau local. Les relations entre la DGEC et la DAJ sont très fréquentes et riches !

N°5 du 15 septembre 2023 - Angle droit 22

Comité éditorial : Olivier Fuchs, Umberto Berkani, Lucie Antonetti, Stéphanie Bottineau, Ninon Boulanger, Soizic Dejou, Sophie Geay, Céline Karaguilian, Olivier Meslin, Sophie Namer, Louise Soulard, Licia Villotta, Isabelle Volette, Pascal Zabal

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