Par une décision du 25 avril 2025 (CE, 25 avril 2025, n
o 428409, au Recueil), le Conseil d’État met fin à un contentieux, démarré il y a plus de huit ans, lié à la qualité de l’air dans douze agglomérations de métropole et d’outre-mer. Retour sur les différents épisodes de cette affaire emblématique.
Le commencement
Par une première décision du 12 juillet 2017 (n°
394254, au Recueil), le Conseil d’État juge illégale la décision par laquelle le Gouvernement a rejeté la demande de plusieurs associations sollicitant l’adoption des mesures nécessaires pour ramener, dans douze zones, les concentrations annuelles moyennes de dioxyde d’azote et de particules fines en deçà des valeurs limites fixées par la législation. En effet, la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 dite directive qualité de l’air a déterminé, par son article 13 et son annexe XI, des valeurs limites qui ont été transposées aux articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l’environnement.
L’annulation de cette décision était assortie de l’injonction, faite au Gouvernement, de prendre les mesures nécessaires pour que, conformément aux dispositions de l’article 23 de la directive qualité de l’air, soient élaborés et mis en œuvre les plans relatifs à la qualité de l’air permettant de ramener dans le « délai le plus court possible » les concentrations en polluants susmentionnés sous les valeurs limités fixées à l’article R. 221-1 du code.
Un contentieux de l’exécution au long cours
S’est alors ouverte une phase d’exécution de la décision du Conseil d’État du 12 juillet 2017.
Le Conseil d’État a d’abord constaté des dépassements des valeurs limites en dioxyde d’azote et/ou en particules fines dans encore huit zones et a estimé que les plans relatifs à la qualité de l’air annoncés, prenant la forme de « feuilles de routes » ou de plans de protections de l’atmosphère (PPA) ne comportaient pas d’indication des délais nécessaires pour atteindre les objectifs d’amélioration de la qualité de l’air qu’ils fixaient. Ainsi, par une décision du 10 juillet 2020 (n°
428409, au Recueil), il a prononcé une astreinte à l’encontre de l’Etat si celui-ci « ne justifiait pas » avoir entièrement exécuté la décision du 12 juillet 2017 dans un délai de six mois, le taux de l’astreinte étant fixé à 10 millions d’euros par semestre de retard.
Par la suite, et malgré la diminution constante du nombre de zones connaissant des dépassements des valeurs limites, le Conseil d’État, par deux décisions du 4 août 2021 et du 17 octobre 2022, a liquidé à deux reprises l’astreinte au taux plein de 10 millions par semestre, en fixant son montant à respectivement 10 millions d’euros pour la période du 11 janvier au 11 juillet 2021 puis à 20 millions pour la période du 11 juillet 2021 au 11 juillet 2022.
Dans sa décision du 17 octobre 2022, le Conseil d’État a décidé de ne pas moduler à la baisse le taux de l’astreinte, alors même que les mesures des concentrations moyennes permettaient d’établir que le niveau de concentrations en particules fines respectait désormais la valeur limite réglementaire dans toutes les zones, que les concentrations en dioxyde d’azote ne dépassaient plus la valeur limite que dans quatre zones (Aix-Marseille, Lyon, Paris et Toulouse) et que le Gouvernement avait mis en avant différentes mesures telles que le développement et le renforcement des zones à faibles émissions (ZFE) prévues à l’article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) ou la révision, en cours ou achevée, des PPA respectifs de ces quatre zones. Toutefois, ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat, ces efforts étaient encore insuffisants car ne recherchant pas une période de dépassement la plus courte possible pour le retour aux valeurs limites de dioxyde d’azote dans les zones de Paris, Lyon et Aix-Marseille.
C’est avec la décision du 24 novembre 2023 (commentée dans le numéro d’Angle droit du 23 janvier 2024) qu’un infléchissement a été initié, le Conseil d’État divisant par deux le taux de l’astreinte. La haute juridiction constatait alors des concentrations en dioxyde d’azote ne dépassant plus la valeur limite que dans les zones de Lyon et de Paris et, d’autre part, une
« baisse globale tant du nombre des stations de mesure constatant des dépassements que de l’importance de ces dépassements pour les zones qui demeurent en dépassement ».
La fin du litige avec la décision du 25 avril 2025
Dans sa dernière décision du 25 avril 2025, et bien qu’ayant constaté l’absence de consolidation de la situation de non dépassement de la valeur limite de dioxyde d’azote dans la zone de Lyon et le dépassement persistant de cette même valeur limite au niveau de trois stations de mesures à Paris, le Conseil d’État juge que sa décision du 12 juillet 2017 est entièrement exécutée, et qu’il n’y a pas lieu de liquider l’astreinte prononcée à l’encontre de l’État.
Cette décision s’explique par la baisse significative du niveau des concentrations en dioxyde d’azote dans les zones de Paris et Lyon en 2024. Elle résulte également de l’adoption, pour les deux zones, de mesures ciblées, jugées suffisamment précises et crédibles, venant en complément des mesures nationales en faveur de l’amélioration de la qualité de l’air adoptées pour les secteurs des transports et du bâtiment.
Pour ce qui concerne la zone de Paris, le Conseil d’État souligne en particulier l’adoption, le 29 janvier 2025, du quatrième PPA d’Ile-de-France et notamment ses
« nombreuses mesures concernant spécifiquement le secteur des transports, telles que l’objectif de faire passer la part du vélo dans les déplacements franciliens de 2 à 9 %, l’intégration de 15 communes supplémentaires dans le périmètre de la zone à faibles émissions, le soutien à la mise en service d’un dispositif de contrôle automatisé et le prolongement des expérimentations de baisse des vitesses maximales autorisées sur certaines portions routières de l’agglomération ». Est également mise en avant la mesure de réduction de la vitesse maximale autorisée sur le boulevard périphérique de 70 à 50 km/h, appliquée à compter du 1
er octobre 2024.
Pour ce qui concerne la zone de Lyon, et en complément des mesures déjà prévues par le PPA de l’agglomération lyonnaise adopté le 24 novembre 2022, le Conseil d’État relève notamment la mise en service, à compter du 20 mars 2024, d’une nouvelle voie réservée au covoiturage et aux transports en commun sur une portion de 8 kilomètres de l’autoroute A7, la réduction vitesse maximale autorisée de 20 km/h pendant les heures d’activation de cette voie, ainsi que la mise en œuvre, depuis le 1
er janvier 2024, de nouvelles mesures de restriction de la circulation dans le cadre de la ZFE mobilité.
Cette décision résulte enfin des projections et modélisations établies par l’État en 2024, avec l’aide des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air. Selon ces modélisations pour la zone de Paris, et au vu de l’ensemble des mesures prévues par le PPA, les trois dernières stations encore en dépassement devraient passer sous la valeur limite de dioxyde d’azote dès 2026. Le respect de cette même valeur limite dans la zone de Lyon, déjà constaté en 2024, est également considérée comme envisageable par les juges.
Perspectives
L’injonction prononcée par le Conseil d’État le 12 juillet 2017 étant désormais entièrement exécutée, les éventuels dépassements des valeurs limites qui pourraient être constatés en 2025 ou au cours des prochaines années dans les zones de Paris ou Lyon, ou dans les autres zones visées par la requête initiale de l’association « Les Amis de la Terre » ne sauraient avoir pour effet de rouvrir l’instance.
Il est à noter que les valeurs limites plus strictes fixées par la nouvelle directive (UE) 2024/2881 du 23 octobre 2024 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe ne seront pas applicables en droit interne avant le 1
er janvier 2030, les Etats membres étant par ailleurs habilités à solliciter un report de cette échéance, le cas échéant jusqu’en 2040. Ces nouvelles valeurs limites ne sauraient donc occasionner prochainement un nouveau contentieux tel que celui qui vient d’être clos. Elles invitent en revanche le Gouvernement à redoubler dès à présent d’efforts dans sa lutte en faveur de l’amélioration de la qualité de l’air.