La e-lettre bimestrielle de la Direction des affaires juridiques

N°1 du 27 janvier 2025 - Angle droit 30

Edito

par Olivier Fuchs



L’année 2024 a incontestablement été riche concernant l’actualité juridique du pôle ministériel. Ce nouveau numéro d’Angle droit atteste de l’importance des enjeux et de la diversité des leviers qui permettent la mise en œuvre de ces politiques publiques.

Il y est question, notamment, de décarbonation de nos modes de vie, avec des articles sur les objectifs de développement des énergies renouvelables, la mise en œuvre de la loi relative aux services express régionaux métropolitains ou le déploiement des bornes de recharge électriques dans les immeubles collectifs. Il y est question, encore, de protection de la biodiversité, dont traitent plusieurs articles qui se concentrent sur la définition des aires de protection forte ainsi que sur des moulins ruinés et des éoliennes autorisées au regard de leurs incidences sur les continuités écologiques. Enfin, il y est question d’obstacles dans la lutte contre la pollution plastique, d’urbanisme et de location de meublés touristiques, de droit de se taire et de fonction publique ou encore de domaine public comme de réceptions des véhicules.

Cette variété a fait la richesse d’Angle droit en 2024 et elle continuera de singulariser cette publication en 2025.

Certes, les auspices sous lesquels s’ouvre cette année sont contrastés pour le droit du développement durable. 2025 sera pourtant une nouvelle année où avanceront des sujets primordiaux : mettre en œuvre le règlement sur la restauration de la nature ou le plan national d’adaptation au changement climatique, continuer à avancer sur la voie d’une moindre dépendance aux énergies fossiles, lutter contre les pollutions quotidiennes - de l’air, de l’eau, contre la pollution plastique aussi -, décarboner encore, dans tous les secteurs d’activité, poursuivre le développement des mobilités propres, assurer une artificialisation des sols maîtrisée, travailler à la reconstruction des territoires touchés par les catastrophes naturelles, œuvrer à la gestion durable des mers et des océans et d’autres sujets encore.

Angle droit, dans ce contexte, poursuivra sa mission d’explication et, aussi, son travail de conviction quant à l’importance de ces enjeux car comme l’écrit Abel Quentin dans son roman Cabane, qui raconte une épopée des rédacteurs du rapport du club de Rome en 1972, la Terre n’est pas « un magasin dans lequel on peut puiser éternellement, et qui serait réapprovisionné à l’infini », c’est une « planète ronde comme une boule à facettes, d’une superficie qu’on ne pourra jamais augmenter ».

Expliquer et œuvrer à convaincre, voilà un bel objectif pour Angle droit dans l’année à venir !

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Zoom sur …

La décision Société Eolise et Association Energies renouvelables pour tous (CE, 6 novembre 2024, nos 471039, 475298, au Recueil)

Ces deux affaires, jointes par le Conseil d’État, constituent, ainsi que l’indiquait le rapporteur public dans ses conclusions, un nouvel « avatar » des contentieux « climatiques », relatif cette fois au respect des objectifs de l’État en matière de développement des énergies renouvelables. Contrairement au contentieux Commune de Grande Synthe, dans cette décision, le Conseil d’État n’opère pas de contrôle de la trajectoire des objectifs de l’État en matière de développement des énergies renouvelables, en l’absence de trajectoire contraignante fixée par le droit européen et national que l’État serait tenu de suivre jusqu’en 2030.

Dans ces affaires, les requérantes demandaient, d’une part, à ce que l’État prenne toutes mesures utiles permettant à la France d’atteindre ses objectifs en matière de développement des énergies renouvelables, notamment en matière de développement de l’éolien terrestre et, d’autre part, à ce que l’État prenne toutes mesures utiles permettant à la France d’assurer la compatibilité de la trajectoire du développement des énergies renouvelables sur le territoire national, afin d’atteindre l’objectif de 40 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie en 2030 et l’objectif de 42,5 % dans la consommation énergétique.

L’office du juge de l’excès de pouvoir en matière d’injonction, redéfini par les décisions du 11 octobre 2023 Amnesty International France (n° 454836) et Ligue des droits de l’homme (n° 467771), implique que s’il appartient au juge, saisi d’une demande tendant à ce que l’administration prenne des mesures pour faire cesser la méconnaissance d’une obligation légale qui lui incombe, d’enjoindre à l’administration de prendre la ou les mesures nécessaires, il ne lui appartient en revanche pas de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire.

Or, pour constater la méconnaissance d’une obligation légale incombant à l’administration, le juge apprécie si, au regard de la portée de cette obligation, l’administration a pris toutes les mesures utiles afin d’assurer le respect de la règle de droit qui lui est applicable. À défaut, le juge enjoint à l’administration de prendre des mesures supplémentaires. Dans l’hypothèse seule où l’édiction d’une mesure déterminée se révèle indispensable pour faire cesser l’illégalité, il appartient au juge d’ordonner à l’administration de prendre cette mesure.

Ainsi, dans les affaires Société Eolise et Association Energies renouvelables pour tous, le Conseil d’État devait en premier lieu identifier les obligations qui incombent à l’État en matière d’objectifs de développement des énergies renouvelables avant d’apprécier si celui-ci a effectivement mis en place les mesures nécessaires au respect de ces obligations. Il s’agissait, en l’espèce, de déterminer la portée des dispositions du 4° de l’article L. 100-4 du code de l’énergie, qui fixent les objectifs nationaux en matière de développement des énergies renouvelables, objectifs issus de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.

Le Conseil d’État juge que les dispositions du 4°, qui se bornent à fixer des objectifs futurs à l’action de l’État dans le domaine des énergies renouvelables, relèvent de la catégorie des disposition programmatiques et sont dépourvues de portée normative.

S’agissant ensuite du respect des objectifs fixés au niveau européen, le Conseil d’État indique, d’une part, que le délai de transposition de la directive européenne 2023/2413, dite « directive RED III », qui porte à 42,5 % l’objectif de part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique globale de l’Union européenne d’ici 2030, n’étant pas expiré, les décisions attaquées ne peuvent être regardées comme méconnaissant les objectifs de cette directive.

D’autre part, le Conseil d’État rappelle que l’objectif contraignant fixé par la directive européenne 2018/2001, dite « directive RED II », qui impose aux États membres de veiller collectivement à ce que la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables représente au moins 32% dans la consommation finale brute d’énergie de l’Union en 2030, est un objectif global et qu’il est décliné en objectifs nationaux assignés à compter de 2020 à chaque État membre. Pour la France, l’objectif national est fixé par la directive à 23%.

S’il constate que la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute s’élevait, en France, à 22,2 % en 2023, le Conseil d’État note que, compte tenu des éléments versés au dossier par l’Etat, la dynamique constatée, au regard notamment du raccordement de 2,1 gigawatts supplémentaires de ces énergies au cours du 1er semestre 2024 et des trois parcs éoliens en mer totalisant 1,5 GW mis en service à l’été 2024, devrait permettre d’atteindre l’objectif de 23% en 2024.

S’agissant, enfin, des objectifs fixés, au niveau national, par décret du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie de la période 2019-2028, pris en application de l’article L. 141-1 du code de l’énergie, le Conseil d’État juge qu’il ne résulte d’aucune disposition législative ou réglementaire que ces objectifs, qui ne traduisent que des options hautes et basses, seraient contraignants à l’égard de l’État.

Par conséquent, le Conseil d’État constate, compte tenu de ces éléments, que le refus opposé par les ministres concernés à ce que les mesures demandées soient prises ne sont pas entachés d’illégalité.

Le Conseil d’État constate toutefois que l’une des mesures en cause se justifiait, car les dispositions réglementaires prévues par l’article L. 515-45 du code de l’environnement n’ont pas été prises dans un délai raisonnable.

Dès lors, le Conseil d’État conclut au rejet de l’ensemble des conclusions présentées par les requérantes tendant à l’annulation des décisions de refus qu’elles contestent, à l’exception seule de celles portant sur l’annulation du refus relatif à l’édiction de dispositions réglementaires prévues par l’article L. 515-45 du code de l’environnement.

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L'actualité jurisprudentielle

Domanialité publique

CE, 29 novembre 2024, Ministère de la transition écologique et Société SNCF Réseau c/ Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT), nos 489545, 489568, aux Tables

Domaine public ferroviaire – Protection – Engagement de la procédure de contravention de grande voirie à l’encontre du propriétaire ou de l’attributaire – Absence de fondement pour dresser une contravention de grande voirie

Domaine public ferroviaire et contravention de grande voirie

La procédure de contravention de grande voirie (CGV) prévue à l’article L. 2232-1 du code des transports ne peut être engagée à l’encontre du propriétaire ou attributaire du domaine public ferroviaire.

Sur une ligne ferroviaire sur laquelle la circulation des trains avait été suspendue pour une durée indéterminée, SNCF Réseau a réalisé des travaux de gestion consistant à remplacer des rails et le platelage de certains passages à niveau par un enrobé de bitume. Constatant ces travaux, la fédération nationale des associations d’usagers des transports a sollicité le préfet de l’Ain et SNCF Réseau pour que soit dressé un procès-verbal de CGV à l’encontre des auteurs de ces prétendues détériorations du réseau ferroviaire pouvant porter atteinte à l’intégrité du domaine public ferroviaire.

Par un jugement du 26 octobre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions de refus de SNCF Réseau et du préfet de l’Ain.

Considérant, cependant, que les travaux en cause constituent « des dépôts d’objets sur le domaine public qui peuvent, dès lors qu’ils n’ont pas été entrepris pour assurer le maintien de la dépendance conformément à son affectation et que, même réversibles, ils forment un obstacle à la circulation des trains, être poursuivis […] par une contravention de grande voirie, et ce alors même qu’ils ont été commis par le propriétaire et gestionnaire du domaine public ferroviaire », la cour administrative d’appel de Lyon a, par un arrêt du 21 septembre 2023, réformé ce jugement et enjoint au préfet de procéder aux poursuites.

Saisi par l’État et la société SNCF Réseau, le Conseil d’État a toutefois, par sa décision du 29 novembre 2024, annulé cet arrêt et jugé que « si l’État et SNCF Réseau sont tenus, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l’utilisation normale du domaine public ferroviaire et d’exercer à cet effet, dans la limite des autres intérêts généraux dont ils ont la charge, les pouvoirs qu’ils tiennent de la législation en vigueur, y compris celui de saisir le juge des contraventions de grande voirie, pour réprimer les atteintes à son intégrité et à sa conservation, la procédure de contravention de grande voirie réprimant, dans les conditions prévues à l’article L. 2232-1 du code des transports, la méconnaissance des articles L. 2231-1 à L. 2231-9 du même code, n’est pas susceptible d’être engagée à l’encontre de SNCF Réseau pris en sa qualité de propriétaire, ou désormais d’attributaire, et de gestionnaire de ce réseau par détermination de la loi, à raison des actions qu’il conduit ou qui sont conduites pour son compte sur le domaine public ferroviaire ».

Pour autant et ainsi que le Conseil d’État le précise, cette impossibilité ne soustrait pas SNCF Réseau à tout régime de responsabilité en sa qualité de propriétaire ou gestionnaire du domaine public ferroviaire.

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Environnement

CC, 15 novembre 2024, Syndicat d’aménagement de la vallée de l’Indre, n° 2024-1111 QPC

Droit de se taire - Référé pénal environnemental

Droit de se taire et référé pénal environnemental

Les dispositions de l’article L. 216-13 du code de l’environnement relatives au référé pénal environnemental ne méconnaissent pas le droit de se taire garanti par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, sous réserve que cette personne ne soit pas suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est entendue.

L’article L. 216-13 du code de l’environnement prévoit une procédure de référé pénal environnemental par laquelle le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur de la République, peut ordonner toute mesure utile en cas de non-respect de certaines prescriptions du code de l’environnement, après audition de la personne intéressée. Ces mesures peuvent inclure « la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale ».

Le requérant reprochait à cette disposition de ne pas prévoir d’information à la personne concernée de son droit à garder le silence, contrairement aux exigences de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 relatif à la présomption d’innocence, dont découle le droit de se taire.

Le Conseil constitutionnel, sur renvoi de la Cour de cassation, a relevé que les mesures pouvant être ordonnées par le juge avaient pour seul objet de mettre un terme ou de limiter une atteinte à l’environnement à titre temporaire, et que ces mesures n’étaient pas subordonnées à l’existence d’une infraction pénale commise par la personne concernée. Dès lors, la convocation à l’audition prévue par l’article L. 216-13 n’impliquait pas que cette personne se voie notifier son droit de se taire, quand bien même ces faits pourraient lui être ultérieurement reprochés.

Le Conseil constitutionnel a donc déclaré l’article L. 216-13 du code de l’environnement conforme à la Constitution, sous réserve que la personne concernée soit informée de son droit de se taire avant l’audition par le juge des libertés et de la détention « lorsqu’il apparaît qu’elle est déjà suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est entendue, dès lors que ses déclarations sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement ».

Cette décision démontre une approche pragmatique de la nécessité de garantir le droit de se taire, dont on peut voir l’écho dans des décisions rendues en décembre dernier par le Conseil d’État. Rendez-vous dans le prochain numéro d’Angle droit pour en savoir plus.

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CE, 6 novembre 2024, Association Bloom, n° 468106, Inédit

Espaces naturels – Aires protégées – Protection forte

Légalité du décret du 12 avril 2022 définissant la notion de protection forte et les modalités de la mise en œuvre de cette protection

La stratégie nationale pour les aires protégées 2030 fixe l’objectif de protéger 30% du territoire national en aires protégées dont un tiers (10%) sous protection forte à l’horizon 2030. Ces deux cibles sont fixées à l’échelle du territoire national, c’est-à-dire, pour les espaces maritimes et terrestres en métropole et en outre-mer.

Ces objectifs sont inscrits à l’article L. 110-4 du code de l’environnement, créé par l’article 227 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

En application de ces dispositions, le décret n° 2022-527 du 12 avril 2022 précise la définition et les modalités de mise en œuvre de la protection forte. La reconnaissance de la protection forte n’engendre pas de nouvelle règlementation ni de nouvelles contraintes mais reconnaît l’exemplarité de la gestion d’une zone identifiée pour protéger les enjeux écologiques et les services écosystémiques associés. Les articles 2 et 3 du décret identifient ainsi les catégories d’espaces terrestres et maritimes qui, pour certains, constituent toujours des zones de protection forte et, pour d’autres, peuvent se voir reconnaitre cette qualité à l’occasion d’un examen au cas par cas au moyen d’une procédure régionalisée et sur décision des ministres compétents.

Saisi par l’association Bloom d’un recours contre ce décret, le Conseil d’État juge que les dispositions de l’article L. 110-4 du code de l’environnement « n’ont ni pour objet ni pour effet d’instituer un nouveau régime de protection pour les aires concernées, qui viendrait compléter les régimes de protections existants, issus notamment du code de l’environnement, du code forestier et du code de l’urbanisme » et que « les critères qui permettent d’apprécier si un espace terrestre ou maritime peut, au terme d’une analyse au cas par cas, être regardé comme bénéficiant d’une protection forte n’apparaissent ni obscurs, ni insuffisants ou en contradiction avec les définitions de la protection forte ».

Dans ses conclusions, le rapporteur public a notamment souligné que « l’article législatif ne fournit aucune précision sur la notion de protection forte » et que « dans cette mesure et s’agissant de surcroit d’un critère destiné uniquement à servir d’indicateur d’un objectif de l’action de l’État, le pouvoir réglementaire nous paraît disposer d’une marge d’appréciation très étendue ».

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CE, 6 novembre 2024, Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, n° 474191, inédit

Eau - Droit fondé en titre - Moulin – État de ruine

Un moulin ruiné fait la richesse du cours d’eau

Depuis la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, il n’est plus possible d’utiliser la force motrice d’un cours d’eau qui traverse sa propriété sans y être autorisé par l’administration. Cependant, un certain nombre de propriétés bénéficient encore, sur le fondement des articles L. 511-4 et L. 511-5 du code de l’énergie, du droit d’utiliser la force motrice de l’eau, s’appuyant sur des titres acquis sous l’Ancien Régime (droits fondés en titre) ou sur le fondement des législations antérieure à la loi de 1919 mais postérieure à la Révolution de 1789 (droits fondés sur titre).

Les propriétaires de ces ouvrages sont notamment soustraits à l’obligation de demander une autorisation environnementale lorsqu’ils entendent les remettre en fonctionnement. Ces ouvrages restent néanmoins assujettis à la police des IOTA en application du VI de l’article L. 214-6 du code de l’environnement et sont, en tout état de cause, soumis à un contrôle administratif préalable en application de l’article R. 214-18-1 du même code.

Le développement de la « petite hydroélectricité », encouragé par le législateur (article L. 211-1 du code de l’environnement), a fait naître un contentieux récurrent portant sur la disparition des droits fondés en titre résultant de l’état de ruine des ouvrages. Cette situation n’est pas sans conséquence dès lors que ces derniers constituent très souvent un obstacle à la continuité écologique des cours d’eau, cause principale de la dégradation des milieux et de l’état de conservation de certaines espèces dont certains poissons migrateurs.

À ce titre, le Conseil d’État juge de façon constante que « l’état de ruine, qui conduit (…) à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte qu’elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète » (CE 24 avr. 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire c. Commune de Berdoues, n° 420764, aux Tables).

Le rapporteur public dans ses conclusions sous cette affaire exposait que « il s’agit d’une hypothèse assez extrême où l’exploitation de la force motrice est devenue impossible, même en faisant des travaux de rénovation, parce que les ouvrages de l’ancien moulin n’existent plus ou parce que les lieux ont été transformés de telle façon qu’on ne peut plus utiliser l’eau pour faire tourner une turbine ».

Les juges du fond ne reconnaissaient toutefois que rarement l’existence d’un état de ruine, si bien qu’il devenait nécessaire d’obtenir un éclaircissement sur les cas où cette réserve émise par le Conseil d’État pouvait s’appliquer.

La présente affaire a ainsi permis au Conseil d’État de préciser sa jurisprudence en faisant droit au pourvoi du ministre en considérant qu’en l’espèce « il n’existe plus aucune trace du seuil de prise d’eau de l’ouvrage sur l’Indre, seuls subsistant les départs empierrés latéraux au droit de chacune des deux rives, et que le bief d’amenée, même s’il demeure tracé depuis la rivière jusqu’au moulin, est partiellement comblé et totalement végétalisé ». Dans ces circonstances, les éléments essentiels de l’ouvrage ne subsistaient plus qu’à l’état de vestige et l’état de ruine était donc acquis.

Cette décision conforte le travail au long cours des services destiné à renforcer l’effectivité de la continuité écologique des cours d’eau.

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Environnement : emballages

CE, 6 novembre 2024, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 466929, inédit

Environnement – Risques – Etiquetage – Loi AGEC

Interdiction de l’étiquetage non compostable des fruits et légumes : après un examen de constitutionnalité réussi, sursis sur l’examen de sa conventionnalité

La question de savoir si les étiquettes directement apposées sur les fruits et légumes constituent, en toute hypothèse, des emballages au sens et pour l’application de la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d’emballage, soulève une difficulté sérieuse justifiant sa transmission à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

L’article 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (« loi AGEC ») interdit la mise en vente sur le territoire français de fruits ou légumes sur lesquels sont apposées des étiquettes autres que des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées.

L’association interprofessionnelle agricole « Interfel » a saisi le Conseil d’État d’un recours dirigé contre le refus du premier ministre d’abroger le III de l’article 1er du décret n° 2020-1724 du 28 décembre 2020, qui institue à l’article R. 543-73 du code de l’environnement une contravention en cas de manquement à l’interdiction prévue par l’article 80 de la loi AGEC.

Alors qu’elle invoquait des griefs tenant à l’inconstitutionnalité de cette disposition, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré l’article 80 de la loi AGEC conforme à la Constitution (CC, 16 juin 2023, n° 2023-1055 QPC commentée dans le numéro d’Angle droit du 15 septembre 2023).

Le Conseil d’État a également été saisi de moyens tirés de la contrariété de cette disposition avec le droit de l’Union européenne, l’association requérante invoquant notamment la méconnaissance des objectifs de la directive 94/62/CE dite « emballages », dans la mesure où, selon elle, les étiquettes apposées sur les fruits et légumes constitueraient des emballages et entreraient, de ce fait, dans le champ d’application de la directive.

Se référant à l’article 3 de la directive, le Conseil d’État a, sur ce point, indiqué « qu’il pourrait être considéré » que les étiquettes apposées directement sur les fruits et légumes ne constituent pas des emballages dès lors qu’ « elles ne répondent pas parfaitement à la définition donnée par cet article, ni aux trois critères qui la complètent [pour définir les emballages] ».

Le Conseil relève cependant une difficulté sérieuse, liée au fait que « l’annexe I de la directive qualifie explicitement d’emballage (…) les étiquettes accrochées directement ou fixées à un produit ».

En conséquence, estimant qu’elle était déterminante pour trancher la solution du litige, le Conseil d’État a décidé de poser une question préjudicielle à la CJUE, en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il lui demande si « les étiquettes directement apposées sur les fruits et légumes constituent (…), en toute hypothèse, des emballages au sens de l’article 3 de la directive 94/62 du Parlement européen et du Conseil relative aux emballages et déchets et de l’annexe I à cette directive ».

Un nouveau règlement relatif aux emballages et aux déchets d’emballages modifiant le règlement (UE) 2019/1020 et la directive (UE) 2019/904, et abrogeant la directive 94/62/CE a formellement été adopté le 16 décembre 2024. Dans sa décision, le Conseil d’État a toutefois souligné que la question faisant l’objet du renvoi préjudiciel conserverait son intérêt après l’adoption de ce règlement, dans la mesure où celui-ci reprend en substance la définition de l’emballage de la directive 94/62 et de ses annexes.

L’examen de la conventionnalité des dispositions de l’article 80 de la loi AGEC est ainsi suspendu dans l’attente de la décision de la CJUE portant sur cette question.

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CE, 8 novembre 2024, Syndicats Plastalliance et Elipso, nos 475669, 488759, inédit

Emballages plastiques – Notification TRIS à la Commission européenne – Non-respect du délai de statu quo – Vice de procédure substantiel

Chou blanc pour le décret fruits et légumes

Le Conseil d’État annule le décret précisant les modalités de l’interdiction légale des emballages plastiques de fruits et légumes, en raison du non respect du délai de statu quo décidé par la Commission européenne dès lors que des travaux étaient en cours sur le sujet au sein de l’Union européenne.

Le seizième alinéa du III de l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement, créé par l’article 77 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ( « loi AGEC »), a interdit à partir du 1er janvier 2022 la vente de fruits et légumes frais conditionnés dans des emballages plastiques, à l’exception de ceux conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi que ceux présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac, dont la liste est fixée par décret.

À la suite de l’annulation par le Conseil d’État du décret du 8 octobre 2021 pris pour l’application de ces dispositions (CE, 9 décembre 2022, n° 458440), un nouveau décret d’application a été adopté le 20 juin 2023. Outre la liste des fruits et légumes exemptés de l’interdiction de présentation à la vente dans des emballages contenant du plastique, il prévoyait, pour les fruits et légumes soumis à cette interdiction, l’autorisation d’écouler les stocks d’emballages existants jusqu’au 31 décembre 2023.

Au préalable et conformément aux dispositions de l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535 dite directive TRIS, le projet de décret avait été notifié à la Commission européenne, le 14 décembre 2022. En effet, cette directive impose la notification des « règles techniques » en vue de l’examen de leur compatibilité avec le droit communautaire et les principes de la libre circulation des biens et des services.

À cette occasion, la Commission a constaté que ce projet portait sur une matière couverte par une proposition de règlement relative aux emballages et déchets d’emballages en cours de négociation et, pour ce motif, a demandé aux autorités françaises de respecter la règle du « statu quo » énoncée à l’article 6 de la directive, en différant de douze mois, soit jusqu’en décembre 2023, l’adoption du décret.

Saisi par deux syndicats professionnels d’une demande d’annulation du décret du 20 juin 2023, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conséquences à tirer de la méconnaissance de cette règle.

Ainsi, après avoir rappelé qu’en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le non-respect des articles 5 et 6 de la directive TRIS « constitue un vice substantiel dès lors que l’adoption et la publication d’une règle technique, en méconnaissance de ces dispositions, sont susceptibles en tant que telles de créer des entraves aux échanges contraires aux traités européens, et ne permettent ni de prendre en considération les observations des autres États membres ou de la Commission, ni, pour celle-ci, de proposer l’édiction de normes communes ou harmonisées réglant la matière faisant l’objet de la mesure envisagée », le Conseil d’État s’est référé à un très récent arrêt de la Cour, Papier Mettler Italia Srl c/Italie (CJUE, 21 décembre 2023, aff. C-86/22, point 51), indiquant qu’une règle technique ne peut être adoptée, quand bien même elle a été notifiée à la Commission, si la période de report d’adoption n’est pas expirée, « la circonstance que l’entrée en vigueur de la règle technique nationale adoptée soit conditionnée à l’issue de la procédure de notification préalablement engagée » étant, sur ce point, indifférente.

Dans ce cadre, le Conseil d’État retient que l’adoption du décret avant l’expiration de la période de report de douze mois constitue un vice substantiel justifiant son annulation, quand bien même le décret autorisait l’écoulement des stocks d’emballage jusqu’au 31 décembre 2023.

Il faudra donc encore attendre pour pouvoir lutter plus efficacement contre les emballages plastiques inutiles.

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Environnement : éolien

CE, 18 novembre 2024, Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire, n° 474372, aux Tables

Autorisation environnementale – Sursis à statuer pour régularisation – Délai de régularisation du vice – Modalités de contestation

Le Conseil d’État précise les modalités de fixation du délai de régularisation par le juge administratif et de contestation de ce délai

Le Conseil d’État précise les modalités selon lesquelles, dans le cadre des dispositions du 2° de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, le juge administratif peut déterminer le délai accordé aux parties pour régulariser les éventuels vices qui entachent l’autorisation environnementale et fixe le cadre pour une éventuelle contestation du délai de régularisation ainsi octroyé.

L’affaire concerne un parc éolien devant s’implanter en Charente, dont l’autorisation délivrée par la préfète a fait l’objet d’un recours. Par un arrêt avant dire droit du 21 mars 2023 adopté en application du 2° de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, et à la suite du constat d’un vice d’illégalité tenant à l’absence de dérogation « espèces protégées », la cour administrative d’appel de Bordeaux a sursis à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai de quatre mois en vue de permettre la régularisation du vice ainsi relevé et a suspendu l’exécution des parties non viciées de l’autorisation jusqu’à la délivrance éventuelle de cette dérogation.

Dans son pourvoi contre cet arrêt avant dire droit, le pétitionnaire contestait le délai de quatre mois accordé pour régulariser le vice susmentionné.

Si le Conseil d’État rejette ce pourvoi, il rappelle, en premier lieu, que lorsque le juge administratif met en œuvre les pouvoirs qu’il tient du 2° de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, il est tenu, avant de surseoir à statuer, d’inviter les parties à présenter leurs observations, lesquelles peuvent notamment porter sur le délai pour parvenir à la régularisation et que, sur la base de ces observations, le juge doit « fixer le délai dans lequel doit lui être notifiée l’autorisation modificative en tenant compte des mesures à prendre pour régulariser le vice retenu et des éventuelles contraintes dont l’ont informé les parties ». Il souligne, ce faisant, l’importance des observations produites par l’administration et le pétitionnaire pour permettre au juge de fixer un délai de régularisation réaliste, tenant compte de l’existence de contraintes pratiques, d’ordre administratif et technique ou de l’existence de délais incompressibles.

Le Conseil d’État juge, en deuxième lieu, que le délai de régularisation fixé par le juge ne peut utilement être critiqué devant le juge de cassation qu’au stade de la contestation de la décision avant dire droit. Cette solution s’inscrit dans le prolongement de sa décision Association "Sans offshore à l’horizon " et autres (CE, 2022, n° 447229, aux Tables) selon laquelle la décision avant dire droit peut être contestée en tant que le juge a fait application des dispositions de l’article L. 181-18, tant que n’a pas été délivrée l’autorisation modificative dont l’octroi prive d’objet ces conclusions.

En troisième lieu, le Conseil d’État exerce un contrôle restreint du délai de régularisation fixé par le juge du fond : contrôlant le délai accordé en l’espèce, il se borne à relever que celui-ci n’est pas « manifestement insuffisant ».

Le Conseil d’État juge, en dernier lieu, qu’à l’expiration du délai de régularisation, le juge peut faire droit aux conclusions aux fins d’annulation si aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée, mais ne peut se fonder sur la circonstance qu’une régularisation lui a été adressée après expiration du délai pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité de l’autorisation attaquée. Ce faisant, il transpose dans le domaine de l’application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement une solution dégagée en matière de régularisation des autorisations d’urbanisme (CE, 2022, Ministre et Sté MSE La Tombelle, n°420554, au Recueil). Ainsi, lorsque la mesure de régularisation est soumise au juge, même postérieurement à l’expiration du délai qu’il avait octroyé, il est tenu de la prendre en compte. Par contre, en l’absence d’une telle mesure alors qu’est dépassé le délai de régularisation accordé, l’autorisation viciée peut être annulée.

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CE, 18 novembre 2024, Société Q Energy, n° 487701, aux Tables

Eolien – Dérogation espèces protégées – Mesures d’évitement et de réduction – Pouvoirs du juge de pleine juridiction

De nouvelles précisions sur les mesures d’évitement et de réduction à prendre en compte pour apprécier la nécessité d’une dérogation espèces protégées

Le Conseil d’État confirme que les mesures d’évitement et de réduction à prendre en compte afin d’apprécier si le risque pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé pour justifier la nécessité d’une dérogation aux interdictions d’atteintes aux espèces protégées énoncées à l’article L. 411-1 du code de l’environnement, ne sont pas uniquement celles proposées par le pétitionnaire mais peuvent également être celles prescrites par le juge lui-même dans l’exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction.

Par son avis du 9 décembre 2022, « Association Sud-Artois » (avis CE, n° 463563, au Recueil) le Conseil d’État a jugé que le pétitionnaire n’est pas tenu de solliciter une dérogation à l’interdiction des atteintes aux espèces protégées « dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé ».

Parmi les précisions apportées postérieurement à cet avis (et dont un panorama complet a été exposé dans le numéro d’Angle droit du 21 novembre 2024), le Conseil d’État juge que, pour apprécier si le risque est suffisamment caractérisé, il convient non seulement de prendre en compte les mesures d’évitement et de réduction initialement proposées par le pétitionnaire, mais également celles prescrites par l’administration ou par le juge lui-même dans l’exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction.

En l’espèce, par l’arrêt contre lequel a été formé un pourvoi en cassation, la cour administrative d’appel de Bordeaux avait décidé de renforcer, au titre de la protection des intérêts visés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, les mesures de bridage des éoliennes définies par le préfet. Le Conseil juge que, pour apprécier si une dérogation « espèces protégées » était nécessaire en raison de risques d’atteintes aux chiroptères présents dans la zone du projet, la cour aurait dû tenir compte des mesures de bridage complémentaires qu’elle a elle-même prescrites.

Par ailleurs, le Conseil d’État juge que la dérogation espèces protégées est unique et insécable. En effet, quand bien même la cour a jugé selon des motifs erronés en ce qui concerne les chiroptères, mais non en ce qui concerne les espèces protégées de l’avifaune, le Conseil d’État prononce l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a annulé l’autorisation environnementale au motif qu’elle ne comportait pas de dérogation « espèces protégées », et non en tant seulement qu’il s’est prononcé sur la nécessité d’une telle dérogation au regard du risque pour les chiroptères.

La décision rappelle, enfin, que la voie de la tierce opposition prévue à l’article R. 832-1 du code de justice administrative est ouverte aux tiers qui justifieraient d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation de la décision administrative d’autorisation, dans la configuration particulière où le juge administratif des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), après avoir annulé la décision préfectorale de refus, fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour délivrer lui-même l’autorisation (CE, 29 mai 2015, n°381560, au recueil). Il est toutefois précisé que lorsqu’une personne a été représentée à l’instance par une personne ayant des intérêts concordants avec les siens, elle n’est pas recevable à former une telle tierce opposition, mais que des habitants riverains d’un projet d’ICPE ne peuvent, sur ce point, être regardés comme ayant été valablement représentés par une association dont l’objet statutaire inclut la défense des conditions de vie des habitants d’une zone géographique particulière.

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CE, 13 décembre 2024, Chemin perdu, n° 465368, aux Tables

Éolien –Saturation visuelle – Cumul d’incidences – Instruction concomitante de plusieurs projets

L’appréciation de la saturation visuelle causée par un projet de parc éolien en cas d’instruction concomitante de plusieurs projets

Le Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut prendre en compte les effets cumulés d’un projet de parc éolien avec d’autres projets pour apprécier l’existence d’un phénomène de saturation visuelle.

Dans cette affaire, le préfet du Pas-de-Calais a refusé de faire droit à la demande d’autorisation environnementale déposée pour l’exploitation d’un parc éolien dans le comté d’Artois. Pour justifier de son refus, le préfet avait conclu à l’existence d’un effet de saturation visuelle en prenant en compte les effets cumulés du projet avec cinq autres projets de parcs éoliens instruits de manière concomitante, dont trois avaient, entre-temps, fait l’objet de décisions de refus qui, à la date de la décision de refus contestée, faisaient l’objet de recours pendants devant le juge administratif. Dans un arrêt du 3 mai 2022, la cour administrative d’appel de Douai avait confirmé le refus d’autorisation du préfet en considérant qu’il avait à bon droit tenu compte des projets ayant fait l’objet de refus non définitifs.

Saisi d’un pourvoi en cassation formé par la société pétitionnaire, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour en étendant à l’administration sa jurisprudence Société WP France 23 du 10 novembre 2023 (n° 459079, aux Tables) relative à l’appréciation par le juge de plein contentieux de l’effet de saturation visuelle causé par un projet éolien. Le Conseil d’État indique ainsi que pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à un tel effet, il appartient à l’autorité administrative « de tenir compte de l’effet d’encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l’ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d’écrans visuels, l’incidence du projet sur les angles d’occupation et de respiration, ce dernier s’entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents ».

L’affaire examinée donne également l’occasion au Conseil d’État de préciser dans quelle mesure les incidences cumulées des autres projets de parcs éoliens prévus à proximité du projet examiné, qui sans être encore autorisés, peuvent être nombreux, doivent être prises en compte pour apprécier l’existence d’un effet de saturation visuelle. Le Conseil d’État souligne sur ce point que si l’autorité administrative peut le cas échéant « tenir compte pour porter cette appréciation, d’autres projets de parcs éoliens, faisant l’objet d’une instruction concomitante, qu’elle s’apprête à autoriser, elle ne saurait prendre en compte des projets qu’elle a refusés, quand bien même les décisions de refus ne seraient pas devenues définitives ». Ainsi, quand bien même le refus d’autoriser un projet voisin pourrait être ultérieurement annulé par le juge administratif, un tel projet n’a pas à être pris en compte par l’autorité administrative pour apprécier si le projet de parc éolien examiné génère ou non un effet de saturation visuelle.

Cependant, la cour, devant laquelle l’affaire est renvoyée devra statuer à nouveau sur la légalité du refus d’autorisation, et se prononcera, le cas échéant, au regard d’éventuelles circonstances de fait nouvelles, notamment la délivrance d’autorisations pour des projets qui auraient initialement été refusés. La décision Chemin perdu rappelle ainsi la nécessité pour l’autorité administrative de fonder l’appréciation de l’effet de saturation visuelle sur des éléments tangibles ou, à tout le moins, suffisamment prévisibles, pour lui permettre de s’y retrouver…

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Fonction publique

CE, 18 octobre 2024, Ministre de l’éducation nationale, n° 470016, aux Tables

Procédure disciplinaire – Placement sous contrôle judiciaire - Mesures conservatoires – Absence de service fait

Pas d’obligation de reclassement ou de détachement d’office en cas de contrôle judiciaire

Les articles L. 531-1 et suivants du code général de la fonction publique (CGFP) prévoient qu’en cas de faute grave d’un agent, constituée notamment par une infraction pénale, l’autorité disciplinaire peut le suspendre de manière conservatoire pour une durée de quatre mois, le temps que le conseil de discipline se réunisse. À l’expiration de ce délai, et si aucune décision disciplinaire n’a encore été prise, le fonctionnaire, même s’il fait l’objet de poursuites pénales, doit être rétabli dans ses fonctions, sauf si les mesures décidées par l’autorité judiciaire ou l’intérêt du service y font obstacle.

Depuis la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, l’administration peut, lorsqu’elle n’entend pas réintégrer l’agent sur son poste, en particulier lorsque les mesures de contrôle judiciaire auxquelles il est soumis s’y opposeraient, changer provisoirement l’affectation de l’agent ou procéder à son détachement d’office. Elle peut aussi prolonger la mesure de suspension en l’assortissant, le cas échéant, d’une retenue sur traitement (articles L. 531-3 et L. 531-4 du CGFP).

Il a de longue date été jugé qu’aucune disposition n’impose à l’administration de prononcer la suspension en cas de commission d’une telle faute grave, et que rien ne l’empêche d’interrompre, dans ces circonstances, le versement du traitement d’un fonctionnaire pour absence de service fait (CE, 25 octobre 2022, ministre de l’Intérieur, n° 247175).

L’affaire commentée a amené le Conseil d’État à savoir si ce raisonnement était également applicable aux mesures de changement d’affectation provisoire ou de détachement d’office à portée conservatoire nouvellement créées.

Saisi d’un recours en indemnisation, le Conseil d’État juge que ces nouvelles dispositions, pas plus que celles concernant la suspension, n’imposent pas à l’administration d’attribuer à l’agent concerné une autre affectation ou de le détacher dans un autre corps ou cadre d’emploi. En conséquence, rien n’empêche là non-plus l’administration d’interrompre le versement du traitement d’un tel agent pour absence de service fait, notamment dans le cas où il fait l’objet d’une incarcération ou d’une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant d’exercer ses fonctions.

Cet arrêt étend donc le raisonnement tenu concernant la suspension aux nouvelles modalités conservatoires introduites dans le statut de la fonction publique par la loi de 2016.

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Transports

CE, 8 novembre 2024, MTECT c/ Association Française des Opérateurs de Recharge pour Véhicules Electriques (AFOR), n° 475080, aux Tables

Aide d’État – Service d’intérêt économique général (SIEG) – Financement des infrastructures de recharge de véhicules électriques

Infrastructures collectives de recharge de véhicules électriques dans les immeubles collectifs d’habitation : l’aide apportée au gestionnaire de réseau n’est pas une aide d’État

La compensation octroyée au gestionnaire de réseau public d’électricité pour la prise en charge de l’installation des infrastructures collectives de recharge de véhicules électriques dans les immeubles collectifs à usage principal d’habitation ne constitue pas une aide d’État.

Dans cette affaire, l’association requérante demandait l’annulation de deux arrêtés du 2 juin 2023, pris en application des articles D. 353-12 et suivants du code de l’énergie, eux-mêmes pris en application de l’article L. 353-12 du code, issu de la loi Climat et résilience. Ces dispositions prévoient que, lorsque le propriétaire ou le syndicat de copropriété fait appel au gestionnaire du réseau d’électricité pour l’installation d’infrastructures collectives relevant du réseau public d’électricité, les coûts de l’infrastructure collective sont initialement couverts par le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE).

La requérante estimait que la prise en charge par le TURPE de ces coûts constituait une aide d’État au profit des gestionnaires de réseau qui, en méconnaissance de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, n’avait pas été notifiée à la Commission européenne.

Le Conseil d’État juge que le financement, via le TURPE, de l’infrastructure collective de recharge que le gestionnaire de réseau est chargé d’installer remplit les critères cumulatifs de la jurisprudence Altmark (CJCE, 24 juillet 2003, C-280/00) et échappe ainsi à la qualification d’aide d’État.

En effet, le gestionnaire de réseau est, quelle que soit la rentabilité de projet, tenu, au titre de sa mission de service public, de procéder à la réalisation de toute infrastructure collective de recharge remplissant les conditions réglementaires, qui constitue un ouvrage du réseau public. Cette infrastructure est donc seulement une extension du réseau public. De plus, les paramètres de calcul du TURPE étant définis de manière objective, transparente et non discriminatoire, la compensation ne peut, d’une part, conférer un avantage économique ou favoriser le gestionnaire de réseau et n’excède pas, d’autre part, ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts résultant de l’exécution de l’obligation de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable. Enfin, la requérante n’a pas contesté que le niveau de compensation ne s’écartait pas des coûts que supporterait une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises.

Le Conseil d’État écarte ainsi le moyen tiré du défaut de notification, en violation des stipulations du paragraphe 3 de l’article 108 du TFUE, de l’article L. 353-12 du code de l’énergie et de ses dispositions réglementaires d’application.

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CE, 26 novembre 2024, M. I. c/ Ministère de la transition écologique, n° 488845, Inédit

Procédure de réception des véhicules – Essai complémentaire en cas de modification de parties de véhicules, systèmes, composants ou entités techniques – Consultation du public – Défaut d’incidence directe et significative sur l’environnement

La participation du public n’est pas nécessaire concernant des mesures visant à la seule sécurité des véhicules

Les prescriptions règlementaires imposant la réalisation d’un essai complémentaire en cas de modification de parties de véhicules, systèmes, composants ou entités techniques n’ont pas d’incidence directe et significative sur l’environnement et n’ont donc pas à faire l’objet d’une consultation du public.

Un particulier est propriétaire d’un véhicule dont la motorisation thermique a été transformée en motorisation électrique (« rétrofit »). Ce véhicule devait, conformément à l’article R. 321-16 du code de la route, faire l’objet d’une réception à titre isolé, afin de constater qu’il satisfait aux prescriptions techniques exigées pour sa mise en circulation. Le requérant a demandé au Conseil d’État l’annulation des dispositions d’un arrêté relatives à cette réception.

Les dispositions attaquées prévoient en substance la réalisation d’un essai complémentaire en cas de modification de parties des véhicules, systèmes, composants et entités techniques, en l’absence d’accord écrit du constructeur. Était notamment contesté le défaut de consultation du public préalablement à l’adoption de ces dispositions.

Le Conseil d’État juge que « les dispositions attaquées, qui se bornent à définir les prescriptions qui doivent être respectées dans le cas de la transformation d’un véhicule ont trait à la seule sécurité du véhicule ayant subi des modifications et ne peuvent être regardées comme ayant une incidence sur l’environnement dès lors qu’elles n’ont sur ce dernier qu’un effet indirect et non significatif au sens du troisième alinéa de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement. Leur adoption n’avait dès lors pas à être précédée d’une consultation du public ».

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CE, 26 novembre 2024, Société S. c/ Ministère de la transition écologique, nos 488868, 488869, inédit

Procédure d’immatriculation et de réception des véhicules – Droit de l’Union européenne – Libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux

Conformité au droit de l’UE des règles d’immatriculation et de réception des véhicules précédemment immatriculés dans un autre État membre

Les prescriptions règlementaires imposant la présentation d’un véhicule précédemment immatriculé sur le territoire de l’Union européenne au service en charge des réceptions aux fins de délivrance d’une attestation de vérification des données techniques, préalablement à son immatriculation, ne sont pas contraires aux dispositions du droit de l’Union européenne.

Une société, spécialisée dans l’importation de véhicules, a demandé au Conseil d’État l’annulation de plusieurs dispositions de deux arrêtés du 4 août 2023 relatives aux modalités d’immatriculation et de réception des véhicules. Ces dispositions ont modifié la procédure d’immatriculation et, le cas échéant, de réception, d’un véhicule usagé complet ou complété, précédemment immatriculé sur le territoire de l’Union européenne avec un certificat d’immatriculation définitif et harmonisé, non conforme à un type ayant fait l’objet d’une réception européenne ou d’une réception nationale française, et importé en France en vue de son immatriculation. Elles prévoient notamment la présentation de ces véhicules, préalablement à leur immatriculation, au service en charge des réceptions aux fins de délivrance d’une attestation de vérification des données techniques (AVDT).

Le Conseil d’État, s’appuyant sur la jurisprudence de la CJUE (affaire C-326/17 du 24 janvier 2019) écarte le moyen tiré de la méconnaissance du règlement (UE) n° 2018/858 relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à moteur, au motif que « l’examen physique de correspondance entre les données techniques qui figurent sur le certificat d’immatriculation délivré par l’autre État membre et celles du véhicule, permettant aux services compétents d’établir l’attestation de vérification des données techniques, constitue une formalité inhérente au traitement même de la demande de nouvelle immatriculation du véhicule en France » et qu’ « une discordance entre ces données constitue un motif raisonnable de croire que le véhicule présenté ne satisfait pas aux prescriptions techniques en vertu desquelles il a été réceptionné par l’autre État membre, au sens du paragraphe 3 de l’article 46 du règlement du 30 mai 2018 précité, justifiant une nouvelle réception à titre isolé ».

Il juge que le dispositif attaqué, et notamment les délais et déplacements nécessaires pour procéder à la vérification des données techniques, n’est pas disproportionné au regard «  des objectifs qu’il poursuit tenant à la sécurité routière, à la protection de l’ordre public et du consommateur ainsi qu’à la lutte contre la fraude et le trafic des véhicules ». Il ne méconnait dès lors pas l’interdiction des restrictions quantitatives à l’importation énoncée à l’article 34 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui garantit la libre circulation des marchandises au sein de l’Union.

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Urbanisme

CE, 22 octobre 2024, Commune d’Aulnay-sur-Mauldre, n° 467373, Inédit

Permis de construire tacite – Consultation des services de l’État – Délai du déféré préfectoral

Cas pratique concernant le point de départ du délai pour introduire un déféré préfectoral

La consultation par une commune du préfet, pour recueillir son avis conforme sur un projet au titre de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme, vaut-elle transmission par celle-ci à ce même préfet au titre du contrôle de légalité ? À ce cas pratique, le Conseil d’État apporte fort logiquement une réponse négative.

Le Conseil d’État rappelle ainsi qu’un permis de construire tacite est exécutoire dès qu’il est acquis et que, dans le cas d’un tel permis tacite, une commune est réputée avoir satisfait à l’obligation de transmission aux services de l’État, prévue par les articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), si elle a transmis au préfet l’entier dossier de la demande de permis. Le délai ouvert pour introduire un déféré court alors à compter de la date à laquelle le permis est acquis ou, dans l’hypothèse où la commune ne satisfait à l’obligation de transmission au préfet que postérieurement à cette date, à compter de la date de cette transmission (voir pour le cas où une commune a fait appel aux services de l’État pour l’instruction d’un dossier de permis de construire sur le fondement des dispositions de l’article L. 422-8 du code de l’urbanisme : CE, 17 décembre 2014, n° 373681, aux Tables).

Par ailleurs, le code de l’urbanisme prévoit des hypothèses dans lesquelles le maire est tenu de recueillir l’avis conforme du préfet, notamment en l’absence de carte communale, de plan local d’urbanisme ou de document d’urbanisme en tenant lieu (article L. 422-5).

La combinaison de ces règles est simple : lorsqu’une commune a consulté les services de l’État pour recueillir l’avis conforme du préfet sur le fondement de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme, cette demande ne constitue pas une transmission faite aux services de l’État en application des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du CGCT et n’est donc pas de nature à faire courir le délai du déféré préfectoral.

Dès lors, quand bien même les services préfectoraux ont pu avoir préalablement communication d’une pièce dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à avis conforme, la demande de cette même pièce, utile à l’exercice du contrôle de légalité, prolonge le délai de déféré.

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CE, 18 novembre 2024, Communauté de communes Cœur Haute Lande, n° 487885, aux Tables

Droit de préemption urbain – Caractère exécutoire d’une délibération – Formalités de publicité

Publicité par voie de presse du droit de préemption urbain : incidences juridiques et règles applicables

Les délibérations instituant un droit de préemption doivent faire l’objet d’un affichage pendant un mois et d’une mention insérée dans deux journaux diffusés dans le département, en vertu de l’article R. 211-2 du code de l’urbanisme. Le Conseil d’État juge que dans la mesure où l’inscription sur la liste des journaux susceptibles de recevoir les annonces légales dans le département, qu’il incombe au préfet de fixer chaque année au mois de décembre pour l’année suivante (article 2 de la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955), est notamment subordonnée à la condition, vérifiée à cette occasion, d’une diffusion suffisante dans le département, une mention dans un journal figurant sur cette liste doit être regardée comme de nature à assurer l’information par voie de presse instituée par l’article R. 211-2 du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’État juge également, par la même décision, que le respect de la durée d’affichage et celui de l’obligation d’information par voie de presse sont sans incidence sur la détermination de la date à laquelle la délibération instituant le droit de préemption urbain devient exécutoire : son caractère exécutoire est acquis, comme pour les autres actes des communes, dès qu’elle a été publiée ou affichée et transmise au représentant de l’État.

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CE, 29 novembre 2024, Syndicat Union Défense Active Foraine (UDAF) et autre, n° 498358, aux Tables

Droit de se taire - Procès-verbal constatant une infraction d’urbanisme

Le droit de se taire n’implique pas une garantie dès les prémices de la procédure pénale

Les dispositions de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme, en ne prévoyant pas que toute personne susceptible d’être entendue doit être informée de son droit de se taire, ne méconnaissent pas ce droit garanti par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Les requérants demandaient l’annulation du refus du Premier ministre d’abroger l’article 3 de l’arrêté du 14 avril 2009 autorisant la mise en œuvre, dans les communes, de traitements automatisés ayant pour objet la recherche et la constatation des infractions pénales par leurs fonctionnaires et agents habilités, notamment en application de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme. A l’occasion de ce contentieux, les requérants soutenaient que les dispositions de cet article L. 480-1, en ce qu’elles ne prévoient pas, lors du constat des infractions qu’elles énumèrent, la garantie tenant à ce que soit notifié à la personne concernée le droit de se taire, méconnaissent les dispositions de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le Conseil d’État rappelle que les dispositions contestées de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme ont pour seul objet de déterminer les catégories d’agents publics habilités, soit de plein droit, soit s’ils sont commissionnés à cet effet et assermentés, à procéder au constat matériel de certaines infractions en matière d’urbanisme. Il rappelle aussi que, selon ces mêmes dispositions, les procès-verbaux que ces agents sont amenés à dresser font foi jusqu’à preuve du contraire et qu’une copie du procès-verbal constatant une infraction doit être transmise sans délai au ministère public, qui apprécie l’opportunité des poursuites.

En conséquence, le Conseil d’État considère que si les dispositions contestées n’excluent pas que soit entendue, par l’agent public chargé de constater l’infraction, toute personne présente à l’occasion du constat, y compris le cas échéant la personne susceptible de faire l’objet de poursuites si celles-ci sont ultérieurement engagées, elles n’ont pas pour objet de prévoir et d’organiser une telle audition. Il juge que l’article 9 de la Déclaration de 1789 n’est dès lors pas applicable, et qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

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L'actualité normative et consultative

Loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale

La loi dite « loi Le Meur » tire son origine d’une proposition de loi visant « à lutter contre les phénomènes d’éviction des résidents permanents des zones tendues en favorisant la mise sur le marché de logements destinés à la location de moyenne et longue durée, tout en intégrant les spécificités des territoires » et à limiter « les conflits d’usage entre le locatif d’habitation et la location touristique et favoriser l’implantation de résidences principales dans les zones tendues en élargissant les pouvoirs de réglementation des élus locaux et en supprimant l’avantage fiscale octroyé aux logements de tourismes classés ».

Elle généralise, en premier lieu, la procédure de déclaration préalable avec enregistrement pour toutes les locations de meublés touristiques, y compris celles des résidences principales. Cet enregistrement avec envoi de pièces justificatives sera obligatoire au plus tard à compter du 20 mai 2026. La loi prévoit des sanctions en cas de défaut d’enregistrement ou de fausse déclaration.

Elle renforce également les pouvoirs des communes en la matière. À cet égard, la loi prévoit la possibilité pour les maires d’abaisser à 90 jours par an la durée de location en meublé de tourisme des logements à usage de résidence principale, alors qu’auparavant, la limite minimum était de 120 jours par an. Elle donne également la possibilité à certaines communes de délimiter, au sein de leur plan local d’urbanisme, des secteurs dans lesquels toutes les constructions nouvelles de logement seront à usage exclusif de résidence principale.

Par ailleurs, la loi soumet à l’obligation de diagnostic de performance énergétique la location de meublés de tourisme en France métropolitaine, et prévoit que les locaux ne pourront plus être mis en location à compter de 2034 s’ils ne sont pas compris dans les classes A à D, sous peine d’amende.

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Décret n° 2024-1038 du 6 novembre 2024 relatif aux dispositions réglementaires des livres Ier et II du code général de la fonction publique

Le code général de la fonction publique (CGFP), longtemps annoncé, est entré en vigueur le 1er mars 2022. Toutefois, seule sa partie législative était alors parue, la partie réglementaire de ce code n’étant pas encore prête à être codifiée.

Le décret du 6 novembre 2024 remédie partiellement à cette situation en codifiant les deux premiers livres de la partie réglementaire du CGFP (les articles « R » et « D »).

Sont donc désormais codifiées les dispositions réglementaires relatives aux droits, obligations et protections des agents publics, à l’exercice du droit syndical et au dialogue social dans la fonction publique.

Outre la codification à droit constant des décrets jusqu’alors en vigueur sur ces grandes thématiques, le décret du 6 novembre 2024 modifie les conditions et modalités d’organisation du vote électronique par internet pour les élections des représentants du personnel au sein des instances de dialogue social des trois fonctions publiques. Il procède également à plusieurs adaptations de textes réglementaires non-codifiés ou situés dans d’autres codes (code de la santé publique et code monétaire et financier).

Ces nouveaux livres du CGFP entreront en vigueur le 1er février 2025. En pratique, et à compter de cette date, il faudra se référer à ces nouveaux articles lors de la rédaction d’actes intéressant le droit de la fonction publique.

Les nouvelles dispositions relatives au vote électronique pour les élections professionnelles ne seront toutefois applicables qu’en vue du prochain renouvellement général des instances de dialogue social dans la fonction publique, qui sera organisé en décembre 2026.

La codification des autres livres réglementaires du CGFP est quant à elle envisagée pour le courant de l’année 2026.

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Décret n° 2024-1048 du 20 novembre 2024 relatif à la réalisation des services express régionaux métropolitains


Les projets de « services express régionaux métropolitains » (SERM) sont inspirés du réseau express régional d’Île-de-France (RER) qui, pour rappel, est né d’une double problématique : relier entre elles les différentes gares parisiennes et simplifier les échanges Paris-banlieue.

Plusieurs SERM sont en cours de déploiement dans les métropoles françaises telles que Lille, Lyon, Nantes, Bordeaux, ou encore Marseille (études en cours ou premières étapes lancées). Ils sont portés par l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM) compétente localement (la région en priorité).

Unique décret d’application de la loi n° 2023-1269 du 27 décembre 2023 dite loi SERM, le décret du 20 novembre 2024 relatif à la réalisation des services express régionaux métropolitains a un double objet.

D’une part, il précise les modalités d’application de l’article L. 2111-13 du code des transports, relatif au contenu de la convention conclue entre l’établissement public Société des grands projets (ex-Société du Grand Paris), lorsqu’elle est maître d’ouvrage des SERM, et SNCF Réseau. Ces dispositions sont introduites au sein du code des transports (articles R.2111-1 à R.2111-10).

D’autre part, il prévoit que les travaux de création d’une infrastructure nécessaire à un SERM devront être déclarés d’utilité publique par décret en Conseil d’État si l’estimation sommaire des dépenses est supérieure à 500 millions d’euros.

L'actualité des réseaux

Commentaire par la DREAL Normandie de la décision CE, 18 octobre 2024, MTECT c/ Sté Parc éolien du Mont Hellet, n° 472842, inédit

La société parc éolien du Mont Hellet a déposé une demande d’autorisation d’exploitation en vue de l’édification de quatre éoliennes et d’un poste de livraison sur un point culminant du Pays de Bray en Seine-Maritime. La DREAL de Normandie a émis des avis défavorables sur les aspects paysagers et liés à la biodiversité, ainsi que la mission régionale d’autorité environnementale et le sous-préfet référent éolien en Seine-Maritime .

Le préfet de la Seine-Maritime a alors rejeté la demande d’autorisation d’exploitation le 14 avril 2021.

La cour administrative d’appel de Douai, saisie par la société pétitionnaire, a annulé la décision litigieuse en tant qu’elle porte sur trois éoliennes et a enjoint le préfet de reprendre l’instruction de la demande d’autorisation. Dans cette décision, la cour a notamment écarté la nécessité de déposer une demande de dérogation au titre des espèces protégées.

Cet arrêt a été annulé par le Conseil d’Etat le 18 octobre 2024 (décision n° 472842), qui retient que l’arrêt est entaché de dénaturation des pièces du dossier. La cour s’est en effet fondée sur plusieurs éléments du dossier « sans prendre en considération les insuffisances relevées par les différentes instances consultées sur l’état initial et les mesures ERC envisagées, alors que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relevait devant elle que le diagnostic de l’état initial pour ce qui concerne l’avifaune présentait des lacunes importantes depuis l’origine, que l’étude d’impact ne présentait aucune étude de fonctionnalité et de déplacement des oiseaux dans la clairière et que les impacts résiduels après application de la séquence ERC demeuraient notables ».

Cette décision sanctionne ainsi la non prise en compte par le juge administratif des insuffisances d’une étude d’impact, malgré les réserves et critiques émises par l’autorité environnementale et les différentes instances consultées dans le cadre de l’instruction de la demande.

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Contribution de la DDT de l’Allier sur la jurisprudence locale en matière d’installations photovoltaïques au sol

Le département de l’Allier présente la particularité de connaître un fort développement du photovoltaïque (les 60 projets en cours d’instruction totalisent plus de 1 gigawatt de puissance). C’est l’occasion de revenir sur deux décisions concernant des refus opposés pour des motifs agricoles et/ou paysagers.

Premier exemple, par un arrêt du 6 juin 2024, n° 24LY00985, la cour administrative d’appel de Lyon a confirmé un refus de permis de construire opposé par les services de l’État fondé sur l’absence de compatibilité du projet avec l’exercice d’une activité agricole significative.

La réglementation relative à l’agrivoltaïsme n’étant pas applicable au projet litigieux, le juge a confirmé l’analyse conduite par les services de l’État conformément à la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 08 février 2017, n° 395464 et CE, 31 juillet 2019, n° 418739) en considérant que :

◦ L’absence de potentiel agricole des parcelles concernées par le projet n’était pas établie, du fait de la présence actuelle d’un pâturage bovin et de terres cultivées aux alentours ;
◦ Le projet, d’une emprise de 44 ha, recouvrait 72 % de la surface agricole utile de l’exploitation concernée ;
◦ le pâturage ovin envisagé ne relevait pas des pratiques locales, à la lumière des données du recensement agricole ;
◦ L’exploitante pressentie ne disposait d’aucune pratique en la matière ;
◦ Les caractéristiques techniques de la centrale (hauteur des panneaux, écartement des tables et espaces de retournement) ne respectaient pas les préconisations de l’institut de l’élevage).

On relèvera par ailleurs que la décision en litige datant du 22 février 2023, les dispositions de l’article R. 311-6 du code de justice administrative étaient applicables, lesquelles ont réduit à 10 mois le délai imparti au tribunal administratif pour statuer. Ce délai ayant expiré avant l’intervention de la décision du tribunal, l’affaire a été renvoyée à la cour de Lyon, qui a donc statué en première instance, en vertu du nouveau régime de dessaisissement automatique.

Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Second exemple, par un jugement du 7 novembre 2024, n° 2401047, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a confirmé l’analyse des services de l’État relative aux impacts paysagers du projet photovoltaïque, lesquels sont susceptibles de justifier, en vertu des dispositions de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme, le refus de l’autorisation de construire sollicitée.

Le jugement transpose au contentieux photovoltaïque la méthode d’appréciation fixée par le Conseil d’État dans sa décision du 13 juillet 2012, Association Engoulevent, n° 345970. Le juge a ainsi considéré que l’intérêt particulier des lieux était établi, du fait notamment de la topographie marquée des lieux et de la proximité de la Forêt de Tronçais, plus grande chênaie d’Europe labellisée « forêt d’exception », que le projet revêtait par sa nature (architecture, dimensions, aspect) un caractère industriel contrastant fortement avec un territoire rural intimiste et préservé et que les impacts visuels étaient manifestement sous-estimés dans l’étude d’impact environnemental et étaient de nature à porter atteinte au caractère des lieux.

Cette décision illustre l’importance, pour démontrer l’intérêt et la sensibilité des lieux et l’impact du projet, des avis d’experts défavorables circonstanciés sur le volet paysager, de l’identification de l’unité paysagère dans un atlas local, des mentions dans des œuvres artistiques, de la présence d’éléments architecturaux ou naturels remarquables, ou encore de la visibilité du projet depuis de nombreux points (voir aussi : TA Clermont-Ferrand, 18 mars 2024, n°2301039 sur un projet photovoltaïque qui aurait fermé un panorama sur la chaîne des puys offert par un sentier de randonnée fréquenté, en altérant ainsi fortement la valeur paysagère).

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3 questions à … ,

Isabelle Colon, référente ministérielle Labellisation « Relations fournisseurs et achats responsables » (RFAR)

Vous êtes en charge de la conduite de la labellisation "relations fournisseurs et achats responsables" au sein de la direction des affaires financières du ministère. Pouvez-vous nous préciser en quoi consiste le label "RFAR" et sur quels éléments il s’appuie ?

Le label "relations fournisseurs et achats responsables"(RFAR) a été créé en 2012 par le Médiateur des entreprises, service rattaché au ministère de l’économie et des finances, avec le Conseil national des achats, association loi 1901 qui rassemble plus de 10 000 acheteurs. Ce label vise à distinguer les organisations, aussi bien publiques que privées, qui ont fait la preuve de relations durables et équilibrées avec leurs fournisseurs.

Il s’agit d’une démarche « qualité » qui a également pour objectif d’augmenter la part de nos achats durables et, de manière plus générale, d’améliorer la performance de nos achats. De plus, en tant que ministère de la transition écologique, il importe d’être exemplaire sur la prise en compte des clauses environnementales et sociales dans nos achats.

Accordé pour trois ans par le comité du label après un audit réalisé par un organisme agréé par le Médiateur des entreprises, il fait ensuite l’objet d’évaluations annuelles, et peut être renouvelé. Il est adossé à la norme ISO 20400 « achats responsables ».

Depuis 2012, 110 organisations publiques et privées représentant 150 milliards d’euros d’achats annuels, ont obtenu le label dont les ministères des armées, de l’intérieur, de l’éducation nationale et de l’économie et des finances.

Cette labellisation s’inscrit dans la démarche globale « services publics écoresponsables » dans laquelle le pôle ministériel est pleinement engagé (désormais intitulée « Engagements pour la transformation écologique de l’Etat »), qui a pour ambition d’accélérer la transition écologique et solidaire des services publics dans leur fonctionnement et leurs missions.

Quels sont les enjeux autour d’une telle labellisation pour notre ministère vis-à-vis des fournisseurs actuels et à venir et l’échéance de cette labellisation?

Le parcours national des achats responsables s’appuie sur deux piliers : la Charte « relations fournisseurs et achats responsables », d’une part, et le label RFAR d’autre part. Une première étape a été franchie le 19 juin 2024 avec la signature de la Charte par le Secrétaire général du pôle ministériel en présence du Médiateur des entreprises.

Depuis le mois de septembre, la seconde phase structurante s’est ouverte avec l’engagement dans la démarche de labellisation qui consiste à co-construire un plan d’action et de progrès avec les services compris dans le périmètre, à savoir les directions d’administration centrale ainsi que les services déconcentrés (DREAL ; DIR ; DIRM). Pour cela, des groupes de travail ont été constitués sur les thématiques majeures du label RFAR, dont les travaux sont en cours. Ensuite, un audit à blanc sera réalisé pour évaluer la pertinence de notre plan d’action au regard des exigences du label, et envisager les correctifs nécessaires. Enfin, dès que nous serons prêts, le dépôt de notre dossier pour l’obtention du label RFAR pourra être effectué, probablement au cours du second semestre 2025.

Vis-à-vis de nos fournisseurs, c’est un signal fort qui leur est adressé sur la volonté de créer avec eux une relation de confiance, fondée sur le dialogue et l’écoute active. Cela passe aussi, bien entendu, par des relations financières équilibrées, en particulier le respect des délais de paiement. En matière de litiges, la voie de la résolution amiable par le recours à la médiation sera privilégiée. A cette fin, une médiatrice interne a été désignée.

Parmi nos fournisseurs, une attention particulière sera apportée aux TPE/PME. Aujourd’hui, 72 % des contrats du pôle ministériel comportent une clause favorisant l’accès des PME et 22 % de la dépense achat est fait auprès d’elles. L’objectif est de leur faciliter encore davantage l’accès à nos marchés. Le renforcement de la communication et de l’écoute à leur égard constitue une seconde ambition, et ce rôle sera assigné en particulier au « correspondant PME » qui a été désigné à l’occasion de la signature de la Charte RFAR.

Les entreprises de l’économie sociale et solidaire représentent également des partenaires importants pour notre pôle ministériel et des conventions sont déjà en place pour permettre d’identifier sur quels segments d’achats il est possible de contracter avec elles.

Le secteur des TPE/PME est bien souvent synonyme d’innovation et il est envisagé de développer l’innovation dans nos marchés publics en nous appuyant, par exemple, sur le label « greentech innovation » décerné par Ecolab (CGDD) à des start-ups et des PME écologiques et innovantes (aujourd’hui 273 entreprises sont labélisées).

La médiation constitue un des engagements pour l’obtention du label, aussi pouvez-vous nous préciser les premières démarches mises en œuvre pour faciliter son recours en cas de différend ?

Conformément aux exigences de la Charte RFAR que le Secrétaire général a signée en juin dernier, une médiatrice interne, Catherine Drouaux, a été désignée au sein de la direction des affaires financières.

Le recours à la médiation permet de :

  • Rétablir le dialogue et la confiance entre les parties (administration et entreprise) directement impliquées dans le litige,
  • Coconstruire une solution mutuellement acceptable par les parties pour mettre fin au différend,
  • Préserver l’avenir en maintenant de bonnes relations dans la durée.

La médiatrice interne conduit la médiation de manière neutre et impartiale. Elle est, de plus, indépendante car dépourvue de tout lien avec les services des achats. Enfin, elle est soumise à la confidentialité et est garante du processus de médiation.

Toute entreprise liée par un contrat de la commande publique, ou bénéficiant d’un contrat de sous-traitance avec les services de nos ministères peut solliciter une médiation auprès de la médiatrice interne.

Pour l’instant, cette procédure est assez méconnue et peu utilisée au sein des services du ministère, contrairement à la transaction par exemple.

Il est primordial de la faire connaître davantage à nos services mais également à nos fournisseurs. Pour cela, une page spécifique va être créée sur le site internet du ministère grâce à la DICOM, afin que les entreprises puissent disposer des informations nécessaires si elles souhaitent avoir recours à la médiation interne de notre pôle ministériel.

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N°1 du 27 janvier 2025 - Angle droit 30

Comité éditorial : Olivier Fuchs, Umberto Berkani, Amandine Berruer, Ninon Boulanger, Soizic Dejou, Sophie Geay, Stéphanie Grossier, Méhar Iqbal, Sabrina Lalaoui, Nadia Lyazid, Olivier Meslin, Sophie Namer, Emma Quarante, Louise Soulard, Licia Villotta, Isabelle Volette, Pascal Zabal

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