ACCESSIBILITE
CE, 4 juillet 2025, Association mobilité réduite Sud Seine et Marne et autres n° 490589, inédit
Dispositifs de recharge pour véhicules électriques / Personnes à mobilité réduite / Principe d’égalité
Le Conseil d’État valide le taux d’accessibilité des places de stationnement équipées de dispositifs de recharge électrique
Le pourcentage minimal des places de stationnement équipées de dispositifs de recharge pour véhicules électriques, accessibles aux personnes à mobilité réduite, n’est contraire ni à l’objectif d’accessibilité poursuivi par le législateur, ni au principe d’égalité.
Selon l’article L. 2224-37, alinéa 4, du code général des collectivités territoriales, introduit par la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019, lorsque des places de stationnement équipées de dispositifs de recharge pour véhicules électriques sont aménagées sur le domaine public, un pourcentage minimal de l’ensemble de ces places doit être accessible aux personnes à mobilité réduite, sans que celles-ci leur soient impérativement réservées. Ce pourcentage a été fixé par un arrêté interministériel du 27 octobre 2023, en fonction du nombre total de places équipées de dispositifs de recharge électrique installées sur la voirie de chaque collectivité compétente. Ainsi, entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2025, le pourcentage minimal de places devant être accessibles a été fixé entre 10 et 30 %. À partir du 1er janvier 2026, il devra être compris entre 20 et 35 %.
L’association Mobilité Réduite–Sud Seine et Marne ainsi que plusieurs personnes physiques, estimant que le pourcentage minimal de places accessibles équipées de dispositifs de recharge était insuffisant et que les places accessibles devaient être réservées aux personnes à mobilité réduite, ont introduit un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État en soutenant que la fixation de ces pourcentages méconnaissait tant le principe d’égalité que l’objectif d’accessibilité poursuivi par le législateur.
Par un mémoire distinct, les requérants ont également demandé au Conseil d’État de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de l’article L. 2224-37, alinéa 4, du code général des collectivités territoriales, aux principes d’égalité devant la loi et devant le service public, garantis par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Par une décision du 26 avril 2024, le Conseil d’Etat, jugeant que cette question n’était ni nouvelle ni sérieuse, a refusé de la transmettre au Conseil constitutionnel.
Sur le fond, le Conseil d’État relève qu’aucun texte législatif de droit interne, pas plus que le principe d’égalité, n’impose que l’ensemble des places équipées de dispositifs de recharge électrique soient accessibles aux personnes à mobilité réduite, ni que les places accessibles leur soient réservées. Quant à la fixation du pourcentage minimal d’accessibilité des places, il considère que le pouvoir réglementaire s’inscrit dans le cadre de l’habilitation donnée par le législateur.
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CONSTRUCTION
Conseil d’Etat, 24 juillet 2025, Société Tekimmo, n°488659, Inédit
Domaine public fluvial – Protection de l’affectation du domaine public et sécurité de la navigation fluviale – Abandon d’un bien flottant sur le domaine public fluvial et transfert de propriété au gestionnaire domanial
Le Conseil d’Etat juge que les exigences d’accessibilité de la règle de droit, applicables à une norme technique rendue d’application obligatoire, sont satisfaites par un accès gratuit, depuis le site internet de l’AFNOR, aux personnes localisées sur le territoire français et ayant créé un compte pour s’identifier
La société Tekimmo a saisi le Conseil d’Etat afin d’obtenir l’annulation de l’arrêté du 20 juillet 2023 définissant les critères de certification des diagnostiqueurs intervenant dans le domaine du diagnostic de performance énergétique, de leurs organismes de formation et les exigences applicables aux organismes de certification.
En application de cet arrêté, l’accréditation des organismes de formation et de certification intervenant dans le domaine du diagnostic immobilier est conditionnée au respect de normes AFNOR.
Au soutien de sa requête, la société Tekimmo développait de nombreux moyens, parmi lesquels celui tiré de la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit et de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 relatif à la normalisation qui dispose que les normes rendues d’application obligatoire sont consultables gratuitement. La méconnaissance de ces exigences avait déjà fondé l’annulation de plusieurs arrêtés intervenant dans ce même domaine, au motif que l’accès à la norme technique était payant (CE, 24 juillet 2019, Société Tekimmo, n° 402345, inédit ; CE, 30 décembre 2021, Association LDI, n° 436420, inédit) ou subordonné à une attestation sur l’honneur (CE, 5 février 2024, Association LDI, n°461336, inédit), le Conseil d’Etat rappelant à ces occasions sa jurisprudence en matière d’accessibilité de la norme (CE, 10 février 2016, FNME – CGT, n°383756, au recueil).
Pour tirer les conséquences de ces précédentes annulations, les normes techniques rendues d’application obligatoire par l’arrêté du 20 juillet 2023 sont désormais accessibles gratuitement depuis le site internet de l’AFNOR aux personnes localisées sur le territoire français et ayant créé un compte pour s’identifier. Le Conseil d’Etat juge que ces modalités satisfont aux exigences d’accessibilité de la règle de droit et rejette la requête, mettant ainsi un terme à une saga contentieuse de plusieurs années.
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DOMANIALITE PUBLIQUE
CC, 6 juin 2025, M. Yann M., n° 2025-1141] QPC
Domaine public fluvial – Protection de l’affectation du domaine public et sécurité de la navigation fluviale – Abandon d’un bien flottant sur le domaine public fluvial et transfert de propriété au gestionnaire domanial
Bien flottant abandonné :
Le Conseil constitutionnel déclare l’article L. 1127 3 du code général de la propriété des personnes publiques conforme à la Constitution, sous réserve que cette procédure permettant le transfert de propriété d’un bien flottant abandonné au bénéfice du gestionnaire du domaine public fluvial ne soit pas appliquée à un bien constituant le domicile de son occupant
L’article L. 1127 3 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), issu de l’article 68 de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, instaure une procédure permettant de libérer le domaine public fluvial d’un bateau, navire, engin ou établissement flottants abandonnés. En application de ces dispositions, un transfert de propriété du bien abandonné au bénéfice du gestionnaire du domaine public fluvial s’opère au terme d’une procédure en deux étapes.
Dans un premier temps, il est procédé au constat de l’abandon présumé du bateau par un agent assermenté lorsqu’il ne fait pas l’objet d’une autorisation domaniale et qu’il est non occupé ou ne fait pas l’objet de mesures de manœuvre ou d’entretien. Dans un second temps, une fois l’expiration du délai de six mois laissé au propriétaire, gardien ou conducteur pour se manifester ou prendre les mesures nécessaires de manœuvre ou d’entretien, l’autorité administrative compétente déclare le bien abandonné et transfère sa propriété au gestionnaire domanial. Ce dernier peut alors le vendre ou le détruire sans procédure de restitution ni indemnités au bénéfice de l’ancien propriétaire.
Le requérant invoque plusieurs griefs tirés de la méconnaissance des exigences résultant de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il reproche notamment aux dispositions précitées d’instituer une sanction ayant le caractère d’une punition (article 8 de la Déclaration), mais aussi de méconnaître le droit de propriété (articles 2 et 17) et le principe de l’inviolabilité du domicile (article 2).
Après avoir relevé que ces « dispositions, qui permettent à l’autorité administrative de disposer d’un bien abandonné sur le domaine public fluvial, ont pour seul objet d’assurer la protection de ce domaine et de garantir la sécurité de la navigation fluviale […] et ainsi la poursuite d’un objectif d’intérêt général », le Conseil constitutionnel juge qu’elles n’instituent pas une sanction ayant le caractère d’une punition.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel rappelle le cadre procédural protecteur prévu par ces dispositions et précise que ces dernières « n’ont par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet d’autoriser l’expulsion de l’éventuel occupant d’un bateau à usage d’habitation ». Il émet cependant une réserve selon laquelle ces dispositions « ne sauraient toutefois, sans méconnaître le principe de l’inviolabilité du domicile, être interprétées comme autorisant le gestionnaire du domaine public fluvial à procéder à la destruction d’un tel bien sans tenir compte de la situation personnelle ou familiale de l’occupant, lorsqu’il apparaît que ce dernier y a établi son domicile ».
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DROIT DES DONNEES PERSONNELLES
CE, 23 juillet 2025, Collectif d’action contre l’enfouissement des déchets radioactifs et autres c/ministère de l’intérieur, n°494945, inédit
L’objectif de sécurité des installations nucléaires doit se concilier avec le respect des droits fondamentaux
Le décret n° 2024-323 du 8 avril 2024 a autorisé le ministre de l’intérieur à créer un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif à la sécurité des établissements, ouvrages, installations et activités nucléaires dénommé
« traitement d’optimisation des données et informations d’intérêt nucléaire » (ODIINuc), destiné à améliorer la sécurité des installations nucléaires et à lutter contre tout acte de malveillance visant ces installations.
Ce traitement de données personnelles a notamment pour finalité la collecte et l’analyse, par les services du ministère de l’Intérieur, d’informations sur les personnes impliquées dans des événements révélant un risque d’atteinte à la sécurité nucléaire en vue, le cas échéant, de leur diffusion aux autorités compétentes.
Plusieurs associations et particuliers ont saisi le Conseil d’Etat d’un recours contre ce décret, estimant qu’il portait une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux des personnes concernées par ce dispositif.
Par une décision du 23 juillet 2025, le Conseil d’Etat a rejeté leur recours.
S’agissant de l’atteinte au droit au respect de la vie privée, le Conseil d’Etat rappelle que l’ingérence dans l’exercice de ce droit que constituent la collecte, la conservation et le traitement, par une autorité publique, d’informations personnelles nominatives, ne peut être légalement autorisée que si elle répond à des finalités légitimes et que le choix, la collecte et le traitement des données sont effectués de manière adéquate et proportionnée au regard de ces finalités.
En l’espèce, il constate que le dispositif contesté vise la protection de la sécurité nucléaire, limite le champ des personnes concernées aux seuls individus impliqués dans des événements à risque (à l’exclusion des simples témoins fortuits), précise la nature des données collectées et fixe une durée de conservation restreinte.
Le Conseil d’État en conclut qu’au vu des enjeux de sécurité nationale, de souveraineté industrielle et de protection de l’environnement qui s’attachent à la préservation de la sécurité nucléaire, et compte tenu des garanties qui entourent ce traitement, le décret ne porte pas d’atteinte disproportionnée à la protection de la vie privée.
S’agissant de l’atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de manifester, le Conseil d’Etat juge que le traitement, justifié par un objectif de sécurité publique, ne porte pas d’atteinte excessive ni systématique à ces libertés, malgré un éventuel effet dissuasif indirect.
Cette décision opère ainsi une conciliation entre la prévention des atteintes à la sécurité nucléaire et la préservation de certaines libertés fondamentales. Elle rappelle que la légalité d’un traitement de données à caractère personnel comportant une finalité de sécurité publique dépend de l’existence d’un encadrement juridique précis (clarté des finalités, détermination des données et des personnes concernées, durée de conservation limitée) dans le respect du principe de proportionnalité.
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ENVIRONNEMENT
CJUE, 1er août 2025, affaires jointesC-71/23 P, France/CWS Powder Coatings e.a. et C-82/23 P, Commission/CWS Powder Coatings e.a.
Environnement et protection de la santé humaine - Classification, emballage et étiquetage des substances et des mélanges au titre du règlement (CE) no 1272/2008
Confirmation de l’annulation de la classification du dioxyde de titane sous certaines formes de poudre comme substance cancérogène
Le dioxyde de titane (TiO₂) est utilisé sous la forme d’un pigment blanc dans de nombreux produits, notamment les peintures, les médicaments, les denrées alimentaires et les jouets.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) à soumis en 2016 à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) une proposition de classification du dioxyde de titane comme substance cancérogène par inhalation. En 2017, le comité d’évaluation des risques (CER) de l’ECHA a estimé cette classification justifiée. Sur cette base, la Commission européenne a adopté le règlement délégué (UE) 2020/217 du 4 octobre 2019, procédant, notamment, à la classification et à l’étiquetage harmonisés du dioxyde de titane en tant que substance suspectée d’être cancérogène pour l’homme, par inhalation, sous forme de poudre contenant au moins 1 % de particules d’un diamètre inférieur ou égal à 10 μm. Ce règlement délégué a été adopté sur le fondement de la procédure d’harmonisation de la classification et de l’étiquetage des substances prévue par l’article 37 du règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et mélanges.
Dans son arrêt du 23 novembre 2022, le tribunal de l’Union européenne, saisi de recours formés par différents fabricants, importateurs, utilisateurs en aval et fournisseurs de dioxyde de titane qui visaient à l’annulation partielle du règlement délégué (UE) 2020/217, a annulé ce règlement en tant qu’il concerne la classification et l’étiquetage harmonisés du dioxyde de titane, estimant que la Commission avait commis une erreur manifeste dans l’appréciation de la fiabilité et de l’acceptabilité de l’étude scientifique sur laquelle était fondée la classification (CWS Powder Coatings e.a./Commission, T-279/20, T-288/20 et T-283/20).
Dans son arrêt du 1er août 2025, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie de pourvois formés par la Commission et par le gouvernement français contre l’arrêt du Tribunal, confirme l’annulation de la classification et de l’étiquetage litigieux, contrairement aux conclusions de l’Avocate générale.
En premier lieu, la Cour considère que le Tribunal n’a pas méconnu les principes établis dans le règlement (CE) n°1272/2008 en attribuant un caractère « décisif » à l’une des études scientifiques sur laquelle était fondée la classification, dès lors qu’il n’a pas pour autant écarté toutes les autres données qui avaient été retenues par le CER.
En deuxième lieu, la Cour retient que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le CER avait omis de prendre en compte tous les éléments pertinents dans son appréciation de la validité et de la pertinence de l’étude scientifique en cause.
En revanche, la Cour a considéré que le Tribunal a dépassé les limites de son contrôle en ayant de manière erronée substitué sa propre appréciation à celle du CER, s’agissant du caractère approprié de la valeur de la densité des particules de dioxyde de titane retenue pour apprécier la fiabilité et l’acceptabilité de l’étude scientifique en cause, comme le soutenaient le gouvernement français et la Commission.
Enfin, la Cour considère que les moyens tirés d’un défaut de motivation et d’une erreur d’appréciation en ce que le Tribunal a retenu une interprétation restrictive de la notion de « propriétés intrinsèques » d’une substance au sens du règlement n° 1272/2008 sont inopérants puisqu’ils sont dirigés contre des motifs surabondants de l’arrêt rendu par le Tribunal.
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CE, 18 avril 2025, Ministre de la transition écologique c. Société Boralex Ouest Château Thierry, n° 492211, aux Tables
Eoliennes – Atteinte aux paysages – Projet situé à proximité d’un bien inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO
Pas de bulle de protection pour des paysages en Champagne !
Le Conseil d’Etat précise la manière dont l’administration peut, sous le contrôle du juge des installations classées, tenir compte, dans l’appréciation des atteintes paysagères susceptibles d’être occasionnées par un projet éolien, des mesures mises en œuvre dans le cadre de la protection d’un site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco.
Par un arrêté du 17 février 2023, le préfet de l’Aisne a refusé de délivrer à la société Boralex Ouest Château Thierry une autorisation environnementale pour un parc de six éoliennes en raison notamment de l’absence de prise en compte par la société pétitionnaire d’une « zone d’exclusion », délimitée autour du site dit des « Côteaux, maisons et caves de Champagne », inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Différents cercles de protection concentriques ont été définis autour de ce bien inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Par un arrêt du 21 décembre 2023, la cour administrative d’appel de Douai a annulé la décision préfectorale de refus au motif notamment, d’une part, que le préfet ne pouvait légalement fonder son refus sur la seule circonstance que le pétitionnaire n’avait pas tenu compte de la « zone d’exclusion » fixée par la « charte éolienne », qui n’a pas de valeur juridique contraignante, et, d’autre part, que le motif tiré de l’atteinte aux paysages notamment aux vignobles n’était pas de nature à justifier le refus opposé au pétitionnaire.
Saisi d’un pourvoi de la ministre, le Conseil d’Etat juge, dans un premier temps, que l’inscription d’un bien sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco implique que l’Etat et ses établissements ainsi que les collectivités territoriales concernées mettent en œuvre, sous le contrôle du juge, leurs compétences afin d’assurer la protection de la valeur universelle exceptionnelle de ce bien ainsi que, le cas échéant, tout ou partie de sa zone tampon. Constatant qu’en l’espèce, le site d’implantation du projet se situe en dehors du périmètre du bien inscrit et de sa zone tampon, il juge que les dispositions des articles L. 612-1 et R. 612-1 du code du patrimoine ne trouvent pas à s’appliquer.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat juge que si le juge des installations classées pour la protection de l’environnement peut, pour apprécier l’intérêt et la qualité du paysage et les atteintes qui peuvent lui être portées, prendre en considération tout élément utile tel que, le cas échéant, le contenu d’une « charte d’engagement » adoptée volontairement par des communes situées en dehors du périmètre du bien inscrit et de sa zone tampon, et d’une « charte éolienne » élaborée par l’association qui a porté le projet d’inscription du bien et en assure la valorisation, ces documents ne sont pas, par eux mêmes, opposables. En l’espèce, le Conseil d’Etat relève que la cour n’a ni méconnu son office, ni commis d’erreur de droit dans l’application de ces principes.
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Conseil d’État, 16 juin 2025, Commune de La Montagne, n° 490161, aux Tables
Réglementation de l’utilisation des pesticides – Absence de compétence du maire au titre de ses pouvoirs de police spéciale des déchets
Les pesticides sont-ils des déchets ?
Par un arrêté du 11 janvier 2021 réglementant des dépôts sauvages de déchets et d’ordures, le maire de la commune de La Montagne, en Loire-Atlantique, a interdit « tout rejet de produits phytopharmaceutiques hors de la propriété à laquelle ils sont destinés » considérant qu’il s’agit d’un dépôt de déchet relevant de ses compétences au titre de la police spéciale des déchets.
Saisis par déféré préfectoral, les juges du fond ont annulé cette disposition.
Par la présente décision, le Conseil d’État rejette le pourvoi de la commune en jugeant que si le maire peut, en vertu des pouvoirs de police spéciale qu’il tient de l’article L. 541-3 du code de l’environnement sans préjudice des pouvoirs de police générale qu’il tient des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, prendre, pour la commune, les mesures nécessaires au respect de la réglementation en matière de gestion des déchets, il ne peut légalement user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d’utilisation des produits phytopharmaceutiques, qu’il appartient aux seules autorités de l’Etat de prendre.
Le Conseil d’Etat relève à cet égard que l’arrêté municipal traite des produits phytopharmaceutiques qui viennent à être disséminés, pour quelque quantité et sous quelque effet que ce soit, hors de la parcelle à laquelle ils étaient destinés, et en conclut que l’arrêté vise à régir les conditions générales d’utilisation de ces produits et non à réglementer la collecte ou le traitement de déchets, en soulignant que des produits phytopharmaceutiques ainsi disséminés de manière incidente, lors de leur utilisation, sur d’autres parcelles que la parcelle prévue, ne constituent pas des déchets.
Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la décision Commune d’Arcueil (CE, 31 décembre 2020, n°439253, aux Tables) par laquelle le Conseil d’Etat a déjà jugé que le maire ne pouvait faire usage de ses pouvoirs de police générale pour interdire par arrêté l’usage de produits phytopharmaceutiques, cette compétence appartenant aux seules autorités de l’Etat au titre de la police spéciale des produits phytopharmaceutiques.
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CE, 16 juin 2025, Ministre de la transition écologique, n° 488125, inédit
Moulins hydrauliques-Police de l’eau -Ouvrages fondés en titre ou sur titre-Porter à connaissance-Contrôle du préfet sur son contenu en amont de toutes prescriptions
Des précisions sur le contenu du dossier de porter à connaissance prévu à l’article R. 214-18-1 du code de l’environnement transmis par un propriétaire ou un exploitant souhaitant remettre en eau ou en exploitation un ouvrage fondé en titre ou sur titre
Afin de valoriser l’eau comme ressource pour la production d’électricité d’origine renouvelable comme le législateur les y invite (5° du I de l’article L. 211-1 du code de l’environnement), de nombreux propriétaires d’installation (notamment d’anciens moulins) font le choix de remettre en eau ou en exploitation d’anciens ouvrages qualifiés de « fondés en titre » lorsque l’ouvrage est un héritage de la période antérieure à l’abolition des droits féodaux ou
« fondé sur titre » lorsque l’ouvrage a été autorisé sous l’empire d’une législation sur l’eau antérieure à la
loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique.
Pour ce faire, et conformément aux dispositions des articles L. 214-6 et R. 214-18-1 du code de l’environnement, ils doivent porter à la connaissance de l’autorité compétente en matière de police de l’eau (préfet de département) leur intention en déposant un dossier dont le contenu est notamment prévu à l’article 14 l’arrêté du 11 septembre 2015 fixant les prescriptions techniques et générales applicables aux installations, ouvrages, (…) soumis à autorisation (…) et relevant de la rubrique 3.1.1.0. de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement.
Cette procédure permet notamment au préfet, par la fixation de prescriptions, de garantir que sont pris en compte les autres intérêts protégés par la police de l’eau et mentionnés au même article L. 211-1 du code de l’environnement (libre écoulement, continuité écologique, bonne qualité des eaux, prévention des inondations…).
La présente affaire a permis au Conseil d’État de préciser la façon dont le préfet devait apprécier le caractère suffisant du dossier de porter à connaissance. Par sa décision du 16 juin 2025, il a jugé que « lorsqu’il est saisi d’un porter-à-connaissance relatif à la remise en eau d’un moulin hydraulique autorisé avant le 16 octobre 1919 en application de l’article R. 214-18-1 précité, il appartient au préfet de s’assurer que les informations que comporte le dossier lui permettent d’exercer les pouvoirs de police qui lui sont confiés en vue de garantir les intérêts protégés par l’article L. 211-1 du code de l’environnement, et notamment la continuité écologique du cours d’eau sur lequel est située l’installation et le libre écoulement des eaux ».
Il tire toutes les conséquences de ce principe dans le cas d’espèce en considérant que la cour, en jugeant illégal le refus du préfet d’édicter des prescriptions complémentaires motivé par l’absence d’accords au dossier des gestionnaires des ouvrages permettant l’alimentation en eau du moulin de l’Abricot, a commis une erreur de droit « dès lors qu’elle a elle-même relevé que l’alimentation en eau du moulin, situé sur une dérivation du canal de Berry, nécessitait la manipulation de vannes dépendant de la commune de Vierzon ce qui ne permettait pas au préfet de fixer des prescriptions complémentaires pour assurer la continuité écologique et le libre écoulement des eaux sans disposer notamment des engagements de la commune de Vierzon ».
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CE, 18 juillet 2025, Association Mardiéval, no 483757, aux tables
Dérogation Espèces Protégées - Recensement incomplet - Modalités de régularisation
Le moyen tiré de l’incomplétude de la dérogation « espèce protégée » est opérant lorsqu’il est dirigé contre une dérogation autonome mais le vice d’incomplétude peut être neutralisé par une autorisation modificative
Le projet de déviation de la route départementale 921 entre les communes de Jargeau et Saint-Denis-de-l’Hôtel dans le Loiret a donné l’occasion au Conseil d’État d’apporter plusieurs précisions au régime contentieux des dérogations
« espèces protégées » prévues à l’article L. 411 2 du code de l’environnement lorsqu’elles sont délivrées de manière « autonome », c’est-à-dire, sans être rattachées à une autorisation environnementale.
Il juge tout d’abord que « L’identification des espèces protégées susceptibles d’être affectées par un projet ainsi que l’évaluation des impacts du projet sur l’ensemble des espèces protégées présentes, après prise en compte, le cas échéant, des mesures d’évitement et de réduction proposées, sont établies sous la responsabilité de l’auteur de la demande de dérogation. »
Il poursuite en considérant que « Un tiers […] peut utilement faire valoir, à l’appui de sa demande tendant à l’annulation d’une telle décision, qu’elle est entachée d’illégalité au motif qu’elle ne porte pas, à la date de son intervention, sur l’ensemble des espèces affectées par le projet, moyen susceptible de conduire, au vu des pièces du dossier soumis au juge de l’excès de pouvoir, à son annulation » (point n° 6 de la décision). Ainsi, est opérant le moyen tiré de ce qu’une telle dérogation aurait dû concerner d’autres espèces protégées identifiées dans le périmètre d’étude pour lesquelles le pétitionnaire a estimé que l’impact résiduel était faible ou négligeable.
Enfin, s’inspirant une fois encore de la jurisprudence existante en matière d’urbanisme (CE, 9 décembre 1994, n° 116447, aux tables), le Conseil d’Etat ajoute que « toutefois, le moyen tiré d’une violation de ces principes par la dérogation litigieuse ne saurait être accueilli dès lors qu’une dérogation modificative accordée postérieurement en assure le respect » (point 14).
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ENVIRONNEMENT-AGRICULTURE
Décision n° 2025-891 DC du 7 août 2025 : loi visant à lever les contraintes sur les agriculteurs
Dérogation à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques –Présomption d’intérêt général majeur ou de raison impérative d’intérêt public majeur pour les ouvrages de stockage d’eau – Charte de l’environnement
Le conseil constitutionnel censure la possibilité de déroger à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes
Le Conseil constitutionnel a été saisi de
trois saisines dirigées contre la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur.
L’article 2 de la loi insérait un paragraphe II ter au sein de l’article
L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime afin de permettre, sous certaines conditions, de déroger par décret à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes ou autres substances assimilées, ainsi que des semences traitées avec ces produits. En application du règlement (CE) n°
1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, la seule substance néonicotinoïde toujours autorisée au sein de l’Union européenne est l’acétamipride (jusqu’au
28 février 2033).
Le Conseil a repris sa formulation sur les exigences découlant de l’article 1er de la Charte de l’environnement (décisions n°
2020-809 DC du 10 décembre 2020 ; n°
2022-991 QPC du 13 mai 2022 ; n°
2023-848 DC du 9 mars 2023, n°
2023-851 DC du 21 juin 2023 ; n°
2023-1066 QPC du 27 octobre 2023) et appliqué la même grille d’analyse que celle de sa décision du 10 décembre 2020 rendue sur la loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières. En l’espèce, après avoir relevé le motif d’intérêt général que le législateur a entendu poursuivre en permettant à certaines filières agricoles de faire face aux graves dangers qui menacent leurs cultures, le Conseil a rappelé les dangers associés à l’usage des produits concernés en soulignant qu’ils ont des incidences sur la biodiversité ainsi que des conséquences sur la qualité de l’eau et des sols et induisent des risques pour la santé humaine.
Il a ensuite constaté que la dérogation :
- était instaurée pour toutes les filières agricoles, sans les limiter à celles pour lesquelles le législateur aurait identifié une menace particulière dont la gravité compromettrait la production ;
- n’était pas accordée à titre transitoire pour une période déterminée ;
- et pouvait être décidée pour tous types d’usage et de traitement y compris ceux qui, recourant à la pulvérisation, présentent des risques élevés de dispersion des substances.
Il en a déduit que, faute d’encadrement suffisant, le législateur avait privé de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l’article 1er de la Charte de l’environnement.
L’article 5 de la loi insère au sein du code de l’environnement un nouvel article L. 211-1-2 afin de prévoir que certains ouvrages de stockage d’eau et les prélèvements sur les eaux associés sont présumés d’intérêt général majeur et un nouvel article L. 411-2-2 prévoyant que ces mêmes ouvrages et prélèvements sont présumés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur de nature à permettre la délivrance d’une dérogation, selon les cas, aux objectifs de qualité et de quantité des eaux prévus par l’article L. 212-1 du code de l’environnement, ou aux interdictions de porter atteinte à des espèces protégées ainsi qu’à leurs habitats.
Après avoir retenu que le législateur a poursuivi un motif d’intérêt général et relevé le champ d’application de ces présomptions, le Conseil formule deux réserves d’interprétation pour exclure toute méconnaissance de l’article 1er de la Charte de l’environnement. La première réserve précise que si les dispositions contestées s’appliquent à des prélèvements sur les eaux souterraines, elles ne sauraient être interprétées comme permettant la réalisation de prélèvements au sein de nappes inertielles. La seconde précise que les présomptions instituées doivent être réfragables, autrement dit elles doivent permettent de contester devant le juge l’intérêt général majeur ou de la raison impérative d’intérêt général majeur du projet d’ouvrage concerné.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a écarté les griefs tirés de la méconnaissance de la Charte de l’environnement dirigé contre les dispositions de l’article 3 de la loi :
- modifiant les 1°, 4° et 5 ° du paragraphe III de l’article L. 181-10-1 du code de l’environnement adaptant le régime de consultation du public sur l’autorisation de certains projets destinés à l’élevage de bovins, de porcs ou de volailles ;
- insérant un nouveau paragraphe I ter au sein de l’article L. 512-7 du code de l’environnement afin de prévoir que certaines installations d’élevage peuvent être soumises au régime d’enregistrement au lieu du régime d’autorisation des installations classées pour la protection de l’environnement ;
- prévoyant que le principe de non‑régression environnementale, défini au 9° du II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement ne s’oppose pas, en ce qui concerne les élevages bovins, porcins et avicoles, au relèvement des seuils de cette nomenclature.
La loi n° 2025-794 du 11 août 2025 visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur a été publiée au JORF le 12 août 2025.
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ENVIRONNEMENT-CHASSE
CE, 13 mai 2025, Association One Voice et a., nos 480617-482260-488620-488690-488738, aux Tables
Chasse - Espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD) - Précisions sur leur identification et les modalités de leur classement
Tout en la précisant et en l’encadrant, le Conseil d’Etat valide la méthodologie ministérielle de classement des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts « ESOD » au titre de l’article R. 427-6 du code de l’environnement
L’article
R. 427-6 du code de l’environnement confie au ministre chargé de la chasse le soin de fixer par arrêté, après avis du conseil national de la chasse et de la faune sauvage, trois listes d’espèces d’animaux classées susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD), pour l’un au moins des motifs suivants :
« 1° Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ; 2° Pour assurer la protection de la flore et de la faune ; 3° Pour prévenir des dommages importants aux activités agricoles, forestières et aquacoles ; 4° Pour prévenir les dommages importants à d’autres formes de propriété ».
Saisi de la légalité de l’arrêté ministériel du 3 août 2023 fixant, pour la période 2023-2026, la liste, les périodes et des modalités de destruction des ESOD dites du
« groupe 2 », visées au 2° du I de l’article R. 427-6 du code de l’environnement, le Conseil d’État, par une décision du 13 mai 2025, valide la méthodologie ministérielle en y apportant quelques précisions.
Il rappelle d’abord sa jurisprudence aux termes de laquelle le ministre peut inscrire une espèce sur la liste des animaux classés susceptibles d’occasionner des dégâts dans un département
« soit lorsque cette espèce est répandue de façon significative dans ce département et que, compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par ces dispositions, soit lorsqu’il est établi qu’elle est à l’origine d’atteintes significatives aux intérêts protégés par ces mêmes dispositions » (CE, 5 mai 1993, n° 114974, aux Tables ; CE, 16 juillet 2014, n° 363446, aux Tables).
Il ajoute que le ministre a pu fonder son appréciation en prenant en compte,
« à titre non impératif et non exclusif », les critères suivants : d’une part, les dommages chiffrés imputables à une espèce déterminée, regardés comme étant suffisamment significatifs dès lors qu’ils excèdent au moins 10 000 euros environ sur la période antérieure considérée à l’échelle du département et, d’autre part, l’abondance de l’espèce, évaluée au regard du nombre d’individus prélevés par an, a priori supérieur à 500, et des risques d’atteintes significatives, à l’échelle du département, à l’un au moins des intérêts protégés par l’article R. 427-6 du code de l’environnement compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de ce département.
Le Conseil d’Etat précise pour la première fois que
« Par eux-mêmes, de tels critères ne méconnaissent pas le principe de prévention énoncé à l’article L. 110-1 du code de l’environnement » mais qu’ «
il appartient toutefois au ministre, pour respecter ce principe lorsqu’il décide d’inscrire une espèce sur cette liste dans un département, de se fonder sur des données pertinentes pour ce département concernant les espèces en cause, et notamment de tenir compte, ainsi que le prévoit l’article L. 110-1, des services écosystémiques qu’elles peuvent y rendre localement et d’éviter les atteintes à la biodiversité ».
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ENVIRONNEMENT - CLIMAT
Cour Internationale de Justice, avis consultatif, 23 juillet 2025
Obligations des Etats en matière de changement climatique – Conséquences juridiques d’un manquement à ces obligations - Établissement de la responsabilité des Etats
Climat : le ciel se couvre pour les Etats qui manquent à leurs obligations en matière de changement climatique
A l’unanimité, la Cour internationale de Justice a rendu un avis consultatif inédit par lequel elle a clarifié les obligations des États en matière de changement climatique et les conséquences juridiques en cas de manquement à ces obligations.
Par sa résolution 77/276 adoptée le 29 mars 2023 à l’initiative du Vanuatu, l’Assemblée générale des Nations Unies a demandé à la Cour d’identifier, d’une part, les obligations de droit international qui incombent aux États en matière de changement climatique, et d’autre part, les conséquences juridiques des actions ou omissions des Etats au regard de ces obligations.
La Cour, se prononçant pour la première fois en matière d’environnement, a qualifié le changement climatique de « menace urgente et existentielle ».
Elle a conclu que des obligations « contraignantes » et « strictes » pèsent sur les Etats en matière de lutte contre le changement climatique, en imposant notamment de prendre des mesures permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de s’adapter au changement climatique.
Si la Cour a rappelé que ces obligations résultent en premier lieu des traités relatifs au climat, et en particulier de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (1992), du protocole de Kyoto (1997) et de l’accord de Paris (2015) (dont elle rappelle l’objectif de limiter la hausse des températures à 1,5 °C), elle a également souligné l’importance des obligations issues d’autres traités sur l’environnement, de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, du droit international des droits de l’homme et du droit international coutumier, qui « s’éclairent mutuellement ».
A cet égard, les juges considèrent que certaines obligations en matière de changement climatique s’imposent à tous les Etats, qu’ils soient parties ou non à des accords internationaux.
Les manquements des Etats à leurs obligations dans la lutte contre le changement climatique, qu’il s’agisse d’actions ou d’omissions, peuvent ainsi donner lieu à « tout l’éventail des conséquences juridiques prévues par le droit de la responsabilité de l’État » : obligation de cessation (mettre fin à la situation dommageable), de non-répétition (garantir qu’elle ne se reproduira pas) et de réparation intégrale des préjudices causés.
Dans son raisonnement, la Cour a accordé une place centrale aux données scientifiques et en particulier aux travaux du GIEC. Elle a également tempéré les difficultés à attribuer des actions ou omissions à un Etat déterminé, en soulignant notamment que « si les changements climatiques résultent des émissions cumulées de gaz à effet de serre, il est néanmoins scientifiquement possible de déterminer la contribution totale de chaque État aux émissions mondiales en tenant compte de ses émissions présentes et passées ».
Cet avis inédit demeure consultatif et non contraignant pour les Etats. Néanmoins, en clarifiant ainsi les obligations des Etats en matière de changement climatique et les conséquences juridiques en cas de manquements, cet avis rendu à l’unanimité permet de renforcer le cadre juridique de l’action des États dans la lutte contre les changements climatiques et pourrait être mobilisé à l’occasion de contentieux climatiques dont les juridictions nationales seraient saisies.
La Cour indique espérer que ses conclusions « permettront au droit d’éclairer et de guider les actions sociales et politiques visant à résoudre la crise climatique actuelle ».
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ENVIRONNEMENT - ICPE
CE, 24 juillet 2025, Ministre de la transition écologique c/ M. et Mme C…, no 496331, aux Tables
Mission de contrôle des ICPE – Responsabilité de l’Etat - Insuffisance des mesures prises pour prévenir une pollution
De nouvelles précisions sur l’appréciation de la faute de l’Etat dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police des installations classées
Depuis les années 1920, la société Peñarroya, rattachée dans les années 1990 au groupe Métaleurop, a exploité jusqu’en 2003, année de sa liquidation judiciaire, une usine métallurgique sur le territoire des communes de Noyelles-Godault et de Courcelles-lès-Lens (Pas-de-Calais). En 2018, plusieurs riverains ont sollicité du préfet du Pas-de-Calais une indemnisation de divers préjudices subis du fait des pollutions causées par l’installation, en invoquant les fautes qu’aurait commises l’Etat dans l’exercice de ses missions de contrôle de cette installation classée pour la protection de l’environnement.
Alors que le tribunal administratif de Lille avait rejeté leurs demandes, la cour administrative d’appel de Douai, par des arrêts du 23 mai 2024, a jugé que
« l’Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n’exigeant pas, par les arrêtés préfectoraux encadrant l’activité de cette installation classée, une diminution plus significative des polluants atmosphériques, concernant plus de points de rejet, dont la pollution diffuse, quitte à anticiper, le cas échéant, plus largement sur les normes nationales ».
Dans sa décision du 24 juillet 2025, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la cour pour erreur de droit. Il juge que la cour ne pouvait se fonder, pour regarder comme établie l’existence d’une carence fautive de l’Etat dans l’exercice de la police des ICPE, sur le constat selon lequel les mesures imposées par les préfets successifs s’étaient avérées insuffisantes pour empêcher une pollution excessive des sols. Il lui appartenait en effet de caractériser les manquements que l’administration aurait pu commettre dans l’encadrement de l’installation, en dépit de l’ensemble des contrôles et prescriptions mis en œuvre, et compte tenu des connaissances dont elle pouvait disposer au fil des années.
Cette décision s’inscrit dans la continuité de la décision « AZF » par laquelle le Conseil d’Etat a défini les conditions d’appréciation de la carence fautive de l’Etat dans ses pouvoirs de police des ICPE en précisant, notamment, que dans l’exercice de leur mission de contrôle des installations classées, les services de l’Etat devaient tenir compte « des indications dont ils disposent sur les facteurs de risques particuliers affectant les installations ou sur d’éventuels manquements commis par l’exploitant » (CE, 17 décembre 2014, n° 367202, 367203, aux Tables).
La présente décision offre ainsi un éclairage utile sur les modalités d’appréciation de la carence fautive de l’Etat dans l’usage de ses pouvoirs de police des ICPE, notamment dans le cas où l’action de l’autorité administrative compétente n’a pas permis d’empêcher la survenance d’une pollution excessive au regard des exigences environnementales actuelles.
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FONCTION PUBLIQUE
CE, 24 juin 2025, Ministre de l’Education nationale et de la jeunesse, n° 476387, au Recueil
Fonctionnaires et agents publics- Discipline- Procédure- condamnation pénale - Délai de prescription
Le Conseil d’Etat apporte des précisions sur l’articulation du délai de prescription disciplinaire avec une procédure pénale.
Tout agent public qui ne respecte pas ses obligations professionnelles s’expose à une sanction disciplinaire. Conformément aux dispositions de l’article L. 532-2 du code général de la fonction publique (CGFP), aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d’un délai de trois ans à compter du jour où l’administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits motivant la sanction. Par ailleurs, en cas de poursuites pénales après que ce délai a commencé à courir ou quand de telles poursuites sont déjà en cours quand il commence à courir, ce délai est interrompu jusqu’à la décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, d’acquittement, de relaxe ou de condamnation de l’agent.
Par la décision rendue, le Conseil d’Etat juge d’abord que doit être regardée comme une décision pénale définitive, au sens des dispositions précitées, une décision devenue irrévocable. Il juge ensuite que le délai de prescription recommence à courir pour trois ans à compter de la date à laquelle le caractère irrévocable de la condamnation pénale est acquis (faute d’une possibilité d’appel ou de pourvoi en cassation) sans qu’ait d’incidence sur ce point la date à laquelle l’administration prend connaissance de cette décision pénale irrévocable. Le Conseil d’Etat apporte toutefois un tempérament à cette rigueur dans le cas où l’administration n’avait aucune connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits jusqu’à ce qu’elle découvre l’existence de la condamnation pénale définitive prononcée contre son agent. C’est alors à compter de la date à laquelle l’administration découvre cette décision que le délai de prescription de trois ans commence à courir.
Le Conseil d’Etat précise également que la date d’engagement des poursuites au sens du CGFP correspond à celle à laquelle l’intéressé s’est vu notifier l’engagement d’une procédure disciplinaire de la part de l’administration. Cette précision sécurise les poursuites disciplinaires en coupant court à toute ambiguïté relative à la date à prendre en compte pour s’assurer du respect de la prescription triennale .
Enfin, le Conseil d’Etat juge que lorsqu’une loi nouvelle institue, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d’une action disciplinaire dont l’exercice n’était précédemment enfermé dans aucun délai, le nouveau délai de prescription est applicable aux faits antérieurs à la date de son entrée en vigueur mais ne peut, sauf à revêtir un caractère rétroactif, courir qu’à compter de cette date. Par suite, lorsque, la date à laquelle l’administration a une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits, ou lorsque la date à laquelle est devenue irrévocable la décision mettant fin à la procédure pénale engagée à raison de ces faits, est antérieures au 22 avril 2016, date d’introduction de cette prescription disciplinaire pour les fonctionnaires, le délai de trois ans court à compter de cette même date.
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PROCEDURE CONTENTIEUSE
CE, 30 juin 2025, Mme B… A… et M. C… D…, n° 494573, au Recueil
Conservation du délai de recours contentieux - expédition du recours administratif facultatif
La date à prendre en considération pour apprécier si un recours administratif facultatif adressé par voie postale a pour effet de conserver le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours
Une conseillère municipale d’opposition a contesté une délibération du 11 septembre 2018 du conseil municipal révisant le PLU de la commune en présentant le 10 novembre 2018 un recours administratif facultatif.
Son recours contentieux formé le 27 janvier 2019 devant le tribunal administratif contre cette délibération a été jugé tardif au motif qu’il convenait de tenir compte de la date à laquelle le recours administratif avait été reçu par l’administration pour déterminer s’il prorogeait le délai de recours contentieux. Or le recours avait été reçu en mairie le 13 novembre 2018, soit un jour après l’expiration de ce délai.
La requérante a présenté un pourvoi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel ayant confirmé la tardiveté de sa requête retenue par le tribunal administratif, en invoquant un revirement de jurisprudence opéré par le Conseil d’Etat qui a jugé que, sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi (CE, Section, 13 mai 2024, n° 466541, au Recueil).
Par la présente décision, le Conseil d’Etat élargit son revirement de jurisprudence aux recours administratifs et précise que la date à prendre en considération pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, adressé par voie postale a pour effet de conserver le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi.
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SECURITE NUCLEAIRE
CAA Lyon, 3 juillet 2025, MTEECPR contre M. A, n° 24LY01203
CAA Lyon, 3 juillet 2025, MTEECPR contre M. B, n° 24LY01194
Accès à une installation d’importance vitale – Secret de la défense nationale – Pouvoirs du juge
Des précisions sur les modalités d’appréciation par le juge du refus d’autorisation d’accès en l’absence de déclassification des documents
Dans deux décisions du 26 avril 2024 n° 465068 et n° 465070 du 26 avril 2024, mentionnées au Tables, commentées dans un précédent numéro d’Angle droit (Angle droit n°4 du 16 juillet 2024), le Conseil d’Etat a précisé l’office du juge administratif lorsqu’il met en œuvre la faculté, que lui confère l’article L. 2312-4 du code de la défense, de demander la déclassification et la communication d’informations discutées devant lui couvertes par le secret de la défense nationale, lorsqu’il estime que les éléments produits devant lui ne sont pas suffisamment circonstanciés. Il lui appartient alors de demander à l’autorité administrative qui a classifié les documents de saisir pour avis la commission du secret de la défense nationale (CSDN).
Dans ce cadre, après avoir annulé les arrêts n° 21LY01072 et n° 21LY00601 du 19 avril 2022 de la cour administrative d’appel (CAA) de Lyon, le Conseil d’Etat lui a renvoyé les affaires pour qu’elle statue à nouveau après avoir, le cas échéant, mis en œuvre cette procédure.
La CAA de Lyon a alors demandé la déclassification et la communication des documents en cause, après saisine de la CSDN. La cour a précisé que, si la ministre décidait de maintenir la classification de tout ou partie des documents, elle devait alors verser au dossier d’instruction les éléments relatifs à la nature des informations écartées et aux raisons justifiant leur classification. La CSDN ayant rendu deux avis défavorables à la déclassification, le ministre a maintenu la classification des documents en cause. Seuls les éléments relatifs à la nature des informations écartées et ceux justifiant le maintien de cette classification ont donc été versés au dossier.
Dans l’affaire n° 24LY01203 (M. A), la cour a estimé que, dans un contexte marqué par les attentats terroristes de 2015 et 2016 en France, les éléments produits par l’administration, notamment la situation de vulnérabilité de M. A, dont la réalité n’était pas sérieusement contestée, suffisaient à caractériser l’incompatibilité entre ses fréquentations et l’exercice d’une activité dans un site nucléaire sensible. La cour a donc jugé que la décision de refus d’autorisation d’accès ne procédait pas d’une erreur d’appréciation.
En revanche, dans l’affaire n° 24LY01194 (M. B), la cour a relevé qu’en l’absence d’éléments suffisamment circonstanciés et précis établissant la vulnérabilité de M. B, l’administration n’apportait pas la démonstration de l’incompatibilité entre sa situation personnelle et l’exercice de fonctions sensibles au sein d’un site nucléaire. Elle a donc jugé que la décision de refus du 28 mai 2019 était entachée d’une erreur d’appréciation.
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TRANSPORTS
CAA Paris, 7 mai 2025, Cofiroute, n° 23PA01135 ; CAA Paris, 7 mai 2025, AREA, n° 23PA01191
Taxe d’aménagement du territoire / Sociétés concessionnaires d’autoroutes / Équilibre économique et financier du contrat de concession
Augmentation du montant de la taxe d’aménagement du territoire pour les sociétés concessionnaires d’autoroutes : la compensation par l’État n’est pas automatique
À l’exception de la société Cofiroute, l’État n’est pas tenu d’indemniser les sociétés concessionnaires d’autoroutes de l’augmentation du montant de la taxe d’aménagement du territoire (TAT).
Cette taxe, prévue aux articles L. 421-175 à L. 421-180 du code des impositions sur les biens et les services, est due par les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) et affectée à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Son montant a été majoré par la loi n° 2019-1479 de finances pour 2020, du 28 décembre 2019, qui prévoit l’indexation de la TAT, à partir du 31 décembre 2019, à hauteur de 70 % de l’évolution de l’indice des prix à la consommation entre 2018 et l’année précédant l’année en cours.
En raison de cette majoration, les SCA ont sollicité une compensation auprès du ministre des transports, en se prévalant notamment de l’article 37 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 et de l’article 32 de leur contrat de concession. En vertu de l’article 37 de cette loi, les conséquences de la taxe sur « l’équilibre financier des sociétés concessionnaires » doivent être prises en compte par des décrets en Conseil d’État. Quant à l’article 32 des contrats de concession, il prévoit que, dans le cas d’une modification d’une taxe spécifique aux SCA, les parties se rapprochent pour « examiner si cette modification […] est de nature à dégrader ou améliorer l’équilibre économique et financier de la concession, tel qu’il existait préalablement » à la modification. Si tel est le cas, les parties arrêtent « des mesures de compensation […] en vue d’assurer, dans le respect du service public, des conditions économiques et financières ni détériorées ni améliorées ».
À la suite du rejet implicite de leur demande, les SCA ont saisi le tribunal administratif de Paris et, après le rejet de leur requête, la cour administrative d’appel de Paris.
La cour juge que l’article 37 de la loi du 4 février 1995 n’a « ni pour objet ni pour effet d’instaurer un droit à compensation directe et systématique de toute augmentation de la taxe due par les concessionnaires d’autoroutes ». De même, elle estime que l’article 32 des contrats de concession ne peut être interprété comme imposant à l’État une prise en charge intégrale et inconditionnée de toute évolution de la TAT. Celui-ci ne doit compenser les SCA qu’à la condition qu’elles démontrent préalablement l’existence d’une dégradation de l’équilibre économique et financier du contrat de concession, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Une exception toutefois. En raison de la particularité des stipulations du contrat de concession entre l’État et la société Cofiroute, la cour accueille sa demande. Elle annule le jugement du 13 janvier 2023 du tribunal administratif de paris et renvoie la société « devant l’administration pour qu’il soit procédé à la détermination des modalités de compensation à laquelle elle peut prétendre en raison de la modification du mode de calcul de la TAT ».
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CE, 5 juin 2025, Mme Rouot et autres ; M. Cabaret, nos 492192 et 494400, inédit
Redevance pour service rendu ; Principe de proportionnalité ; Financement d’un contournement routier
Le financement du contournement ouest de Montpellier n’est pas contraire au principe de proportionnalité
Le contournement ouest de Montpellier (COM), tronçon d’environ 6 km permettant de relier les autoroutes A750 et A709, peut légalement être financé par le biais de l’augmentation des tarifs des péages acquittés par les usagers des autoroutes A709 franchissant les barrières de Baillargues et Saint Jean de Védas ainsi que par les usagers empruntant l’autoroute A9 au droit de Montpellier. De telles modalités de financement ne méconnaissent pas la règle de proportionnalité entre le montant de la redevance et le service rendu.
Cette solution constitue l’aboutissement du contentieux relatif aux modalités de financement du COM. En effet, dans sa décision Boda du 27 janvier 2023 (n° 462752 aux Tables), le Conseil d’État avait annulé les modalités de financement de ce contournement, alors prévues par le dix-huitième avenant à la convention liant l’État et la société ASF. Le COM, adossé à cette convention, devait être financé par l’intermédiaire d’une hausse des tarifs de péage sur l’ensemble du périmètre du réseau d’ASF (2 714 km). Le Conseil d’État avait toutefois jugé que ces modalités de financement, en impactant l’ensemble des usagers du réseau d’ASF, y compris ceux qui ne bénéficieraient pas des avantages de cette nouvelle infrastructure, étaient contraires à la règle de proportionnalité entre le montant du tarif et la valeur du service rendu.
Le vingtième avenant à la convention conclue entre l’État et ASF, approuvé par le décret du 28 décembre 2023, a donc redéfini les modalités de financement du COM. Il a réduit le périmètre géographique des usagers contribuant au financement de l’infrastructure à ceux traversant les barrières de l’autoroute A709 et à ceux circulant sur l’autoroute A9 au droit de Montpellier. Autrement dit, seuls les usagers qui, même s’ils n’empruntent pas le nouveau tronçon, en bénéficient grâce à la décongestion de la liaison entre l’A709 et l’A750, seront mis à contribution.
Des usagers concernés par l’augmentation des tarifs de péage ont alors demandé au Conseil d’État l’annulation du décret du 28 décembre 2023 approuvant le vingtième avenant à la convention ainsi que de l’article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention, pour méconnaissance de la règle de proportionnalité.
Selon une jurisprudence constante, « une redevance pour service rendu peut être légalement établie à la condition […] qu’elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d’usagers déterminés » (CE, 28 novembre 2018, SNCF Réseau, n° 413839 au Recueil).
En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que les hausses tarifaires, dorénavant ciblées, trouvent leur contrepartie directe dans un service rendu. Dans la lignée de sa décision n° 397926 Val-de-Reuil du 26 avril 2017, il souligne également que ces hausses tarifaires sont justifiées par un motif d’intérêt général tenant à la fluidité du trafic, et qu’elles sont d’ampleur limitée, au regard du faible montant du supplément du péage (en moyenne 18 centimes par trajet).
Par suite, le Conseil d’État juge que la clause tarifaire ne méconnaît pas le principe de proportionnalité entre le montant de la redevance et le service rendu.
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CE, 10 juin 2025, Association Agir pour l’environnement et autres, nos 495479, 495480, 495481 aux Tables
Recevabilité du recours pour excès de pouvoir / Clause réglementaire / Durée d’une concession autoroutière
La clause fixant la durée d’une concession autoroutière n’est pas une clause réglementaire
Saisi d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la clause fixant la durée de la concession conclue entre l’État et la société ATOSCA pour la réalisation de l’A69, le Conseil d’Etat a jugé qu’une telle clause ne revêtait pas un caractère réglementaire.
En vertu de l’article 29 de son cahier des charges, la convention de concession entre l’État et ATOSCA, approuvée par le décret n° 2022-599 du 20 avril 2022, a été conclue pour une durée de 55 ans.
Plusieurs associations environnementales, opposées au projet, ont demandé au Premier ministre, au ministre de la Transition écologique, et au ministre chargé des Transports d’abroger cet article, en ce que la durée prévue excèderait le délai raisonnablement escompté par le concessionnaire pour amortir les investissements nécessaires. En l’absence de réponse, elles ont introduit des recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État à l’encontre des trois décisions implicites de rejet.
En tant que tiers à la convention conclue entre l’État et ATOSCA, elles ne pouvaient toutefois introduire un recours pour excès de pouvoir qu’à l’encontre des clauses réglementaires de cette dernière. Or si le Conseil d’Etat a donné une définition positive de la clause réglementaire dans sa décision Val d’Europe du 9 février 2018 (n° 404982, publié au recueil), il ne s’était encore jamais prononcé sur la qualification d’une clause fixant la durée d’une concession.
Selon la jurisprudence Val d’Europe, « revêtent un caractère réglementaire les clauses d’un contrat qui ont, par elles-mêmes, pour objet l’organisation ou le fonctionnement d’un service public ».
En matière de concessions autoroutières, il ressort également de cette décision que constituent des clauses réglementaires, « les clauses qui définissent l’objet de la concession et les règles de desserte, ainsi que celles qui définissent les conditions d’utilisation des ouvrages et fixent les tarifs des péages applicables sur le réseau concédé ». À l’inverse, les clauses relatives au régime financier de la concession ou à la réalisation d’ouvrages n’ont qu’un caractère contractuel.
En l’espèce, le Conseil d’État s’inscrit dans la lignée de cette jurisprudence en jugeant que la clause fixant la durée de la concession et les conditions d’une résiliation par le concédant n’a pour objet que d’organiser les relations entre le concédant et le concessionnaire et de participer à la détermination du régime financier de la concession, et qu’elle ne revêt dès lors pas un caractère réglementaire. Les requêtes, irrecevables, sont donc rejetées.
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CE, 19 juin 2025, Société Vinci Autoroutes, n° 498689 inédit
Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) / fonds de concours / dispositions règlementaires code des transports
Les concours financiers de l’AFITF trouvent leur fondement dans la loi et non dans les dispositions réglementaires encadrant ses missions.
Saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision implicite du Premier ministre refusant d’abroger les articles R. 1512-12 et R. 1512-15 du code des transports, le Conseil d’Etat était invité à se prononcer sur la conformité de ces dispositions avec les principes budgétaires de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).
La société requérante soutenait que ces dispositions, en permettant à l’AFITF d’apporter des fonds de concours au budget du ministère chargé des transports, auraient institué une affectation de recettes contraire aux principes d’universalité, d’unité et d’annualité budgétaire, ainsi qu’aux règles encadrant la création des fonds de concours, compétence qui relève du législateur.
Le juge rappelle toutefois que ces dispositions réglementaires se bornent à encadrer les missions et le fonctionnement de l’AFITF. Elles n’entraînent ni l’affectation de recettes, celle–ci résultant de l’article L. 1512-20 du code des transports, ni la création ou l’alimentation d’un fonds de concours.
Par suite, le Conseil d’Etat juge que les articles R. 1512-12 et R. 1512-15 du code des transports ne méconnaissent pas, par eux-mêmes, les principes budgétaires invoqués et rejette la requête présentée par la Société Vinci Autoroutes.
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URBANISME
Conseil d’Etat, avis du 1er juillet 2025, SCI les 3 Lynx, n° 502802, aux Tables
Autorisations d’urbanisme – Péremption – Motivation – Procédure contradictoire
La décision de l’administration constatant la péremption d’une autorisation d’urbanisme doit être motivée et précédée d’une procédure contradictoire, sauf quand elle se trouve en situation de compétence liée
Le Conseil d’Etat a été saisi pour avis par le tribunal administratif de Grenoble sur la question de savoir si les décisions constatant la péremption d’un permis de construire devaient être motivées et précédées d’une procédure contradictoire.
En vertu de l’article R. 424-17 du code de l’urbanisme, la péremption d’une autorisation d’urbanisme intervient si les travaux n’ont pas été entrepris dans un délai de trois ans à compter de sa délivrance expresse ou tacite, et si passé ce délai, les travaux ont été interrompus pendant plus d’un an.
Le Conseil d’Etat indique que la décision de péremption, « en ce qu’elle manifeste l’opposition de l’autorité administrative à la réalisation du projet du pétitionnaire », doit être motivée conformément au 5° de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration et précédée de la procédure contradictoire visée à l’article L. 121-1 de ce même code.
Cette obligation de motivation et de procédure contradictoire n’est requise que dans l’hypothèse où l’administration est conduite à porter une appréciation sur les faits de l’espèce (notamment sur la nature et l’importance des travaux entrepris). Ces formalités ne sont donc pas requises lorsque l’administration est situation de compétence liée (hypothèse dans laquelle l’administration ne fait que constater l’expiration du délai) et les moyens tirés de ce que la décision serait insuffisamment motivée ou qu’elle serait intervenue à l’issue d’une procédure irrégulière sont inopérants.
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Conseil d’Etat, 24 juillet 2025, Commune de Cambrai, n° 492005, aux Tables
Zéro artificialisation nette – Consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers – Règles générales d’utilisation du sol – Documents d’urbanisme
La consommation effective des espaces naturels, agricoles et forestiers s’apprécie à compter du démarrage effectif des travaux de construction et d’aménagement.
Le Conseil d’Etat a été saisi par la commune de Cambrai d’un recours contre le fascicule n° 1 « Définir et observer la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, et l’artificialisation des sols », publié le 21 décembre 2023 par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme dite « zéro artificialisation nette » (ZAN) résultant de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Ce recours a amené le Conseil d’Etat à définir le critère déterminant la notion de consommation effective des espaces naturels, agricoles et forestiers, indispensable à la mise en œuvre de cette réforme d’ampleur pour la planification et les documents d’urbanisme.
Le Conseil d’Etat juge ainsi que la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers doit être considérée comme effective à compter du démarrage effectif des travaux de construction et d’aménagement, et non à compter de la seule délivrance d’une autorisation d’urbanisme. Il précise également que la mesure de la consommation effective d’espaces naturels, agricoles et forestiers est indépendante du zonage règlementaire des plans locaux d’urbanisme ou des cartes communales.
Par ailleurs, pour admettre la recevabilité du recours, le Conseil d’Etat a fait application des principes dégagés dans sa décision Gisti du 12 juin 2020 (n° 418142, au Recueil) qui admet que les documents de portée générale susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés de les mettre en œuvre, en l’espèce les collectivités territoriales, soient déférés au juge de l’excès de pouvoir. La recevabilité de la requête contre ce fascicule rappelle donc qu’en fonction des termes dans lesquels il sont rédigés, des documents administratifs à visée informative ou pédagogique peuvent être contestés par les tiers devant le juge administratif.
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CE, avis, 24 juillet 2025, n° 503768, publié au Journal officiel
Contrôle des travaux – Prescription de l’action publique – Délais applicables et conditions de régularisation
La faculté de mise en demeure que l’administration tient de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme ne peut être mise en œuvre au-delà du délai de six ans correspondant à la prescription de l’action publique.
Saisi par le tribunal administratif de Montpellier, le Conseil d’État a, par un avis en date du 24 juillet 2005, précisé le régime de prescription encadrant le pouvoir de l’autorité administrative compétente, lorsque des travaux ont été exécutés ou entrepris irrégulièrement, de mettre en demeure la personne concernée de procéder aux opérations de mise en conformité ou de régularisations nécessaires, conformément à l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme.
Le Conseil d’État précise que la mise en demeure prévue par cet article ne peut plus être mise en œuvre au-delà du délai de six ans qui correspond au délai de prescription de l’action publique et que « conformément à l’article 8 du code de procédure pénale, s’agissant de faits susceptibles de revêtir la qualification de délits, et sous réserve de l’intervention d’actes interruptifs de la prescription, ce délai est de six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise, c’est-à-dire, en règle générale, de l’achèvement des travaux ».
Le Conseil d’État explicite également l’articulation, en cas de réalisation de travaux successifs irréguliers, entre les pouvoirs que tient une autorité administrative de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme et la prescription prévue à l’article L. 421-9 du code de l’urbanisme.
À ce titre, il précise, d’une part, que seuls les travaux à l’égard desquels l’action publique n’est pas prescrite peuvent donner lieu à la mise en demeure prévue par l’article L. 481-1 et, d’autre part, que « Pour apprécier si ces travaux peuvent faire l’objet d’une demande d’autorisation ou d’une déclaration préalable visant à leur régularisation, qui doit alors porter sur l’ensemble de la construction, l’autorité administrative compétente doit notamment tenir compte de l’application des dispositions de l’article L. 421-9 du code de l’urbanisme, qui prévoient que, lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou la décision d’opposition à déclaration préalable ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme, sous réserve, notamment, que cette construction n’ait pas été réalisée sans qu’aucun permis de construire n’ait été obtenu alors que celui-ci était requis ». Si les travaux initiaux ne peuvent plus être régularisés au regard des règles d’urbanisme applicables, alors les opérations nécessaires à la mise en conformité ne peuvent porter que sur les travaux modificatifs.
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