Contentieux
CE, 30 juin 2023, Association Tournai-Villedieu Environnement et autres, n°450481, aux Tables
Pourvoi en cassation - autorisation environnementale –– article L. 181-18 du code de l’environnement - arrêt avant-dire droit - non-lieu à statuer
De l’importance d’être constant dans la contestation (où quand se pourvoir contre l’arrêt avant-dire droit sans se pourvoir contre l’arrêt ultérieur conduit au non-lieu)
Le Conseil d’État considère qu’il n’y a pas lieu à statuer sur les conclusions du pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt avant-dire droit d’une cour prononçant un sursis à statuer en vue de la régularisation d’un vice entachant une autorisation environnementale si le second arrêt, par lequel la cour constate la régularisation de ce vice et rejette l’ensemble des conclusions des requérants est devenu définitif faute d’avoir lui-même fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
Une association de protection de l’environnement ainsi que des particuliers avaient contesté des arrêtés du préfet de l’Orne autorisant l’exploitation d’une carrière et ses installations connexes. Par un arrêt du 8 janvier 2021, la cour administrative d’appel de Nantes a sursis à statuer sur leur requête jusqu’à l’expiration d’un délai de six mois afin de permettre à la société bénéficiaire de l’autorisation de régulariser son projet.
Par un second arrêt en date du 18 janvier 2022, la cour a constaté qu’un arrêté préfectoral complémentaire avait régularisé le vice de procédure qu’elle avait retenu dans son arrêt avant-dire droit du 8 janvier 2021 et a rejeté l’ensemble des conclusions des requérants.
Constatant qu’en l’absence de pourvoi en cassation, ce second arrêt, qui rejette l’ensemble des conclusions présentées devant la cour administrative d’appel de Nantes, est devenu définitif, le Conseil d’État en déduit que les conclusions du pourvoi en cassation qui avait auparavant été déposé contre l’arrêt avant-dire droit du 8 janvier 2021 sont devenues sans objet et qu’il n’y a pas lieu d’y statuer.
Cette décision du Conseil d’État étend aux recours dirigés aux arrêts avant-dire droit pris sur le fondement de l’article L. 181-18 du code de l’environnement le principe selon lequel il n’y a pas lieu de statuer sur le recours dirigé contre une décision avant-dire droit dans le cas où aucun recours n’a été déposé contre la décision finale (pour une hypothèse comparable, voir CE, 24 janvier 1994, n°88740, au Recueil). Il est vrai qu’une solution inverse conduirait potentiellement à la coexistence de deux décisions juridictionnelles définitives, d’égale valeur et pourtant inconciliables.
*
CE, 22 juin 2023, GAEC Duriez et Les Robins des mâts et autres, nos 466303 et 465349, Inédits
Procédure - Motivation de la requête – Conditions de recevabilité d’un appel sommaire
Un sommaire trop sommairement déclaré irrecevable !
Le Conseil d’État rappelle qu’une requête d’appel sommaire doit être regardée comme recevable dès lors qu’elle contient l’exposé des moyens soulevés à l’encontre du jugement, « alors-même que ceux-ci n’auraient pas été, à ce stade, assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ».
L’article R. 411-1 du code de justice administrative prévoit notamment qu’une requête est recevable si elle contient l’exposé des faits, des moyens et des conclusions soumises au juge administratif. À cet égard, le Conseil d’État considère que l’appel sommaire est insuffisamment motivé si l’appelant se borne à relever des erreurs dans le jugement du tribunal administratif « sans indiquer même sommairement la règle ou le principe qu’aurait méconnu le tribunal ni la nature de l’erreur d’appréciation qu’il aurait commise » (CE, 28 mars 2003, n° 237259, aux Tables).
Cette jurisprudence n’autorise bien entendu pas le juge à déclarer irrecevable toute requête sommaire annonçant un mémoire complémentaire. Les deux décisions commentées du 22 juin 2023 permettent de rappeler ce point, parfois un peu oublié par certains juges du fond. Le Conseil d’État précise ainsi que le juge d’appel ne peut rejeter comme irrecevable un appel sommaire au motif que celui-ci ne répond pas à l’exigence de motivation posée à l’article R. 411-1 du code de justice administrative, alors que l’appelant a soutenu que le jugement attaqué était entaché d’insuffisance de motivation, d’erreur de droit et d’erreur d’appréciation, quand bien même il n’a pas, à ce stade, précisé davantage le bien-fondé de ces griefs.
Ces deux décisions sont bienvenues : elles rappellent qu’il ne faut pas faire une lecture trop sommaire de la jurisprudence de 2003 précitée et, de ce fait, permettent de ne pas s’engager sur une pente glissante qui aurait conduit à ce qu’une requête ou un pourvoi sommaire ne puisse plus être sommaire.
*
Contentieux (Intérêt à agir)
Conseil d’Etat, 19 juillet 2023, Ligue des droits de l’homme, n°469986, Inédit
Mayotte – arrêté préfectoral ordonnant l’évacuation et la destruction de constructions bâties illicitement – questions de l’accès au logement et du respect de la vie privée et familiale pouvant affecter un nombre important de personnes précaires – intérêt à agir d’une association ayant un ressort national
Intérêt donnant qualité pour agir d’une association ayant un ressort national dans un contentieux soulevant des questions dont la portée excède le seul objet local
Le Conseil d’Etat reconnait à la Ligue des droits de l’homme, alors même qu’elle présente un champ d’action national, un intérêt lui donnant qualité pour agir à l’encontre de l’arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le préfet de Mayotte a ordonné l’évacuation et la destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, dans la commune de Mamoudzou.
Saisi par des habitants et par la Ligue des droits de l’homme sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte avait certes suspendu l’exécution de l’arrêté du 19 septembre 2022, mais avait rejeté les conclusions en tant qu’elles étaient présentées par la Ligue des droits de l’homme, au motif que les effets de l’arrêté contesté devaient être regardés comme strictement cantonnés à la situation très particulière de Mayotte.
Le Conseil d’Etat rappelle que « si, en principe, le fait qu’une décision administrative ait un champ d’application territorial limité fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour en demander l’annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales » (CE, 4 novembre 2015, Association Ligue des droits de l’homme, n°
375178, publié au Recueil).
En l’espèce, le Conseil d’Etat censure le raisonnement du juge des référés en raison de l’erreur de droit à ne pas avoir recherché si les implications de la décision excédaient les seules circonstances locales. Réglant l’affaire au fond, il juge ensuite que l’arrêté du 19 septembre 2022, qui est de nature à affecter de façon spécifique l’accès au logement et le respect de la vie privée et familiale d’un nombre important de personnes en situation de précarité occupant sur certaines parties du territoire de Mayotte des habitats informels, soulève, de ce fait, des questions dont la portée excède son seul objet local. Par suite, la Ligue des droits de l’homme, quand bien même son champ d’action est national, présentait bien un intérêt pour agir.
***
Energie
CE, 9 août 2023, Association Greenpeace France, n°462777, Inédit
Acte administratif insusceptible de recours pour excès de pouvoir - Annonces faites lors d’un discours, dont la mise en œuvre est conditionnée à l’adoption de mesures subséquentes
Le discours du Président de la République du 10 février 2022 ne constitue pas un acte susceptible de recours
Le Conseil d’État juge que les annonces du Président de la République faites à l’occasion de son déplacement dans le territoire de Belfort le 10 février 2022 dans un discours intitulé « Reprendre en main notre destin énergétique ! », ne révèlent pas l’existence d’un acte susceptible d’être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir.
Certains discours, communiqués de presse ou annonces politiques peuvent en effet révéler des décisions qui sont susceptibles d’être contestées devant le juge administratif. Cela peut être le cas, notamment, lorsque la déclaration ou le communiqué exprime une position ferme et non une simple déclaration d’intention et que la décision ainsi exprimée n’est pas la confirmation de décisions antérieures ni n’a vocation à être concrétisée par des décisions ultérieures, seules ces décisions formalisées étant sinon susceptibles de recours.
Les annonces du discours qui étaient ici attaquées par l’association Greenpeace France portaient sur la prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires en activité et la création de six nouveaux réacteurs nucléaires, ainsi que le lancement d’études sur la création de huit EPR2 additionnels.
Le Conseil d’État juge dans son arrêt que « si, par ces annonces politiques, le Président de la République a manifesté le souhait de voir prolonger la durée de fonctionnement de certaines centrales existantes et de voir réaliser un programme de construction de nouveaux réacteurs, la mise en œuvre de ces intentions reste conditionnée à l’adoption de plusieurs mesures et au respect de procédures, que le Président de la République a au demeurant lui-même rappelées ». Dès lors, il en déduit fort logiquement que « seules les décisions à venir, prises conformément aux dispositions législatives et réglementaires applicables, seront susceptibles de faire l’objet de recours contentieux ».
***
Environnement
CC, 16 avril 2023, n° 2023-1055 QPC
Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) - étiquettes fruits et légumes – article 80 de la loi AGEC - liberté d’entreprendre
L’interdiction des étiquettes non compostables sur les fruits et légumes ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre
L’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie (loi AGEC) dispose qu’ : « Au plus tard le 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition d’étiquettes directement sur les fruits ou les légumes, à l’exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées ». Par une décision du 16 avril 2023, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 étaient conformes à la Constitution et, en particulier, qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.
Cette décision a été rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par l’association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (INTERFEL) et renvoyée au Conseil constitutionnel par une décision du Conseil d’État n°455929 du 26 avril 2023.
Pour écarter le grief tiré de l’atteinte portée par ces dispositions à la liberté d’entreprendre, le Conseil constitutionnel a estimé qu’en les adoptant, « le législateur a entendu favoriser le compostage des biodéchets et la réduction des déchets plastiques pour mettre en œuvre les objectifs de réduction et de valorisation des déchets ménagers » et a poursuivi ce faisant l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement. Il a considéré ensuite que l’interdiction édictée portant sur l’apposition des seules étiquettes qui ne sont pas compostables et constituées en tout ou partie de matières biosourcées, le législateur a apporté aux conditions d’exercice de l’activité économique des entreprises commercialisant des fruits et légumes une restriction qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.
Le Conseil constitutionnel a également écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, après avoir relevé que les dispositions contestées n’instituaient aucune différence de traitement selon que les fruits et légumes sont produits en France ou importés.
***|]
Environnement (Chasse)
CE, 28 juillet 2023, Association AVES et autre, n° 445646, Inédit
Vénerie sous terre – Période complémentaire – État de conservation favorable - Blaireautins
Période complémentaire de la vènerie sous terre du blaireau : un « oui » sous réserves
Dans un arrêt inédit bien qu’attendu, le Conseil d’État juge que la possibilité d’autoriser l’exercice de la vènerie sous terre du blaireau pendant une période complémentaire n’a pas, par elle-même, pour effet de porter atteinte à l’état de conservation de cette espèce chassable, dès lors qu’il appartient au préfet, lorsqu’il l’autorise, de vérifier le respect de cette condition.
Le Conseil d’État rejette la requête tendant à l’abrogation de l’
article R. 424-5 du code de l’environnement qui prévoit la possibilité d’autoriser une période complémentaire de la vènerie sous terre du blaireau en dehors du temps de chasse, soit entre le 15 mai et le 15 septembre de chaque année.
Dans ce litige, les requérantes soutenaient que cette période complémentaire impliquait nécessairement, compte tenu de ce qu’elle peut être ouverte entre le 15 mai et le 15 septembre de chaque année, période coïncidant avec celle des naissances, la destruction de jeunes blaireaux non adultes et, partant, méconnaissait les dispositions des articles L. 424-10 et L. 420-1 du code de l’environnement qui, respectivement, interdisent la destruction des portées et petits des mammifères et prévoient le respect de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique.
Le Conseil d’État rejette cette demande en jugeant que
« les dispositions du deuxième alinéa de l’article R. 424-5 du code de l’environnement, si elles permettent au préfet d’autoriser une période de chasse complémentaire par vénerie sous terre du blaireau à compter du 15 mai, n’ont pas par elles-mêmes pour effet d’autoriser la destruction de petits blaireaux ou de nuire au maintien de l’espèce dans un état de conservation favorable, le préfet étant notamment tenu, pour autoriser cette période de chasse complémentaire, de s’assurer, en considération des avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage et des circonstances locales, qu’une telle prolongation n’est pas de nature à porter atteinte au bon état de la population des blaireaux ni à favoriser la méconnaissance, par les chasseurs, de l’interdiction légale de destruction des petits blaireaux ».
Il revient donc aux préfets de s’assurer que les circonstances locales justifient l’ouverture d’une telle période complémentaire, sous le contrôle des juridictions de première instance, lesquelles sont attachées à la production d’éléments scientifiques solides permettant de montrer l’absence d’incidence sur le bon état de conservation de l’espèce.
*
Environnement (Déchets)
CE, 26 juin 2023, M. B c/ Commune de Marigny-le-Lozon, n° 457040, aux Tables
Notion de déchets au sens de l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement – modalités d’appréciation – biens en état d’abandon
Précisions sur les critères objectifs permettant de caractériser l’intention du détenteur de se défaire d’un déchet
L’article L. 541-1-1 du code de l’environnement qualifie de déchet « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ». Par la décision commentée, le Conseil d’Etat précise les critères permettant d’apprécier si les biens déposés sur un terrain par son propriétaire sont en état d’abandon et peuvent donc être qualifiés de déchets au sens de ces dispositions.
En l’espèce, le maire d’une commune avait mis en demeure un particulier d’évacuer les déchets présents sur sa propriété dans un délai de quinze jours. La mise en demeure étant restée sans effet, le maire a prononcé une astreinte jusqu’à exécution complète de l’arrêté de mise en demeure, dans la limite du montant évalué de l’évacuation des déchets.
Précisant la décision Société Ahouandjinou (24 novembre 2021, n°437105, aux Tables), le Conseil d’Etat précise que la qualification de déchet « dépend du caractère suffisamment certain ou non d’une réutilisation du bien sans opération de transformation préalable » et que « lorsque des biens se trouvent, compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d’usage et de la durée et des conditions de leur dépôt, en état d’abandon sur un terrain, ils peuvent alors être regardés, comme des biens dont leur détenteur s’est effectivement défait ». A cet égard, la circonstance que le détenteur aurait indiqué ne pas vouloir se défaire de ces biens n’est pas susceptible de remettre en cause la qualification retenue si la réutilisation n’est pas certaine et quand bien même le propriétaire aurait déposé les déchets sur un terrain lui appartenant. Ce faisant, le Conseil d’Etat choisit une approche résolument objective pour apprécier l’intention de se défaire.
Appliquant ces critères, le Conseil d’Etat constate qu’alors même qu’ils y ont été déposés par son propriétaire qui a indiqué ne pas vouloir s’en défaire, les biens accumulés sur le terrain se trouvent en l’espèce en état d’abandon « compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d’usage et de la durée et des conditions de leur dépôt ». Ces biens présentent, dès lors, le caractère de déchets au regard des dispositions de l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement.
*
Environnement (Espèces protégées)
CE, 10 juillet 2023, Association One Voice et autre, n° 465654, 466825, Inédit
Ours – Effarouchement renforcé - Etat de conservation favorable – Production au contentieux d’éléments scientifiques fiables et précis
Effarouchement renforcé des ours : de l’importance de justifier devant le juge de l’assise scientifique des mesures prises
L’arrêté du 20 juin 2022 relatif à la mise en œuvre de mesures d’effarouchement de l’ours brun est jugé légal, y compris en tant qu’il encadre l’effarouchement des femelles gestantes et suitées.
Le Conseil d’État rejette en effet les requêtes formées contre l’arrêté du 20 juin 2022 qui, faisant suite à trois arrêtés expérimentaux édictés en 2019, 2020 et 2021, encadre de façon pérenne les mesures d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux.
En première intention, il était possible d’être raisonnablement pessimiste sur les chances de survie de cet arrêté. En effet, après un resserrement du régime applicable sous l’aiguillon contentieux pour mieux encadrer les mesures d’effarouchement renforcé (voir notamment CE, 4 février 2021, Association Ferus – Ours, Loup, Lynx, n°
434058, Inédit), un arrêté du 31 mai 2021 avait détaillé et encadré les conditions et les modalités de réalisation des tirs d’effarouchement renforcé. Cet arrêté avait cependant fait l’objet d’une annulation, par une décision du 31 octobre 2022 (n°
455273, Inédit), laquelle était fondée sur la méconnaissance de la condition posée par l’article L. 411-2 du code de l’environnement tenant au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de l’espèce dans son aire de répartition naturelle en tant seulement que l’arrêté n’encadrait pas suffisamment les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des femelles gestantes et suitées, c’est-à-dire des femelles attendant ou accompagnées d’un ourson.
L’arrêté du 20 juin 2022, ici attaqué, était substantiellement similaire à celui du 31 mai 2021 ayant été annulé, ce qui n’était pas surprenant puisqu’il avait été adopté antérieurement à la décision du Conseil d’État du 31 octobre 2022.
Le débat contentieux s’est toutefois orienté différemment compte tenu de la production d’éléments nouveaux, tirés en particulier de la littérature scientifique internationale et d’un bilan consolidé de l’expérimentation triennale 2019-2021. Le Conseil d’État a considéré, au regard de ces nouveaux éléments, que la condition du maintien du bon état de conservation était respectée, dans la mesure où aucun effet négatif de l’effarouchement renforcé n’est établi, notamment concernant le risque de perte de l’embryon pour les femelles gestantes ou de séparation définitive d’avec le petit pour les femelles suitées.
Cet arrêt est une illustration éclairante de l’importance majeure de la production au contentieux d’éléments scientifiques fiables et précis afin de démontrer que les mesures prises ne portent pas atteinte à l’état de conservation d’une espèce.
*
Environnement (Participation du public)
CE, 10 juillet 2023, Société du Port d’Ostende et autres, n°457659 et s., aux Tables
Parc éolien en mer - régularité du débat public préalable – décision de poursuivre le projet
Parc éolien offshore au large de Dunkerque : le Conseil d’État confirme la régularité de la procédure de débat public suivie
Le projet d’implantation d’un parc éolien en mer au large de Dunkerque fait l’objet d’une contestation multiforme de la part du port d’Ostende, de la commune de La Panne, de la région Flamande et de l’État belge. L’un des actes de cette contestation s’est joué devant le Conseil d’État qui, par l’arrêt commenté du 10 juillet 2023, rejette la demande de ces requérants d’annuler la décision du 10 mai 2021 des maîtres d’ouvrage (la société Eoliennes en mer de Dunkerque et Réseau de Transport d’Electricité) de poursuivre, à l’issue du débat public, le projet d’implantation d’un parc éolien en mer du Nord au large de Dunkerque.
Le premier enseignement de cet arrêt, lui valant à ce titre une mention aux Tables du Recueil, est que le juge administratif est compétent pour connaître du recours formé contre l’acte par lequel un maître d’ouvrage privé décide, en application de l’article L. 121-13 du code de l’environnement, du principe et des conditions de la poursuite d’un projet ayant été soumis à débat public. Des considérations tirées, d’une part, de la nécessité d’un bloc de compétence unifié quelle que soit la qualité du maître d’ouvrage et, d’autre part, de l’adhérence entre cette décision particulière de poursuite du projet et les actes subséquents qui interviendront tout au long de la naissance de ce projet, lesquels relèveront de la juridiction administrative, ont conduit le Conseil d’État à retenir la compétence de la juridiction administrative.
Cette étape passée, le Conseil d’État rappelle que l’acte en cause ayant pour seul objet de tirer les conséquences du débat public, il ne peut être contesté que sur le fondement de vices qui lui sont propres et de l’irrégularité de la conduite de ce débat public, ce qui ne concerne donc pas le bien-fondé de l’opération, laquelle pourra être contestée lors des actes ultérieurs en autorisant la réalisation.
Dans ce cadre de contrôle restreint, le Conseil d’État écarte l’ensemble des moyens soulevés par les requérants, notamment ceux tirés du défaut de consultation régulière du public. Il relève notamment que le paragraphe 4 de l’article 6 de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998, qui implique de consulter le public dès le commencement de la procédure, n’a pas été méconnu dès lors que le projet de création d’un parc éolien en mer, de même que sa zone d’implantation, avaient fait l’objet de concertations locales menées dès 2014 par le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais et le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, avec les collectivités du littoral et le public, associant les autorités et citoyens belges. Il écarte également le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement, en relevant en particulier que le débat public a été organisé dans des conditions et par des moyens permettant d’assurer l’information de l’ensemble du public concerné.
Le Conseil d’État juge par ailleurs qu’aucune disposition n’impose la soumission du projet à débat public avant le lancement de la procédure de dialogue compétitif qui conduit à définir la zone d’implantation du parc éolien.
Cette haie contentieuse passée, le projet de parc peut donc se poursuivre, même si tout laisse à penser que la course d’obstacles n’est pas terminée.
*
Environnement (Risques)
CE, 10 juillet 2023, Société A, n° 452045, aux Tables
Travaux à proximité d’ouvrages de réseaux de transport et de distribution – Obligations déclaratives du responsable de projet auprès des exploitants d’ouvrage- Sanctions
Sanction administrative liée au défaut de renouvellement d’une déclaration de projet de travaux à proximité d’ouvrages de réseaux de transport et de distribution
Le Conseil d’État juge que le défaut de renouvellement de la déclaration de projet de travaux à proximité des ouvrages mentionnés à l’article L. 554-1 du code de l’environnement est passible de la sanction administrative prévue par le 3° de l’
article R. 554-35 du code de l’environnement.
L’amende administrative prévue au 3° de l’article R. 554-35 du code de l’environnement avait été infligée à la société A par le préfet de la Loire-Atlantique, après que des travaux réalisés dans le cadre d’un programme d’enfouissement de lignes à haute tension, pour lesquels la déclaration de travaux n’avait pas été renouvelée, aient entrainé la perforation à Campbon, le 5 avril 2016, d’un pipeline et causé le déversement sur le sol de près de 400 000 litres d’hydrocarbures. La cour administrative d’appel de Nantes avait annulé l’arrêté du préfet de la Loire-Atlantique portant sanction.
Saisi par le ministre de la transition écologique d’un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour, le Conseil d’État juge que « le responsable de projet qui envisage de réaliser des travaux à proximité d’ouvrages mentionnés à l’article L. 554-1 du code de l’environnement doit, d’une part, adresser à chacun des exploitants d’ouvrages en service mentionnés à l’article R. 554-20 du même code et dont la zone d’implantation est touchée par l’emprise des travaux, une déclaration de projet de travaux dans les conditions fixées par l’article R. 554-21 de ce code et, d’autre part, procéder, sauf exceptions prévues au V de l’article R. 554-22, à une nouvelle déclaration dans les mêmes conditions si le marché de travaux ou la commande des travaux ne sont pas signés dans les trois mois suivant la date de la consultation du guichet unique prévu à l’article R. 554-20 ».
Le défaut de renouvellement de la déclaration devant être regardé comme un défaut de déclaration de projet au sens du 3° de l’article R. 554-35 du code de l’environnement, il est dès lors passible de la sanction administrative prévue par ces dispositions.
Le Conseil d’État censure en conséquence l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy qui annulait l’arrêté préfectoral infligeant la sanction prononcée.
***
Transports
CE, 7 août 2023, M. C et M. E, nos 474905 et 471411, Inédits
Modalités d’exploitation des autorisations de stationnement pour taxis – Principe d’égalité - Liberté d’entreprendre
Autorisations de stationnement des taxis : Circulez !
Le Conseil d’Etat juge qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les dispositions des articles L. 3121-1-2 et L. 3121-2 du code des transports, qui imposent une obligation d’exploitation personnelle, une durée de validité limitée et un caractère incessible aux autorisations de stationnement délivrées postérieurement à la loi dite Thévenoud de 2014.
Les requérants faisaient valoir, d’une part, que les dispositions en cause méconnaissent la liberté d’entreprendre en instaurant une obligation d’exploiter personnellement l’autorisation de stationnement et une interdiction de la céder. Pour écarter ce grief, le Conseil d’Etat considère que ces nouvelles obligations, qui sont destinées à clarifier et à améliorer les conditions d’exploitation des taxis, ainsi qu’à éviter des phénomènes spéculatifs entravant l’accès aux autorisations de stationnement, sont justifiées par un objectif d’intérêt général et ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre au regard de l’objectif poursuivi.
Les requérants relevaient, d’autre part, une atteinte au principe d’égalité devant la loi résultant d’une différence de traitement entre les titulaires d’autorisations selon qu’elle avait été délivrée avant ou après l’entrée en vigueur de la loi Thévenoud. Ils invoquaient également une atteinte aux situations légalement acquises. Le Conseil d’Etat écarte ces moyens en précisant que la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n’est pas, en elle-même, contraire au principe d’égalité, et qu’en l’espèce elle est justifiée par un objectif d’intérêt général tiré de la volonté du législateur de réformer progressivement le régime juridique des autorisations de stationnement nécessaires à l’exercice de la profession de taxi, afin de remédier aux inconvénients constatés dans le fonctionnement de la profession, sans porter atteinte aux droits des personnes déjà titulaires d’une telle autorisation. Le Conseil d’Etat juge enfin que la modification pour l’avenir des règles applicables ne porte pas atteinte à une situation légalement acquise.
*
CE, 2 août 2023, Syndicat SESAM LLD, n°454045, Inédit
Obligation de verdissement des parcs automobiles privés – Principe d’égalité - Liberté d’entreprendre
Une question prioritaire de constitutionnalité sur le verdissement des parcs automobiles privés ne passe pas le filtre du Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat refuse de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions législatives imposant une obligation de verdissement des parcs automobiles privés, lors du renouvellement annuel de ce parc, au motif que celle-ci ne présente pas de caractère sérieux.
A l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir contre le décret n° 2021-515 du 29 avril 2021 relatif aux obligations d’achat ou d’utilisation de véhicules d’un poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles, ou à très faibles émissions par les entreprises (véhicules électriques et hybrides rechargeables), le Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités a introduit une question prioritaire de constitutionnalité contre les dispositions de l’article L. 224-10 du code de l’environnement, dans sa version applicable au litige, qui en constituent la base légale.
Ainsi que le relève le Conseil d’Etat, « en imposant aux entreprises gestionnaires d’un parc de plus de cent véhicules automobiles l’acquisition ou l’utilisation, à l’occasion du renouvellement de ce parc, d’une proportion croissante de véhicules à faibles niveaux d’émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques, le législateur a entendu réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au secteur des transports, notamment pour satisfaire aux engagements de la France exprimés à l’article L. 220-1 du code de l’environnement ».
C’est en s’appuyant sur cet objectif d’intérêt général que le Conseil d’Etat écarte le grief tiré de l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre. Il relève que « les taux prévus par les dispositions législatives contestées évoluant progressivement de 10 à 50 % selon un calendrier étalé de 2022 à 2030 ne sont pas manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif que s’est assigné le législateur, à l’article L. 100-4 du code de l’énergie, de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Par ailleurs, ils ne le sont pas non plus, ainsi que cela ressort notamment des travaux parlementaires, au regard de l’évolution de l’offre de marché de véhicules à faibles émissions présentée par les constructeurs ».
Le Conseil d’Etat ne regarde pas plus comme sérieux le grief tiré de ce que les dispositions législatives en cause entrainent une rupture d’égalité entre les entreprises ayant pour activité la location de véhicules en longue durée (« leasing ») et les sociétés de financement (prêts) auxquelles il peut être fait appel pour l’acquisition de véhicules automobiles, au motif que ces dernières, qui ne gèrent pas de parcs de véhicules automobiles, et qui n’offrent pas à leurs clients des prestations de même nature que les sociétés de location de longue durée, se trouvent, au regard de la législation considérée, dans une situation différente.
*
Transports (Mer)
CE, 16 juin 2023, Polynésie française contre secrétariat d’État chargé de la mer, n° 460333, Inédit
Police et sécurité de la circulation maritime – Sécurité de la navigation – Principe de spécialité législative en Polynésie française
Confirmation de la répartition des compétences entre l’État et la Polynésie française en matière de sécurité maritime
Par cette décision, le Conseil d’État confirme l’application en Polynésie française de l’ordonnance n°
2021-1330 du 13 octobre 2021 relative aux conditions de navigation des navires autonomes et des drones maritimes, dès lors notamment qu’elle respecte la répartition des compétences entre l’État et cette collectivité d’outre-mer.
Prise sur le fondement du III de l’article 135 de la loi n°
2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, l’ordonnance du 13 octobre 2021 a pour objet d’encadrer le développement des drones maritimes et des navires autonomes ou commandés à distance, respectivement qualifiés sur le plan juridique d’engins flottants et de navires. Cette ordonnance définit ainsi un ensemble de règles visant à garantir la sécurité maritime et la protection de l’environnement tout en permettant l’exploitation et la navigation de ces engins.
Sollicitant l’annulation de l’ordonnance en tant que ses dispositions s’appliquent à son territoire, la Polynésie française soutenait notamment que celle-ci ne respectait pas le principe de spécialité législative applicable en Polynésie française en vertu de l’article 74 de la Constitution et de la loi organique n°
2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française (LOPF).
Après avoir rappelé les compétences respectives de la Polynésie française et de l’État, précisées par la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, le Conseil d’État examine, pour chacune des dispositions de l’ordonnance, leur rattachement aux compétences ainsi définies par la loi organique. À l’issue de cet examen, il juge qu’aucune de ces dispositions ne se rattache aux missions confiées à la Polynésie française en matière de sécurité de la circulation et la navigation dans les eaux intérieures du territoire, d’immatriculation des navires, de sécurité des navires d’une longueur de référence inférieure à 24 mètres qui ne sont pas destinés au transport de passagers, de protection de l’environnement et de conservation du domaine public ou encore de formation professionnelle. Les dispositions de l’ordonnance ont trait, en revanche, à la police et à la sécurité de la circulation maritime ainsi qu’à la sécurité des navires, autre que celle des navires relevant de la compétence de la Polynésie française, et relèvent ainsi des compétences attribuées à l’État.
L’ensemble des dispositions concernant la Polynésie française ayant été validées par le Conseil d’État, le cadre juridique applicable à l’exploitation et la navigation des drones maritimes et navires autonomes devra être complété par l’adoption de textes d’application.
***
Urbanisme et aménagement (Habitat)
CE, 26 juin 2023, Syndicat des professionnels de la location meublée, n° 458799, aux Tables
Réglementation des activités économiques - Meublés de tourisme - Faculté de soumettre à autorisation la location d’un local commercial en tant que meublé de tourisme - Champ d’application des règles du code du tourisme.
Précisions sur le régime juridique applicable en matière de location d’un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme
Les règles applicables en matière de location d’un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme ne se cumulent pas et ne se confondent pas avec celles relatives aux changements d’usage des locaux meublés d’habitation.
La
loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a ajouté à l’article L. 324-1-1 du code du tourisme un IV bis selon lequel
« sur le territoire des communes ayant mis en œuvre la procédure d’enregistrement prévue au III [de ce même article], une délibération du conseil municipal peut soumettre à autorisation la location d’un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme. Cette autorisation est délivrée au regard des objectifs de protection de l’environnement urbain et d’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, par le maire de la commune dans laquelle est situé le local ».
Cette disposition s’inscrit dans le cadre plus général des dispositifs prévus notamment par le code de la construction et de l’habitation visant à réguler, essentiellement dans les communes littorales ou touristiques, les locations de meublés de tourisme via des plateformes dédiées et à assurer le maintien sur le marché locatif d’un nombre suffisant de logements.
Le décret
2021-757 du 11 juin 2021 pris pour l’application de ces dispositions de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme était contesté par le syndicat des professionnels de la location meublée.
Par la décision commentée, le Conseil d’État rejette cette requête. Il juge que les dispositions du IV bis ajoutées à l’article L 324-1-1 du code du tourisme, ont pour seul objet de compléter le cadre juridique de la location des meublés de tourisme, pour permettre aux communes de soumettre à autorisation la location en qualité de locaux à usage commercial, tels que ceux accueillant des commerces et des restaurants. En revanche, ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de régir la situation des locaux meublés à usage d’habitation soumis pour leur part à l’application des article L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation quelle que soit la destination des immeubles dans lesquels ils sont inclus.
Le Conseil d’État délimite également le champ matériel des locaux concernés par les dispositions du code du tourisme en indiquant que les locaux à usage commercial dont la location est susceptible d’être soumise à autorisation en application du code du tourisme sont les locaux inclus dans des constructions dont la destination est le commerce et les activités de service au sens du 3° de l’
article R. 151-27 du code de l’urbanisme, ou, pour les communes dont le plan local d’urbanisme relève du régime antérieur à la loi n°
2014-366 du 24 mars 2014, celles dont la destination est le commerce, l’hébergement hôtelier ou l’artisanat au sens des dispositions antérieurement applicables.
*
Urbanisme et aménagement
CE, 10 juillet 2023, M. F. et autres, n° 462717, aux Tables
Plans d’occupation des sols (POS) et plans locaux d’urbanisme (PLU) - Faculté de déroger aux règles de densité en faveur d’un projet de transformation à usage principal d’habitation d’un immeuble (3° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme) - Règles relatives à l’emprise au sol, à la hauteur ou au gabarit.
La dérogation aux règles de densité prévues au 3° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme s’applique à la fois aux règles d’emprise au sol, de hauteur ou de gabarit fixées par le PLU
Par une décision rendue le 10 juillet 2023, le Conseil d’État confirme que les dispositions du 3° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme permettent de déroger à l’ensemble des règles affectant la densité d’un projet, et en particulier aux règles de hauteur fixées par un plan local d’urbanisme.
Aux termes de cet article, dans sa rédaction alors en vigueur, l’autorité compétente peut « (…)3° Déroger aux règles relatives à la densité et aux obligations en matière de création d’aires de stationnement et, dès lors que la commune ne fait pas l’objet d’un arrêté au titre de l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation, aux règles adoptées en application de l’article L. 151-15 du présent code, pour autoriser la transformation à usage principal d’habitation d’un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation, dans la limite d’une majoration de 30 % du gabarit de l’immeuble existant (…) ».
L’article UG 10 du règlement de PLU de Paris prévoit des règles de gabarit-enveloppe déterminant le prospect, c’est-à-dire les conditions de distance et d’éloignement à respecter pour l’implantation d’un bâtiment selon sa hauteur au droit de la façade à son point le plus haut, selon, notamment, qu’il se trouve en bordure de voie ou en recul de l’alignement et, enfin, selon le secteur d’implantation. En l’espèce, sur le terrain d’assiette du projet litigieux, le garage existant dépassait déjà la hauteur permise par le PLU et le projet autorisé prévoyait encore une surélévation.
Au titre de la dérogation aux règles d’un PLU accordée pour des projets portant transformation d’un immeuble existant en logement dans les communes situées en zone tendue, prévue au 3° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme, la maire de Paris a autorisé le projet.
Dans leur pourvoi, les requérants faisaient valoir que les « règles de densité » mentionnées au 3° de l’article L. 152-6 seraient les seules règles auxquelles il peut être dérogé, à l’exclusion des règles de hauteur, la notion de « gabarit » n’étant évoquée que comme un résultat à atteindre et non comme une règle susceptible de dérogation.
Confirmant tant le jugement de rejet du tribunal administratif de Paris que l’analyse du ministère, présentée dans ses observations produites au soutien de la Ville de Paris, le Conseil d’État juge qu’ « il résulte de l’économie générale des dispositions précitées (…) qu’elles permettent, dans le cadre de l’autorisation d’un projet de transformation à usage principal d’habitation d’un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation, de déroger aux règles affectant la densité, c’est-à-dire à celles relatives à l’emprise au sol, à la hauteur ou au gabarit des bâtiments fixées par le règlement du plan local d’urbanisme, dans la limite d’une majoration de 30 % du gabarit de l’immeuble existant ».
À noter que dans ses conclusions sur l’affaire, le rapporteur public relevait avoir eu de « fortes raisons d’hésiter », « confronté à une malfaçon législative » et avoir conscience de ce que la solution proposée constituait « un effort d’interprétation significatif » mais justifié par la clarté de l’objectif du dispositif, à savoir la densification des constructions dans les zones urbaines tendues.
*
CE du 12 juin 2023, n° 466725, SCI Mornans, aux Tables
Règles générales d’utilisation du sol - Prescriptions d’aménagement et d’urbanisme - lois des 9 janvier 1985 et 28 décembre 2016 relatives au développement et à la protection des territoires de montagne - annexes de taille limitée aux constructions existantes
Précisions sur la notion d’annexe de taille limitée en zone de montagne
En zone de montagne, la détermination des « annexes de taille limitée » s’effectue en tenant compte, d’une part, de leur implantation et, d’autre part, de leur taille limitée et de leur ampleur par rapport aux constructions principales existantes.
En vertu de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme, l’urbanisation en zone de montagne doit en principe être exclusivement réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants.
Par une décision du 12 juin 2023, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative de Lyon n° 21LY01460 du 14 juin 2022 sur pourvoi du ministre de la transition écologique, et apporte d’utiles précisions sur les conditions de mise en œuvre de l’exception prévue à ce principe par ce même article L. 122-5 s’agissant de la « construction d’annexes, de taille limitée, aux constructions existantes », notion introduite par la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne.
Le Conseil d’État a ainsi jugé que « la cour administrative de Lyon, en se bornant […] à apprécier la taille limitée de chacune des annexes, a commis une erreur de droit, faute d’avoir recherché si l’ensemble des constructions secondaires, existantes et envisagées, pouvaient, eu égard, d’une part, à leur implantation par rapport aux constructions principales existantes et à leur ampleur limitée en proportion de ces dernières, et, d’autre part, à leur taille elle-même limitée, être regardées comme constituant des annexes de taille limitée au sens de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme ». Le Conseil d’État censure donc la cour pour ne s’être interrogée que sur le premier critère alors que les deux critères ainsi définis sont cumulatifs.
L’application de ces critères devrait donc permettre d’assurer un réel contrôle des constructions d’annexes dans les zones de montagne pour garantir le respect des grands objectifs issus de la loi Montagne du 9 janvier 1985, notamment celui d’éviter le mitage de l’urbanisation en zone de montagne.
***