La e-lettre bimestrielle de la Direction des affaires juridiques

N°5 du 26 décembre 2025 - Angle droit 34

Edito

par Olivier Fuchs



Le code de l’environnement a vingt-cinq ans. Né avec l’ordonnance du 18 septembre 2000 adoptant sa partie législative, sept années ont encore été nécessaires pour que, en plusieurs étapes, la codification de la partie réglementaire du code de l’environnement soit achevée.

Ce code est alors résolument moderne : il constitue la représentation unifiée et systémique d’un droit de l’environnement auparavant éclaté, et participe de ce que le droit de l’environnement, pour reprendre les mots du professeur Prieur, « en étant consacré par un code, soit reconnu comme une valeur sociale légitime et non controversée » (« Pourquoi la codification ? », RJE, 2002, n° spécial, p. 10). Avec la consécration des grands principes du droit de l’environnement par la loi du 2 février 1995, la codification est une des entreprises qui, au tournant du siècle, ont permis d’insuffler de la cohérence et du sens au droit de l’environnement.

Quels que soient les mérites nombreux de ce code, un quart de siècle invite nécessairement à la réflexion. Ces vingt-cinq années n’ont pas été un long fleuve tranquille pour le droit de l’environnement et le code s’est notamment beaucoup étoffé pour prendre en compte de nouveaux objets. La question de sa maintenance devient de plus en plus délicate, alors que, contrairement à d’autres codes proches, par exemple le code de l’urbanisme ou le code minier, le code de l’environnement n’a pas connu de refonte globale.

Le défi est aussi, et peut-être surtout, que le code reste en prise avec le réel. A cet égard, si les enjeux écologiques se sont transformés et que le droit applicable a profondément changé, la structure du code est demeurée la même, ce qui démontre certes toute sa plasticité, mais interroge également sur certains silences, ellipses et litotes, comme sur certains trop-pleins et une forme de surabondance. L’enjeu est aussi d’assurer des liens suffisants avec les codes proches, qui traitent également et de plus en plus des sujets écologiques forts, comme par exemple le code de l’énergie.

Par-delà ces interrogations, il faut saluer la longévité et la capacité d’adaptation du code de l’environnement. Sa force, c’est celle d’être devenu une évidence, un objet du quotidien, qui se compulse sur écran ou sur un coin de table, et auquel on se réfère d’autant plus facilement qu’il est devenu très familier. Cette réussite n’empêche pas pour autant, au contraire elle l’impose, de réfléchir dès à présent au code de demain.

Très bonnes fêtes de fin d’année à toutes et tous !


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Zoom sur …

La mise en œuvre des contraventions de grande voirie pour assurer la protection du domaine public maritime naturel littoral


La procédure de contravention de grande voirie (CGV) permet notamment de poursuivre et réprimer les auteurs d’atteintes au domaine public maritime naturel dans les zones littorales et d’aboutir à une remise en état des lieux à la suite de l’installation, sans autorisation, de terrasses, pontons, matelas, parasols, jeux flottants. Plusieurs décisions récentes sont venues confirmer les spécificités de cette procédure et les garanties qui lui sont associées.

La détermination de l’auteur de la contravention

La personne susceptible d’être poursuivie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l’action qui est à l’origine de l’infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l’objet qui a été la cause de la contravention (CE, 5 juillet 2000, ministre de l’Equipement, des Transports et du Logement c/ Chevallier, n°207526, au Recueil).

Selon le Conseil d’Etat, doit être considérée comme disposant de la garde la personne qui, ayant la maîtrise effective de l’ouvrage implanté sur le domaine, se comporte comme s’il en était le propriétaire (Conseil d’Etat, 31 mai 2022, n°457886, SCI Mayer, aux Tables ; pour une application récente à propos d’un corps-mort servant au mouillage d’un bateau de plaisance : CAA Marseille, 6 octobre 2025, M. L., n°24MA03031). Est ainsi gardien celui qui utilise des ouvrages pour lui-même ou pour ses proches et s’attribue ainsi le droit exclusif d’en user et d’en jouir, ou qui assure l’entretien et exécute des travaux de réparation ou d’aménagement, ou encore celui qui assure la surveillance et défend l’exclusivité de son usage en interdisant l’accès à d’autres utilisateurs par la pose de barrières, clôtures ou panneaux d’interdiction.

En revanche, l’occupant du domaine public disposant d’un titre d’occupation ne peut se voir poursuivi, dans le cadre d’une contravention de grande voirie, pour la méconnaissance des prescriptions de son autorisation (CE, 25 octobre 2024, Société OMNIUM de constructions développements locations OCDL c/ Fédération d’associations de protection de l’environnement du golfe du Morbihan, n° 487824, aux Tables)

Une procédure offrant des recours effectifs

L’incorporation dans le domaine public maritime étant la conséquence d’un phénomène naturel (CE, 22 septembre 2017, SCI APS, n°400825, aux Tables), il appartient au juge administratif, juge de la contravention de grande voirie, de se prononcer sur l’existence, l’étendue et les limites du domaine public maritime naturel, sans que les termes d’un arrêté de délimitation, à caractère déclaratif, ne le lient (CE, 25 septembre 2013, M. C., n°354677, aux Tables ; plus récemment : CAA Marseille, 31 mars 2025, n°24MA00233). Ainsi, la personne poursuivie dispose d’un recours effectif lui permettant de discuter l’appartenance du bien au domaine public.

En outre, le prononcé de mesures de remise en état du domaine dépend exclusivement d’une procédure juridictionnelle préalable, dont l’enclenchement résulte, en vertu du dernier alinéa de l’article L. 774-2 du code de justice administrative, de la notification du procès-verbal d’infraction au juge administratif (CE, 10 mars 2020, société Libb 2, n°430550, au Recueil).

En conséquence, il n’est pas possible de contester une mise en demeure préalable à l’engagement des poursuites pour CGV (CE, 14 juin 2022, société immobilière de la pointe du Cap Martin, n°455050, aux Tables) ou un procès-verbal de CGV avant que celui-ci ne soit communiqué au tribunal (CE, 20 octobre 2025, n°503856, inédit), ces actes devant être regardés comme dépourvus d’effet juridique propre.

Des effets modulés en fonction des circonstances

Dans le cadre de la procédure prévue par les articles L. 774-1 à L. 774-13 du code de justice administrative, le contrevenant peut être condamné par le juge, au titre de l’action publique, à une amende ainsi que, au titre de l’action domaniale, à remettre lui-même les lieux en état en procédant à la destruction des ouvrages construits ou maintenus illégalement sur la dépendance domaniale ou à l’enlèvement des installations, le cas échéant dans un délai déterminé et sous astreinte.

L’exécution des décisions du juge administratif, en ce qu’il enjoint tout particulièrement aux contrevenants de procéder à la remise en état du DPMn, peut se heurter à un certain nombre de difficultés.

Il n’est pas rare que les contrevenants se prévalent par exemple de difficultés techniques rendant impossible la remise en état du domaine, ou utilisent diverses voies de droit telles que le refus d’accès à une propriété privée à des techniciens mandatés par l’administration en amont d’une exécution d’office (CAA Marseille, 24 juillet 2025, SARL Westmead Productions, n°24MA01101), le dépôt d’une requête en tierce opposition d’un syndic de copropriété d’un propriétaire condamné (CAA de Marseille, 7 avril 2023, syndicat La Joie de Vivre, 21MA03256), ou encore opèrent par des montages juridiques complexes (liquidation judiciaire de la société contrevenante, création de sociétés écrans…) pour retarder ou se soustraire aux injonctions.

S’il procède volontiers à la liquidation de l’astreinte prononcée à l’encontre des contrevenants, le juge chargé de l’exécution tend également et de plus en plus à moduler le montant de cette astreinte lorsqu’il apparaît que l’Etat détenteur d’un pouvoir d’exécution d’office en vertu d’une décision juridictionnelle n’en a pas fait usage (CAA Nantes, 3 juin 2025, consorts G. et C., n°23NT00706 ; CAA Bordeaux, 13 novembre 2025, M. R., n°23BX02710).

Enfin, il appartient toujours au juge, dans le cadre du litige portant sur la liquidation de l’astreinte, d’apprécier la réalité de la difficulté d’exécution ainsi invoquée et, le cas échéant, de préciser les conditions d’exécution de la démolition ordonnée et les diligences pouvant être accomplies à cette fin par les parties. Le juge peut ainsi être saisi du moyen selon lequel la remise en état serait susceptible d’affecter une espèce protégée (CE, 19 décembre 2024, n° 491592, aux Tables).


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L'actualité jurisprudentielle

COMMANDE PUBLIQUE

Conseil d’Etat, 22 juillet 2025, n°494323, Société NGE Génie civil et autres, aux Tables

Intérêts moratoires – Transaction – Marchés publics

Il est interdit de renoncer aux intérêts moratoires dans le cadre des transactions relatives au règlement des marchés publics


En matière de transaction relative au règlement des marchés publics, la jurisprudence a posé de longue date le principe d’interdiction pour les parties de prévoir, au titre des concessions réciproques, la renonciation au paiement des intérêts moratoires. La présente affaire en est une nouvelle illustration.

L’interdiction de renoncer aux intérêts moratoires résulte du droit des marchés publics et en particulier, aujourd’hui, de l’article L. 2192-14 du code de la commande publique, aux termes duquel « Toute renonciation au paiement des intérêts moratoires est réputée non écrite ». Dès 2003, sous l’empire des dispositions similaires de l’article 67 de la loi n° 94-679 du 8 août 1994 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, le Conseil d’Etat a jugé que ces dispositions « interdisent de façon absolue toute renonciation aux intérêts moratoires dus en raison de retards dans le règlement des marchés publics, que cette renonciation intervienne lors de la passation du marché ou postérieurement », donc également à l’occasion d’une transaction (voir CE, 17 octobre 2003, n°249822, au Recueil).

Ainsi, un protocole prévoyant une indemnité transactionnelle "pour solde de tout compte" et valant renonciation à toute réclamation ultérieure relative au marché litigieux ne peut être regardée comme valant renonciation au paiement des intérêts moratoires sur les sommes en cause (CE, 10 novembre 2004, n° 256031). Enfin, lorsqu’elle est expressément prévue par le protocole transactionnel, une clause de renonciation aux intérêts moratoires entache d’illicéité le contenu du protocole transactionnel et justifie son annulation par le juge (CE, 18 mai 2021, n° 443153, aux Tables).

Dans la présente affaire, le Conseil d’Etat rappelle cette interdiction absolue et l’applique au cas d’un retard de paiement par rapport à la date de règlement global fixée par le protocole transactionnel. Il estime que lorsque, comme en l’espèce, un accord de transaction fixe, forfaitairement et définitivement pour solde de tous comptes en principal et intérêts, le montant global d’un marché à un nouveau montant incluant les reprises de réserves, les révisions de prix et les intérêts moratoires, pour un règlement prévu au plus tard à une date prévue par cet accord, la somme due au terme de ce dernier ne procède pas d’un contrat distinct du contrat de marché public, mais intervient en règlement du marché public, fût-ce au terme d’une transaction. Dès lors, en cas de retard de paiement, s’appliquent à cette somme, jusqu’à son paiement effectif, les intérêts moratoires dus en raison de retards dans le règlement des marchés publics, sans que la signature de la transaction puisse y faire obstacle, et non les intérêts moratoires au taux légal prévus par les dispositions du code civil.


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ENVIRONNEMENT

CE, 30 septembre 2025, association Sea Shepherd France et autres, n° 493813, aux Tables

Autorisation environnementale - régime applicable - abrogation

L’abrogation d’une autorisation environnementale est régie par les dispositions spéciales du code de l’environnement


Le Conseil d’État, constatant que les dispositions du code de l’environnement applicables aux autorisations environnementales régissent spécialement l’abrogation et la modification de ces autorisations, a jugé que les dispositions de l’article L. 242-2 du code des relations entre le public et l’administration, relatives à l’abrogation de droit commun, ne peuvent être utilement invoquées à l’encontre de la décision rejetant une demande tendant à l’abrogation d’une telle autorisation.

Dans ce cadre, il rejette la requête des associations tendant à l’annulation de la décision refusant de faire droit à leur demande d’abrogation de l’autorisation environnementale du parc éolien en mer de Saint-Brieuc, présentée sur le fondement de l’article L. 242-2 du code des relations entre le public et l’administration.

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CE, 30 septembre 2025, Association préservons la forêt des Colettes et autres, n° 497567, au Recueil

Dérogation Espèces Protégées - Projet d’intérêt national majeur (PINM) – Reconnaissance anticipée d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM)

Le Conseil d’Etat valide la reconnaissance anticipée d’une raison impérative d’intérêt public majeur pour un projet d’intérêt national majeur


L’article 19 de la loi n°2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte est venu compléter l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement en permettant à l’administration, à l’occasion d’un décret qualifiant un projet industriel de projet d’intérêt national majeur (PINM), au sens de l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme, de reconnaître de manière anticipée que ce projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), qui constitue l’une des trois conditions cumulatives nécessaire pour l’octroi d’une dérogation « espèces protégées » au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

Cette reconnaissance anticipée peut être contestée uniquement à l’appui d’un recours dirigé contre le décret.

Saisi par plusieurs associations et particuliers d’un recours contre le décret du 5 juillet 2024 qualifiant le projet « Emili » d’extraction et de transformation de lithium de la société Imerys dans l’Allier de PINM et lui reconnaissant une RIIPM, le Conseil d’Etat a précisé qu’un tel décret :
  • n’est pas soumis à l’obligation de motivation, n’ayant pas pour objet d’accorder, par lui-même, une dérogation « espèces protégées » ;
  • ne constitue pas un plan ou programme au sens du code de l’environnement, de sorte qu’il n’est pas soumis à évaluation environnementale ;
  • ne nécessite pas de faire l’objet d’une participation du public, dès lors qu’il n’est pas susceptible, par lui-même, d’avoir une incidence directe et significative sur l’environnement.

Par ailleurs, ainsi que l’a mentionné le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2025 déclarant conforme à la Constitution le second alinéa de l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement, le Conseil d’Etat rappelle qu’un tel décret n’a pas pour objet d’exempter le porteur de projet de satisfaire aux deux autres conditions cumulatives nécessaires à l’octroi d’une dérogation « espèces protégées ».

Enfin, il juge qu’en l’espèce, le projet « Emili » répond bien à une RIIPM dans la mesure où celui-ci prévoit la production de 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium pendant au moins 25 ans, permettant la contribution d’une part aux objectifs nationaux visant à sécuriser l’approvisionnement national en lithium, réduire les importations depuis des pays tiers et développer la fabrication de batteries électriques et, d’autre part, à la mise en œuvre des politiques de l’Union européenne en matière énergétique et industrielle, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques.

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CE, 30 septembre 2025, Société Parc éolien du Mirebalais, n° 492891, aux Tables

Autorisation environnementale (ICPE) – Atteinte à la conservation d’un monument – Impact du projet sur les vues offertes depuis le monument – Monument accessible ou fermé au public

Visibilité d’un parc éolien depuis un monument historique : précisions jurisprudentielles


Le Conseil d’État précise la manière dont l’administration et le juge administratif doivent apprécier les atteintes visuelles portées à un monument historique, en termes de visibilité des éoliennes depuis le monument, en particulier dans l’hypothèse où ce dernier est fermé au public.

En 2021, le préfet de la Vienne a délivré une autorisation unique pour l’exploitation d’un parc de sept éoliennes sur le territoire de la commune de Thurageau. Par un arrêt du 27 février 2024, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé cette décision au motif que le projet porte une atteinte excessive à la conservation des sites et monuments, dès lors notamment que les photomontages produits, représentant la vue depuis le château de Rochefort, montrent que les éoliennes sont directement visibles depuis le monument.

Saisi par le pétitionnaire, le Conseil d’Etat juge que, pour apprécier l’impact visuel du projet sur la conservation d’un monument, il y a lieu de prendre en compte l’impact de l’installation sur les vues portées sur le monument en cause mais aussi, le cas échéant, son impact sur les vues offertes depuis le monument. Sur ce point, le Conseil d’Etat précise, d’une part, qu’il ne doit être tenu compte que des vues offertes depuis les points normalement accessibles du monument, c’est-à-dire ceux ouverts au public, et dont la qualité est telle qu’elles participent effectivement de la conservation de celui-ci. D’autre part, si la fermeture au public du monument ne fait pas obstacle à ce que de telles vues soient prises en considération, il appartient toutefois à l’administration et au juge de tenir compte de cette dernière circonstance dans l’appréciation de l’intérêt qui s’attache à la conservation du monument. Ainsi, comme le relève le rapporteur public, la circonstance que des éoliennes soient visibles depuis un monument historique ne saurait suffire à justifier à elle-seule un refus ou une annulation d’autorisation.

Le Conseil d’Etat censure donc l’arrêt de la cour pour erreur de droit parce qu’elle n’a pas tenu compte du fait que le monument, exploité pour une activité de chambre d’hôtes, est fermé au public et n’a pas caractérisé en quoi la vue depuis le château serait d’une qualité telle qu’elle participerait de sa préservation.

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CAA Paris, 3 septembre 2025, Association Notre Affaire à Tous, n°s 23PA03881-23PA03883-23PA03895

Produits phytopharmaceutiques - Méthodologie d’évaluation des risques -
Principe de précaution - Préjudice écologique


Responsabilité de l’État pour le préjudice écologique causé par l’insuffisance des procédures d’évaluation des pesticides


Dans un arrêt du 3 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur l’existence d’un préjudice écologique lié à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et sur les carences et insuffisances alléguées de l’Etat en matière d’évaluation et de suivi de ces produits.

Cinq associations de protection de l’environnement ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l’Etat à réparer le préjudice écologique causé par ses carences et insuffisances alléguées en matière d’évaluation des risques, d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, de réexamen des autorisations et de protection de la biodiversité contre les effets de ces produits, et de lui enjoindre de prendre toutes les mesures utiles de nature à faire cesser le préjudice dans le délai le plus court possible.

Par un jugement n° 2200534 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a reconnu l’existence d’un préjudice écologique et enjoint à l’Etat de prendre, avant le 30 juin 2024, « toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages en rétablissant la cohérence du rythme de diminution de l’utilisation des produits phytosanitaires avec la trajectoire prévue par les plans Ecophyto et en prenant toutes mesures utiles en vue de restaurer et protéger les eaux souterraines contre les incidences des produits phytopharmaceutiques et en particulier contre les risques de pollution. »

La cour administrative d’appel de Paris, dans l’arrêt commenté, a d’abord jugé que la voie d’action en réparation du préjudice écologique instaurée par les dispositions des articles 1246 et suivants du code civil est recevable contre l’administration, sur le fondement de ces dispositions, devant le juge administratif. L’arrêt confirme ainsi explicitement cette solution sur laquelle les textes comme la jurisprudence ne laissaient guère place au doute.

La cour a ensuite confirmé l’appréciation du tribunal quant à l’existence d’un préjudice écologique résultant de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, consistant en une atteinte diffuse, chronique et durable des sols et des eaux, ainsi qu’en un déclin de la biodiversité et de la biomasse et en une atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement.

Concernant la faute de l’Etat, la cour reconnaît la carence de l’État dans la procédure d’évaluation et d’autorisation des produits phytopharmaceutiques, au motif de l’absence de prise en compte systématique par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail des données scientifiques disponibles les plus récentes, carence qui contribue à aggraver le préjudice écologique.

Contrairement au tribunal, la cour juge en revanche que, les plans Ecophyto étant dénués de tout effet contraignant, aucune faute de l’État tirée de leur méconnaissance ne peut être reconnue.

Il est en conséquence enjoint à l’État, « sur le fondement de l’article 1252 du code civil, de mettre en œuvre une évaluation des risques présentés par les produits phytopharmaceutiques à la lumière du dernier état des connaissances scientifiques, notamment en ce qui concerne les espèces non-ciblées, conforme aux exigences du règlement européen du 21 octobre 2009, et de procéder, le cas échéant, au réexamen des autorisations de mises sur le marché déjà délivrées et pour lesquelles la méthodologie d’évaluation n’aurait pas été conforme à ces exigences, et ce dans un délai de vingt-quatre mois. »

Un pourvoi en cassation contre cet arrêt a été introduit.


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ENVIRONNEMENT - AGRICULTURE - PROCEDURE CONTENTIEUSE

CE, 5 novembre 2025, Conseil national des barreaux, n°495902, inédit

Procédure contentieuse – ouvrages hydrauliques agricoles et ICPE en matière d’élevage –autorisations environnementales

Le Conseil d’Etat valide de nouvelles adaptations à la procédure contentieuse relative aux décisions prises sur le fondement du code de l’environnement


Le décret n° 2024-423 du 10 mai 2024 portant adaptation de la procédure contentieuse relative aux ouvrages hydrauliques agricoles, aux installations classées pour la protection de l’environnement en matière d’élevage et aux autorisations environnementales vise à raccourcir le temps des procédures juridictionnelles concernant certaines activités agricoles relevant du code de l’environnement.

Pour atteindre cet objectif, le décret attribue une compétence de premier et dernier ressort au tribunal administratif de Paris pour statuer sur les décisions relatives aux ouvrages hydrauliques agricoles et confie aux tribunaux administratifs une compétence en premier et dernier ressort pour statuer sur les décisions relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement destinées à certaines activités d’élevage. Pour ces ouvrages et installations agricoles, le décret institue un dispositif de cristallisation des moyens ainsi qu’une obligation de notification des recours et prévoit que le tribunal doit juger en dix mois. Pour l’ensemble des autorisations environnementales, le décret réduit le délai de recours des tiers de quatre à deux mois.

Saisi par le Conseil national des barreaux, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité de ce décret.

S’agissant de la compétence en dernier ressort des tribunaux administratifs, le Conseil d’Etat rappelle qu’aucun texte ni principe ne consacre l’existence d’une règle de double degré de juridiction qui interdirait au pouvoir réglementaire de prévoir des cas dans lesquels les jugements sont rendus en premier et dernier ressort. Celui-ci doit seulement, dans l’exercice de cette compétence, définir les litiges concernés selon des critères objectifs afin de garantir le respect du principe d’égalité entre les justiciables, et agir dans la finalité d’une bonne administration de la justice. En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que les dispositions du décret du 10 mai 2024 identifient de façon suffisamment précise et objective les litiges concernés et visent à réduire les délais dans lesquels une solution définitive est apportée aux contentieux relatifs aux projets hydrauliques agricoles et aux projets d’élevages en cause.

Le Conseil d’Etat a également validé l’extension, pour les décisions relatives aux ouvrages hydrauliques agricoles et à certaines installations d’élevage, du mécanisme de cristallisation des moyens prévu par l’article R. 611-7-2 du code de justice administrative, qui concourt à assurer la célérité et l’efficacité de la procédure juridictionnelle, et de l’obligation de notification des recours à l’auteur de la décision et à son bénéficiaire, qui poursuit un objectif de sécurité juridique.

Enfin, s’agissant de la réduction de quatre à deux mois du délai de recours contre l’ensemble des autorisations environnementales, le Conseil d’Etat relève qu’en choisissant d’appliquer à ces décisions le délai de recours de droit commun prévu par l’article R. 421-1 du code de justice administrative, le pouvoir règlementaire n’a pas porté atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif ni au droit à un procès équitable.


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ENVIRONNEMENT - CHASSE

CE, 2 octobre 2025, n° 507724 et n° 507945

Chasse – Appréciation concrète de l’urgence à suspendre l’exécution d’un arrêté fixant le plafond de prélèvement d’une espèce

Le CE rejette les requêtes sollicitant la suspension de l’arrêté du 17 août 2025 encadrant la chasse de certains oiseaux


En application des articles L. 425-14, R. 425-18 et R. 425-20 du code de l’environnement, le ministre chargé de la chasse a fixé des plafonds de prélèvement maximal autorisé pour plusieurs espèces d’oiseaux par arrêté du 27 août 2025. Les associations One Voice et LPO ont demandé au Conseil d’État de suspendre l’exécution de cet arrêté en tant que le ministre n’a pas fait usage des articles L. 424-1 et R. 424-14 du même code lui permettant de suspendre, au regard de l’état de conservation des espèces, la chasse de la caille des blés, du canard siffleur, de la grive mauvis, du canard pilet, du canard souchet, de la sarcelle d’hiver, du fuligule milouin, du fuligule morillon et de la sarcelle d’été.

Le Conseil d’État rejette ces requêtes en raison de l’absence d’urgence. Appréciant concrètement et globalement cette dernière, il relève que la migration de la caille des blés se termine à la fin du mois de septembre, de sorte que l’urgence ne peut être caractérisée avant l’ouverture de la saison 2026-2027. Pour les autres espèces, le Conseil d’État relève que les mesures de gestion définies ne sont pas de nature à porter une atteinte grave et immédiate à leur conservation et ainsi à caractériser une situation d’urgence justifiant leur suspension.


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ENVIRONNEMENT - CLIMAT

CE, 24 octobre 2025, Commune de Grande Synthe et autres, n°467982, publiée au recueil

Climat – Accord de Paris – Paquet énergie-climat – Article L. 100-4 du code de l’énergie – Objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre – Exécution des décisions de justice

Le Conseil d’Etat clôt le contentieux « Grande Synthe » en jugeant que les résultats déjà obtenus et les mesures prises par le Gouvernement permettront d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40% en 2030


L’affaire « commune de Grande-Synthe » est le premier contentieux climatique dont le Conseil d’État a été saisi. Dans ce cadre, il avait ordonné au Gouvernement, le 1er juillet 2021, de prendre, d’ici le 31 mars 2022, toutes les mesures permettant d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de - 40% en 2030 par rapport à leurs niveaux de 1990, afin de respecter les objectifs alors fixés dans le droit français (article L. 100-4 du code de l’énergie), européen (paquet énergie-climat) et international (Accord de Paris).

Le 10 mai 2023, après avoir estimé qu’il n’était pas encore garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre permettant d’atteindre cet objectif puisse être effectivement respectée, il avait ordonné au Gouvernement de prendre de nouvelles mesures d’ici le 30 juin 2024, et de lui transmettre un bilan d’étape détaillant ces mesures et leur efficacité.

Dans sa décision du 24 octobre 2025, le Conseil d’État constate d’abord, au vu des éléments transmis par le Gouvernement, qu’à la date à laquelle il se prononce, les objectifs intermédiaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour la période 2019-2025, tels qu’ils résultent du deuxième et du troisième budget carbone de la deuxième stratégie nationale bas-carbone, ont été respectés.

Ensuite, il relève que le Gouvernement a, postérieurement à l’intervention des décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023, adopté ou engagé un ensemble significatif et diversifié de mesures dans l’objectif d’accélérer le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les principaux secteurs émetteurs, qui ont été accompagnées de la mise en œuvre d’une territorialisation de la planification écologique et de financements conséquents.

Au vu de ces éléments, le Conseil d’Etat considère que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixé, pour 2030, à - 40 % par rapport à 1990, peut être regardé comme raisonnablement atteignable. Par suite, dès lors que des éléments suffisamment crédibles et étayés, notamment le scénario prospectif de projection réalisé par le Gouvernement, permettent de regarder la trajectoire d’atteinte de ces objectifs comme respectée, il conclut que ses décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023 doivent être regardées comme entièrement exécutées.

Le Conseil d’État souligne toutefois qu’en tant que juge de l’exécution de ses décisions de 2021 et 2023, il ne se prononce pas sur le respect, par la France, des nouveaux objectifs, plus exigeants, de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés par les textes adoptés au niveau européen en 2023 (- 55% d’ici à 2030), qui ne sont pas l’objet du présent contentieux et dont il réserve la prise en compte dans le cadre d’éventuels contentieux climatiques à venir.


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ENVIRONNEMENT - COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE

TC, 6 octobre 2025, Mader Colors, n° C4356, au Recueil

ICPE – Liquidation judiciaire - Consignation d’une somme par le préfet – Règlement des créances – Procédures collectives – Compétence du juge judiciaire

Lorsque le liquidateur d’une installation classée entend contester, au regard des règles propres à la procédure collective, le paiement d’une consignation prise sur le fondement de l’article L. 171-8 du code de l’environnement, le juge judiciaire est seul compétent pour en connaitre


La société Mader Colors, qui exerçait une activité relevant de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement avant son placement en liquidation judiciaire, s’est vue imposer, par le préfet du Pas-de-Calais, de procéder à des travaux de réhabilitation de son ancien site afin de remédier à la pollution l’affectant. Constatant que la mise en demeure de réaliser les travaux était restée sans effet, le préfet a, par un arrêté du 11 juillet 2023, ordonné à la société la consignation d’une somme correspondant au coût des travaux de réhabilitation du site en application de l’article L. 171-8 du code de l’environnement.

Le liquidateur de la société a contesté l’arrêté de consignation devant le tribunal administratif de Lille, et a, en outre, saisi le juge-commissaire du tribunal de commerce d’Arras pour être autorisé à ne pas assurer le paiement de la consignation, en se prévalant des dispositions du code de commerce sur le règlement des créances des sociétés placées en liquidation judiciaire.

Après un déclinatoire de compétence rejeté par la cour d’appel de Douai, le préfet a élevé le conflit devant le Tribunal des conflits, chargé de régler les questions de compétences entre les juridictions administrative et judiciaire.

Le Tribunal vient préciser sa jurisprudence en matière de procédure collective au regard des dispositions législatives applicables aux installations classées, en jugeant que si la juridiction administrative est compétente pour connaître des contestations relatives aux mesures de consignation prises en vertu de l’article L. 171-8 du code de l’environnement et aux états exécutoires pris pour leur application, en revanche, « le tribunal de la procédure collective est, quelle que soit la nature des créances en cause, seul compétent pour connaître des contestations relatives à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective ».

En l’espèce, le Tribunal considère que la demande du liquidateur, en ce qu’elle conteste le paiement de la consignation ordonnée par le préfet « au regard des règles régissant le règlement des différentes créances des entreprises en liquidation judiciaire », porte sur la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective et relève donc de la compétence de la seule juridiction judiciaire.


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FONCTION PUBLIQUE

CE, 16 octobre 2025, service des retraites de l’Etat, n°493909, au Recueil

Fonctionnaires et agents publics – détachement – retraite - limite d’âge applicable

Précisions sur la limite d’âge de départ à la retraite des fonctionnaires et agents publics en détachement


L’âge de départ à la retraite est une constante de l’actualité, la plupart du temps concernant l’âge à partir duquel les salariés et agents publics peuvent en bénéficier. Se pose toutefois, et bien plus fréquemment que l’on ne le pense, la question de l’âge à partir duquel les agents doivent obligatoirement partir à la retraite.

En principe, et sauf dérogations prévues par les textes, cette « limite d’âge » est fixée à 67 ans pour les agents publics de catégorie « sédentaires », qui représente la grande majorité des emplois publics. En revanche, les agents de catégorie active, super-active, ou certains personnels sous statut militaire se voient imposer des limites d’âge inférieures à 67 ans, et sont donc tenus de partir à la retraite avant cet âge.

Amené à trancher une question portant sur la limite d’âge à appliquer à un agent de catégorie active placé en détachement sur un emploi rattaché à la catégorie sédentaire, le Conseil d’Etat rappelle d’abord qu’il résulte des dispositions de l’article 33 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 que la limite d’âge applicable au fonctionnaire détaché dans un emploi conduisant à pension du régime de retraite des fonctionnaires relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite ou de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales est celle, lorsqu’elle existe, de cet emploi. Il en déduit qu’alors même que l’agent en détachement a atteint la limite d’âge du corps auquel il appartient, celui-ci peut être maintenu en détachement au plus tard jusqu’à ce qu’il atteigne la limite d’âge de son emploi d’accueil. Enfin, l’agent peut, en outre, si les conditions sont réunies, bénéficier d’un maintien en activité au-delà de la limite d’âge de cet emploi.

Dès lors, un fonctionnaire de catégorie active détaché dans un corps lui permettant d’occuper un emploi de catégorie sédentaire peut, sans préjudice des possibilités de prolongations d’activité, être maintenu en détachement dans ce corps jusqu’à 67 ans, même si les règles applicables à ses emplois et corps d’origine prévoient une limite d’âge inférieure.

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CE, 17 octobre 2025, Union fédérale des syndicats de l’Etat CGT c/ Premier ministre, n°495899, aux Tables

Fonction publique - report congés annuels - Information de l’agent

Le Conseil d’État précise les conditions d’extinction du droit au report des congés annuels non pris du fait de congés pour raisons de santé ou liés à des responsabilités parentales ou familiales


Les dispositions du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l’Etat, telles que modifiées par le décret du 21 juin 2025, prévoient que l’agent public qui a été dans l’impossibilité de prendre ses congés annuels au cours de l’année en raison d’un congé pour raisons de santé ou lié aux responsabilités parentales ou familiales, bénéficie d’une période de report de ses congés de quinze mois, dans la limite de quatre semaines, ou peut prétendre à l’octroi d’une indemnité compensatrice lorsque, pour ces mêmes motifs, il n’a pas été en mesure de prendre ses congés annuels avant la fin de la relation de travail. (cf. Angle droit 2025 n°4)

L’Union fédérale des syndicats de l’État-CGT estimait toutefois le décret du 26 octobre 1984 (dans ses versions précédentes et actuelle) incompatible avec les dispositions de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, notamment en ce qu’il ne prévoyait aucune obligation, pour l’administration, d’informer les agents de leurs droits à report de congés ou à indemnisation.

Se prononçant sur ce point, le Conseil d’Etat rappelle qu’en application de l’article 7 de cette directive telle qu’interprétée par la CJUE (ex : CJUE, 6 novembre 2018, Max Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, n°C-684/16) « l’extinction de ces droits [au report de congés annuels ou au bénéfice de l’indemnité] à l’expiration de la période de référence (…) [n’est] possible qu’à la condition que le travailleur ait effectivement été mis en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé ». La juridiction en tire les conséquences en précisant qu’ « il incombe à l’employeur d’informer [l’agent], de manière précise et en temps utile, des conditions dans lesquelles il risque de perdre ses droits à congés ».

Le Conseil d’Etat juge ainsi que les dispositions des articles 1er et 5 du décret du 26 octobre 1984 sont incompatibles avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 en tant que ces dispositions ne subordonnent pas l’extinction du droit au report des congés annuels non pris ou à indemnisation en fin de relation de travail, à l’information de l’agent par l’employeur sur l’étendue de ses droits.

Saisi sur un autre point plus contextuel, le Conseil d’Etat juge également que les autorisations spéciales d’absence accordées lors de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 n’ouvrent pas de droit à un report des congés annuels ou à une indemnité compensatrice.


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TRANSPORTS

Conseil d’Etat, 10 novembre 2025, M. H., n° 496921, inédit

Véhicules – Certificat qualité de l’air « Crit’air » – Pollution atmosphérique

Vignette Crit’Air : le Conseil d’État valide l’arrêté qui encadre le dispositif


L’arrêté du 21 juin 2016, qui définit les critères d’attribution de la vignette Crit’Air, est validé par le Conseil d’Etat.

Cet arrêté, établissant la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d’émission de polluants atmosphériques, pris en application du code de la route, fixe en effet les conditions permettant l’identification de certains véhicules à moteur au moyen d’une vignette sécurisée appelée « certificat qualité de l’air » (Crit’air) et détermine un classement des véhicules en fonction de leur catégorie, de leur motorisation, ainsi que de la norme de pollution européenne dite norme « Euro ». Cet arrêté a été modifié à plusieurs reprises, essentiellement pour tenir compte des innovations relatives aux sources d’énergie et carburants.

L’enjeu du litige portait notamment sur le fait de savoir si le recours à la norme Euro respectait les dispositions du code de la route selon lesquelles « les véhicules à moteur font l’objet d’une identification fondée sur leur contribution à la limitation de la pollution atmosphérique et sur leur sobriété énergétique ».

Le Conseil d’Etat juge que la norme Euro, qui reflète les limites acceptables d’émissions de gaz et particules d’échappement de véhicules automobiles neufs vendus au sein de l’Union européenne, a permis de rendre progressivement plus rigoureuses les règles applicables à l’ensemble des véhicules à moteurs et que son application conduit à faire bénéficier d’une meilleure classification les véhicules dont la consommation de carburant est en moyenne plus faible. Ainsi, le Conseil d’Etat reconnaît que l’abaissement progressif du niveau d’émissions polluantes des nouveaux véhicules, qu’impose le respect de cette norme, a pour conséquence une plus grande sobriété énergétique des véhicules en lien avec l’amélioration des technologies utilisées et que le critère de sobriété énergétique est bien pris en compte. Dès lors, l’arrêté en cause est conforme aux dispositions applicables et n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

Cette décision est importante, en particulier car la vignette Crit’Air est une pièce centrale du fonctionnement des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m).

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TA de Cergy-Pontoise, 30 octobre 2025, n°2316626, n°2400516-2401903
et n°2407332 (3 jugements)

Transports - Véhicules – Surveillance du marché des véhicules à moteur – Emissions de particules

Non-conformité aux normes d’émissions d’oxydes d’azote de véhicules en circulation


Par trois jugements du 30 octobre 2025, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejette les premières requêtes dirigées contre les décisions du service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs (SSMVM) dans l’exercice de sa mission de police spéciale de contrôle des véhicules en circulation, en raison de la non-conformité de certains modèles de véhicules aux normes d’émissions d’oxydes d’azote (NOX).

Afin notamment de prévenir l’utilisation par certains constructeurs de techniques visant à réduire frauduleusement les émissions polluantes lors des tests, le règlement (UE) 2018/858 du 30 mai 2018 relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à moteur et de leurs remorques, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques distinctes destinés à ces véhicules a renforcé la surveillance du marché des véhicules à moteur.

Cette surveillance, encadrée par les articles L. 329-1 et suivants et R. 329-1 et suivants du code de la route, consiste en des prélèvements et des tests de véhicules, systèmes, composants, entités techniques distinctes, pièces et équipements afin d’analyser leur conformité à la règlementation applicable à leur mise sur le marché.

Les tests effectués sur les véhicules prélevés des trois constructeurs requérants ayant révélé des valeurs d’émissions de NOX supérieures à la limite de 80 mg/km, le SSMVM leur a imposé des mesures de rappel et de mise en conformité.

A l’appui de leur recours, les constructeurs soutenaient principalement que les décisions du SSMVM ne respectaient pas les dispositions de l’article R. 329-10 du code de la route relatives au nombre d’échantillons à contrôler.

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a considéré que les dispositions de l’article 8 du règlement (UE) n°2018-858 « ne font pas par principe obstacle à ce que l’échantillon réuni pour tester la conformité d’un véhicule donné soit composé d’une unique unité, sous réserve que dans un tel cas, au regard de ses caractéristiques particulières, le véhicule en circulation effectivement contrôlé puisse être considéré, pour une opération de contrôle donnée, comme suffisamment représentatif des autres véhicules de même caractéristiques (…) en circulation sur le territoire français ».

Le tribunal a jugé en l’espèce, d’une part, que chaque véhicule testé constituait, compte tenu de ses caractéristiques, un échantillon représentatif au sens des dispositions précitées du règlement européen et, d’autre part, que les sociétés, qui ont bien été mises en mesure de contester la représentativité de chacun des véhicules contrôlés, ont bénéficié des garanties procédurales attendues.


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URBANISME

CE, avis du 18 juillet 2025, Société AIC Terra Bianca, n° 502801, aux Tables

Urbanisme - Contributions et taxes - Assainissement collectif

Cumul de financement pour l’assainissement


Une société, titulaire d’un permis de construire pour la réalisation d’un immeuble collectif d’habitation, a demandé à être déchargée du paiement de la participation pour le financement de l’assainissement collectif, au motif qu’elle ne pourrait s’appliquer cumulativement avec la majoration pour financement de réseaux publics d’assainissement de la part communale de la taxe d’aménagement

Le Conseil d’Etat précise d’abord que la participation au financement de l’assainissement collectif, qui est une redevance due lors du raccordement au réseau public de collecte des eaux usées, vise à tenir compte de l’économie réalisée par les propriétaires d’immeubles en évitant une installation d’évacuation ou d’épuration individuelle, tandis que la taxe d’aménagement, perçue à l’occasion de la délivrance d’une autorisation d’urbanisme, a pour objet le financement de la réalisation des objectifs d’urbanisme de la commune. La majoration de la part communale de cette taxe est par ailleurs limitée, tant dans son montant que géographiquement, puisqu’elle ne concerne que les secteurs de la commune où l’importance des constructions nouvelles rend nécessaire la réalisation de travaux substantiels de voirie ou de réseaux ou la création d’équipements publics, et dans la seule mesure nécessaire pour répondre aux besoins des futurs habitants ou usagers des constructions à édifier dans ces secteurs.

Le Conseil d’Etat estime en conséquence que la taxe et la participation sont cumulables dès lors qu’elles n’ont pas le même objet, ne sont pas perçues au même moment et qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe ne fait obstacle à ce cumul.


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URBANISME ET AMENAGEMENT

CE, 19 septembre 2025, Société Montfort Force Unie, n° 470356, aux Tables et n° 476185, Commission nationale d’aménagement commercial, inédit.

Aménagement commercial – critères de développement durable – contrôle des commissions d’aménagement commercial s’agissant des bâtiments existants

En cas d’extension de la surface de vente d’un magasin de commerce de détail, le contrôle par la commission d’aménagement commercial du respect des critères fixés par l’article L. 752-6 du code de commerce s’effectue de manière globale


Par deux décisions du même jour, le Conseil d’Etat juge que le contrôle du respect des objectifs prévus par les dispositions du I de l’article L. 752-6 du code de commerce en matière d’aménagement du territoire et de développement durable s’effectue de manière globale, sur l’ensemble des bâtiments, équipements et installations existants. Il précise en outre qu’il en va ainsi même lorsque l’extension de la surface de vente ne requiert aucune modification extérieure de ces bâtiments, ou lorsque le projet vise, même sans créer des surfaces supplémentaires, à regrouper des surfaces de vente existantes.

En conséquence, le Conseil d’Etat censure l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles qui avait annulé la décision de la commission nationale d’aménagement commercial en jugeant que celle-ci ne pouvait tenir compte, pour apprécier la régularité d’un projet d’extension de la surface de vente d’un magasin, de l’imperméabilisation des sols résultant du projet original mais devait limiter son contrôle aux seules parties modifiées par le projet qui lui était soumis.

Inversement, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes qui avait pour sa part rejeté la requête d’une société qui souhaitait regrouper deux magasins et qui avait obtenu un avis défavorable de la commission départementale d’aménagement commercial, puis de la commission nationale, en considérant que l’impact du projet devait être regardé dans sa globalité et que celui-ci n’apportait pas d’amélioration significative à l’espace commercial existant en particulier s’agissant du critère de lutte contre l’imperméabilisation des sols et de préservation de l’environnement.

Par ces deux décisions le Conseil d’Etat donne ainsi toute sa portée aux dispositions de loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi Pinel, qui prévoyait, sans plus de précision, que les critères relatifs à la qualité environnementale d’un projet et à son insertion paysagère et architecturale s’appliquent aux bâtiments existants (art 49 de la loi).

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CE, 30 septembre 2025, sociétés La Belle Etoile et Ceetrus, département du Val-d’Oise et autres, n°s493869, 493876, 493879, 493885, inédit

Actes à caractère décisoire - Responsabilité de la puissance publique - Promesse non tenue

La responsabilité de l’Etat pour faute définitivement écartée à la suite de l’abandon du projet de complexe commercial et de loisirs EuropaCity


Par une décision du 30 septembre 2025, le Conseil d’Etat a rejeté l’ensemble des requêtes présentées par le département du Val-d’Oise, la communauté d’agglomération Roissy Pays de France, la commune de Gonesse et différentes sociétés privées à la suite de l’abandon du projet EuropaCity.

L’entreprise Auchan avait en effet souhaité développer un projet d’aménagement, dénommé « EuropaCity », situé sur une portion non urbanisée du territoire de la commune de Gonesse, dite « triangle de Gonesse », consistant en un ensemble de bâtiments destinés à des activités commerciales et de loisirs sur une surface de 800 000 mètres carrés. Afin de permettre la réalisation de ce projet, le 21 septembre 2016, le préfet du Val-d’Oise avait adopté un arrêté portant création de la zone d’aménagement concerté (ZAC) « triangle de Gonesse » d’une surface de 299 hectares puis, le 20 décembre 2018, un arrêté déclarant d’utilité publique au profit de l’établissement public foncier d’Ile-de-France le projet d’aménagement du triangle de Gonesse.

Toutefois, à l’issue du conseil de défense écologique du 7 novembre 2019, la ministre de la transition écologique et solidaire avait indiqué que l’Etat ne souhaitait pas que le projet EuropaCity se poursuive.

Par deux requêtes successives, la société La Belle Etoile, le département du Val-d’Oise, la communauté d’agglomération Roissy Pays de France et la commune de Gonesse sollicitaient l’annulation pour excès de pouvoir de la déclaration de la ministre. Le Conseil d’Etat rejette ces requêtes comme irrecevables en considérant que cette annonce était, par elle-même, dépourvue d’effets juridiques directes et donc qu’elle ne pouvait être attaquée par la voie du recours pour excès de pouvoir.

En parallèle, par deux autres requêtes, les sociétés La Belle Etoile et Alliages et Territoires demandaient la condamnation de l’Etat et de l’établissement public Grand Paris Aménagement à l’indemnisation du préjudice qu’elles estiment avoir subi du fait de cet abandon. Elles soutenaient principalement que la responsabilité de l’Etat pour faute devait être reconnue en raison de promesses non tenues. Toutefois, le Conseil d’Etat écarte l’argumentation des sociétés requérantes et juge que ni les différentes prises de position de responsables publics en faveur du projet EuropaCity, qui se bornaient à manifester un encouragement de l’Etat au projet, ni les arrêtés portant création de la ZAC et déclarant d’utilité publique le projet « ne peuvent être regardés comme constitutifs de promesses de la part de l’Etat quant à la réalisation du projet porté par les sociétés requérantes » qui seraient de nature à ouvrir un droit à indemnité faute d’avoir été tenues.

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L'actualité normative et consultative


La loi n° 2025-1126 du 26 novembre 2025 de simplification du droit de l’urbanisme et du logement est issue d’une proposition de loi ayant notamment pour objet de renforcer la sécurité juridique des documents d’urbanisme et des porteurs de projet immobilier ainsi que d’accélérer le traitement des affaires contentieuses en matière d’urbanisme. Adoptée le 15 octobre 2025, quatre de ses dispositions ont fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés.

Dans sa décision du 20 novembre 2025, le Conseil constitutionnel juge que la disposition qui subordonnait la possibilité de saisir le juge administratif d’un recours contre un document d’urbanisme à la condition d’avoir préalablement participé à la procédure de participation du public (4° du paragraphe I de l’article 26 modifiant l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme) méconnaît le droit à un recours juridictionnel effectif. Il relève en particulier qu’une telle limitation prive la personne qui n’a pas pris part à la procédure de participation de la possibilité de former un recours direct même lorsqu’elle n’a pas pu avoir connaissance, au stade de la consultation du public, de l’illégalité éventuelle de cette décision, y compris lorsque cette illégalité résulte de modifications ou de circonstances postérieures à la clôture de la procédure de participation du public.

Le Conseil constitutionnel déclare en revanche conformes à la Constitution les dispositions qui :

- prévoient qu’un permis de construire modificatif ne puisse être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues après la délivrance du permis initial (1 ° de l’article 23 créant l’article L. 431-6 du code de l’urbanisme), en écartant le grief tiré de la méconnaissance des articles 1er et 3 de la Charte de l’environnement dès lors notamment que ces dispositions ne font pas obstacle à l’application des règles autres que d’urbanisme qui ont pour objet d’assurer la protection de l’environnement ;

- suppriment la possibilité d’invoquer par voie d’exception l’illégalité de certains documents d’urbanisme pour vice de forme ou de procédure (3° du paragraphe I de l’article 26 abrogeant l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme), en écartant notamment le grief tiré de l’atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif dès lors que ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de limiter la possibilité ouverte à toute personne intéressée de contester, par voie d’action, dans le délai de recours contentieux, la légalité externe d’un tel acte ;

- réduisent le délai de recours administratif contre une autorisation d’urbanisme, un retrait ou un refus d’une telle autorisation, et prévoient que ce recours administratif ne prolonge pas le délai de recours contentieux (7° du paragraphe I de l’article 26 créant l’article L. 600-12-2 du code de l’urbanisme), notamment en écartant le grief tiré de l’atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif dès lors que ces dispositions procédurales ne mettent pas en cause l’exercice, par les intéressés, du droit d’agir en justice et n’ont, par elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet de les priver de la faculté de former un recours contentieux.

Le Conseil, en faisant application d’une jurisprudence constante, censure par ailleurs une dizaine de « cavaliers législatifs », c’est-à-dire des articles introduits en cours de débat parlementaire alors qu’ils n’avaient pas de lien même indirect avec la proposition de loi initiale, ce qu’interdit l’article 45 de la Constitution.


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Décret n° 2025-1101 du 19 novembre 2025 portant diverses dispositions relatives aux îles artificielles, aux installations, aux ouvrages flottants et aux navires professionnels


Le décret n° 2025-1101 du 19 novembre 2025 portant diverses dispositions relatives aux îles artificielles, aux installations, aux ouvrages flottants et aux navires professionnels définit le statut et le régime spécifique en matière de contrôle et de sécurité des îles artificielles, installations et ouvrages flottants, pour l’application des dispositions du titre II ter de l’ordonnance n° 2016-1687 du 8 décembre 2016 relative aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française, titre intégré par l’article 63 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.

Alors que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, reprise en droit interne par l’ordonnance n° 2016-1687 du 8 décembre 2016, encadre les « îles artificielles, installations et ouvrages  » sans véritablement les définir, le décret n° 2025-1101 comble ce vide juridique. Un titre II bis est inséré dans le décret n° 2013-611 du 10 juillet 2013 relatif à la réglementation applicable aux îles artificielles, aux installations, aux ouvrages et à leurs installations connexes sur le plateau continental et dans la zone économique et la zone de protection écologique ainsi qu’au tracé des câbles et pipelines sous-marins.

Le texte définit les iles artificielles, installations et ouvrages flottants, ainsi que les critères permettant d’y assimiler certains navires : il s’agit de tout engin flottant relié de manière durable au quai, aux fonds marins ou à leur sous-sol ou à tout autre point fixe en mer ou sur la côte et qui n’est pas, à titre principal, construit et équipé pour la navigation maritime et affecté à celle-ci. Il peut aussi s’agir d’un navire, dès lors qu’il est exploité à titre commercial, dans la limite des eaux territoriales, à titre principal au mouillage ou à l’arrêt ou à quai et qu’il est affecté à un usage résidentiel, touristique ou récréatif ou à des fins d’activités balnéaires, d’hôtellerie ou de restauration.

Le décret fixe les règles destinées à assurer la sécurité maritime, la sureté et l’exploitation et la prévention de la pollution pour ce qui concerne la conception, la construction, l’entretien et l’exploitation de ces installations. Il prévoit également les conditions dans lesquelles l’agrément des organismes chargés des contrôles est délivré, les obligations auxquelles ces derniers sont soumis, les modalités du contrôle qu’ils effectuent sur les installations ainsi que les conditions dans lesquelles ils transmettent les résultats du contrôle à l’administration.

Le décret précise les procédures en matière de sanctions administratives prévues par l’ordonnance n° 2016-1687 du 8 décembre 2016.

Il complète par ailleurs la typologie des navires dressée par le décret n°84-810 du 30 août 1984 relatif à la sauvegarde de la vie humaine en mer, à la prévention et à la pollution, en apportant une définition des navires de maintenance en mer, ainsi que des navires de personnel industriel et des manifestations nautiques.

Enfin, le code des transports et le code de commerce sont modifiés notamment afin d’encadrer les régimes d’enregistrement et de propriété des îles artificielles, installations et ouvrages flottants.


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L'actualité des réseaux

TA Toulon, 17 octobre 2025, n° 2404209

Le retrait des permis de construire délivrés sous contrainte juridictionnelle et la sécurisation du délai raisonnable


Ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 17 octobre 2025 vient préciser les conditions dans lesquelles l’administration peut retirer un permis de construire délivré pour exécuter une injonction juridictionnelle. Il intervient dans un contexte contentieux complexe, marqué par plusieurs recours et décisions successives.

Dans cette affaire, une commune a procédé au retrait d’un permis de construire en se prévalant de la circonstance que le Conseil d’État n’a pas admis le pourvoi du bénéficiaire du permis formé contre l’arrêt de la cour administrative de Marseille annulant le jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a enjoint au maire de délivrer le permis de construire. Le requérant soutenait que la commune ne pouvait procéder à un tel retrait que dans les trois mois suivant la notification de l’arrêt de la cour administrative d’appel et non après la décision de non-admission du pourvoi prononcée par le Conseil d’État.

Le jugement rappelle que, même lorsqu’un permis a été délivré pour exécuter une décision de justice, il peut être retiré si une décision juridictionnelle ultérieure annule le jugement ayant imposé cette délivrance, dans un délai raisonnable de trois mois à compter de cette décision. Cette solution traduit une volonté de concilier autorité de la chose jugée et sécurité juridique, en reconnaissant que l’administration doit pouvoir adapter ses décisions à l’évolution du cadre juridique (voir en ce sens : avis CE, 25 mai 2018, n° 417350, au Recueil).

L’apport de la décision réside dans la précision apportée à cette possibilité au délai de retrait : le tribunal juge que lorsque le bénéficiaire forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt annulant l’injonction de délivrer l’autorisation d’urbanisme, l’autorité compétente dispose à nouveau de la faculté de retirer la décision délivrant ladite autorisation, dans un délai raisonnable de trois mois à compter de la réception de la décision qui rejette le pourvoi ou de la notification de la décision qui, après cassation, confirme en appel l’annulation du premier jugement.

Cette solution est la transposition inédite d’une décision du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 dans laquelle il a été jugé que, suite à l’annulation d’une décision de révocation d’un agent public et à l’injonction de sa réintégration, l’autorité administrative pouvait retirer la décision de réintégration du fonctionnaire dans un délai raisonnable de quatre mois à compter de la réception de la décision qui rejette le pourvoi ou de la notification de la décision qui, après cassation, confirme en appel l’annulation du premier jugement (CE, Section, 9 décembre 2022, n°451500, au Recueil). Elle permet ainsi d’assurer un juste équilibre entre deux intérêts, le droit du pétitionnaire à un examen complet de ses recours et la nécessité pour l’administration de corriger une autorisation devenue irrégulière, tout en sécurisant le calcul du délai de retrait.


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3 questions à … ,

Marine Braud, autrice du livre « Qui aurait pu prédire ? Leçons de dix ans de politiques écologiques depuis l’accord de Paris », éd. Les Petits Matins

Vous insistez sur l’importance de faire des politiques compréhensibles et de tendre à la simplicité, notamment car la complexité peut créer les conditions du rejet de la réglementation. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous avons parfois tendance à vouloir faire la politique la plus parfaite possible, qui prenne en considération toutes les hypothèses possibles pour les anticiper et y apporter des réponses. Or, ce faisant, il nous arrive de perdre de vue la réalité des pratiques. Les entreprises ou les citoyens ne sont pas que des administrés rationnels : ils ont leurs propres habitudes, leur vocabulaire ou leurs processus. Lorsqu’on fait des normes trop complexes, en utilisant des sigles ou des mots peu intelligibles des acteurs qui seront impactés par cette réglementation, on crée un risque d’incompatibilité avec les pratiques des « vraies gens » qui entraîne incompréhension, voire rejet. Les « Zones à faibles émissions » auraient pu s’appeler clairement des « zones d’air pur ». La directive sur le reporting des entreprises aurait mérité d’être moins prescriptive pour laisser une plus grande marge de manœuvre aux équipes de développement durable. Le zéro artificialisation nette est difficilement accessible pour des municipalités sans ingénierie.

Ce n’est pas propre à l’administration : tout groupe social a tendance à générer son propre vocabulaire et ses manières de faire, qu’il s’agisse de communautés d’intérêt ou d’entreprise. Le problème est que l’Etat a vocation à s’adresser à tous et se doit donc, à mes yeux, de fournir un effort supplémentaire d’intelligibilité.

Vous soulignez également l’importance de la participation des citoyens et de la nécessité d’éviter le « piège de la verticalité ». Alors que depuis plusieurs années maintenant, le principe de participation est fermement ancré dans notre ordre juridique, qu’est-ce qui pêche de ce point de vue ?

Nos formats de consultation publique ne nous permettent pas suffisamment de toucher les personnes éloignées du débat public. Sans compter que la consultation est trop souvent une « case à cocher » dans le processus normatif. Leurs résultats sont finalement plus représentatifs de la capacité d’un groupe d’influence – ONG environnementales, syndicats agricoles ou encore fédérations de chasse par exemple – à mobiliser sa base, que d’une volonté populaire.

Et même les modalités plus poussées, comme les concertations organisées par la Commission nationale du débat public, ne réussissent généralement qu’à réunir des personnes qui se sentent déjà légitimes.

Le modèle du Grand débat national avait, pour le coup, réussi à mobiliser plus largement mais ses conclusions ont malheureusement été trop peu utilisées, générant déception et méfiance à l’avenir. Car il ne suffit pas d’organiser la consultation : il faut en écouter les conclusions et valoriser la façon dont elle a participé à modifier la politique.

Le dernier chapitre de votre livre détaille une idée originale qui est celle de l’instauration d’une « Sécu verte ». Qu’entendez-vous par là ?

Il y a 80 ans, les Pères de la Sécurité sociale visaient à « débarrasser les travailleurs de la hantise des lendemains ». Ils pensaient aux craintes de tomber malade ou de ne plus pouvoir assurer sa subsistance à la retraite. Et, malgré les débats sur le fonctionnement de la Sécurité sociale et son « trou », force est de constater que les Français sont effectivement en confiance grâce à ce filet de sécurité.

Aujourd’hui, « la hantise des lendemains » a de nouveaux visages : d’un côté les dérèglements environnementaux qui débutent et leurs conséquences dans la vie quotidienne (fissures des habitations, éboulements en zones montagneuses, inondations, canicules, …) ; et de l’autre les impacts de la transition écologique en elle-même sur nos habitudes (remise en cause de certains modèles comme le barbecue ou le pavillon individuel, renchérissement des biens carbonés, …).

Face à ces nouvelles angoisses, exploitées à l’envi par les populistes, le rôle de l’Etat me semble être d’apporter un nouveau filet de sécurité pour protéger durablement citoyens et entreprises. Cela prendrait la forme d’un service public, à disposition de tous les Français, qui les accompagnerait sur deux volets : un diagnostic de vulnérabilité pour identifier les risques environnementaux qui pourraient les affecter, et leur proposer des solutions pour s’en protéger ; et un diagnostic de transition qui permettrait à chacun de construire son propre chemin de transition, adapté à sa situation socio-économique personnelle, efficace, équitable et adapté à ses capacités.

Ce service public, cette « Sécu verte », enverrait ainsi trois signaux majeurs pour réussir la transition écologique : pérennité, confiance et simplicité. Pérennité car la transition n’est pas un one-shot : elle va durer des décennies et mérite une institution publique dédiée. Confiance car les citoyens et les entreprises ont besoin de savoir que, quoiqu’il arrive, quelles que soient les politiques à prendre pour se protéger face aux impacts des dérèglements environnementaux, ils auront une porte à laquelle frapper pour être renseignés et accompagnés. Simplicité car ce service public les orientera vers les aides et soutiens disponibles, qu’ils soient techniques ou financiers, pour mettre en place les mesures nécessaires. Fini le labyrinthe administratif ou les sauts d’une administration à l’autre, du niveau national au niveau local. La « Sécu verte » prendrait à sa charge cette complexité.

Même si je fais un parallèle avec la Sécurité sociale, celui-ci est avant tout politique : c’est le message de soutien pérenne pour les citoyens que je mets en avant. Cela ne signifie donc pas nécessairement une énième branche de la Sécu, ou un modèle de financement similaire. Cette « Sécu verte » peut être un simple portail unique derrière lequel se trouveraient tous les organismes et aides existants déjà – portail numérique nécessairement accompagné d’un contact humain, notamment grâce aux agences France Service ; comme il pourrait s’agir d’une fusion de tous ces services publics. Elle peut servir de rationalisation des aides pour un exécutif souhaitant réduire les dépenses ; comme faire apparaître tous les besoins de soutiens supplémentaires et amener une augmentation du budget de l’écologie. C’est désormais aux forces politiques de s’emparer de l’idée et d’en dessiner les rouages précis !

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N°5 du 26 décembre 2025 - Angle droit 34

Comité éditorial : Olivier Fuchs, Sophie Malet, Amandine Berruer, Ninon Boulanger, Sadan Camara-Keita, Soizic Dejou, Agnès Deville-Viziteu, Camila El Aaly, Sophie Geay, Stéphanie Grossier, Méhar Iqbal, Jeanne Lafon, Nadia Lyazid, Liliane Micot, Nolwenn Pillant, Clémentine Planson, Isabelle Volette

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