AGRICULTURE
CC, 20 mars 2025, Loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, n° 2025-876 DC
Contrôle des lois a priori – Non-conformité partielle
Le conseil constitutionnel censure partiellement la loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture
La loi d’orientation agricole pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, dont l’objectif est de consacrer la souveraineté alimentaire comme un intérêt fondamental de la Nation, d’améliorer les conditions d’installation des agriculteurs et de faciliter l’exercice des activités agricoles, n’est pas sortie indemne de son examen par le Conseil constitutionnel, qui en a censuré totalement ou partiellement dix-huit articles.
Un grand nombre d’articles sont censurés en conséquence de la vigilance du Conseil constitutionnel quant au respect de l’article 45 de la Constitution, concernant les dispositions introduites en première lecture sans lien, même indirect, avec le but premier du projet de loi, centré sur la souveraineté alimentaire. Il réitère ainsi sa jurisprudence rigoureuse concernant les cavaliers législatifs. Dix articles de la loi sont censurés sur ce fondement, parmi lesquelles des dispositions relatives aux travaux forestiers, aux autorisations de défrichement ou encore aux documents d’urbanisme.
Au-delà des questions de procédure législative, le Conseil fonde également la déclaration de non-conformité à la Constitution de certains articles sur des motifs de fond.
À ce titre, l’article 2 de la loi, instaurant un principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, a été invalidé en raison de son imprécision et de l’atteinte portée à la compétence normative du pouvoir réglementaire, ainsi qu’à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
L’article 4 de la loi, introduisant sur le territoire des communes insulaires métropolitaines une dérogation à l’interdiction des constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles dans les espaces proches du rivage, a par ailleurs été jugé contraire au principe d’égalité devant la loi en raison de l’absence de justification pertinente de cette différence de traitement avec les autres communes insulaires ou littorales.
Le Conseil censure a par ailleurs censuré les dispositions de l’article 31, qui instauraient une présomption de non-intentionnalité en cas d’atteinte aux espèces protégées, à leurs habitats naturels ou à des sites d’intérêt géologique, en raison de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, du fait de l’insuffisante définition de la nature des obligations ou prescriptions concernées comme de l’absence de précisions sur le lien avec les faits reprochés.
Par ailleurs, l’article 35, insérant au sein du code des relations entre le public et l’administration un nouvel article L. 123-3 relatif au droit à régularisation en cas d’erreur lors de contrôles agricoles, est jugé dépourvu de portée normative.
Enfin, le paragraphe IV de l’article 48, excluant les piscicultures du régime de déclaration ou d’autorisation applicable aux installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA), est déclaré contraire à la Constitution dès lors que certaines piscicultures risquent de ne plus être soumises à un encadrement administratif dédié à la protection des milieux aquatiques, ce qui contrevient aux principes fondamentaux de la préservation de l’environnement.
Le Conseil constitutionnel valide plusieurs autres dispositions de la loi, notamment celles portant sur le contentieux administratif (article 44) ou encore sur les retenues collinaires (article 45). L’article 32, qui dépénalise et punit d’une amende maximale de 450 euros les dépassements dans la limite de 15 % du seuil de déclaration ou d’enregistrement par un élevage préexistant, est également jugé conforme à la constitution.
Cette décision illustre une fois encore la double exigence posée par la Constitution de respect de la procédure législative, qui ne saurait être assouplie au gré des débats parlementaires, et de conformité de fond des normes aux principes constitutionnels, qu’il s’agisse de la séparation des pouvoirs, de la protection de l’environnement, des principes applicables à la matière pénale ou encore de l’intelligibilité de la loi.
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ENVIRONNEMENT
CC, 14 février 2025, Association One Voice, n° 2024-1121 QPC
Question prioritaire de constitutionnalité – Bien-être animal – Captivité des espèces d’animaux sauvages
Interdiction des mauvais traitements envers tous les animaux : non invocabilité de l’article 8 de la Charte de l’environnement en QPC et absence de PFRLR
La loi n°
2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes interdit, d’ici 2028, la captivité des espèces d’animaux sauvages dans les cirques itinérants. Cette interdiction figure désormais à l’article
L. 413-10 du code de l’environnement.
Saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l’association One Voice, le Conseil constitutionnel se prononce en faveur de la conformité à la Constitution des dispositions des articles
L. 413-10 et
L. 413-11 du code de l’environnement, dans leur rédaction issue de la loi précitée.
En premier lieu, l’association soutenait que la promotion de la détention et de l’exposition au public d’animaux sauvages était contraire à l’article 8 de la Charte de l’environnement, lequel dispose que :
« L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ». Le Conseil constitutionnel juge, pour la première fois, que cette disposition n’institue pas un droit ou une liberté garanti par la Constitution. Par conséquent, sa méconnaissance ne peut être invoquée à l’appui d’une QPC. Le Conseil constitutionnel avait déjà jugé que le préambule de la Charte et son article 6 n’étaient pas invocables dans le cadre d’une QPC (CC, 7 mai 2014, n° 2014-394 QPC, Société Casuca et CC, 23 novembre 2012, n° 2012-283 QPC, M. Antoine de M.).
En second lieu, le Conseil constitutionnel refuse d’élever l’interdiction des mauvais traitements envers tous les animaux en principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) comme l’y invitait l’association, remarquant que la loi Grammont du 2 juillet 1850 sur laquelle se basait la requérante, prohibait les mauvais traitements uniquement envers les animaux domestiques.
En troisième lieu, l’association considérait que les dispositions portaient atteinte au principe d’égalité devant la loi au motif qu’elles n’étendaient pas aux cirques fixes l’interdiction pour les cirques itinérants de détention, d’exploitation et d’exposition au public des animaux sauvages. En se fondant sur l’esprit du texte, le Conseil constitutionnel juge que la différence de traitement entre les cirques itinérants et les cirques fixes est en rapport direct avec l’objet de la loi et écarte le grief.
En quatrième et dernier lieu, l’association faisait valoir que la présentation d’animaux d’espèces non domestiques à des fins de divertissement constituait un spectacle dégradant qui portait atteinte à un principe de dignité de tous les êtres vivants doués de sensibilité, découlant du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine garanti par le préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil constitutionnel écarte également ce grief, en considérant que les dispositions de l’article
L. 413-11 du code de l’environnement n’ont ni pour objet ni pour effet d’exposer des personnes à des spectacles portant atteinte à leur dignité.
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Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 mars 2025, n° 24-81.339, publié au bulletin,
Référé pénal environnemental - Ordonnance du juge des libertés et de la détention - Appel – Recevabilité
Qui peut faire appel d’un référé pénal environnemental ?
La Cour de cassation confirme que le droit d’appel de la décision rendue par le juge des libertés et de la détention, saisi d’un référé pénal environnemental sur le fondement de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, n’appartient qu’au procureur de la République ou à la personne concernée, qui est celle à l’encontre de laquelle il a été demandé au juge des libertés et de la détention d’ordonner toute mesure utile.
L’article L. 216-13 du code de l’environnement institue une procédure de référé par laquelle, à l’initiative du procureur de la République, d’office ou sur demande d’une autorité administrative, d’une victime ou d’une association agréée, le juge des libertés et de la détention (JLD) peut ordonner toute mesure utile, incluant notamment la suspension ou l’interdiction d’activités menées en infraction à la législation environnementale. Initialement circonscrit à la police de l’eau, ce dispositif, élargi par la loi « Climat et Résilience », vise également les manquements aux prescriptions de l’autorisation environnementale, les violations d’interdictions relatives à la fracturation hydraulique ou encore les inexécutions de mesures administratives.
S’appuyant sur le cinquième alinéa de l’article L. 216-13 selon lequel « La personne concernée ou le procureur de la République peut faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention dans les dix jours suivant la notification ou la signification de la décision », la chambre criminelle de la Cour de cassation juge que les victimes de pollution ne peuvent pas faire appel des ordonnances rendues par le juge des libertés et de la détention dans le cadre du référé pénal environnemental. En effet, « (…) le droit d’appel de la décision rendue par le juge des libertés et de la détention, saisi d’un référé environnemental sur le fondement de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, n’appartient qu’au procureur de la République ou à la personne concernée, qui est celle à l’encontre de laquelle il a été demandé au juge des libertés et de la détention d’ordonner toute mesure utile ».
Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’un précédent arrêt du 14 janvier 2025 par lequel la chambre criminelle avait jugé qu’une association agréée de protection environnementale n’était recevable ni à saisir le juge des libertés et de la détention en liquidation de l’astreinte des mesures d’urgence ordonnées par ce juge dans le cadre de cette procédure initiée par le Procureur de la République, ni, a fortiori, à faire appel d’une telle ordonnance déclarant irrecevable une requête en liquidation.
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CE, 25 mars 2025, Ministre de la transition écologique, n° 474489, inédit
Législation des Installations, ouvrages, travaux, aménagement (IOTA) - Appréciation du risque d’inondation à l’arrière d’un ouvrage de protection
Mieux endiguer pour protéger sans danger : le Conseil d’État apporte une pierre de plus à l’ouvrage
La réalisation d’ouvrages de protection contre les inondations (digues, remblais…) peut donner le sentiment d’une sécurité retrouvée face aux risques de débordement des cours d’eau. C’est toutefois sans compter sur les vicissitudes de ces derniers, la pérennité des ouvrages ainsi que les lois de la physique. En effet, la résistance de l’ouvrage évolue dans le temps, en raison notamment d’un phénomène d’érosion interne favorisé par le développement de végétaux et de leurs racines, par la réalisation d’ouvrages traversants (canalisations) ou par la présence de terriers d’animaux. L’évolution du lit du cours d’eau résultant de son absence ou mauvais entretien (dragage notamment) peut également être à l’origine d’une rupture de digue dès lors qu’elle favorise les embacles et accroit la pression exercée sur l’ouvrage. Or, la défaillance des dispositifs de protection constitue un facteur aggravant du risque : en retenant l’eau, ces ouvrages accumulent des quantités considérables d’énergie. La libération brutale de cette dernière crée un phénomène de submersion pouvant provoquer des fosses d’érosion face auquel les dispositifs de gestion de crise et de sauvegarde des populations peuvent se retrouver impuissants. Quelques grandes inondations ont malheureusement illustré ce phénomène : tempête Xynthia en 2010, crue du Gardon en 2002 à l’origine de la rupture de la digue protégeant la commune d’Aramon, crue du Rhône et de la Camargue en 1993…
Dans le cadre d’un litige portant sur une décision d’opposition à déclaration préalable au titre des IOTA (article L. 214-1 et suivants du code de l’environnement), le pourvoi du ministre de la transition écologique a donné l’occasion au Conseil d’État de prendre en compte ces facteurs. Le Conseil d’État juge ici que l’appréciation du risque d’inondation des terrains situés derrière un ouvrage de protection doit faire l’objet d’une analyse spécifique prenant en compte « non seulement la protection qu’un tel ouvrage est susceptible d’apporter mais aussi le risque spécifique qu’un tel ouvrage est susceptible de créer en cas de sinistre d’une ampleur supérieure à celle pour laquelle il a été dimensionné ou en cas de rupture, dans la mesure où la survenance d’un tel accident n’est pas dénuée de toute probabilité ». Le Conseil d’État conclut qu’« en ne prenant pas en considération ce risque spécifique tenant à la présence de l’ouvrage de protection, la cour a commis une erreur de droit ».
Ce faisant, et c’est l’apport de la décision signalée, le Conseil d’État transpose à la législation des IOTA ce qu’il avait dégagée dans sa décision « Ministre de l’écologie » (CE, 6 avril 2016, n° 386000, aux tables) rendue dans le cadre d’un litige portant sur le classement de parcelles situées derrière un tel ouvrage de protection. L’identité de solution avec la législation des IOTA coulait de source dès lors que, parmi les intérêts protégés par la police de l’eau, figure la « prévention des inondations » (articles L. 214-3 et L. 211-1 du code de l’environnement).
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ENVIRONNEMENT-CHASSE
CE, 12 mars 2025, Association One Voice et autres, n° 488642, au Recueil
Sécurité lors des actions de chasse – Détermination de la règlementation - Office du juge administratif
Réglementation de sécurité de la chasse : chacun dans sa zone de tir
Depuis l’adoption de la loi du 26 juillet 2000 relative à la chasse, les mesures destinées à assurer la sécurité des actions de chasse se sont enrichies. Le législateur et le pouvoir règlementaire sont ainsi intervenus à plusieurs reprises pour mieux encadrer l’octroi du permis de chasser ainsi que pour renforcer la formation des chasseurs avec notamment une obligation de remise à niveau décennale. La signalisation, le port obligatoire du gilet au cours des actions collectives de chasse, le durcissement des conditions de transport des armes de chasse ainsi que l’intervention de textes instaurant des sanctions spécifiques des comportements à risque ont contribué à mieux encadrer ces actions.
L’association One Voice et deux autres requérants, estimant ces mesures insuffisantes, ont toutefois demandé au Premier ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de prendre toutes les mesures utiles permettant de garantir la sécurité des personnes lors du déroulement d’actions de chasse et, notamment, d’adopter vingt-cinq mesures parmi lesquelles de nombreuses étaient préconisées dans un rapport sénatorial récent. Une décision implicite de rejet de leur demande est née du silence gardé sur cette demande.
Le juge administratif a fait dans cette décision application de la règle dégagée dans sa décision d’Assemblée Amnesty International (11 octobre 2023, n°454836, au Recueil) selon laquelle si « lorsque le juge administratif est saisi d’une requête tendant à l’annulation du refus opposé par l’administration à une demande tendant à ce qu’elle prenne des mesures pour faire cesser la méconnaissance d’une obligation légale lui incombant, il lui appartient (…) d’apprécier si le refus de l’administration de prendre de telles mesures est entaché d’illégalité et, si tel est le cas, d’enjoindre à l’administration de prendre la ou les mesures nécessaires », en revanche et « en toute hypothèse, il ne lui appartient pas, dans le cadre de cet office, de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire ».
Dans l’espèce commentée, le Conseil d’État juge que « en l’absence d’obligation précisément déterminée par le législateur, la demande des requérantes tend en réalité à la détermination d’une politique publique en matière de sécurité de la chasse » et qu’« il n’appartient pas au Conseil d’État, statuant au contentieux de se substituer aux pouvoirs publics pour y procéder ».
Les recours contre les carences structurelles alléguées des administrations, qui ont été multipliés les dernières années, ne sont donc pas sans limite.
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CE, 12 mars 2025, Association One Voice, n° 490351, inédit
Règles d’entrée en vigueur des actes administratifs – Absence d’exception en matière de chasse et de dérogation « Espèces Protégées »
Droit au recours effectif en matière de chasse
Le Conseil d’État juge que le pouvoir règlementaire n’est pas obligé d’instaurer un régime dérogatoire au droit commun de l’entrée en vigueur des actes administratifs en matière de chasse ou de dérogation espèces protégées en l’absence de disposition législative le prévoyant.
L’association One Voice a demandé au Premier ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires d’adopter toutes mesures utiles permettant de garantir le droit à un recours effectif contre les actes pris en matière de chasse et de « dérogation espèces protégées ». La requérante souhaitait que soit imposé aux administrations de l’État un délai minimal de quatorze jours entre la date de publication ou de notification des décisions administratives et celle de leur prise d’effet. Étaient en cause les actes administratifs pris en application du titre II du livre IV du code de l’environnement (Chasse), notamment les battues administratives ordonnées sur le fondement de l’article L. 427-6, mais également les dérogations délivrées sur le fondement de l’article L. 411-2 du code de l’environnement régissant les tirs de défense contre le loup autorisés par les préfets. L’association a saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation du rejet implicite de sa demande.
Le Conseil d’État rejette la requête en considérant que
« s’il est loisible au pouvoir règlementaire de prévoir qu’un acte administratif en matière de chasse n’entre en vigueur qu’au terme d’un certain délai courant à compter de sa publication, l’absence d’un tel délai entre la publication et l’entrée en vigueur d’un acte administratif ne prive pas les personnes intéressées de la possibilité d’exercer utilement les voies de recours, notamment en référé, qui leur sont ouvertes à l’encontre d’un tel acte ». Il juge, par conséquent, que le refus d’instaurer un différé d’entrée en vigueur des autorisations de chasse ne méconnait pas le droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ni les stipulations de l’article 9 de la convention d’Aarhus.
La solution n’est pas novatrice (voir notamment CE, 2 juin 2023, One Voice, n°
460895 et CE, 31 décembre 2024, ADMA, n°
470134). Elle permet de rappeler que le droit commun prévoit l’entrée en vigueur immédiate des actes administratifs et que, s’il est possible au pouvoir réglementaire de décider d’un régime plus favorable (ce qui est le cas par exemple s’agissant des arrêtés préfectoraux annuels relatifs aux dates d’ouverture de la chasse à tir ainsi que des arrêtés fixant le nombre d’animaux à prélever pour les espèces soumises à plan de chasse), cela demeure une simple possibilité.
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ENVIRONNEMENT – ESPECES PROTEGEES
CC, 5 mars 2025, Association Préservons la forêt des Colettes et autres, n° 2024-1126 QPCl,
Dérogation « Espèces Protégées » - Raison impérative d’intérêt public majeur – Conformité à la Constitution de sa reconnaissance anticipée
Le Conseil constitutionnel valide le dispositif de reconnaissance anticipée d’une raison impérative d’intérêt public majeur pour certains projets industriels
Afin d’assurer l’implantation des projets industriels les plus stratégiques pour la transition écologique ou la souveraineté nationale, eu égard à leur objet et à leur envergure, la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte a introduit le statut de « projet d’intérêt national majeur » (PINM) à l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme. Cette qualité permet aux projets industriels stratégiques de bénéficier d’une reconnaissance anticipée de la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) qui constitue l’une des conditions nécessaires en vue de l’obtention d’une dérogation « espèces protégées ».
Plus précisément, la loi « industrie verte » a introduit un nouvel alinéa à l’article
L. 411-2-1 du code de l’environnement aux termes duquel : « Le décret, prévu au I de l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme, qualifiant un projet industriel de projet d’intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale peut lui reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411-2 du présent code. Cette reconnaissance ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte accordant la dérogation prévue au même c ». D’un point de vue procédural, la reconnaissance de la RIIPM ne peut ainsi être contestée qu’à l’occasion d’un recours direct contre le décret et non, par la voie d’une exception d’illégalité, à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte administratif accordant ultérieurement une dérogation « espèces protégées ».
Les requérants soutenaient que ces dispositions, qui ne précisaient pas suffisamment les critères permettant de reconnaître de façon anticipée une RIIPM, étaient entachées d’incompétence négative dans des conditions portant atteinte aux articles 1er, 2 et 5 de la Charte de l’environnement. Ils alléguaient également qu’en prévoyant un tel régime, le nouvel article L. 411-2-1 méconnaissait le droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Le Conseil constitutionnel juge conforme à la Constitution la reconnaissance anticipée de la RIIPM.
S’agissant du grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, le Conseil constate que le législateur a entendu réduire l’incertitude juridique pesant sur certains projets industriels et que l’impossibilité de contester par voie d’exception la RIIPM est d’une portée limitée, dès lors qu’elle n’a vocation à s’appliquer qu’aux PINM. Le Conseil rappelle que si la reconnaissance de RIIPM peut être contestée à l’occasion du recours dirigée contre le décret qualifiant le projet industriel de PINM, toute personne ayant intérêt à agir peut également demander l’abrogation d’actes règlementaires devenus illégaux en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à leur édiction et former des recours pour excès de pouvoir contre d’éventuelles décisions de refus d’abrogation, en vertu de l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ainsi, plusieurs recours demeurent possibles contre la reconnaissance anticipée d’un RIIPM.
S’agissant du grief tiré de la méconnaissance de la Charte de l’environnement, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées n’ont pas vocation à modifier les conditions de fond nécessaires à la délivrance d’une dérogation « espèces protégées », telles que définies au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Ce faisant, l’autorité administrative demeure tenue d’apprécier, sous le contrôle du juge, la condition tenant à l’existence d’une RIIPM au regard de la nature du projet industriel envisagé. En présence d’un tel intérêt, il appartient ensuite à l’autorité administrative compétente, lors de la délivrance de la dérogation, de s’assurer qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, tel que le juge, de façon constante, le Conseil d’État (CE, 25 mai 2018, SAS PCE, n°
413267 aux Tables ; CE, 24 juillet 2019, SAS PCE, n°
414353 aux Tables).
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CE, 25 mars 2025, Association Sea Shepherd France et autres, n° 486318, inédit
Inscription sur la liste des espèces protégées - Conditions et nature du contrôle du juge
Protection des élasmobranches : contrôle restreint du juge administratif sur le choix de classer ou non une espèce en tant qu’espèce protégée
Plusieurs associations de protection de l’environnement ont demandé au ministre chargé de l’environnement de compléter la liste des espèces protégées au titre de l’article
L. 411-1 du code de l’environnement afin d’y inclure diverses espèces d’élasmobranches (raies et requins). Les associations ont saisi le Conseil d’État afin qu’il annule la décision de rejet implicite de leur demande et enjoigne à l’Etat de compléter cette liste.
Le Conseil d’État rejette la requête en faisant application du principe dégagé dans sa décision Association Droits d’urgence du 27 novembre 2019 n°
433520, aux Tables) aux termes de laquelle :
« Il appartient aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi les mesures juridiques, financières, techniques ou d’organisation qui sont susceptibles d’être prises, celles qui sont les mieux à même d’assurer le respect des obligations qui leur incombent. Le refus de prendre une mesure déterminée ne saurait être regardé comme entaché d’illégalité au seul motif que la mise en œuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations. Il ne saurait en aller autrement que dans l’hypothèse où l’édiction de la mesure sollicitée se révélerait nécessaire au respect de l’obligation en cause et où l’abstention de l’autorité compétente exclurait, dès lors, qu’elle puisse être respectée ».
Si le Conseil d’État, qui exerce un contrôle restreint sur le choix de classer une espèce en tant qu’espèce protégée (CE, 5 février 2020, ASPAS et ASFA, n°
422631), constate qu’un certain nombre des espèces visées par les associations ne sont pas dans un bon état de conservation, il relève que
« plusieurs des espèces visées par la demande des associations font déjà l’objet de mesures de gestion et d’interdiction en France et dans l’Union européenne, soit par le biais d’arrêtés ministériels ou préfectoraux applicables sur certains territoires d’outre-mer, soit par le biais d’actes adoptés par les collectivités territoriales régies par l’article 74 ou le titre XIII de la Constitution, lorsque la compétence pour édicter une réglementation générale qui tend à la préservation de l’environnement leur a été attribuée, soit dans le cadre de la politique commune de la pêche ». En effet, au titre de cette dernière compétence, l’Union européenne a, encore récemment, légiféré sur les conditions d’exercice des activités de pêche, afin de s’assurer de leur caractère durable à long terme sur les plans environnemental, économique et social.
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FONCTION PUBLIQUE
CE, 21 mars 2025, Académie de Créteil, n° 470052, aux Tables
Droit de retrait – Avis du médecin du travail – Adaptation du poste de travail – Agent en situation de handicap
Pas de droit de retrait au seul motif que l’administration n’a pas mis en œuvre toutes les préconisations du médecin du travail
L’administration a, en application des articles L. 131-8 et L. 352-6 du code général de la fonction publique (CGFP), l’obligation d’adapter le poste de travail des agents souffrant de handicap sous réserve que les charges consécutives à la mise en œuvre de ces mesures d’adaptation ne soient pas disproportionnées au regard des moyens de l’employeur public intégrant les aides dont il pourrait bénéficier.
Ces adaptations interviennent le plus souvent à la suite des préconisations émises par le médecin du travail, conformément à l’article 15 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à la sécurité au travail et à la prévention médicale dans la fonction publique.
Après avoir rappelé que le droit de retrait, prévu par l’article 5-6 du décret du 28 mai 1982, suppose que l’agent ait un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, le Conseil d’État juge que le seul fait que l’employeur n’ait mis en œuvre qu’une partie des préconisations du médecin du travail ne constitue pas, en soi, un tel motif.
En effet, les conditions d’exercice du droit de retrait sont strictes et impliquent traditionnellement que le danger dont l’agent entend se prévaloir soit susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché, et qu’il présente un fort degré de certitude (ex : CE, 18 juin 2014, n° 369531 aux Tables).
L’agent qui entend se prévaloir du caractère partiel de cette prise en compte pour faire valoir son droit de retrait doit donc établir que cette prise en compte partielle fait naître, pour sa santé, un danger grave et imminent sauf à s’exposer, s’il persiste dans son retrait, à une procédure disciplinaire, voire à un licenciement pour abandon de poste.
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TRANSPORTS
CE, 12 mars 2025, Fédération française des motards en colère et M. S c/ Premier ministre, nos 487988, 490311, 490418, inédit
Transposition d’une directive de l’Union européenne – Réglementation technique des véhicules – Contrôle technique des véhicules à deux et trois roues et quadricycles à moteur
La transposition de l’obligation de contrôle technique des deux roues ne se sera pas déroulée comme sur des roulettes
Le Conseil d’État sonne la fin du contentieux à rebondissement relatif à l’introduction en droit interne de l’obligation de contrôle technique des véhicules motorisés à deux et trois roues et quadricycles à moteur, en jugeant qu’une telle réglementation est conforme au droit de l’Union européenne.
Transposant la directive 2014/45/UE du 3 avril 2014 relative au contrôle technique périodique des véhicules à moteur et de leurs remorques, le décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur a soumis l’ensemble de ces véhicules en circulation à une obligation de contrôle technique périodique à compter du 1er janvier 2023. La France ayant finalement décidé de déroger à l’obligation de mise en place du contrôle technique en notifiant à la Commission européenne des mesures alternatives à ce contrôle, ainsi que le permet la directive, le décret n° 2022-1044 du 25 juillet 2022 a abrogé le décret du 9 août 2021.
Par une première décision n° 457398 du 27 juillet 2022, le Conseil d’État a annulé les articles 6 et 9 du décret du 9 août 2021 en tant qu’ils reportent au-delà du 1er janvier 2022 la date d’entrée en vigueur de l’obligation de contrôle technique des véhicules de catégories L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3, fixée par la directive, ainsi que son article 8 prévoyant une mise en application échelonnée.
Par une seconde décision n° 466125 du 31 octobre 2022, le décret du 25 juillet 2022 abrogeant l’obligation de contrôle technique a été annulé au double motif qu’il n’avait pas été précédé d’une consultation du public et que ses dispositions ne pouvaient pas être regardées comme des mesures alternatives de sécurité routière prises au sens et pour l’application de la directive 2014/45/UE. Le Conseil d’État a en effet jugé que les mesures alternatives de sécurité routière mises en œuvre étaient trop ponctuelles et manifestement insuffisantes pour assurer efficacement la sécurité des usagers des deux-roues motorisés. Le décret du 9 août 2021 a ainsi été rétabli, à l’exception de ses dispositions annulées.
Par un nouveau décret n° 2023-974 du 23 octobre 2023 modifiant des dispositions du code de la route et du décret n° 2021-1062 du 9 août 2021, et un arrêté du même jour, le pouvoir réglementaire a alors modifié l’échéance du premier contrôle et la périodicité, et précisé le contenu et le déroulé du contrôle technique.
Le Conseil d’État met fin à la saga contentieuse du contrôle technique des véhicules à deux ou trois roues et quadricycles à moteur en jugeant que, par le décret et l’arrêté du 23 octobre 2023, le Gouvernement s’est conformé à la directive 2014/45/UE.
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URBANISME ET AMENAGEMENT
CE, 17 février 2025, EARL Hugo Breul, n° 469979, aux Tables]
Taxe d’aménagement – Exonération en faveur de certains bâtiments agricoles
Les locaux accueillant les manèges des centres équestres agricoles peuvent bénéficier de l’exonération de taxe d’aménagement prévue par les dispositions du 3° de l’article L. 331-7 du code de l’urbanisme
Le Conseil d’État précise le champ d’application des exonérations de la taxe d’aménagement prévues par les dispositions du 3° de l’article L. 331-7 du code de l’urbanisme, aujourd’hui reprises aux 3° et 4° de l’article 1635 quater D du code général des impôts. Il juge que les locaux accueillant les manèges des centres équestres agricoles doivent être regardés, eu égard à la nature des activités qui y sont exercées, comme des locaux de transformation et de conditionnement des produits provenant de l’exploitation au sens des dispositions susvisées et, par suite, doivent bénéficier de l’exonération de la part communale ou intercommunale de la taxe d’aménagement pour les surfaces correspondantes.
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CE, 20 mars 2025, Commune de Soulac-sur-Mer, nos 487711, 487713, aux Tables
Loi Littoral - Secteur déjà urbanisé défini par un SCOT et délimité par un PLU
Reconnaissance anticipée des secteurs constructibles dans les communes littorales
Le Conseil d’État juge qu’un « secteur déjà urbanisé », au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, est susceptible d’être défini par un schéma de cohérence territoriale (SCOT) et délimité par un plan local d’urbanisme (PLU), quand bien même ces documents d’urbanisme auraient été adoptés antérieurement à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite loi ELAN ayant introduit cette notion à l’article L. 121-8.
Était en cause une décision de non-opposition à une déclaration préalable en vue du détachement d’un lot à bâtir et un certificat d’urbanisme positif pour la construction d’une maison d’habitation sur le même terrain, situé à Soulac-sur-Mer, commune soumise aux dispositions de la loi littoral (articles L. 121-1 et suivants du code de l’urbanisme). Or, sur le territoire des communes littorales, l’autorité municipale ne peut autoriser une construction en dehors des agglomérations et villages existants que si le terrain d’assiette du projet est situé dans un « secteur déjà urbanisé », au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme issu de la loi ELAN, identifié comme tel par le SCOT et délimité par le PLU. En l’espèce, le SCOT applicable avait été approuvé en 2011 sans avoir été modifié postérieurement à la loi ELAN.
Le Conseil d’État juge que, bien qu’adoptés antérieurement, un « secteur déjà urbanisé » au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, est susceptible d’être défini par un SCOT et délimité par un PLU, quand bien même ils auraient été adoptés antérieurement à la loi du 23 novembre 2018. En l’espèce, tel était le cas dès lors notamment que le document d’orientations générales identifie le hameau concerné parmi les « hameaux où la densification est possible » à l’intérieur du « périmètre bâti constitué ».
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CE, avis, 11 avril 2025, Société AEI Promotion, n° 498803, au Recueil
Permis de construire - Instruction de la demande – Absence d’obligation de rechercher si le projet peut être autorisé en l’assortissant de prescriptions spéciales
Instruction des autorisations d’urbanisme : pas d’obligation de rechercher si des prescriptions pourraient rendre le projet légal
Le Conseil d’État juge que l’autorité administrative compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme dispose, sans jamais y être tenue, de la faculté d’accorder un permis de construire ou de ne pas s’opposer à la déclaration préalable en assortissant sa décision de prescriptions spéciales.
Le tribunal administratif de Toulon, avant de statuer sur la légalité d’une décision de refus d’autorisation d’urbanisme, a saisi le Conseil d’État de la question suivante : « Un pétitionnaire qui, en dehors de toute disposition législative et réglementaire prévoyant la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable, peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer ladite autorisation en l’assortissant de prescriptions ? ».
Or, par sa décision Deville du 26 juin 2019 (n° 412429, au Recueil), le Conseil d’État avait jugé, à propos de l’article R. 111-2 du code l’urbanisme, que « lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales ».
Revenant sur cette jurisprudence Deville, le Conseil d’État énonce que « l’autorité administrative compétente dispose, sans jamais y être tenue, de la faculté d’accorder le permis de construire ou de ne pas s’opposer à la déclaration préalable en assortissant sa décision de prescriptions spéciales qui, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, ont pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect ».
En conséquence, le pétitionnaire auquel est opposée une décision de refus de permis de construire ou d’opposition à déclaration préalable ne peut utilement se prévaloir devant le juge de l’excès de pouvoir de ce que l’autorité administrative compétente aurait dû lui délivrer l’autorisation sollicitée en l’assortissant de prescriptions spéciales.
Il résulte de cet avis que le pétitionnaire a l’obligation de présenter à l’administration un projet conforme aux règles d’urbanisme qui lui sont opposables, l’auteur de la demande pouvant néanmoins faire évoluer sa demande pendant la phase d’instruction en y apportant des modifications qui n’en changent pas la nature (CE 1er décembre 2023, Commune de Gorbio, n° 448905, au recueil Lebon).
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