La e-lettre bimestrielle de la Direction des affaires juridiques

N°3 du xx mai 2025 - Angle droit 32

L'actualité jurisprudentielle

ENVIRONNEMENT-CHASSE

CE, 12 mars 2025, Association One Voice et autres, n° 488642, au Recueil

Sécurité lors des actions de chasse – Détermination de la règlementation - Office du juge administratif

Réglementation de sécurité de la chasse : chacun dans sa zone de tir

Depuis l’adoption de la loi du 26 juillet 2000 relative à la chasse, les mesures destinées à assurer la sécurité des actions de chasse se sont enrichies. Le législateur et le pouvoir règlementaire sont ainsi intervenus à plusieurs reprises pour mieux encadrer l’octroi du permis de chasser ainsi que pour renforcer la formation des chasseurs avec notamment une obligation de remise à niveau décennale. La signalisation, le port obligatoire du gilet au cours des actions collectives de chasse, le durcissement des conditions de transport des armes de chasse ainsi que l’intervention de textes instaurant des sanctions spécifiques des comportements à risque ont contribué à mieux encadrer ces actions.

L’association One Voice et deux autres requérants, estimant ces mesures insuffisantes, ont toutefois demandé au Premier ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de prendre toutes les mesures utiles permettant de garantir la sécurité des personnes lors du déroulement d’actions de chasse et, notamment, d’adopter vingt-cinq mesures parmi lesquelles de nombreuses étaient préconisées dans un rapport sénatorial récent. Une décision implicite de rejet de leur demande est née du silence gardé sur cette demande.

Le juge administratif a fait dans cette décision application de la règle dégagée dans sa décision d’Assemblée Amnesty International (11 octobre 2023, n°454836, au Recueil) selon laquelle si « lorsque le juge administratif est saisi d’une requête tendant à l’annulation du refus opposé par l’administration à une demande tendant à ce qu’elle prenne des mesures pour faire cesser la méconnaissance d’une obligation légale lui incombant, il lui appartient (…) d’apprécier si le refus de l’administration de prendre de telles mesures est entaché d’illégalité et, si tel est le cas, d’enjoindre à l’administration de prendre la ou les mesures nécessaires », en revanche et « en toute hypothèse, il ne lui appartient pas, dans le cadre de cet office, de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire ».

Dans l’espèce commentée, le Conseil d’État juge que « en l’absence d’obligation précisément déterminée par le législateur, la demande des requérantes tend en réalité à la détermination d’une politique publique en matière de sécurité de la chasse » et qu’« il n’appartient pas au Conseil d’État, statuant au contentieux de se substituer aux pouvoirs publics pour y procéder ».

Les recours contre les carences structurelles alléguées des administrations, qui ont été multipliés les dernières années, ne sont donc pas sans limite.

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CE, 12 mars 2025, Association One Voice, n° 490351, inédit

Règles d’entrée en vigueur des actes administratifs – Absence d’exception en matière de chasse et de dérogation « Espèces Protégées »

Droit au recours effectif en matière de chasse

Le Conseil d’État juge que le pouvoir règlementaire n’est pas obligé d’instaurer un régime dérogatoire au droit commun de l’entrée en vigueur des actes administratifs en matière de chasse ou de dérogation espèces protégées en l’absence de disposition législative le prévoyant.

L’association One Voice a demandé au Premier ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires d’adopter toutes mesures utiles permettant de garantir le droit à un recours effectif contre les actes pris en matière de chasse et de « dérogation espèces protégées ». La requérante souhaitait que soit imposé aux administrations de l’État un délai minimal de quatorze jours entre la date de publication ou de notification des décisions administratives et celle de leur prise d’effet. Étaient en cause les actes administratifs pris en application du titre II du livre IV du code de l’environnement (Chasse), notamment les battues administratives ordonnées sur le fondement de l’article L. 427-6, mais également les dérogations délivrées sur le fondement de l’article L. 411-2 du code de l’environnement régissant les tirs de défense contre le loup autorisés par les préfets. L’association a saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation du rejet implicite de sa demande.

Le Conseil d’État rejette la requête en considérant que « s’il est loisible au pouvoir règlementaire de prévoir qu’un acte administratif en matière de chasse n’entre en vigueur qu’au terme d’un certain délai courant à compter de sa publication, l’absence d’un tel délai entre la publication et l’entrée en vigueur d’un acte administratif ne prive pas les personnes intéressées de la possibilité d’exercer utilement les voies de recours, notamment en référé, qui leur sont ouvertes à l’encontre d’un tel acte ». Il juge, par conséquent, que le refus d’instaurer un différé d’entrée en vigueur des autorisations de chasse ne méconnait pas le droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ni les stipulations de l’article 9 de la convention d’Aarhus.

La solution n’est pas novatrice (voir notamment CE, 2 juin 2023, One Voice, n° 460895 et CE, 31 décembre 2024, ADMA, n° 470134). Elle permet de rappeler que le droit commun prévoit l’entrée en vigueur immédiate des actes administratifs et que, s’il est possible au pouvoir réglementaire de décider d’un régime plus favorable (ce qui est le cas par exemple s’agissant des arrêtés préfectoraux annuels relatifs aux dates d’ouverture de la chasse à tir ainsi que des arrêtés fixant le nombre d’animaux à prélever pour les espèces soumises à plan de chasse), cela demeure une simple possibilité.

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FONCTION PUBLIQUE

CE, 21 mars 2025, Académie de Créteil, n° 470052, aux Tables

Droit de retrait – Avis du médecin du travail – Adaptation du poste de travail – Agent en situation de handicap

Pas de droit de retrait au seul motif que l’administration n’a pas mis en œuvre toutes les préconisations du médecin du travail

L’administration a, en application des articles L. 131-8 et L. 352-6 du code général de la fonction publique (CGFP), l’obligation d’adapter le poste de travail des agents souffrant de handicap sous réserve que les charges consécutives à la mise en œuvre de ces mesures d’adaptation ne soient pas disproportionnées au regard des moyens de l’employeur public intégrant les aides dont il pourrait bénéficier.

Ces adaptations interviennent le plus souvent à la suite des préconisations émises par le médecin du travail, conformément à l’article 15 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à la sécurité au travail et à la prévention médicale dans la fonction publique.

Après avoir rappelé que le droit de retrait, prévu par l’article 5-6 du décret du 28 mai 1982, suppose que l’agent ait un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, le Conseil d’État juge que le seul fait que l’employeur n’ait mis en œuvre qu’une partie des préconisations du médecin du travail ne constitue pas, en soi, un tel motif.

En effet, les conditions d’exercice du droit de retrait sont strictes et impliquent traditionnellement que le danger dont l’agent entend se prévaloir soit susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché, et qu’il présente un fort degré de certitude (ex : CE, 18 juin 2014, n° 369531 aux Tables).

L’agent qui entend se prévaloir du caractère partiel de cette prise en compte pour faire valoir son droit de retrait doit donc établir que cette prise en compte partielle fait naître, pour sa santé, un danger grave et imminent sauf à s’exposer, s’il persiste dans son retrait, à une procédure disciplinaire, voire à un licenciement pour abandon de poste.

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Texte à venir

CC, 15 novembre 2024, Syndicat d’aménagement de la vallée de l’Indre, n° 2024-1111 QPC

Droit de se taire - Référé pénal environnemental

Droit de se taire et référé pénal environnemental

Les dispositions de l’article L. 216-13 du code de l’environnement relatives au référé pénal environnemental ne méconnaissent pas le droit de se taire garanti par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, sous réserve que cette personne ne soit pas suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est entendue.

L’article L. 216-13 du code de l’environnement prévoit une procédure de référé pénal environnemental par laquelle le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur de la République, peut ordonner toute mesure utile en cas de non-respect de certaines prescriptions du code de l’environnement, après audition de la personne intéressée. Ces mesures peuvent inclure « la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale ».

Le requérant reprochait à cette disposition de ne pas prévoir d’information à la personne concernée de son droit à garder le silence, contrairement aux exigences de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 relatif à la présomption d’innocence, dont découle le droit de se taire.

Le Conseil constitutionnel, sur renvoi de la Cour de cassation, a relevé que les mesures pouvant être ordonnées par le juge avaient pour seul objet de mettre un terme ou de limiter une atteinte à l’environnement à titre temporaire, et que ces mesures n’étaient pas subordonnées à l’existence d’une infraction pénale commise par la personne concernée. Dès lors, la convocation à l’audition prévue par l’article L. 216-13 n’impliquait pas que cette personne se voie notifier son droit de se taire, quand bien même ces faits pourraient lui être ultérieurement reprochés.

Le Conseil constitutionnel a donc déclaré l’article L. 216-13 du code de l’environnement conforme à la Constitution, sous réserve que la personne concernée soit informée de son droit de se taire avant l’audition par le juge des libertés et de la détention « lorsqu’il apparaît qu’elle est déjà suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est entendue, dès lors que ses déclarations sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement ».

Cette décision démontre une approche pragmatique de la nécessité de garantir le droit de se taire, dont on peut voir l’écho dans des décisions rendues en décembre dernier par le Conseil d’État. Rendez-vous dans le prochain numéro d’Angle droit pour en savoir plus.

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CE, 6 novembre 2024, Association Bloom, n° 468106, Inédit

Espaces naturels – Aires protégées – Protection forte

Légalité du décret du 12 avril 2022 définissant la notion de protection forte et les modalités de la mise en œuvre de cette protection

La stratégie nationale pour les aires protégées 2030 fixe l’objectif de protéger 30% du territoire national en aires protégées dont un tiers (10%) sous protection forte à l’horizon 2030. Ces deux cibles sont fixées à l’échelle du territoire national, c’est-à-dire, pour les espaces maritimes et terrestres en métropole et en outre-mer.

Ces objectifs sont inscrits à l’article L. 110-4 du code de l’environnement, créé par l’article 227 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

En application de ces dispositions, le décret n° 2022-527 du 12 avril 2022 précise la définition et les modalités de mise en œuvre de la protection forte. La reconnaissance de la protection forte n’engendre pas de nouvelle règlementation ni de nouvelles contraintes mais reconnaît l’exemplarité de la gestion d’une zone identifiée pour protéger les enjeux écologiques et les services écosystémiques associés. Les articles 2 et 3 du décret identifient ainsi les catégories d’espaces terrestres et maritimes qui, pour certains, constituent toujours des zones de protection forte et, pour d’autres, peuvent se voir reconnaitre cette qualité à l’occasion d’un examen au cas par cas au moyen d’une procédure régionalisée et sur décision des ministres compétents.

Saisi par l’association Bloom d’un recours contre ce décret, le Conseil d’État juge que les dispositions de l’article L. 110-4 du code de l’environnement « n’ont ni pour objet ni pour effet d’instituer un nouveau régime de protection pour les aires concernées, qui viendrait compléter les régimes de protections existants, issus notamment du code de l’environnement, du code forestier et du code de l’urbanisme » et que « les critères qui permettent d’apprécier si un espace terrestre ou maritime peut, au terme d’une analyse au cas par cas, être regardé comme bénéficiant d’une protection forte n’apparaissent ni obscurs, ni insuffisants ou en contradiction avec les définitions de la protection forte ».

Dans ses conclusions, le rapporteur public a notamment souligné que « l’article législatif ne fournit aucune précision sur la notion de protection forte » et que « dans cette mesure et s’agissant de surcroit d’un critère destiné uniquement à servir d’indicateur d’un objectif de l’action de l’État, le pouvoir réglementaire nous paraît disposer d’une marge d’appréciation très étendue ».

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CE, 6 novembre 2024, Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, n° 474191, inédit

Eau - Droit fondé en titre - Moulin – État de ruine

Un moulin ruiné fait la richesse du cours d’eau

Depuis la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, il n’est plus possible d’utiliser la force motrice d’un cours d’eau qui traverse sa propriété sans y être autorisé par l’administration. Cependant, un certain nombre de propriétés bénéficient encore, sur le fondement des articles L. 511-4 et L. 511-5 du code de l’énergie, du droit d’utiliser la force motrice de l’eau, s’appuyant sur des titres acquis sous l’Ancien Régime (droits fondés en titre) ou sur le fondement des législations antérieure à la loi de 1919 mais postérieure à la Révolution de 1789 (droits fondés sur titre).

Les propriétaires de ces ouvrages sont notamment soustraits à l’obligation de demander une autorisation environnementale lorsqu’ils entendent les remettre en fonctionnement. Ces ouvrages restent néanmoins assujettis à la police des IOTA en application du VI de l’article L. 214-6 du code de l’environnement et sont, en tout état de cause, soumis à un contrôle administratif préalable en application de l’article R. 214-18-1 du même code.

Le développement de la « petite hydroélectricité », encouragé par le législateur (article L. 211-1 du code de l’environnement), a fait naître un contentieux récurrent portant sur la disparition des droits fondés en titre résultant de l’état de ruine des ouvrages. Cette situation n’est pas sans conséquence dès lors que ces derniers constituent très souvent un obstacle à la continuité écologique des cours d’eau, cause principale de la dégradation des milieux et de l’état de conservation de certaines espèces dont certains poissons migrateurs.

À ce titre, le Conseil d’État juge de façon constante que « l’état de ruine, qui conduit (…) à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte qu’elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète » (CE 24 avr. 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire c. Commune de Berdoues, n° 420764, aux Tables).

Le rapporteur public dans ses conclusions sous cette affaire exposait que « il s’agit d’une hypothèse assez extrême où l’exploitation de la force motrice est devenue impossible, même en faisant des travaux de rénovation, parce que les ouvrages de l’ancien moulin n’existent plus ou parce que les lieux ont été transformés de telle façon qu’on ne peut plus utiliser l’eau pour faire tourner une turbine ».

Les juges du fond ne reconnaissaient toutefois que rarement l’existence d’un état de ruine, si bien qu’il devenait nécessaire d’obtenir un éclaircissement sur les cas où cette réserve émise par le Conseil d’État pouvait s’appliquer.

La présente affaire a ainsi permis au Conseil d’État de préciser sa jurisprudence en faisant droit au pourvoi du ministre en considérant qu’en l’espèce « il n’existe plus aucune trace du seuil de prise d’eau de l’ouvrage sur l’Indre, seuls subsistant les départs empierrés latéraux au droit de chacune des deux rives, et que le bief d’amenée, même s’il demeure tracé depuis la rivière jusqu’au moulin, est partiellement comblé et totalement végétalisé ». Dans ces circonstances, les éléments essentiels de l’ouvrage ne subsistaient plus qu’à l’état de vestige et l’état de ruine était donc acquis.

Cette décision conforte le travail au long cours des services destiné à renforcer l’effectivité de la continuité écologique des cours d’eau.

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Environnement : emballages

CE, 6 novembre 2024, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 466929, inédit

Environnement – Risques – Etiquetage – Loi AGEC

Interdiction de l’étiquetage non compostable des fruits et légumes : après un examen de constitutionnalité réussi, sursis sur l’examen de sa conventionnalité

La question de savoir si les étiquettes directement apposées sur les fruits et légumes constituent, en toute hypothèse, des emballages au sens et pour l’application de la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d’emballage, soulève une difficulté sérieuse justifiant sa transmission à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

L’article 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (« loi AGEC ») interdit la mise en vente sur le territoire français de fruits ou légumes sur lesquels sont apposées des étiquettes autres que des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées.

L’association interprofessionnelle agricole « Interfel » a saisi le Conseil d’État d’un recours dirigé contre le refus du premier ministre d’abroger le III de l’article 1er du décret n° 2020-1724 du 28 décembre 2020, qui institue à l’article R. 543-73 du code de l’environnement une contravention en cas de manquement à l’interdiction prévue par l’article 80 de la loi AGEC.

Alors qu’elle invoquait des griefs tenant à l’inconstitutionnalité de cette disposition, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré l’article 80 de la loi AGEC conforme à la Constitution (CC, 16 juin 2023, n° 2023-1055 QPC commentée dans le numéro d’Angle droit du 15 septembre 2023).

Le Conseil d’État a également été saisi de moyens tirés de la contrariété de cette disposition avec le droit de l’Union européenne, l’association requérante invoquant notamment la méconnaissance des objectifs de la directive 94/62/CE dite « emballages », dans la mesure où, selon elle, les étiquettes apposées sur les fruits et légumes constitueraient des emballages et entreraient, de ce fait, dans le champ d’application de la directive.

Se référant à l’article 3 de la directive, le Conseil d’État a, sur ce point, indiqué « qu’il pourrait être considéré » que les étiquettes apposées directement sur les fruits et légumes ne constituent pas des emballages dès lors qu’ « elles ne répondent pas parfaitement à la définition donnée par cet article, ni aux trois critères qui la complètent [pour définir les emballages] ».

Le Conseil relève cependant une difficulté sérieuse, liée au fait que « l’annexe I de la directive qualifie explicitement d’emballage (…) les étiquettes accrochées directement ou fixées à un produit ».

En conséquence, estimant qu’elle était déterminante pour trancher la solution du litige, le Conseil d’État a décidé de poser une question préjudicielle à la CJUE, en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il lui demande si « les étiquettes directement apposées sur les fruits et légumes constituent (…), en toute hypothèse, des emballages au sens de l’article 3 de la directive 94/62 du Parlement européen et du Conseil relative aux emballages et déchets et de l’annexe I à cette directive ».

Un nouveau règlement relatif aux emballages et aux déchets d’emballages modifiant le règlement (UE) 2019/1020 et la directive (UE) 2019/904, et abrogeant la directive 94/62/CE a formellement été adopté le 16 décembre 2024. Dans sa décision, le Conseil d’État a toutefois souligné que la question faisant l’objet du renvoi préjudiciel conserverait son intérêt après l’adoption de ce règlement, dans la mesure où celui-ci reprend en substance la définition de l’emballage de la directive 94/62 et de ses annexes.

L’examen de la conventionnalité des dispositions de l’article 80 de la loi AGEC est ainsi suspendu dans l’attente de la décision de la CJUE portant sur cette question.

L'actualité normative et consultative

Loi n° 2025-176 du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte


Le passage du cyclone Chido, le 14 décembre 2024 à Mayotte, a fait 39 morts, plus de 4000 blessés, et a détruit 90% de la production maraîchère et fruitière, ainsi que 22 000 habitats de fortune. Les trois-quarts des bâtiments de l’archipel ont été impactés. Le 18 décembre 2024, l’état de calamité naturelle exceptionnelle a été déclaré.

La loi d’urgence pour Mayotte, promulguée le 24 février 2025, met en place des mesures d’urgence de reconstruction et d’accompagnement des personnes afin de rétablir les conditions de vie des habitants.

Pour ce faire, la loi autorise le Gouvernement à transformer par ordonnance l’actuel établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte en un établissement public pour coordonner les travaux de reconstruction de l’archipel.

Dans un souci de rapidité, diverses dérogations temporaires aux règles d’urbanisme et de construction sont prévues. L’État ou un de ses établissements publics peut assurer la reconstruction d’écoles publiques à la place des communes, sur leur demande. L’édification de bâtiments temporaires à des fins d’accueil de services publics est dispensée de toute formalité au titre du code de l’urbanisme et peut déroger à certaines règles du plan local d’urbanisme applicable, sous réserve d’un accord préalable du maire.

La loi prévoit également des mesures destinées à lutter contre la reconstruction de logements indignes.

Afin de favoriser la participation des petites entreprises et artisans mahorais dans la reconstruction de l’archipel, la loi instaure des adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique, en particulier sur les règles de publicité et de concurrence préalable.

Enfin, des mesures spécifiques sont prévues pour faciliter les dons aux associations engagées dans le secours d’urgence aux victimes et pour prolonger les droits et prestations sociales accordés aux habitants de Mayotte.

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Loi n° 2025-237 du 14 mars 2025 visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole


Issue d’une proposition de loi, ce texte vise à améliorer la cohérence de l’action publique de lutte contre le frelon asiatique à pattes jaunes, responsable de 20% de la mortalité des abeilles domestiques et de presque 12 millions d’euros de pertes directes par an pour la filière apicole.

En premier lieu, la loi instaure des plans national et départementaux de lutte contre ce frelon. Le plan national, élaboré conjointement par les ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement en concertation avec les acteurs concernés, devra déterminer des orientations nationales et des indicateurs de suivi, mais aussi classer les départements, en fonction de la pression de prédation et des dégâts causés aux ruchers et aux pollinisateurs sauvages, et décider des financements alloués par l’État et les collectivités à diverses actions d’information, de recherche et de lutte contre le frelon. Il déterminera enfin l’opportunité de classer le frelon asiatique à pattes jaunes parmi les dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l’abeille domestique.

Le plan national sera décliné en plans départementaux élaborés par les préfets, en concertation avec les acteurs locaux dont les représentants des communes et de leurs groupements. Ces plans organiseront, d’une part, l’évaluation du niveau de danger sanitaire et de l’étendue des dégâts causés, d’autre part, les procédures de signalement auprès des communes et de destruction des nids de frelon.

En second lieu, la loi intègre les pertes économiques subies par les exploitants apicoles du fait des frelons asiatiques au régime indemnitaire, adossé au fonds national de gestion des risques en agriculture, prévu par l’article L. 361-3 du code rural et de la pêche maritime.

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3 questions à … ,

Séverine Larere, Secrétaire Générale de RTE

Pouvez-vous présenter les principaux enjeux que rencontre RTE dans le cadre de la transition énergétique, notamment tels que traduits dans le schéma stratégique de développement du réseau ?

Le 13 février dernier, RTE a présenté les grandes orientations de sa stratégie de transformation de son réseau à l’horizon 2040. Le schéma de développement du réseau (SDDR) constitue une feuille de route industrielle qui vise à préparer une nouvelle ère où l’électricité deviendra la principale source d’énergie dans le mix énergétique français.

Aujourd’hui, le mix énergétique français dépend à 60% des énergies fossiles, notamment du pétrole et du gaz achetés hors de l’Europe. Pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et renforcer notre souveraineté, il est impératif d’électrifier notre mix. Dans ce contexte, les investissements dans le secteur électrique, en particulier dans le réseau, sont essentiels. Le montant estimé des investissements de RTE d’ici 2040 s’élève à près de 100 milliards d’euros, soit un montant moindre que les dépenses de la France en importations de pétrole et de gaz pour la seule année 2022.

À l’issue de deux ans de travaux techniques et de concertation, trois priorités stratégiques émergent dans le SDDR : 1) renouveler notre réseau qui vieillit et l’adapter face au changement climatique (fortes chaleurs et crues) ; 2) raccorder les installations de production et de consommation bas-carbone (nucléaire, renouvelables, nouvelles usines, centres de données, batteries) ; 3) renforcer la structure du réseau pour maintenir sa performance actuelle, tout en accueillant ces nouveaux flux électriques.

En tant que plan-programme, le SDDR est soumis à l’avis de l’État et des autorités compétentes (CRE, Autorité environnementale) et il fera l’objet, au cours de l’année 2025, d’un débat public sous l’égide de la Commission nationale du débat public.

Comment RTE participe-t-il à la décarbonation de l’industrie française ?

Afin de concilier sa stratégie de réindustrialisation avec ses objectifs de transition énergétique, la France doit impérativement décarboner son industrie. Cela passe notamment par l’électrification des processus industriels actuels, qui reposent en grande partie sur l’utilisation d’énergies fossiles et par l’implantation de nouveaux projets industriels recourant d’emblée à l’électricité. Cette évolution va entraîner une croissance significative de la consommation d’électricité et nécessitera des adaptations du réseau électrique.

Dans son plan stratégique de développement du réseau, RTE propose une stratégie volontariste pour le raccordement de l’industrie, qui repose sur une planification renforcée et une évolution du cadre de raccordement.

Cette planification vise à prioriser les investissements de RTE sur les zones du territoire les plus attractives pour les porteurs de projets industriels. Les zones prioritaires correspondent aux grands complexes industrialo-portuaires de Dunkerque, Le Havre et Fos-sur-Mer, qui sont d’importants consommateurs d’énergies fossiles et pour lesquels les besoins en électricité seront conséquents. Au regard de l’urgence et de l’importance de ces besoins, RTE engagera des travaux dans ces zones dès l’obtention des autorisations administratives nécessaires. Pour sept autres zones (Valenciennes, Saint-Avold, le sud de l’Ile-de-France, l’estuaire de la Loire, la Vallée de la Chimie, Plan-de-Campagne et le sud de l’Alsace), la mise en service des infrastructures sera possible d’ici 2030, sous réserve de l’avancée concrète de certains projets industriels.

En ce qui concerne le cadre de raccordement, des évolutions juridiques nous ont déjà permis de proposer des infrastructures de raccordement mutualisées entre plusieurs projets industriels, ce qui permet d’optimiser les coûts. Mais d’autres évolutions seront nécessaires. En particulier, le droit du raccordement devra évoluer pour permettre aux projets les plus matures d’être mis en service plus rapidement (et éviter un phénomène de files d’attente administratives du fait de la règle du « premier arrivé, premier servi » actuellement en vigueur) et garantir que le réseau à très haute tension soit renforcé selon une planification d’ensemble (et non en réaction aux besoins successifs des projets individuels).

Quelle est la stratégie d’adaptation du réseau aux risques environnementaux, notamment consécutifs au changement climatique ?

L’adaptation au changement climatique constitue l’un des trois piliers du schéma de développement du réseau à l’horizon 2040, et répond directement au troisième plan national d’adaptation au changement climatique.

Parallèlement au renouvellement de ses infrastructures vieillissantes (de nombreuses lignes et pylônes datent des années 1920 ou de la période de reconstruction postérieure à la Seconde Guerre mondiale), l’entreprise souhaite profiter de cette occasion pour adapter son réseau aux défis posés par le changement climatique.

Les infrastructures qui seront construites ou renouvelées entre 2025 et 2040 seront, pour certaines, toujours présentes en 2100. Elles devront donc être conçues pour résister à des phénomènes climatiques dans une France à +4°C. L’objectif de RTE est d’assurer la résilience de 80% de ses infrastructures face au changement climatique d’ici 2040, et de porter ce chiffre à 100% d’ici 2060.

Une analyse des infrastructures est actuellement menée pour identifier parmi les plus anciennes celles qui sont les plus vulnérables aux impacts du changement climatique. Le programme de renouvellement et d’adaptation démarrera par ces infrastructures prioritaires. Concrètement, il s’agira par exemple de remplacer des lignes électriques aériennes obsolètes par des lignes plus récentes, capables en outre de résister à des températures plus élevées, ou de surélever certains postes électriques pour les protéger contre les risques de crues. Ainsi, l’ensemble de ces mesures vise à garantir la sécurité d’approvisionnement électrique sur le long terme.
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N°3 du xx mai 2025 - Angle droit 32

Comité éditorial : Olivier Fuchs, Umberto Berkani, Amandine Berruer, Ninon Boulanger, Sadan Camara-Keita, Soizic Dejou, Sophie Geay, Stéphanie Grossier, Méhar Iqbal, Sabrina Lalaoui, Nadia Lyazid, Olivier Meslin, Liliane Micot, Sophie Namer, Emma Quarante, Louise Soulard, Licia Villotta, Isabelle Volette, Pascal Zabal

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