La e-lettre bimestrielle de la Direction des affaires juridiques

N°3 du xx juillet 2025 - Angle droit 32

Edito

par Olivier Fuchs


Après une dizaine d’années de procédure et une condamnation historique de l’État à quarante millions d’euros d’astreinte, le Conseil d’État a mis fin en avril dernier au contentieux, initié par l’association Les Amis de la Terre, tendant à ce que l’État prenne toutes les mesures utiles pour se conformer aux exigences de la directive du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe.

Cette décision prend acte des efforts réels qui ont été accomplis, les dernières années, pour assainir la qualité de l’air et qui ont conduit à une nette diminution des concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote, en particulier dans les zones urbaines les plus touchées.


Le Conseil d’État a en outre accepté de prendre en compte, pour regarder le litige comme étant pleinement exécuté, différentes mesures présentant « un caractère suffisamment précis et crédible » pour envisager le respect des concentrations en dioxyde d’azote dans les zones de Lyon et Paris à brève échéance, parmi lesquelles les mesures prévues par les plans de protection de l’atmosphère récemment adoptés ainsi que le déploiement des zones à faibles émissions. Il s’est ainsi notamment fondé sur les projections et modélisations établies avec l’aide des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air.

Certaines mesures récentes, si elles prospèrent, auront toutefois un impact négatif direct sur les contentieux de la qualité de l’air. C’est notamment le cas de la remise en cause des zones à faibles émissions, dont la suppression a été votée sans qu’aucune autre piste sérieuse de lutte contre la pollution de l’air ait été proposée en substitution. Il faudra voir si la poursuite du débat parlementaire conduit à concrétiser cette suppression et si, alors, elle survit à l’examen par le Conseil constitutionnel.

Que le contentieux Amis de la Terre soit clos ne signifie donc pas, bien entendu, que la bataille pour la qualité de l’air est terminée, surtout que l’on sait qu’à l’horizon 2030, des valeurs limites plus strictes devront être respectées conformément à ce que prévoit la directive sur la qualité de l’air telle que refondue le 23 octobre 2024.

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Zoom sur …

L’affaire « Les Amis de la Terre »


Par une décision du 25 avril 2025 (CE, 25 avril 2025, no 428409, au Recueil), le Conseil d’État met fin à un contentieux, démarré il y a plus de huit ans, lié à la qualité de l’air dans douze agglomérations de métropole et d’outre-mer. Retour sur les différents épisodes de cette affaire emblématique.

Le commencement

Par une première décision du 12 juillet 2017 (n° 394254, au Recueil), le Conseil d’État juge illégale la décision par laquelle le Gouvernement a rejeté la demande de plusieurs associations sollicitant l’adoption des mesures nécessaires pour ramener, dans douze zones, les concentrations annuelles moyennes de dioxyde d’azote et de particules fines en deçà des valeurs limites fixées par la législation. En effet, la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 dite directive qualité de l’air a déterminé, par son article 13 et son annexe XI, des valeurs limites qui ont été transposées aux articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l’environnement.

L’annulation de cette décision était assortie de l’injonction, faite au Gouvernement, de prendre les mesures nécessaires pour que, conformément aux dispositions de l’article 23 de la directive qualité de l’air, soient élaborés et mis en œuvre les plans relatifs à la qualité de l’air permettant de ramener dans le « délai le plus court possible » les concentrations en polluants susmentionnés sous les valeurs limités fixées à l’article R. 221-1 du code.

Un contentieux de l’exécution au long cours

S’est alors ouverte une phase d’exécution de la décision du Conseil d’État du 12 juillet 2017.

Le Conseil d’État a d’abord constaté des dépassements des valeurs limites en dioxyde d’azote et/ou en particules fines dans encore huit zones et a estimé que les plans relatifs à la qualité de l’air annoncés, prenant la forme de « feuilles de routes » ou de plans de protections de l’atmosphère (PPA) ne comportaient pas d’indication des délais nécessaires pour atteindre les objectifs d’amélioration de la qualité de l’air qu’ils fixaient. Ainsi, par une décision du 10 juillet 2020 (n° 428409, au Recueil), il a prononcé une astreinte à l’encontre de l’Etat si celui-ci « ne justifiait pas » avoir entièrement exécuté la décision du 12 juillet 2017 dans un délai de six mois, le taux de l’astreinte étant fixé à 10 millions d’euros par semestre de retard.

Par la suite, et malgré la diminution constante du nombre de zones connaissant des dépassements des valeurs limites, le Conseil d’État, par deux décisions du 4 août 2021 et du 17 octobre 2022, a liquidé à deux reprises l’astreinte au taux plein de 10 millions par semestre, en fixant son montant à respectivement 10 millions d’euros pour la période du 11 janvier au 11 juillet 2021 puis à 20 millions pour la période du 11 juillet 2021 au 11 juillet 2022.

Dans sa décision du 17 octobre 2022, le Conseil d’État a décidé de ne pas moduler à la baisse le taux de l’astreinte, alors même que les mesures des concentrations moyennes permettaient d’établir que le niveau de concentrations en particules fines respectait désormais la valeur limite réglementaire dans toutes les zones, que les concentrations en dioxyde d’azote ne dépassaient plus la valeur limite que dans quatre zones (Aix-Marseille, Lyon, Paris et Toulouse) et que le Gouvernement avait mis en avant différentes mesures telles que le développement et le renforcement des zones à faibles émissions (ZFE) prévues à l’article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) ou la révision, en cours ou achevée, des PPA respectifs de ces quatre zones. Toutefois, ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat, ces efforts étaient encore insuffisants car ne recherchant pas une période de dépassement la plus courte possible pour le retour aux valeurs limites de dioxyde d’azote dans les zones de Paris, Lyon et Aix-Marseille.

C’est avec la décision du 24 novembre 2023 (commentée dans le numéro d’Angle droit du 23 janvier 2024) qu’un infléchissement a été initié, le Conseil d’État divisant par deux le taux de l’astreinte. La haute juridiction constatait alors des concentrations en dioxyde d’azote ne dépassant plus la valeur limite que dans les zones de Lyon et de Paris et, d’autre part, une « baisse globale tant du nombre des stations de mesure constatant des dépassements que de l’importance de ces dépassements pour les zones qui demeurent en dépassement ».

La fin du litige avec la décision du 25 avril 2025

Dans sa dernière décision du 25 avril 2025, et bien qu’ayant constaté l’absence de consolidation de la situation de non dépassement de la valeur limite de dioxyde d’azote dans la zone de Lyon et le dépassement persistant de cette même valeur limite au niveau de trois stations de mesures à Paris, le Conseil d’État juge que sa décision du 12 juillet 2017 est entièrement exécutée, et qu’il n’y a pas lieu de liquider l’astreinte prononcée à l’encontre de l’État.

Cette décision s’explique par la baisse significative du niveau des concentrations en dioxyde d’azote dans les zones de Paris et Lyon en 2024. Elle résulte également de l’adoption, pour les deux zones, de mesures ciblées, jugées suffisamment précises et crédibles, venant en complément des mesures nationales en faveur de l’amélioration de la qualité de l’air adoptées pour les secteurs des transports et du bâtiment.

Pour ce qui concerne la zone de Paris, le Conseil d’État souligne en particulier l’adoption, le 29 janvier 2025, du quatrième PPA d’Ile-de-France et notamment ses « nombreuses mesures concernant spécifiquement le secteur des transports, telles que l’objectif de faire passer la part du vélo dans les déplacements franciliens de 2 à 9 %, l’intégration de 15 communes supplémentaires dans le périmètre de la zone à faibles émissions, le soutien à la mise en service d’un dispositif de contrôle automatisé et le prolongement des expérimentations de baisse des vitesses maximales autorisées sur certaines portions routières de l’agglomération ». Est également mise en avant la mesure de réduction de la vitesse maximale autorisée sur le boulevard périphérique de 70 à 50 km/h, appliquée à compter du 1er octobre 2024.

Pour ce qui concerne la zone de Lyon, et en complément des mesures déjà prévues par le PPA de l’agglomération lyonnaise adopté le 24 novembre 2022, le Conseil d’État relève notamment la mise en service, à compter du 20 mars 2024, d’une nouvelle voie réservée au covoiturage et aux transports en commun sur une portion de 8 kilomètres de l’autoroute A7, la réduction vitesse maximale autorisée de 20 km/h pendant les heures d’activation de cette voie, ainsi que la mise en œuvre, depuis le 1er janvier 2024, de nouvelles mesures de restriction de la circulation dans le cadre de la ZFE mobilité.

Cette décision résulte enfin des projections et modélisations établies par l’État en 2024, avec l’aide des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air. Selon ces modélisations pour la zone de Paris, et au vu de l’ensemble des mesures prévues par le PPA, les trois dernières stations encore en dépassement devraient passer sous la valeur limite de dioxyde d’azote dès 2026. Le respect de cette même valeur limite dans la zone de Lyon, déjà constaté en 2024, est également considérée comme envisageable par les juges.

Perspectives

L’injonction prononcée par le Conseil d’État le 12 juillet 2017 étant désormais entièrement exécutée, les éventuels dépassements des valeurs limites qui pourraient être constatés en 2025 ou au cours des prochaines années dans les zones de Paris ou Lyon, ou dans les autres zones visées par la requête initiale de l’association « Les Amis de la Terre » ne sauraient avoir pour effet de rouvrir l’instance.

Il est à noter que les valeurs limites plus strictes fixées par la nouvelle directive (UE) 2024/2881 du 23 octobre 2024 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe ne seront pas applicables en droit interne avant le 1er janvier 2030, les Etats membres étant par ailleurs habilités à solliciter un report de cette échéance, le cas échéant jusqu’en 2040. Ces nouvelles valeurs limites ne sauraient donc occasionner prochainement un nouveau contentieux tel que celui qui vient d’être clos. Elles invitent en revanche le Gouvernement à redoubler dès à présent d’efforts dans sa lutte en faveur de l’amélioration de la qualité de l’air.

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L'actualité jurisprudentielle

AGRICULTURE

CC, 20 mars 2025, Loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, n° 2025-876 DC

Contrôle des lois a priori – Non-conformité partielle

Le conseil constitutionnel censure partiellement la loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture

La loi d’orientation agricole pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, dont l’objectif est de consacrer la souveraineté alimentaire comme un intérêt fondamental de la Nation, d’améliorer les conditions d’installation des agriculteurs et de faciliter l’exercice des activités agricoles, n’est pas sortie indemne de son examen par le Conseil constitutionnel, qui en a censuré totalement ou partiellement dix-huit articles.

Un grand nombre d’articles sont censurés en conséquence de la vigilance du Conseil constitutionnel quant au respect de l’article 45 de la Constitution, concernant les dispositions introduites en première lecture sans lien, même indirect, avec le but premier du projet de loi, centré sur la souveraineté alimentaire. Il réitère ainsi sa jurisprudence rigoureuse concernant les cavaliers législatifs. Dix articles de la loi sont censurés sur ce fondement, parmi lesquelles des dispositions relatives aux travaux forestiers, aux autorisations de défrichement ou encore aux documents d’urbanisme.

Au-delà des questions de procédure législative, le Conseil fonde également la déclaration de non-conformité à la Constitution de certains articles sur des motifs de fond.

À ce titre, l’article 2 de la loi, instaurant un principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, a été invalidé en raison de son imprécision et de l’atteinte portée à la compétence normative du pouvoir réglementaire, ainsi qu’à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

L’article 4 de la loi, introduisant sur le territoire des communes insulaires métropolitaines une dérogation à l’interdiction des constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles dans les espaces proches du rivage, a par ailleurs été jugé contraire au principe d’égalité devant la loi en raison de l’absence de justification pertinente de cette différence de traitement avec les autres communes insulaires ou littorales.

Le Conseil censure a par ailleurs censuré les dispositions de l’article 31, qui instauraient une présomption de non-intentionnalité en cas d’atteinte aux espèces protégées, à leurs habitats naturels ou à des sites d’intérêt géologique, en raison de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, du fait de l’insuffisante définition de la nature des obligations ou prescriptions concernées comme de l’absence de précisions sur le lien avec les faits reprochés.

Par ailleurs, l’article 35, insérant au sein du code des relations entre le public et l’administration un nouvel article L. 123-3 relatif au droit à régularisation en cas d’erreur lors de contrôles agricoles, est jugé dépourvu de portée normative.

Enfin, le paragraphe IV de l’article 48, excluant les piscicultures du régime de déclaration ou d’autorisation applicable aux installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA), est déclaré contraire à la Constitution dès lors que certaines piscicultures risquent de ne plus être soumises à un encadrement administratif dédié à la protection des milieux aquatiques, ce qui contrevient aux principes fondamentaux de la préservation de l’environnement.

Le Conseil constitutionnel valide plusieurs autres dispositions de la loi, notamment celles portant sur le contentieux administratif (article 44) ou encore sur les retenues collinaires (article 45). L’article 32, qui dépénalise et punit d’une amende maximale de 450 euros les dépassements dans la limite de 15 % du seuil de déclaration ou d’enregistrement par un élevage préexistant, est également jugé conforme à la constitution.

Cette décision illustre une fois encore la double exigence posée par la Constitution de respect de la procédure législative, qui ne saurait être assouplie au gré des débats parlementaires, et de conformité de fond des normes aux principes constitutionnels, qu’il s’agisse de la séparation des pouvoirs, de la protection de l’environnement, des principes applicables à la matière pénale ou encore de l’intelligibilité de la loi.

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ENVIRONNEMENT

CC, 14 février 2025, Association One Voice, n° 2024-1121 QPC

Question prioritaire de constitutionnalité – Bien-être animal – Captivité des espèces d’animaux sauvages

Interdiction des mauvais traitements envers tous les animaux : non invocabilité de l’article 8 de la Charte de l’environnement en QPC et absence de PFRLR

La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes interdit, d’ici 2028, la captivité des espèces d’animaux sauvages dans les cirques itinérants. Cette interdiction figure désormais à l’article L. 413-10 du code de l’environnement.

Saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l’association One Voice, le Conseil constitutionnel se prononce en faveur de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 413-10 et L. 413-11 du code de l’environnement, dans leur rédaction issue de la loi précitée.

En premier lieu, l’association soutenait que la promotion de la détention et de l’exposition au public d’animaux sauvages était contraire à l’article 8 de la Charte de l’environnement, lequel dispose que : « L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ». Le Conseil constitutionnel juge, pour la première fois, que cette disposition n’institue pas un droit ou une liberté garanti par la Constitution. Par conséquent, sa méconnaissance ne peut être invoquée à l’appui d’une QPC. Le Conseil constitutionnel avait déjà jugé que le préambule de la Charte et son article 6 n’étaient pas invocables dans le cadre d’une QPC (CC, 7 mai 2014, n° 2014-394 QPC, Société Casuca et CC, 23 novembre 2012, n° 2012-283 QPC, M. Antoine de M.).

En second lieu, le Conseil constitutionnel refuse d’élever l’interdiction des mauvais traitements envers tous les animaux en principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) comme l’y invitait l’association, remarquant que la loi Grammont du 2 juillet 1850 sur laquelle se basait la requérante, prohibait les mauvais traitements uniquement envers les animaux domestiques.

En troisième lieu, l’association considérait que les dispositions portaient atteinte au principe d’égalité devant la loi au motif qu’elles n’étendaient pas aux cirques fixes l’interdiction pour les cirques itinérants de détention, d’exploitation et d’exposition au public des animaux sauvages. En se fondant sur l’esprit du texte, le Conseil constitutionnel juge que la différence de traitement entre les cirques itinérants et les cirques fixes est en rapport direct avec l’objet de la loi et écarte le grief.

En quatrième et dernier lieu, l’association faisait valoir que la présentation d’animaux d’espèces non domestiques à des fins de divertissement constituait un spectacle dégradant qui portait atteinte à un principe de dignité de tous les êtres vivants doués de sensibilité, découlant du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine garanti par le préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil constitutionnel écarte également ce grief, en considérant que les dispositions de l’article L. 413-11 du code de l’environnement n’ont ni pour objet ni pour effet d’exposer des personnes à des spectacles portant atteinte à leur dignité.

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Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 mars 2025, n° 24-81.339, publié au bulletin,

Référé pénal environnemental - Ordonnance du juge des libertés et de la détention - Appel – Recevabilité

Qui peut faire appel d’un référé pénal environnemental ?

La Cour de cassation confirme que le droit d’appel de la décision rendue par le juge des libertés et de la détention, saisi d’un référé pénal environnemental sur le fondement de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, n’appartient qu’au procureur de la République ou à la personne concernée, qui est celle à l’encontre de laquelle il a été demandé au juge des libertés et de la détention d’ordonner toute mesure utile.

L’article L. 216-13 du code de l’environnement institue une procédure de référé par laquelle, à l’initiative du procureur de la République, d’office ou sur demande d’une autorité administrative, d’une victime ou d’une association agréée, le juge des libertés et de la détention (JLD) peut ordonner toute mesure utile, incluant notamment la suspension ou l’interdiction d’activités menées en infraction à la législation environnementale. Initialement circonscrit à la police de l’eau, ce dispositif, élargi par la loi « Climat et Résilience », vise également les manquements aux prescriptions de l’autorisation environnementale, les violations d’interdictions relatives à la fracturation hydraulique ou encore les inexécutions de mesures administratives.

S’appuyant sur le cinquième alinéa de l’article L. 216-13 selon lequel « La personne concernée ou le procureur de la République peut faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention dans les dix jours suivant la notification ou la signification de la décision », la chambre criminelle de la Cour de cassation juge que les victimes de pollution ne peuvent pas faire appel des ordonnances rendues par le juge des libertés et de la détention dans le cadre du référé pénal environnemental. En effet, « (…) le droit d’appel de la décision rendue par le juge des libertés et de la détention, saisi d’un référé environnemental sur le fondement de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, n’appartient qu’au procureur de la République ou à la personne concernée, qui est celle à l’encontre de laquelle il a été demandé au juge des libertés et de la détention d’ordonner toute mesure utile ».

Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’un précédent arrêt du 14 janvier 2025 par lequel la chambre criminelle avait jugé qu’une association agréée de protection environnementale n’était recevable ni à saisir le juge des libertés et de la détention en liquidation de l’astreinte des mesures d’urgence ordonnées par ce juge dans le cadre de cette procédure initiée par le Procureur de la République, ni, a fortiori, à faire appel d’une telle ordonnance déclarant irrecevable une requête en liquidation.

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CE, 25 mars 2025, Ministre de la transition écologique, n° 474489, inédit

Législation des Installations, ouvrages, travaux, aménagement (IOTA) - Appréciation du risque d’inondation à l’arrière d’un ouvrage de protection

Mieux endiguer pour protéger sans danger : le Conseil d’État apporte une pierre de plus à l’ouvrage

La réalisation d’ouvrages de protection contre les inondations (digues, remblais…) peut donner le sentiment d’une sécurité retrouvée face aux risques de débordement des cours d’eau. C’est toutefois sans compter sur les vicissitudes de ces derniers, la pérennité des ouvrages ainsi que les lois de la physique. En effet, la résistance de l’ouvrage évolue dans le temps, en raison notamment d’un phénomène d’érosion interne favorisé par le développement de végétaux et de leurs racines, par la réalisation d’ouvrages traversants (canalisations) ou par la présence de terriers d’animaux. L’évolution du lit du cours d’eau résultant de son absence ou mauvais entretien (dragage notamment) peut également être à l’origine d’une rupture de digue dès lors qu’elle favorise les embacles et accroit la pression exercée sur l’ouvrage. Or, la défaillance des dispositifs de protection constitue un facteur aggravant du risque : en retenant l’eau, ces ouvrages accumulent des quantités considérables d’énergie. La libération brutale de cette dernière crée un phénomène de submersion pouvant provoquer des fosses d’érosion face auquel les dispositifs de gestion de crise et de sauvegarde des populations peuvent se retrouver impuissants. Quelques grandes inondations ont malheureusement illustré ce phénomène : tempête Xynthia en 2010, crue du Gardon en 2002 à l’origine de la rupture de la digue protégeant la commune d’Aramon, crue du Rhône et de la Camargue en 1993…

Dans le cadre d’un litige portant sur une décision d’opposition à déclaration préalable au titre des IOTA (article L. 214-1 et suivants du code de l’environnement), le pourvoi du ministre de la transition écologique a donné l’occasion au Conseil d’État de prendre en compte ces facteurs. Le Conseil d’État juge ici que l’appréciation du risque d’inondation des terrains situés derrière un ouvrage de protection doit faire l’objet d’une analyse spécifique prenant en compte « non seulement la protection qu’un tel ouvrage est susceptible d’apporter mais aussi le risque spécifique qu’un tel ouvrage est susceptible de créer en cas de sinistre d’une ampleur supérieure à celle pour laquelle il a été dimensionné ou en cas de rupture, dans la mesure où la survenance d’un tel accident n’est pas dénuée de toute probabilité ». Le Conseil d’État conclut qu’« en ne prenant pas en considération ce risque spécifique tenant à la présence de l’ouvrage de protection, la cour a commis une erreur de droit ».

Ce faisant, et c’est l’apport de la décision signalée, le Conseil d’État transpose à la législation des IOTA ce qu’il avait dégagée dans sa décision « Ministre de l’écologie » (CE, 6 avril 2016, n° 386000, aux tables) rendue dans le cadre d’un litige portant sur le classement de parcelles situées derrière un tel ouvrage de protection. L’identité de solution avec la législation des IOTA coulait de source dès lors que, parmi les intérêts protégés par la police de l’eau, figure la « prévention des inondations » (articles L. 214-3 et L. 211-1 du code de l’environnement).

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ENVIRONNEMENT-CHASSE

CE, 12 mars 2025, Association One Voice et autres, n° 488642, au Recueil

Sécurité lors des actions de chasse – Détermination de la règlementation - Office du juge administratif

Réglementation de sécurité de la chasse : chacun dans sa zone de tir

Depuis l’adoption de la loi du 26 juillet 2000 relative à la chasse, les mesures destinées à assurer la sécurité des actions de chasse se sont enrichies. Le législateur et le pouvoir règlementaire sont ainsi intervenus à plusieurs reprises pour mieux encadrer l’octroi du permis de chasser ainsi que pour renforcer la formation des chasseurs avec notamment une obligation de remise à niveau décennale. La signalisation, le port obligatoire du gilet au cours des actions collectives de chasse, le durcissement des conditions de transport des armes de chasse ainsi que l’intervention de textes instaurant des sanctions spécifiques des comportements à risque ont contribué à mieux encadrer ces actions.

L’association One Voice et deux autres requérants, estimant ces mesures insuffisantes, ont toutefois demandé au Premier ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de prendre toutes les mesures utiles permettant de garantir la sécurité des personnes lors du déroulement d’actions de chasse et, notamment, d’adopter vingt-cinq mesures parmi lesquelles de nombreuses étaient préconisées dans un rapport sénatorial récent. Une décision implicite de rejet de leur demande est née du silence gardé sur cette demande.

Le juge administratif a fait dans cette décision application de la règle dégagée dans sa décision d’Assemblée Amnesty International (11 octobre 2023, n°454836, au Recueil) selon laquelle si « lorsque le juge administratif est saisi d’une requête tendant à l’annulation du refus opposé par l’administration à une demande tendant à ce qu’elle prenne des mesures pour faire cesser la méconnaissance d’une obligation légale lui incombant, il lui appartient (…) d’apprécier si le refus de l’administration de prendre de telles mesures est entaché d’illégalité et, si tel est le cas, d’enjoindre à l’administration de prendre la ou les mesures nécessaires », en revanche et « en toute hypothèse, il ne lui appartient pas, dans le cadre de cet office, de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire ».

Dans l’espèce commentée, le Conseil d’État juge que « en l’absence d’obligation précisément déterminée par le législateur, la demande des requérantes tend en réalité à la détermination d’une politique publique en matière de sécurité de la chasse » et qu’« il n’appartient pas au Conseil d’État, statuant au contentieux de se substituer aux pouvoirs publics pour y procéder ».

Les recours contre les carences structurelles alléguées des administrations, qui ont été multipliés les dernières années, ne sont donc pas sans limite.

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CE, 12 mars 2025, Association One Voice, n° 490351, inédit

Règles d’entrée en vigueur des actes administratifs – Absence d’exception en matière de chasse et de dérogation « Espèces Protégées »

Droit au recours effectif en matière de chasse

Le Conseil d’État juge que le pouvoir règlementaire n’est pas obligé d’instaurer un régime dérogatoire au droit commun de l’entrée en vigueur des actes administratifs en matière de chasse ou de dérogation espèces protégées en l’absence de disposition législative le prévoyant.

L’association One Voice a demandé au Premier ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires d’adopter toutes mesures utiles permettant de garantir le droit à un recours effectif contre les actes pris en matière de chasse et de « dérogation espèces protégées ». La requérante souhaitait que soit imposé aux administrations de l’État un délai minimal de quatorze jours entre la date de publication ou de notification des décisions administratives et celle de leur prise d’effet. Étaient en cause les actes administratifs pris en application du titre II du livre IV du code de l’environnement (Chasse), notamment les battues administratives ordonnées sur le fondement de l’article L. 427-6, mais également les dérogations délivrées sur le fondement de l’article L. 411-2 du code de l’environnement régissant les tirs de défense contre le loup autorisés par les préfets. L’association a saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation du rejet implicite de sa demande.

Le Conseil d’État rejette la requête en considérant que « s’il est loisible au pouvoir règlementaire de prévoir qu’un acte administratif en matière de chasse n’entre en vigueur qu’au terme d’un certain délai courant à compter de sa publication, l’absence d’un tel délai entre la publication et l’entrée en vigueur d’un acte administratif ne prive pas les personnes intéressées de la possibilité d’exercer utilement les voies de recours, notamment en référé, qui leur sont ouvertes à l’encontre d’un tel acte ». Il juge, par conséquent, que le refus d’instaurer un différé d’entrée en vigueur des autorisations de chasse ne méconnait pas le droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ni les stipulations de l’article 9 de la convention d’Aarhus.

La solution n’est pas novatrice (voir notamment CE, 2 juin 2023, One Voice, n° 460895 et CE, 31 décembre 2024, ADMA, n° 470134). Elle permet de rappeler que le droit commun prévoit l’entrée en vigueur immédiate des actes administratifs et que, s’il est possible au pouvoir réglementaire de décider d’un régime plus favorable (ce qui est le cas par exemple s’agissant des arrêtés préfectoraux annuels relatifs aux dates d’ouverture de la chasse à tir ainsi que des arrêtés fixant le nombre d’animaux à prélever pour les espèces soumises à plan de chasse), cela demeure une simple possibilité.

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ENVIRONNEMENT – ESPECES PROTEGEES

CC, 5 mars 2025, Association Préservons la forêt des Colettes et autres, n° 2024-1126 QPCl,

Dérogation « Espèces Protégées » - Raison impérative d’intérêt public majeur – Conformité à la Constitution de sa reconnaissance anticipée

Le Conseil constitutionnel valide le dispositif de reconnaissance anticipée d’une raison impérative d’intérêt public majeur pour certains projets industriels

Afin d’assurer l’implantation des projets industriels les plus stratégiques pour la transition écologique ou la souveraineté nationale, eu égard à leur objet et à leur envergure, la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte a introduit le statut de « projet d’intérêt national majeur » (PINM) à l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme. Cette qualité permet aux projets industriels stratégiques de bénéficier d’une reconnaissance anticipée de la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) qui constitue l’une des conditions nécessaires en vue de l’obtention d’une dérogation « espèces protégées ».

Plus précisément, la loi « industrie verte » a introduit un nouvel alinéa à l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement aux termes duquel : « Le décret, prévu au I de l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme, qualifiant un projet industriel de projet d’intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale peut lui reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411-2 du présent code. Cette reconnaissance ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte accordant la dérogation prévue au même c ». D’un point de vue procédural, la reconnaissance de la RIIPM ne peut ainsi être contestée qu’à l’occasion d’un recours direct contre le décret et non, par la voie d’une exception d’illégalité, à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte administratif accordant ultérieurement une dérogation « espèces protégées ».

Les requérants soutenaient que ces dispositions, qui ne précisaient pas suffisamment les critères permettant de reconnaître de façon anticipée une RIIPM, étaient entachées d’incompétence négative dans des conditions portant atteinte aux articles 1er, 2 et 5 de la Charte de l’environnement. Ils alléguaient également qu’en prévoyant un tel régime, le nouvel article L. 411-2-1 méconnaissait le droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le Conseil constitutionnel juge conforme à la Constitution la reconnaissance anticipée de la RIIPM.

S’agissant du grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, le Conseil constate que le législateur a entendu réduire l’incertitude juridique pesant sur certains projets industriels et que l’impossibilité de contester par voie d’exception la RIIPM est d’une portée limitée, dès lors qu’elle n’a vocation à s’appliquer qu’aux PINM. Le Conseil rappelle que si la reconnaissance de RIIPM peut être contestée à l’occasion du recours dirigée contre le décret qualifiant le projet industriel de PINM, toute personne ayant intérêt à agir peut également demander l’abrogation d’actes règlementaires devenus illégaux en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à leur édiction et former des recours pour excès de pouvoir contre d’éventuelles décisions de refus d’abrogation, en vertu de l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ainsi, plusieurs recours demeurent possibles contre la reconnaissance anticipée d’un RIIPM.

S’agissant du grief tiré de la méconnaissance de la Charte de l’environnement, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées n’ont pas vocation à modifier les conditions de fond nécessaires à la délivrance d’une dérogation « espèces protégées », telles que définies au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Ce faisant, l’autorité administrative demeure tenue d’apprécier, sous le contrôle du juge, la condition tenant à l’existence d’une RIIPM au regard de la nature du projet industriel envisagé. En présence d’un tel intérêt, il appartient ensuite à l’autorité administrative compétente, lors de la délivrance de la dérogation, de s’assurer qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, tel que le juge, de façon constante, le Conseil d’État (CE, 25 mai 2018, SAS PCE, n° 413267 aux Tables ; CE, 24 juillet 2019, SAS PCE, n° 414353 aux Tables).

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CE, 25 mars 2025, Association Sea Shepherd France et autres, n° 486318, inédit

Inscription sur la liste des espèces protégées - Conditions et nature du contrôle du juge

Protection des élasmobranches : contrôle restreint du juge administratif sur le choix de classer ou non une espèce en tant qu’espèce protégée

Plusieurs associations de protection de l’environnement ont demandé au ministre chargé de l’environnement de compléter la liste des espèces protégées au titre de l’article L. 411-1 du code de l’environnement afin d’y inclure diverses espèces d’élasmobranches (raies et requins). Les associations ont saisi le Conseil d’État afin qu’il annule la décision de rejet implicite de leur demande et enjoigne à l’Etat de compléter cette liste.

Le Conseil d’État rejette la requête en faisant application du principe dégagé dans sa décision Association Droits d’urgence du 27 novembre 2019 n° 433520, aux Tables) aux termes de laquelle : « Il appartient aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi les mesures juridiques, financières, techniques ou d’organisation qui sont susceptibles d’être prises, celles qui sont les mieux à même d’assurer le respect des obligations qui leur incombent. Le refus de prendre une mesure déterminée ne saurait être regardé comme entaché d’illégalité au seul motif que la mise en œuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations. Il ne saurait en aller autrement que dans l’hypothèse où l’édiction de la mesure sollicitée se révélerait nécessaire au respect de l’obligation en cause et où l’abstention de l’autorité compétente exclurait, dès lors, qu’elle puisse être respectée ».

Si le Conseil d’État, qui exerce un contrôle restreint sur le choix de classer une espèce en tant qu’espèce protégée (CE, 5 février 2020, ASPAS et ASFA, n° 422631), constate qu’un certain nombre des espèces visées par les associations ne sont pas dans un bon état de conservation, il relève que « plusieurs des espèces visées par la demande des associations font déjà l’objet de mesures de gestion et d’interdiction en France et dans l’Union européenne, soit par le biais d’arrêtés ministériels ou préfectoraux applicables sur certains territoires d’outre-mer, soit par le biais d’actes adoptés par les collectivités territoriales régies par l’article 74 ou le titre XIII de la Constitution, lorsque la compétence pour édicter une réglementation générale qui tend à la préservation de l’environnement leur a été attribuée, soit dans le cadre de la politique commune de la pêche ». En effet, au titre de cette dernière compétence, l’Union européenne a, encore récemment, légiféré sur les conditions d’exercice des activités de pêche, afin de s’assurer de leur caractère durable à long terme sur les plans environnemental, économique et social.

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FONCTION PUBLIQUE

CE, 21 mars 2025, Académie de Créteil, n° 470052, aux Tables

Droit de retrait – Avis du médecin du travail – Adaptation du poste de travail – Agent en situation de handicap

Pas de droit de retrait au seul motif que l’administration n’a pas mis en œuvre toutes les préconisations du médecin du travail

L’administration a, en application des articles L. 131-8 et L. 352-6 du code général de la fonction publique (CGFP), l’obligation d’adapter le poste de travail des agents souffrant de handicap sous réserve que les charges consécutives à la mise en œuvre de ces mesures d’adaptation ne soient pas disproportionnées au regard des moyens de l’employeur public intégrant les aides dont il pourrait bénéficier.

Ces adaptations interviennent le plus souvent à la suite des préconisations émises par le médecin du travail, conformément à l’article 15 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à la sécurité au travail et à la prévention médicale dans la fonction publique.

Après avoir rappelé que le droit de retrait, prévu par l’article 5-6 du décret du 28 mai 1982, suppose que l’agent ait un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, le Conseil d’État juge que le seul fait que l’employeur n’ait mis en œuvre qu’une partie des préconisations du médecin du travail ne constitue pas, en soi, un tel motif.

En effet, les conditions d’exercice du droit de retrait sont strictes et impliquent traditionnellement que le danger dont l’agent entend se prévaloir soit susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché, et qu’il présente un fort degré de certitude (ex : CE, 18 juin 2014, n° 369531 aux Tables).

L’agent qui entend se prévaloir du caractère partiel de cette prise en compte pour faire valoir son droit de retrait doit donc établir que cette prise en compte partielle fait naître, pour sa santé, un danger grave et imminent sauf à s’exposer, s’il persiste dans son retrait, à une procédure disciplinaire, voire à un licenciement pour abandon de poste.

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TRANSPORTS

CE, 12 mars 2025, Fédération française des motards en colère et M. S c/ Premier ministre, nos 487988, 490311, 490418, inédit

Transposition d’une directive de l’Union européenne – Réglementation technique des véhicules – Contrôle technique des véhicules à deux et trois roues et quadricycles à moteur

La transposition de l’obligation de contrôle technique des deux roues ne se sera pas déroulée comme sur des roulettes

Le Conseil d’État sonne la fin du contentieux à rebondissement relatif à l’introduction en droit interne de l’obligation de contrôle technique des véhicules motorisés à deux et trois roues et quadricycles à moteur, en jugeant qu’une telle réglementation est conforme au droit de l’Union européenne.

Transposant la directive 2014/45/UE du 3 avril 2014 relative au contrôle technique périodique des véhicules à moteur et de leurs remorques, le décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur a soumis l’ensemble de ces véhicules en circulation à une obligation de contrôle technique périodique à compter du 1er janvier 2023. La France ayant finalement décidé de déroger à l’obligation de mise en place du contrôle technique en notifiant à la Commission européenne des mesures alternatives à ce contrôle, ainsi que le permet la directive, le décret n° 2022-1044 du 25 juillet 2022 a abrogé le décret du 9 août 2021.

Par une première décision n° 457398 du 27 juillet 2022, le Conseil d’État a annulé les articles 6 et 9 du décret du 9 août 2021 en tant qu’ils reportent au-delà du 1er janvier 2022 la date d’entrée en vigueur de l’obligation de contrôle technique des véhicules de catégories L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3, fixée par la directive, ainsi que son article 8 prévoyant une mise en application échelonnée.

Par une seconde décision n° 466125 du 31 octobre 2022, le décret du 25 juillet 2022 abrogeant l’obligation de contrôle technique a été annulé au double motif qu’il n’avait pas été précédé d’une consultation du public et que ses dispositions ne pouvaient pas être regardées comme des mesures alternatives de sécurité routière prises au sens et pour l’application de la directive 2014/45/UE. Le Conseil d’État a en effet jugé que les mesures alternatives de sécurité routière mises en œuvre étaient trop ponctuelles et manifestement insuffisantes pour assurer efficacement la sécurité des usagers des deux-roues motorisés. Le décret du 9 août 2021 a ainsi été rétabli, à l’exception de ses dispositions annulées.

Par un nouveau décret n° 2023-974 du 23 octobre 2023 modifiant des dispositions du code de la route et du décret n° 2021-1062 du 9 août 2021, et un arrêté du même jour, le pouvoir réglementaire a alors modifié l’échéance du premier contrôle et la périodicité, et précisé le contenu et le déroulé du contrôle technique.

Le Conseil d’État met fin à la saga contentieuse du contrôle technique des véhicules à deux ou trois roues et quadricycles à moteur en jugeant que, par le décret et l’arrêté du 23 octobre 2023, le Gouvernement s’est conformé à la directive 2014/45/UE.

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URBANISME ET AMENAGEMENT

CE, 17 février 2025, EARL Hugo Breul, n° 469979, aux Tables]

Taxe d’aménagement – Exonération en faveur de certains bâtiments agricoles

Les locaux accueillant les manèges des centres équestres agricoles peuvent bénéficier de l’exonération de taxe d’aménagement prévue par les dispositions du 3° de l’article L. 331-7 du code de l’urbanisme

Le Conseil d’État précise le champ d’application des exonérations de la taxe d’aménagement prévues par les dispositions du 3° de l’article L. 331-7 du code de l’urbanisme, aujourd’hui reprises aux 3° et 4° de l’article 1635 quater D du code général des impôts. Il juge que les locaux accueillant les manèges des centres équestres agricoles doivent être regardés, eu égard à la nature des activités qui y sont exercées, comme des locaux de transformation et de conditionnement des produits provenant de l’exploitation au sens des dispositions susvisées et, par suite, doivent bénéficier de l’exonération de la part communale ou intercommunale de la taxe d’aménagement pour les surfaces correspondantes.

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CE, 20 mars 2025, Commune de Soulac-sur-Mer, nos 487711, 487713, aux Tables

Loi Littoral - Secteur déjà urbanisé défini par un SCOT et délimité par un PLU

Reconnaissance anticipée des secteurs constructibles dans les communes littorales

Le Conseil d’État juge qu’un « secteur déjà urbanisé », au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, est susceptible d’être défini par un schéma de cohérence territoriale (SCOT) et délimité par un plan local d’urbanisme (PLU), quand bien même ces documents d’urbanisme auraient été adoptés antérieurement à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite loi ELAN ayant introduit cette notion à l’article L. 121-8.

Était en cause une décision de non-opposition à une déclaration préalable en vue du détachement d’un lot à bâtir et un certificat d’urbanisme positif pour la construction d’une maison d’habitation sur le même terrain, situé à Soulac-sur-Mer, commune soumise aux dispositions de la loi littoral (articles L. 121-1 et suivants du code de l’urbanisme). Or, sur le territoire des communes littorales, l’autorité municipale ne peut autoriser une construction en dehors des agglomérations et villages existants que si le terrain d’assiette du projet est situé dans un « secteur déjà urbanisé », au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme issu de la loi ELAN, identifié comme tel par le SCOT et délimité par le PLU. En l’espèce, le SCOT applicable avait été approuvé en 2011 sans avoir été modifié postérieurement à la loi ELAN.

Le Conseil d’État juge que, bien qu’adoptés antérieurement, un « secteur déjà urbanisé » au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, est susceptible d’être défini par un SCOT et délimité par un PLU, quand bien même ils auraient été adoptés antérieurement à la loi du 23 novembre 2018. En l’espèce, tel était le cas dès lors notamment que le document d’orientations générales identifie le hameau concerné parmi les « hameaux où la densification est possible » à l’intérieur du « périmètre bâti constitué ».

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CE, avis, 11 avril 2025, Société AEI Promotion, n° 498803, au Recueil

Permis de construire - Instruction de la demande – Absence d’obligation de rechercher si le projet peut être autorisé en l’assortissant de prescriptions spéciales

Instruction des autorisations d’urbanisme : pas d’obligation de rechercher si des prescriptions pourraient rendre le projet légal


Le Conseil d’État juge que l’autorité administrative compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme dispose, sans jamais y être tenue, de la faculté d’accorder un permis de construire ou de ne pas s’opposer à la déclaration préalable en assortissant sa décision de prescriptions spéciales.

Le tribunal administratif de Toulon, avant de statuer sur la légalité d’une décision de refus d’autorisation d’urbanisme, a saisi le Conseil d’État de la question suivante : « Un pétitionnaire qui, en dehors de toute disposition législative et réglementaire prévoyant la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable, peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer ladite autorisation en l’assortissant de prescriptions ? ».

Or, par sa décision Deville du 26 juin 2019 (n° 412429, au Recueil), le Conseil d’État avait jugé, à propos de l’article R. 111-2 du code l’urbanisme, que « lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales ».

Revenant sur cette jurisprudence Deville, le Conseil d’État énonce que « l’autorité administrative compétente dispose, sans jamais y être tenue, de la faculté d’accorder le permis de construire ou de ne pas s’opposer à la déclaration préalable en assortissant sa décision de prescriptions spéciales qui, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, ont pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect ».

En conséquence, le pétitionnaire auquel est opposée une décision de refus de permis de construire ou d’opposition à déclaration préalable ne peut utilement se prévaloir devant le juge de l’excès de pouvoir de ce que l’autorité administrative compétente aurait dû lui délivrer l’autorisation sollicitée en l’assortissant de prescriptions spéciales.

Il résulte de cet avis que le pétitionnaire a l’obligation de présenter à l’administration un projet conforme aux règles d’urbanisme qui lui sont opposables, l’auteur de la demande pouvant néanmoins faire évoluer sa demande pendant la phase d’instruction en y apportant des modifications qui n’en changent pas la nature (CE 1er décembre 2023, Commune de Gorbio, n° 448905, au recueil Lebon).

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L'actualité normative et consultative

Loi n° 2025-176 du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte


Le passage du cyclone Chido, le 14 décembre 2024 à Mayotte, a fait 39 morts, plus de 4000 blessés, et a détruit 90% de la production maraîchère et fruitière, ainsi que 22 000 habitats de fortune. Les trois-quarts des bâtiments de l’archipel ont été impactés. Le 18 décembre 2024, l’état de calamité naturelle exceptionnelle a été déclaré.

La loi d’urgence pour Mayotte, promulguée le 24 février 2025, met en place des mesures d’urgence de reconstruction et d’accompagnement des personnes afin de rétablir les conditions de vie des habitants.

Pour ce faire, la loi autorise le Gouvernement à transformer par ordonnance l’actuel établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte en un établissement public pour coordonner les travaux de reconstruction de l’archipel.

Dans un souci de rapidité, diverses dérogations temporaires aux règles d’urbanisme et de construction sont prévues. L’État ou un de ses établissements publics peut assurer la reconstruction d’écoles publiques à la place des communes, sur leur demande. L’édification de bâtiments temporaires à des fins d’accueil de services publics est dispensée de toute formalité au titre du code de l’urbanisme et peut déroger à certaines règles du plan local d’urbanisme applicable, sous réserve d’un accord préalable du maire.

La loi prévoit également des mesures destinées à lutter contre la reconstruction de logements indignes.

Afin de favoriser la participation des petites entreprises et artisans mahorais dans la reconstruction de l’archipel, la loi instaure des adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique, en particulier sur les règles de publicité et de concurrence préalable.

Enfin, des mesures spécifiques sont prévues pour faciliter les dons aux associations engagées dans le secours d’urgence aux victimes et pour prolonger les droits et prestations sociales accordés aux habitants de Mayotte.

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Loi n° 2025-188 du 27 février 2025 visant à protéger la population des risques liés aux
substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS)


Pour protéger la population des risques pour la santé publique liés aux PFAS, aussi appelés polluants éternels, la première loi française en la matière a été adoptée.

Celle-ci fixe, d’abord, une interdiction progressive de l’utilisation des PFAS dans plusieurs catégories de produits : les cosmétiques, vêtements, chaussures, produits imperméabilisants et farts de skis à partir de 2026, puis l’ensemble des textiles à partir de 2030. Des exceptions sont prévues, notamment pour les vêtements et chaussures de protection des militaires et des pompiers ou encore pour les textiles techniques à usage industriel.

La loi prévoit également l’établissement d’une trajectoire nationale de réduction des rejets aqueux des PFAS par les industries, de manière à tendre vers la fin de ces rejets d’ici à 2030. Cette trajectoire, ainsi que la liste des produits concernés, devra être précisée par décret.

Elle détermine également les obligations en termes de contrôle de la présence de PFAS dans l’eau potable. Un décret déterminera la liste des PFAS concernés, qui pourra être élargie notamment en fonction des circonstances locales. La loi permet ainsi d’aller au-delà des dispositions de la directive européenne du 16 décembre 2020 sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, qui impose aux Etats membres de contrôler la présence de 20 PFAS dans les eaux potables.

Plusieurs autres dispositions sont également adoptées, en particulier mise à disposition d’une carte des sites émetteurs, établissement d’un plan pour le financement de la dépollution des eaux potables, publication annuelle d’un bilan national de la qualité de l’eau au robinet, à partir de bilans régionaux réalisés par les agences régionales de santé.

Enfin, sur le modèle du dispositif existant pour d’autres types de polluants, une redevance est instaurée pour les ICPE soumises à autorisation dont les activités entraînent des rejets de PFAS dans l’eau. Fixée à 100 euros par 100 grammes de PFAS rejetés dans l’eau, cette redevance alimentera le budget des agences de l’eau.

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Loi n° 2025-237 du 14 mars 2025 visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole


Issue d’une proposition de loi, ce texte vise à améliorer la cohérence de l’action publique de lutte contre le frelon asiatique à pattes jaunes, responsable de 20% de la mortalité des abeilles domestiques et de presque 12 millions d’euros de pertes directes par an pour la filière apicole.

En premier lieu, la loi instaure des plans national et départementaux de lutte contre ce frelon. Le plan national, élaboré conjointement par les ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement en concertation avec les acteurs concernés, devra déterminer des orientations nationales et des indicateurs de suivi, mais aussi classer les départements, en fonction de la pression de prédation et des dégâts causés aux ruchers et aux pollinisateurs sauvages, et décider des financements alloués par l’État et les collectivités à diverses actions d’information, de recherche et de lutte contre le frelon. Il déterminera enfin l’opportunité de classer le frelon asiatique à pattes jaunes parmi les dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l’abeille domestique.

Le plan national sera décliné en plans départementaux élaborés par les préfets, en concertation avec les acteurs locaux dont les représentants des communes et de leurs groupements. Ces plans organiseront, d’une part, l’évaluation du niveau de danger sanitaire et de l’étendue des dégâts causés, d’autre part, les procédures de signalement auprès des communes et de destruction des nids de frelon.

En second lieu, la loi intègre les pertes économiques subies par les exploitants apicoles du fait des frelons asiatiques au régime indemnitaire, adossé au fonds national de gestion des risques en agriculture, prévu par l’article L. 361-3 du code rural et de la pêche maritime.

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L'actualité des réseaux

Commentaire par la DREAL Haut-de-France de deux jugements récents


TA Lille, 12 novembre 2024, SA Leroy Merlin, n° 2103123

Afin de limiter les dégradations des réseaux aériens ou souterrains à l’occasion de travaux, la réforme anti-endommagement (REA) issue de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, entrée en vigueur le 1er juillet 2012, a instauré un cadre législatif et réglementaire précis régissant les interventions à proximité des réseaux. Le jugement rendu par le tribunal administratif de Lille le 12 novembre 2024 dans le cadre d’un recours indemnitaire exercé par la SA Leroy Merlin contre l’État en est une illustration.

Le 22 avril 2016, la SAS Legrand, intervenant en qualité de sous-traitante de la société Colas France pour des travaux de terrassement dans le cadre de la réalisation de quatre bretelles autoroutières de l’échangeur A2 / A23 bretelle Paris-Lille, sous maîtrise d’oeuvre de la DREAL Nord-Pas-de-Calais, a sectionné un câble souterrain haute tension, ce qui a engendré une coupure d’électricité pour un magasin Leroy Merlin. La SA Leroy Merlin demandait ainsi au tribunal de condamner l’État à l’indemniser des préjudices subis, sur le fondement de la responsabilité sans faute des tiers à un dommage de travaux publics.

L’existence d’un préjudice et du lien de causalité avec l’opération de travaux publics dont l’État avait la maîtrise d’œuvre n’étaient pas contestés. Après évaluation des différents postes de préjudice, le tribunal a condamné l’État à indemniser la SA Leroy Merlin France à hauteur d’un montant de 38 213 euros.

L’État a toutefois formé un appel en garantie à l’encontre de la société Enedis, exploitant du réseau endommagé, auquel le tribunal a fait droit après avoir évalué la responsabilité des différents intervenants en application des articles R. 554-1 et suivants du code de l’environnement. Le tribunal rappelle ainsi que cette réglementation fait « peser sur l’exploitant du réseau souterrain une obligation d’information précise sur ses réseaux à destination des entrepreneurs qui l’ont informé de leur intention de commencer des travaux publics. Il appartient toutefois aux entrepreneurs de solliciter avant de commencer leurs travaux, s’ils estiment la réponse à leur déclaration insuffisamment précise, des informations complémentaires pour identifier le réseau et, s’il y a lieu, un repérage effectué avec l’un des agents de l’exploitant du réseau. »

En l’espèce, le tribunal relève que la société Colas France a bien transmis une déclaration d’intention de commencement de travaux (DICT) à Enedis et que celle-ci lui a adressé un récépissé auquel les plans de localisation étaient annexés. En revanche, il estime qu’Enedis a manqué à ses obligations en ne participant pas à la réunion de piquetage à laquelle elle était conviée, et au cours de laquelle elle aurait pu préciser l’implantation exacte du câble souterrain, en soulignant à cet égard que le câble électrique endommagé s’est révélé être à une distance de plus de sept mètres de l’emplacement indiqué par Enedis.

Le tribunal en déduit que « l’État est fondé à soutenir que la société Enedis a commis une faute de nature à engager sa responsabilité et que cette faute est à l’origine exclusive de la section du câble électrique par la SAS Legrand ». Par conséquent, Enedis a été condamnée à garantir l’État à hauteur des sommes versées à la SA Leroy Merlin.


TA Lille, 10 décembre 2024, commune de Bruay-la-Buissière, n° 2109667

Par un arrêté du 29 mars 2021, le préfet du Pas-de-Calais a approuvé le plan de prévention des risques inondation (PPRI) couvrant notamment le territoire de la commune de Bruay-la-Buissière. Par un courrier reçu le 6 octobre 2021, la commune de Bruay-la-Buissière a demandé au préfet d’abroger cet arrêté, puis contesté devant le tribunal le refus implicite qui lui a été opposé.

Par jugement en date du 10 décembre 2024, le tribunal a rejeté sa requête. Pour statuer sur le bien-fondé des prétentions de la commune, il a appliqué le cadre juridique de la légalité d’une demande d’abrogation, résultant de la décision du Conseil d’État « Association des Américains Accidentels » du 19 juillet 2019, n°424216 (au Recueil). Selon cette jurisprudence, lorsqu’il est saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un refus d’abroger un acte réglementaire, le juge doit apprécier la légalité de cet acte au regard des normes juridiques applicables à la date à laquelle il statue et non à celle de l’édiction de l’acte ou du refus d’abrogation. Le juge doit ainsi tenir compte de l’évolution des circonstances de droit ou de fait survenues entre l’adoption de l’acte réglementaire et sa propre décision.

Appliquant cette grille de lecture, le tribunal écarte un par un les moyens développés par la commune à l’encontre du PPRI, qu’il s’agisse des erreurs de droit relatives à une rupture d’égalité ou à l’insuffisante précision des éléments cartographiques, ou des erreurs d’appréciation du risque d’inondation, confirmant ainsi, y compris à la date de sa décision, la légalité de ce document.

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3 questions à … ,

Séverine Larere, Secrétaire Générale de RTE

Pouvez-vous présenter les principaux enjeux que rencontre RTE dans le cadre de la transition énergétique, notamment tels que traduits dans le schéma stratégique de développement du réseau ?

Le 13 février dernier, RTE a présenté les grandes orientations de sa stratégie de transformation de son réseau à l’horizon 2040. Le schéma de développement du réseau (SDDR) constitue une feuille de route industrielle qui vise à préparer une nouvelle ère où l’électricité deviendra la principale source d’énergie dans le mix énergétique français.

Aujourd’hui, le mix énergétique français dépend à 60% des énergies fossiles, notamment du pétrole et du gaz achetés hors de l’Europe. Pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et renforcer notre souveraineté, il est impératif d’électrifier notre mix. Dans ce contexte, les investissements dans le secteur électrique, en particulier dans le réseau, sont essentiels. Le montant estimé des investissements de RTE d’ici 2040 s’élève à près de 100 milliards d’euros, soit un montant moindre que les dépenses de la France en importations de pétrole et de gaz pour la seule année 2022.

À l’issue de deux ans de travaux techniques et de concertation, trois priorités stratégiques émergent dans le SDDR : 1) renouveler notre réseau qui vieillit et l’adapter face au changement climatique (fortes chaleurs et crues) ; 2) raccorder les installations de production et de consommation bas-carbone (nucléaire, renouvelables, nouvelles usines, centres de données, batteries) ; 3) renforcer la structure du réseau pour maintenir sa performance actuelle, tout en accueillant ces nouveaux flux électriques.

En tant que plan-programme, le SDDR est soumis à l’avis de l’État et des autorités compétentes (CRE, Autorité environnementale) et il fera l’objet, au cours de l’année 2025, d’un débat public sous l’égide de la Commission nationale du débat public.

Comment RTE participe-t-il à la décarbonation de l’industrie française ?

Afin de concilier sa stratégie de réindustrialisation avec ses objectifs de transition énergétique, la France doit impérativement décarboner son industrie. Cela passe notamment par l’électrification des processus industriels actuels, qui reposent en grande partie sur l’utilisation d’énergies fossiles et par l’implantation de nouveaux projets industriels recourant d’emblée à l’électricité. Cette évolution va entraîner une croissance significative de la consommation d’électricité et nécessitera des adaptations du réseau électrique.

Dans son plan stratégique de développement du réseau, RTE propose une stratégie volontariste pour le raccordement de l’industrie, qui repose sur une planification renforcée et une évolution du cadre de raccordement.

Cette planification vise à prioriser les investissements de RTE sur les zones du territoire les plus attractives pour les porteurs de projets industriels. Les zones prioritaires correspondent aux grands complexes industrialo-portuaires de Dunkerque, Le Havre et Fos-sur-Mer, qui sont d’importants consommateurs d’énergies fossiles et pour lesquels les besoins en électricité seront conséquents. Au regard de l’urgence et de l’importance de ces besoins, RTE engagera des travaux dans ces zones dès l’obtention des autorisations administratives nécessaires. Pour sept autres zones (Valenciennes, Saint-Avold, le sud de l’Ile-de-France, l’estuaire de la Loire, la Vallée de la Chimie, Plan-de-Campagne et le sud de l’Alsace), la mise en service des infrastructures sera possible d’ici 2030, sous réserve de l’avancée concrète de certains projets industriels.

En ce qui concerne le cadre de raccordement, des évolutions juridiques nous ont déjà permis de proposer des infrastructures de raccordement mutualisées entre plusieurs projets industriels, ce qui permet d’optimiser les coûts. Mais d’autres évolutions seront nécessaires. En particulier, le droit du raccordement devra évoluer pour permettre aux projets les plus matures d’être mis en service plus rapidement (et éviter un phénomène de files d’attente administratives du fait de la règle du « premier arrivé, premier servi » actuellement en vigueur) et garantir que le réseau à très haute tension soit renforcé selon une planification d’ensemble (et non en réaction aux besoins successifs des projets individuels).

Quelle est la stratégie d’adaptation du réseau aux risques environnementaux, notamment consécutifs au changement climatique ?

L’adaptation au changement climatique constitue l’un des trois piliers du schéma de développement du réseau à l’horizon 2040, et répond directement au troisième plan national d’adaptation au changement climatique.

Parallèlement au renouvellement de ses infrastructures vieillissantes (de nombreuses lignes et pylônes datent des années 1920 ou de la période de reconstruction postérieure à la Seconde Guerre mondiale), l’entreprise souhaite profiter de cette occasion pour adapter son réseau aux défis posés par le changement climatique.

Les infrastructures qui seront construites ou renouvelées entre 2025 et 2040 seront, pour certaines, toujours présentes en 2100. Elles devront donc être conçues pour résister à des phénomènes climatiques dans une France à +4°C. L’objectif de RTE est d’assurer la résilience de 80% de ses infrastructures face au changement climatique d’ici 2040, et de porter ce chiffre à 100% d’ici 2060.

Une analyse des infrastructures est actuellement menée pour identifier parmi les plus anciennes celles qui sont les plus vulnérables aux impacts du changement climatique. Le programme de renouvellement et d’adaptation démarrera par ces infrastructures prioritaires. Concrètement, il s’agira par exemple de remplacer des lignes électriques aériennes obsolètes par des lignes plus récentes, capables en outre de résister à des températures plus élevées, ou de surélever certains postes électriques pour les protéger contre les risques de crues. Ainsi, l’ensemble de ces mesures vise à garantir la sécurité d’approvisionnement électrique sur le long terme.

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N°3 du xx juillet 2025 - Angle droit 32

Comité éditorial : Olivier Fuchs, Sophie Malet, Amandine Berruer, Ninon Boulanger, Sadan Camara-Keita, Soizic Dejou, Agnès Deville-Viziteu, Sophie Geay, Stéphanie Grossier, Méhar Iqbal, Nadia Lyazid, Olivier Meslin, Liliane Micot, Sophie Namer, Emma Quarante, Louise Soulard, Isabelle Volette, Pascal Zabal

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