Domanialité publique
CE, 5 juin 2023, M. A. B. P…, n° 467295, aux Tables
Protection du domaine public contre les occupations irrégulières – Référé tendant au prononcé de mesures utiles – Recevabilité – Compétence du préfet du département
Le préfet de département est compétent pour introduire, au nom de l’État, un référé mesures utiles afin de faire expulser un occupant sans titre du domaine public maritime naturel
Le Conseil d’État juge que le préfet de département, chargé de la protection et de la gestion du domaine public maritime, a qualité pour saisir, au nom de l’État, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, le juge des référés d’une demande tendant à ce que soit ordonnée l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre de ce domaine.
Sollicitant l’annulation d’une ordonnance, prise en ce sens, par le juge des référés du tribunal administratif de Bastia, le requérant soutenait notamment que le juge des référés avait commis une erreur de droit en ne relevant pas d’office le moyen d’ordre public tiré de l’irrecevabilité de la requête du préfet de la Corse-du-Sud, qui n’était pas compétent, selon lui, pour introduire une requête sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative.
Ainsi que l’a relevé le rapporteur public, en se fondant sur les différents textes en vigueur dont les articles R.431-9 et R. 431-10 du code de justice administrative, la demande d’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public de l’État ne devrait pas, en principe, être introduite par le préfet. En l’absence de délégation de compétence, cette demande devait être présentée par le ministre intéressé - en l’occurrence, ici, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Pour reconnaître néanmoins la compétence du préfet, le Conseil d’État se fonde sur le fait que « l’autorité domaniale est tenue, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l’utilisation normale et au maintien de l’intégrité du domaine public et d’exercer à cet effet les pouvoirs qu’elle tient de la législation en vigueur. À cette fin, elle peut notamment saisir le juge administratif des référés, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’une demande tendant à ce que celui-ci prononce toute mesure utile ». Le représentant dans le département, chargé de la protection et de la gestion du domaine public maritime, a dès lors qualité pour remplir ce rôle.
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Environnement (chasse)
CE, 24 mai 2023, nos 459400, 459403, 459405, 459409, 460152, 460530, inédit
Méthodes de chasse traditionnelles - Arrêtés-cadres - Conditions d’absence d’autre solution satisfaisante et de sélectivité
Confirmation de l’annulation des arrêtés cadres de 1989 relatifs aux chasses traditionnelles
Après la suspension, dans le cadre d’un référé (CE, 21 octobre 2022, Associations LPO et One Voice, n° 468151 et s.), de l’exécution des cinq arrêtés du 17 août 1989 encadrant la capture des grives et des merles à l’aide de gluaux, la tenderie aux vanneaux et aux grives ainsi que la capture de l’alouette des champs au moyen de pantes et de matoles, le Conseil d’État s’est prononcé sur les demandes à fin d’annulation de ces arrêtés.
C’est sans grande surprise, compte tenu du nombre important de décisions allant désormais dans le même sens (voir par exemple CE, 28 juin 2021, Association One Voice et LPO, n°425519 et autres, aux Tables ; CE, 6 août 2021, 443742 et autres ; CE, 23 novembre 2022, n°457544 et autres), que le Conseil d’État a annulé les arrêtés attaqués, en retenant que les trois premiers types de chasses traditionnelles ne sauraient se justifier, ainsi que l’avait déjà relevé la Cour de justice de l’Union européenne, tout d’abord en raison de l’existence de solutions alternatives satisfaisantes telles que la chasse à tir ou l’élevage et, ensuite, du fait du manque de sélectivité de ces pratiques à l’égard des espèces non visées (CJUE, 17 mars 2021, n° C-900/19 ; v. aussi, sur ces conditions, art. L. 424-4 du code de l’environnement).
Si le juge a retenu qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les demandes d’annulation des arrêtés de 1989 afférents à la chasse au moyen de pantes et de matoles, ceux-ci ayant été abrogés par des arrêtés du 4 octobre 2022 de même objet, le Conseil d’État confirme, par ces décisions, que c’est la possibilité même de pratiquer ces chasses qui est aujourd’hui remise en cause.
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CE, 2 juin 2023, One Voice, n° 460895, inédit
Actes administratifs - Délai entre la publication et la prise d’effet - Droit au recours effectif – Absence de délai minimal
Réduction du délai entre la publication et la prise d’effet des arrêtés préfectoraux d’ouverture de chasse
Entérinant les mesures exceptionnelles prises durant la crise de la Covid-19 en matière de chasse, le 2° de l’article 1 et l’article 2 du décret n° 2021-1779 du 23 décembre 2021 relatif à diverses dispositions cynégétiques, dont l’objet était notamment de réduire le délai entre la publication et la prise d’effet des arrêtés autorisant la chasse, ne méconnaissent pas le droit à un recours effectif selon le Conseil d’État.
Initialement fixé à dix jours dans le code rural, le délai minimal devant être observé entre, d’une part, la date de publication des arrêtés préfectoraux fixant la date d’ouverture de la chasse à tir et le nombre d’animaux à prélever, et, d’autre part, la date d’ouverture de la chasse, est passé à vingt jours avec le décret du 27 octobre 1989 portant codification et modification des textes réglementaires concernant la protection de la nature (
article R. 224-3 ancien). Par la suite, ce délai n’a plus fait l’objet de modification, y compris lors de sa codification (
article R. 424-6 du code de l’environnement). La crise sanitaire liée au Covid-19 a toutefois conduit à ce que ce délai soit temporairement ramené à 7 jours par le décret n° 2020-583 du 18 mai 2020. Le décret attaqué pérennise ce régime provisoire. Il a fait l’objet d’un recours formé par une association.
L’argument principal de la requête concernait la méconnaissance du droit au recours effectif. Il était en effet soutenu que la durée laissée entre la publication de l’arrêté et sa date d’effet était trop restreinte pour permettre au juge des référés d’en suspendre l’exécution avant le début de la chasse et pouvait, des lors, conduire à des atteintes irréversibles à l’environnement, notamment à l’égard d’espèces en mauvais état de conservation. Ce moyen est écarté, le Conseil d’État jugeant que
« les dispositions contestées du décret attaqué sont par elles-mêmes sans effet sur la possibilité ouverte aux tiers de former un recours contre les arrêtés préfectoraux en cause, notamment par le biais d’un recours en référé ». À cet égard, si le délai laissé pour former un recours constitue une composante du droit à un recours effectif (voir par exemple la décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017), le juge administratif dispose néanmoins des outils nécessaires pour, le cas échéant, faire cesser les atteintes avant qu’elles surviennent : c’est notamment le cas du référé-suspension et, depuis la décision
M. et Mme Panchaud du 20 septembre 2022, du référé-liberté, procédure qui implique que le juge statue dans les quarante-huit heures de sa saisine.
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CE, 22 juin 2023, Fédération nationale des chasseurs et autres, nos 454722 et suivants, inédit
Dégâts de grand gibier – Conventionalité du régime d’indemnisation
Conventionalité du régime d’indemnisation des dégâts de grand gibier
Le Conseil d’État juge que les dispositions confiant aux fédérations de chasseurs la charge de l’indemnisation des dégâts de grand gibier ne méconnaissent ni le droit à la protection des biens, garanti par l’article 1
er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni l’article 14 de cette convention qui prohibe les traitements discriminatoires.
Confrontées à l’augmentation de la charge financière liée à l’indemnisation des dégâts de grand gibier, plusieurs fédérations des chasseurs contestaient les dispositions législatives et réglementaires qui mettent à leur charge l’indemnisation des dégâts de grand gibier.
Le Conseil constitutionnel, par une décision du 20 janvier 2022 (décision n°
2021-963 QPC rendue sur renvoi du Conseil d’État), avait écarté les griefs de constitutionnalité soulevés à l’encontre des articles L. 421-5, L. 426-3 et L. 426-5 du code de l’environnement.
Restait alors à confronter le dispositif contesté au droit de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Par la décision commentée, le Conseil d’État écarte également ces moyens. Il juge, d’abord, que les fédérations ne sont pas placées dans la même situation que les autres contribuables au regard des missions de service public qui leur incombent et des ressources qu’elles perçoivent pour les mener à bien, de sorte que les dispositions litigieuses n’ont pas pour effet de créer une discrimination injustifiée.
Il retient, ensuite, que le droit à la protection des biens n’est pas méconnu, dès lors qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations à l’exercice du droit de propriété et les exigences d’intérêt général poursuivies par la législation. À cet égard, si les fédérations soutenaient que les chasseurs ne comptent pas parmi les bénéficiaires des dispositifs d’indemnisation, ne sont pas responsables des dégâts causés par les espèces de grand gibier, qu’ils contribuent au contraire à réguler, et qu’ils subissent de manière croissante le coût de l’indemnisation de ces dégâts, la loi prévoit que seuls certains dégâts (causés aux cultures, aux inter-bandes des cultures pérennes, aux filets de récoltes agricoles ou aux récoltes agricoles) peuvent donner lieu à une indemnisation, s’ils sont supérieurs à un seuil minimal, dont le montant est déterminé sur la base de barèmes fixés par la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, et qui fait l’objet d’un abattement proportionnel. L’indemnité peut en outre être réduite, s’il est établi que l’exploitant a une part de responsabilité dans la survenance des dégâts et aucune indemnité n’est due si les dommages ont été causés par des gibiers provenant de son propre fonds. Ces motifs, très proches de ceux retenus auparavant par le Conseil constitutionnel, ont conduit le Conseil d’État à écarter ce moyen.
Après le Conseil constitutionnel, c’est donc le Conseil d’État qui ferme la voie de la contestation contentieuse de ce régime.
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Environnement (Risques)
CE, 21 avril 2023, Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises, n° 433889, Inédit
Publicité des produits biocides - Possibilité de réglementer les pratiques commerciales et la publicité sous certaines limites
Le règlement (UE) n° 528/2012 sur les biocides s’oppose à ce qu’une réglementation nationale impose une mention supplémentaire pour leur publicité à destination des professionnels
Le Conseil d’État annule les dispositions du II de l’article R. 522-16-2 du code de l’environnement qui imposaient des restrictions en matière de publicité des produits biocides à destination des professionnels en apposant une mention sur la nécessité de privilégier le recours à des produits moins nocifs.
Ces dispositions ont été attaquées par le Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises et plusieurs fabricants. Le Conseil d’État a, dans un premier temps, sursis à statuer sur ces requêtes, dans l’attente de la réponse de la Cour de justice de l’Union européenne aux questions préjudicielles qu’il lui a posées, portant sur l’interprétation du règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides. Le Conseil d’État demandait à la Cour si ce règlement s’opposait à ce qu’un État membre adopte, dans l’intérêt de la santé publique et de l’environnement, des règles restrictives en matière de pratiques commerciales et de publicité, et, le cas échéant, sous quelles conditions un Etat membre pouvait adopter de telles mesures.
Par un arrêt du 19 janvier 2023, la juridiction communautaire a jugé que le règlement sur les biocides s’opposait à ce qu’une réglementation nationale impose une mention supplémentaire pour leur publicité à destination des professionnels (CJUE, 19 janvier 2023, CIHEF et autres, C-147/21, commenté dans Angle droit de mars 2023). C’est en se fondant sur cette interprétation que le Conseil d’État a annulé les dispositions du II de l’article R. 522-16-2 du code de l’environnement.
La Cour de justice a, en revanche, jugé que les États membres pouvaient prendre des mesures plus strictes en ce qui concerne certaines pratiques commerciales et de publicité à destination du grand public, dès lors qu’elles n’affectent pas l’accès au marché français de produits originaires d’autres États membres. Le Conseil d’État n’a donc pas fait droit à la demande d’annulation des dispositions de l’article R. 522-16-1 du code de l’environnement, également attaquées, qui portent sur les pratiques commerciales prohibées pour certaines catégories de produits biocides, comme les remises et les rabais.
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CE, 3 mai 2023, Association Agir pour l’environnement et autres, n° 450155 et autres, inédit
Règlementation des produits phytosanitaires - régime de dérogation - champ d’application
Il n’y a pas de dérogation possible à l’interdiction européenne en matière de néonicotinoïdes
Le Conseil d’État juge que les dérogations à l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes pour la culture de betteraves sucrières, qui avaient été temporairement accordées par des arrêtés des 5 février 2021 et 31 janvier 2022, sont illégales.
Cette décision fait suite à l’arrêt du 19 janvier 2023 par lequel la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les dispositions du paragraphe 1 de l’article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 devaient être interprétées en ce sens qu’elles ne permettent pas à un État membre d’autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue du traitement de semences, ainsi que la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de ces produits, dès lors que la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de ces produits ont été expressément interdites par un règlement d’exécution (CJUE, 19 janvier 2023, Pesticide Action Network Europe e.a., C-162/21, commenté dans Angle droit de mars 2023). Or, s’agissant des substances actives « imidaclopride » et « thiaméthoxame », la Commission européenne avait interdit la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de ces deux substances actives par deux règlements d’exécution (UE) 2018/783 et (UE) 2018/785 du 29 mai 2018.
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CE, 10 mai 2023, SARL Lombricorse, n° 447189, aux Tables
ICPE – Compétence liée du préfet pour mettre en demeure l’exploitant – Faculté d’arrêter une ou plusieurs mesures de sanction
Devoirs et pouvoirs du préfet face à un exploitant d’ICPE ne respectant pas ses obligations
Le Conseil d’État juge que lorsque l’inspecteur des installations classées a constaté, selon la procédure requise par le code de l’environnement, l’inobservation de conditions légalement imposées à l’exploitant d’une installation classée, le préfet est tenu d’édicter une mise en demeure de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé, qui a pour objet, en tenant compte des intérêts qui s’attachent à la fois à la protection de l’environnement et à la continuité de l’exploitation, de permettre à l’exploitant de régulariser sa situation, en vue d’éviter une sanction, et notamment la suspension du fonctionnement de l’installation. En cas de non-exécution de son injonction, le préfet peut arrêter une ou plusieurs des mesures de sanction prévues par la loi, au regard de la nature des manquements constatés et de la nécessité de rétablir le fonctionnement régulier de l’installation.
Cette décision reprend la solution de principe énoncée sur le fondement de l’article L. 514-1 du code de l’environnement alors en vigueur (CE, 9 juillet 2007, Ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables c/ Société Terrena-Poitou, n° 288367, aux Tables) et rappelle la situation de compétence liée dans laquelle se trouve le préfet, en application de l’actuel article L. 171-8 du même code, pour mettre en demeure un exploitant d’installation classée de satisfaire aux conditions qui lui sont imposées par la règlementation applicable. Une telle mise en demeure ne constitue pas une sanction. Le Conseil d’État juge par contre qu’en cas de défaut d’exécution de cette mise en demeure, le préfet dispose d’un pouvoir d’appréciation pour prononcer une sanction, qu’il choisit parmi celles prévues au même article L. 171-8 et qui doit être adaptée à la nature des manquements constatés et à la nécessité de rétablir le fonctionnement régulier de l’installation.
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Habitat
CC, 26 mai 2023, n°2023-1050 QPC
Bail d’habitation - Droit de reprise du bailleur – Relogement du locataire sous conditions d’âge et de ressources – Offre dans un périmètre géographique déterminé - Droit de propriété
Obligation de relogement de locataires seniors à revenus limités : conformité à la Constitution du III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989
Le Conseil constitutionnel juge que les dispositions du paragraphe III de l’
article 15 de la loi du 6 juillet 1989 ne portent pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Ce dispositif limite la possibilité pour le bailleur de s’opposer au renouvellement du bail de son locataire lorsque celui-ci est âgé de plus de 65 ans et dispose de revenus limités, en l’obligeant à proposer à son locataire un nouveau logement à proximité de son domicile.
La Cour de cassation, saisie d’un litige concernant un logement donné à bail situé à Paris où les bailleurs devaient reloger leur locataire dans le même arrondissement ou l’un des arrondissements limitrophes de la location, avait transmis cette question prioritaire de constitutionnalité (
Cass., 3è civ., 30 mars 2023, n°22-21.763, publié au bulletin). La Cour estimait que le moyen, tiré de ce que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée aux conditions d’exercice du droit de propriété du bailleur, soulevait une question présentant un caractère sérieux. Les requérants soutenaient en effet que l’état du marché locatif dans le secteur concerné était susceptible de rendre impossible la soumission d’une telle offre de relogement.
L’examen du Conseil constitutionnel a plus précisément porté sur les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’
article 13 bis de la loi n°48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction résultant de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Au regard des exigences de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel considère d’abord que les dispositions litigieuses portent effectivement atteinte au droit de propriété en limitant le droit du bailleur de donner congé à son locataire à l’expiration du contrat.
Le Conseil relève toutefois que les dispositions litigieuses s’inscrivent dans l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent. En effet, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu protéger les locataires seniors et disposant de faibles ressources contre le risque de devoir quitter leur résidence principale et de la difficulté de se reloger qui en résulte. En parallèle, l’obligation de soumettre une offre de relogement au locataire ne s’applique pas au bailleur âgé de plus de soixante-cinq ans ou lorsque ses ressources annuelles sont inférieures au même plafond que celui fixé pour les locataires.
Le Conseil juge également que les difficultés pratiques que pourrait rencontrer le bailleur pour formuler une offre de relogement situé dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi du 1
er septembre 1948 n’entachent pas, par elles-mêmes, d’inconstitutionnalité les dispositions contestées. Il indique, d’ailleurs, que le bailleur conserve la possibilité de vendre son bien ou d’en percevoir un loyer et dispose, en outre, de la faculté d’assigner le locataire en résiliation du bail et en expulsion, en cas de manquement à ses obligations.
Par suite, le Conseil constitutionnel valide la conformité à la Constitution du dispositif.
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CE, 25 mai 2023, Union nationale des propriétaires immobiliers, n° 458153, n° 458155, n° 458156, inédit (trois arrêts)
Dispositif expérimental d’encadrement des loyers prévu à l’article 140 de la loi ELAN – Périmètre d’application du dispositif fixé par décret – Acte dépourvu de caractère réglementaire – Limitation proportionnée de l’exercice du droit de propriété – Absence de discrimination entre territoires
Les décrets fixant les périmètres d’encadrement des loyers passent le test du Conseil d’État
Le Conseil d’État rejette les requêtes tendant à l’annulation des décrets du 2 septembre 2021 fixant le périmètre d’application du dispositif d’encadrement des loyers prévu à l’
article 140 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (loi ELAN), respectivement sur les territoires de Bordeaux Métropole, de la métropole de Lyon et de Montpellier Méditerranée Métropole.
L’article 140 de la loi ELAN permet, dans certaines zones tendues et à la demande des autorités compétentes en matière d’habitat, un encadrement du niveau des loyers à la mise en location et au renouvellement du bail, à titre expérimental et initialement pour une durée de 5 ans, étendue à 8 ans par l’
article 85 de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, soit jusqu’au 25 novembre 2026. Ce dispositif s’applique aux logements situés dans les « zones d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d’acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d’emménagements annuels dans le parc locatif social ». Dans les territoires concernés, définis par décret, le préfet fixe annuellement un loyer de référence, un loyer de référence majoré (supérieur de 20 %) et un loyer de référence minoré (diminué de 30 %) par catégorie de logement et secteur géographique.
Dans les décisions commentées, étaient attaqués trois décrets du 2 septembre 2021 fixant les périmètres du dispositif d’encadrement des loyers sur les territoires de Bordeaux Métropole (n°
2021-1145), de la métropole de Lyon (n°
2021-1143) et de Montpellier Méditerranée Métropole (n°
2021-1144).
Les requérants ont saisi le Conseil d’État de recours en annulation de chacun de ces décrets, en invoquant notamment la méconnaissance des stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), le défaut d’examen par le ministre des conditions posées par l’article 140 de la loi ELAN et l’illégalité des délibérations des conseils métropolitains sollicitant la mise en place du dispositif d’encadrement des loyers.
Le Conseil d’État écarte, d’abord, les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er de son premier protocole additionnel. Confirmant l’approche adoptée dans la décision du 10 mai 2022 relative à la ville de Paris (CE, n°431485, aux Tables), il retient que la limitation apportée à l’exercice du droit de propriété résultant de la fixation par le préfet des loyers de référence, au demeurant à titre expérimental, présente un rapport raisonnable de proportionnalité avec l’exigence d’intérêt général d’accès au logement dans les zones tendues, compte tenu de leurs caractéristiques.
Dans ces contentieux, sont également souvent invoqués des moyens tirés de ce que d’autres territoires, parfois proches, ne sont pas soumis au même dispositif. La loi suppose toutefois un choix de la collectivité de mettre en œuvre cette politique sur son territoire. Il en résulte fort logiquement que le Conseil d’État, d’une part, écarte l’idée qu’il pourrait y avoir une discrimination entre des territoires présentant des caractéristiques identiques et, d’autre part, qu’il n’appartient pas au Premier ministre d’examiner d’office si des territoires voisins sont susceptibles d’être concernés.
Enfin, après examen des caractéristiques propres à chaque territoire au regard des critères fixés par l’article 140 de la loi ELAN, le Conseil d’État retient que les trois décrets concernés pouvaient légalement mettre en place le dispositif en cause.
Après trois décisions concernant des territoires de la région parisienne (outre la décision du 10 mai 2022 précitée, voir également à la même date les décisions n°449603 et n°454450), les trois décisions commentées viennent donc asseoir un peu plus le dispositif d’encadrement des loyers.
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Transports
CE, 1er juin 2023, Association Respire et autres, n° 473930, Inédit
Obligation de transposition des directives - Urgence et doute sérieux justifiant la suspension du refus d’adopter des mesures de transposition
Les mesures nécessaires à la mise en place du contrôle technique des deux roues doivent être prises dans un délai de deux mois
Le juge des référés du Conseil d’État enjoint à l’État de prendre l’arrêté d’application du décret du 9 août 2021 relatif à la mise en place d’un contrôle technique périodique des véhicules motorisés à deux ou trois roues, dans un délai de deux mois à compter de la notification de sa décision.
Le Conseil d’État a annulé, le 31 octobre 2022, un décret du 25 juillet 2022 qui avait abrogé, compte tenu des mesures alternatives à ce contrôle périodique mises en place, le décret du 9 août 2021. Ce faisant, le Conseil d’État avait rétabli les dispositions du décret d’août 2021 rendant obligatoire ledit contrôle à compter du 1er janvier 2022.
Plutôt que demander au Conseil d’État, dans le cadre d’une procédure d’exécution, de prescrire au Gouvernement de prendre les mesures d’application rendues nécessaires par sa décision, les associations requérantes demandaient la suspension de la décision implicite de refus de la Première ministre, préalablement saisie par leurs soins dans le cadre d’un recours gracieux, de les adopter.
Elles soutenaient notamment, en substance, que cette décision méconnaissait l’obligation d’assurer en droit interne la transposition de la directive 2014/45/UE ainsi que l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions du Conseil d’État.
Le juge des référés du Conseil d’État retient, d’une part, que « eu égard à l’objectif d’amélioration de la sécurité routière et de protection de l’environnement recherché par la directive (…), l’intérêt public commande par suite que soient prises les mesures nécessaires pour faire cesser l’atteinte aux droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne ». D’autre part, en l’état, le processus d’élaboration de l’arrêté d’application, présenté lors de l’audience, n’est « pas de nature à justifier de la transposition de la directive ». L’urgence et le doute sérieux quant à la légalité de la décision implicite de refus sont dès lors constitués et le Conseil enjoint au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires dans un délai de deux mois.
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Urbanisme et aménagement
CE, 2 juin 2023, Mme C., n° 449820, aux Tables
Urbanisme - Application des règles fixées par les POS ou les PLU - Application dans le temps - Permis de construire - Utilisation du sol
Incidence des modifications des règles d’un plan local d’urbanisme entré en vigueur postérieurement à l’octroi d’un permis de construire sur l’utilisation d’un terrain
Le classement en zone agricole d’une parcelle par le règlement d’un plan local d’urbanisme (PLU) n’a pas d’incidence sur les droits acquis qu’un bénéficiaire tient d’un permis de construire délivré antérieurement à l’approbation de ce PLU. En revanche, cette nouvelle affectation des sols peut empêcher l’exercice d’une activité économique non conforme à l’utilisation des sols arrêtée par le nouveau PLU pour le terrain en question.
En l’espèce, un propriétaire avait obtenu un permis de construire en 1959 pour la réalisation d’un immeuble comprenant notamment un atelier, des bureaux et deux appartements. Peu après la conclusion d’un bail commercial avec une société de transport, le nouveau PLU a classé la parcelle en cause en zone agricole où seules sont autorisées les occupations ou constructions nécessaires à l’exploitation agricole.
Le maire a alors informé la société de transport que son activité était contraire aux nouvelles dispositions du règlement du PLU. Ladite société ayant résilié son bail, la propriétaire a saisi la juridiction administrative en vue d’obtenir la réparation des préjudices subis du fait de cette résiliation anticipée du bail causée, selon elle, par le courrier du maire.
Le Conseil d’État a jugé que le titulaire d’un permis de construire tient de celui-ci des droits qui ne sauraient être affectés par les dispositions d’un PLU entrées en vigueur postérieurement à sa date de délivrance.
Il a toutefois relevé que le permis de construire dont la requérante tenait des droits n’autorisait pas une activité économique. Le Conseil d’État en a donc déduit que ne méconnaît pas les droits que la requérante tenait du permis le courrier par lequel le maire a indiqué à la société preneuse du bail commercial que le stationnement de véhicules, au titre de son activité économique de transport, était contraire aux dispositions du règlement du PLU limitant l’affectation des sols dans cette zone à l’exercice d’activités agricoles.
Une précision relative à la procédure contentieuse a également été apportée par le Conseil d’État, qui a retenu que si la requérante a dirigé à tort sa demande indemnitaire contre la commune, alors que le maire avait agi en tant qu’autorité de l’État, cette circonstance n’a pas privé la commune de sa qualité de partie à l’instance dès lors que l’action indemnitaire a été formée à son encontre.
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CE 14 juin 2023, Fédération nationale des unions de jeunes avocats et autres, n° 466933, 466947 et 466955, aux Tables
Règles de procédure contentieuse spéciales - Nature et environnement - Principe de non-régression – Inopérance du moyen tiré de la méconnaissance de ce principe pour contester l’aménagement de la règle de l’appel
Le Conseil d’État valide la suppression temporaire du degré d’appel pour certains types de contentieux d’urbanisme
Le Conseil d’État rejette les requêtes introduites contre le décret n° 2022-929 du 24 juin 2022, portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme (parties réglementaires), qui a pour objet de prolonger et d’étendre la suppression du degré d’appel prévue par l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative (CJA) pour différents contentieux d’urbanisme.
Dans sa rédaction issue du décret précité, l’article R. 811-1-1 du CJA prévoit la prolongation de la suppression du degré d’appel pour certains contentieux, notamment ceux visant les permis de construire ou d’aménager de projets situés en zones dites tendues au regard du besoin de logements, tout en la limitant aux permis comportant trois logements et plus. Cet article prévoit également l’extension de la suppression de l’appel aux contentieux liés aux actes de création et d’approbation du programme des équipements publics des zones d’aménagement concerté portant principalement sur la réalisation de logements et situées en tout ou partie en zone tendue, ainsi qu’aux contentieux en matière environnementale relatifs à des actions ou opérations d’aménagement situées en tout ou partie en zone tendue et réalisées dans le cadre des grandes opérations d’urbanisme ou d’opérations d’intérêt national.
L’objectif recherché par ce dispositif est de favoriser le développement de l’offre de logements et le renouvellement urbain.
Par sa décision du 14 juin 2023, le Conseil d’État valide l’intégralité du dispositif et l’article R. 811-1-1 du CJA dans sa rédaction issue du décret du 24 juin 2022.
Alors qu’était invoqué le principe de non-régression, consacré par l’article L. 110-1 du code de l’environnement, le Conseil d’État juge que ce principe, propre à la matière environnementale, ne peut être utilement invoqué pour contester des dispositions qui aménagent, en matière contentieuse, la règle de l’appel.
Les dispositions de l’article R. 811-11-1 dans sa nouvelle version s’appliquent aux recours introduits entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2027.