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COMmunauté Écologie et TErritoires - Numéro 3 - Octobre 2024
Par Eric BRUA, Directeur de la Fédération nationale des parcs naturels régionaux
L’urgence écologique est désormais bien ancrée dans les consciences. La science a largement contribué à éclairer l’opinion publique sur le caractère vital des modifications de nos modes de vie. Il s’agit désormais de mettre la société en mouvement et massivement.
La concertation est au cœur du projet des Parcs naturels régionaux. Convaincre plutôt que contraindre résume l’esprit dans lequel nous inscrivons nos actions depuis plus de 50 ans. Nous avons expérimenté, innové en accompagnant les initiatives locales. Pourtant ces changements peinent encore à se généraliser. Et ce qui devrait fédérer est au contraire très souvent source de tensions. Ces tensions nous les voyons croitre dans nos territoires.
Pour faire face à ces blocages nous devons requestionner nos pratiques. Il ne s’agit pas que d’une question d’intention ou de volonté. Cela impactera durablement nos métiers et nos savoir-faire. Cela questionnera également les rôles respectifs des élus et des techniciens. Cela passera enfin par des pratiques de concertation moins descendantes et une nouvelle forme d’apprentissage plus collectif. Heureusement de nombreuses expériences existent qui peuvent nous inspirer.
La démarche « Où atterrir ? » et la « cartographie de controverse ».
Par S-Composition
© consortium où atterrir - La Mégisserie – Saint-Junien, Haute Vienne
Des méthodes et outils au service des acteurs pour encourager ceux-ci à faire état des tensions, en comprendre les ressorts, faire entendre et mieux saisir la pluralité des mondes, et faire émerger de nouvelles capacités d’agir.
Dans le cadre de l’Université des Terrestres, S-Composition expérimente plusieurs dispositifs d’accompagnement à l’enquête citoyenne au service de la transformation écologique des territoires. Il s’agit notamment des démarches « Où Atterrir ? » et de « cartographie de controverse ». Ces enquêtes ont pour point commun de ne jamais séparer forme et fond en mobilisant à chaque instant la recherche scientifique, la pratique collective de nouvelles manières de penser les questions politiques et le pouvoir transformateur des activités artistiques. Ces trois composantes permettent le développement de nouvelles descriptions des territoires ouvrant sur de nouvelles formes de participation à leur transformation. Il s’agit, en somme, d’accompagner les citoyens, - mais également les agents et les élus - dans l’acquisition d’outils et de méthodologies qui leur permettent de renouveler l’élaboration des politiques publiques. En outre, ces dispositifs d’enquête ont pour but de répondre aux enjeux écologiques, politiques et sociaux de notre époque en proposant de repartir depuis le citoyen et son territoire d’attachement. Repartir du citoyen est, en effet, essentiel pour parvenir, d’une part, à enquêter sur les réalités d’un territoire rendu difficile à comprendre par la complexité croissante des enjeux et, d’autre part, de sortir de certaines formes d’impuissance ou de décalages, en permettant le développement de solutions et de réponses publiques plus adaptées aux problématiques locales et nationales.
Où Atterrir ?
La démarche « Où atterrir ? » est issue du projet-pilote artistique, scientifique et politique, mené par le Collectif « Où atterrir ? » et portée par S-composition, en collaboration avec le philosophe Bruno Latour et inspirée de son livre Où atterrir ? Comment s’orienter en politique (Edition La Découverte, 2017). Il s’agit d’une recherche action, financée par le Ministère de la Transition écologique - et l’OARA en Nouvelle-Aquitaine -, qui vise à faire émerger une nouvelle description des territoires et de nouvelles formes de participation à leur transformation.
Cette expérimentation, qui s’est révélée très fructueuse et transformatrice, favorise notamment l’assemblage de nouveaux collectifs - dont la composition n’aurait pu être imaginée auparavant –, capables d’élaborer des doléances et/ou des propositions, adressées de façon précises et d’autant plus solides qu’elles s’adossent à des descriptions et des « enquêtes » approfondies. En permettant à l’enquête citoyenne de révéler les problématiques vécues par les habitants d’un territoire et de travailler dessus, « Où Atterrir ? » permet donc de travailler l’écart entre les attentes des citoyens et les politiques publiques mises en place pour y répondre.
La démarche permet tout à la fois de mieux appréhender la complexité et les interdépendances des sujets qui nous préoccupent, et de retrouver de nouvelles capacités d’agir, individuelles et collectives. Elle se développe aujourd’hui au travers de nouveaux projets « Où Atterrir ? » menés avec des collectivités territoriales, des entreprises, des lieux culturels, des universités, des collectifs et structures de différentes natures, et portés par différentes équipes au niveau national et international.
La cartographie de Controverse
La méthodologie de la cartographie de controverse est directement issue du champ des sciences and technology studies et des travaux de Bruno Latour, Michel Callon et Madeleine Akrich au centre de sociologie de l’innovation à L’École des Mines. D’abord pensée comme un exercice permettant de comprendre les controverses techniques, la démarche a ensuite été implantée et appliquée aux questions de politiques publiques et d’aménagement du territoire lors de l’arrivée de Bruno Latour à Sciences-Po. Depuis 2022, S-Composition accompagne l’appropriation et l’expérimentation de cette méthodologie directement par les citoyens. Contrairement à la démarche « Où Atterrir ? », l’enjeu ici n’est pas de faire émerger de nouveaux sujets de controverse mais d’enquêter avec une équipe d’habitants sur une controverse en cours. Cette enquête permet à la fois de cartographier les différentes positions caractérisant les tensions, de souligner les réseaux d’acteurs engagés, mais également de rendre à une controverse toute sa complexité afin de mieux parvenir à s’orienter et trouver des issues. Outil participatif, la cartographie de controverses est donc un instrument particulièrement efficace pour comprendre la pluralité des points de vue coexistants sur un même espace, en travailler les zones de tension, et faire émerger de nouvelles pistes de résolutions entendables pour chacun.
Un projet de cartographie de controverse est actuellement accompagné par S-Composition en partenariat avec La Maison-Ateliers sur le territoire du Trièves (38), en lien avec la Communauté de Communes. Un groupe d’enquêteurs réunissant des habitants et des élus du territoire y mène une investigation autour des usages de l’eau dans ce territoire rural de moyenne montagne. Le travail en cours a d’ores et déjà permis d’identifier par le groupe d’enquêteurs une pluralité d’approches de l’eau, chacune d’entre elles étant relayée par son propre réseau d’habitants, d’alliés, d’acteurs du territoire, d’idées, de représentations. Ce travail fait également émerger de nouvelles connaissances pour les acteurs impliqués, et génère de nouvelles pistes de travail et d’action, y compris en matière de politiques publiques.
Dépasser les tensions pour favoriser l’acceptabilité d’un projet urbain à impact à Gif-sur-Yvette
Par Julien Goupil et Léa Almayrac, Empreintes Citoyennes
Règlementaire ou volontaire, la participation citoyenne, étape de la décision, s’installe dans la gouvernance des politiques publiques. Pourtant les séquences de participation sont encore souvent source de confusion, de crispation, de défiance…
Depuis 10 ans, l’association Empreintes Citoyennes, porteuse du label national Villages et Villes Citoyen(ne)s, œuvre pour la culture citoyenne en accompagnant les collectivités territoriales sur trois volets : l’éducation à la citoyenneté, l’engagement citoyen et la participation citoyenne. Empreintes Citoyennes soutient les collectivités dans la mise en place de dispositifs participatifs et assure le rôle de tiers neutre. Forte de cette expérience, l’association sort du dogme et développe une méthode adaptée aux besoins du territoire pour créer les conditions d’un débat apaisé et d’une contribution utile.
Cette méthode déployée à Gif sur Yvette (91) de Juillet 2023 à Mars 2024 permet de tirer plusieurs enseignements sur la manière de dépasser les tensions et de favoriser l’acceptabilité d’un projet urbain à impact.
Contexte : La municipalité a souhaité répondre à l’analyse des besoins menée par le CCAS qui témoignait d’une demande croissante de logements adaptés aux seniors autonomes. En voulant construire une résidence services seniors, la municipalité considérait le projet comme évident et facilement acceptable par les habitants. Il a pourtant suscité de fortes tensions chez les habitants qui se sont organisés pour s’opposer au projet invoquant la préservation du cadre de vie et de l’environnement. A la suite d’une réunion publique houleuse sur le projet, le maire de Gif-sur-Yvette, a fait appel à l’association Empreintes Citoyennes. Cela a permis de déployer une méthode progressive, structurante qui a fait émerger l’acceptabilité du projet. |
Etre clair sur les intentions et le rôle de la participation
Il est important de rappeler tout au long du dispositif que la participation n’est pas un espace de décision, c’est une étape d’inspirations, d’orientations pour nourrir la décision publique. La décision reste politique mais la participation permet de l’éclairer et de la faire comprendre. La décision doit respecter l’intérêt général et non la somme des intérêts particuliers, souvent contradictoires et insatisfaisants. En étant clair dès le départ sur les intentions, les objectifs et les limites de l’exercice, on évite de créer des frustrations et des interprétations.
S’appuyer sur un tiers neutre
La collectivité ne peut être juge et partie lors d’un dispositif participatif. Un tiers neutre comme l’association Empreintes Citoyennes permet d’assurer un débat équilibré et structuré. La position externe permet de prendre du recul, de poser les bonnes questions, et de récolter les informations. Cela assure la crédibilité et la transparence du processus et permet d’instaurer la confiance avec les citoyens. Cela permet aussi de ne pas subir tout seul les oppositions et de profiter d’un partenaire légitime à la temporisation.
Etablir un cadre de la participation
Une tension identifiée sur un projet ne remet pas en question le projet mais la méthode. Il est nécessaire de créer un cadre défini en répondant à certaines questions : Quels besoins ? Quels rôles et postures ? Quels publics ? Quel périmètre ? Quelle finalité ? Quel séquençage ? …
A Gif-sur-Yvettte, Empreintes Citoyenne a créé une stratégie de concertation autour de trois grandes séquences : Quels besoins ? en donnant la parole aux futures bénéficiaires. Quelle programmation ? en donnant la parole aux habitants et acteurs socio-économiques. Quelle localisation ? En donnant la parole à tous.
Prendre le temps
Comme le dit Yann Cauchetier, maire de Gyf-sur-Yvette « il faut accepter de perdre un peu de temps pour en gagner ensuite ». La démarche de concertation, une première pour la ville, a duré huit mois. Elle a permis de mieux comprendre et de faire émerger un projet acceptable dans toutes ses composantes en traitant toutes les questions. Prendre le temps permet aussi de créer un séquençage cohérent du dispositif : les besoins, les orientations, la restitution.
Objectiver le besoin, informer la population des enjeux
La première étape de cette concertation a visé à consolider les informations d’analyse des besoins et à donner la parole au public concerné. Là où la municipalité pensait répondre à un besoin évident, beaucoup d’habitants ne comprenaient pas l’intérêt du projet. Pour dépasser les tensions il est essentiel de ne pas éluder la question mais de la mettre au cœur du débat. Comme l’explique Yann Cauchetier « une décision bien comprise est une décision acceptée ». Ainsi un dossier sur les besoins a été communiqué dans le bulletin municipal. Ce socle d’informations apporté au public et de contributions recueillies a permis de lancer un temps de concertation sur la programmation et la localisation du projet et de faire émerger des contributions réfléchies et éclairées, plutôt que des réactions spontanées.
S’appuyer sur différentes modalités de contribution pour faciliter la participation de la population
Des entretiens ont été menés avec les acteurs du grand âge et les seniors ont pu s’exprimer lors d’un atelier des besoins. Une consultation ouverte à l’ensemble de la population ainsi qu’un micro-trottoir ont permis de confirmer le besoin et de rassembler des orientations. Afin d’aller plus loin dans la réflexion un atelier d’orientation a rassemblé des seniors, des répondants à la consultation et des membres du CCAS pour s’interroger sur la programmation de la résidence et sa localisation. Le travail en petit comité a permis de prendre le temps d’une réflexion construite et partagée.
Restituer les résultats de la concertation lors d’une réunion publique
La restitution est essentielle pour revenir vers les citoyens, leur présenter les enseignements de la concertation et leur appropriation par la municipalité. Elle est aussi l’occasion d’expliquer comment la concertation citoyenne a pu inspirer la décision politique. Dans le cas de Gif sur Yvette, elle a permis d’identifier un nouveau lieu qui répondait mieux aux besoins. La localisation initiale du projet étant source d’opposition pour certains habitants cette décision a été accueillie très positivement. La réunion de restitution a révélé un véritable apaisement des tensions entre cette fin de la concertation et la réunion de lancement du projet en Juin 2023.
Le plan paysage et transition énergétique, la démarche de Vichy Communauté au défi des Énergies renouvelables : comment l’élaboration d’un plan paysage a permis un dialogue territorial pour dépasser les tensions.
Par Caroline Bardot, Maire de Saint-Pont, Vice-Présidente Transition écologique et énergétique de Vichy Communauté
Contexte et objectifs
Le territoire de Vichy Communauté, une communauté d’agglomération regroupant trente-neuf communes, est engagé dans des projets de transition énergétique, dans une démarche TEPOS (Territoires à Énergie Positive) et un Plan Climat. Un travail a été amorcé autour de la sobriété énergétique des bâtiments publics et un service à la rénovation énergétique des logements de particuliers, avec une Maison de l’Habitat.
Pour respecter les recommandations du plan climat-air-énergie territorial (PCAET), l’ambition portée par la communauté est d’atteindre l’objectif d’autonomie énergétique du territoire, et plus largement d’être un territoire à carbone neutre d’ici à 2050. Pour cela, un des objectifs est de tripler la production d’énergie renouvelable dans le respect de l’attachement des habitants au paysage, dans une répartition équilibrée sur le territoire.
Potentiels et défis paysagers
Actuellement, les énergies renouvelables couvrent environ 18% des besoins de l’agglomération. Pour atteindre l’objectif de décarbonation affiché, plusieurs potentiels existent sur le territoire, tels que l’énergie solaire, hydraulique, biomasse, et de récupération (ayant déjà accueilli deux parcs représentant 80% de l’éolien de l’Allier, le territoire a estimé avoir suffisamment développé l’éolien). Cependant, le développement de ces nouvelles filières de production d’énergie nécessite une réflexion approfondie sur leur intégration paysagère et l’impact que ces installations pourraient avoir sur le paysage local ainsi que ceux qui y habitent et y travaillent.
Un plan paysage pour dépasser les tensions
Afin d’accompagner le choix des lieux d’implantation de production des énergies renouvelables, leurs modalités ainsi que leur acceptabilité, Vichy Communauté a décidé de co-construire un Plan Paysage et Transition Energétique – PPTE. Pour croiser les points de vue, les idées, trois comités ont été formés, regroupant élus, experts et citoyens volontaires. Pendant deux ans, une dizaine d’ateliers de concertation ont été menés. Les comités mis en place ont suivi toute la démarche dans ses différentes phases. Le plan a été adopté en Conseil communautaire en juin 2023.
Un outil stratégique pour l’intégration paysagère des EnR
Ce Plan Paysage et Transition Energétique est composé de plusieurs documents, qui visent à accompagner les porteurs de projets et aider les élus à prendre des décisions :
Le PPTE constitue un outil précieux au service des 39 communes de Vichy Communauté dans la définition de leurs « zones d’accélération de production ENR » en accord avec la loi APER de mars 2023. Il a renforcé le dialogue avec les citoyens sur les questions de transition énergétique.
Retrouvez l’ensemble des membres de la Communauté sur le forum dédié à COMETE sur Expertises Territoires !
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