Domanialité publique
CE, 29 novembre 2024, Ministère de la transition écologique et Société SNCF Réseau c/ Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT), nos 489545, 489568, aux Tables
Domaine public ferroviaire – Protection – Engagement de la procédure de contravention de grande voirie à l’encontre du propriétaire ou de l’attributaire – Absence de fondement pour dresser une contravention de grande voirie
Domaine public ferroviaire et contravention de grande voirie
La procédure de contravention de grande voirie (CGV) prévue à l’article L. 2232-1 du code des transports ne peut être engagée à l’encontre du propriétaire ou attributaire du domaine public ferroviaire.
Sur une ligne ferroviaire sur laquelle la circulation des trains avait été suspendue pour une durée indéterminée, SNCF Réseau a réalisé des travaux de gestion consistant à remplacer des rails et le platelage de certains passages à niveau par un enrobé de bitume. Constatant ces travaux, la fédération nationale des associations d’usagers des transports a sollicité le préfet de l’Ain et SNCF Réseau pour que soit dressé un procès-verbal de CGV à l’encontre des auteurs de ces prétendues détériorations du réseau ferroviaire pouvant porter atteinte à l’intégrité du domaine public ferroviaire.
Par un jugement du 26 octobre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions de refus de SNCF Réseau et du préfet de l’Ain.
Considérant, cependant, que les travaux en cause constituent « des dépôts d’objets sur le domaine public qui peuvent, dès lors qu’ils n’ont pas été entrepris pour assurer le maintien de la dépendance conformément à son affectation et que, même réversibles, ils forment un obstacle à la circulation des trains, être poursuivis […] par une contravention de grande voirie, et ce alors même qu’ils ont été commis par le propriétaire et gestionnaire du domaine public ferroviaire », la cour administrative d’appel de Lyon a, par un arrêt du 21 septembre 2023, réformé ce jugement et enjoint au préfet de procéder aux poursuites.
Saisi par l’État et la société SNCF Réseau, le Conseil d’État a toutefois, par sa décision du 29 novembre 2024, annulé cet arrêt et jugé que « si l’État et SNCF Réseau sont tenus, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l’utilisation normale du domaine public ferroviaire et d’exercer à cet effet, dans la limite des autres intérêts généraux dont ils ont la charge, les pouvoirs qu’ils tiennent de la législation en vigueur, y compris celui de saisir le juge des contraventions de grande voirie, pour réprimer les atteintes à son intégrité et à sa conservation, la procédure de contravention de grande voirie réprimant, dans les conditions prévues à l’article L. 2232-1 du code des transports, la méconnaissance des articles L. 2231-1 à L. 2231-9 du même code, n’est pas susceptible d’être engagée à l’encontre de SNCF Réseau pris en sa qualité de propriétaire, ou désormais d’attributaire, et de gestionnaire de ce réseau par détermination de la loi, à raison des actions qu’il conduit ou qui sont conduites pour son compte sur le domaine public ferroviaire ».
Pour autant et ainsi que le Conseil d’État le précise, cette impossibilité ne soustrait pas SNCF Réseau à tout régime de responsabilité en sa qualité de propriétaire ou gestionnaire du domaine public ferroviaire.
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Environnement
CC, 15 novembre 2024, Syndicat d’aménagement de la vallée de l’Indre, n° 2024-1111 QPC
Droit de se taire - Référé pénal environnemental
Droit de se taire et référé pénal environnemental
Les dispositions de l’article L. 216-13 du code de l’environnement relatives au référé pénal environnemental ne méconnaissent pas le droit de se taire garanti par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, sous réserve que cette personne ne soit pas suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est entendue.
L’article L. 216-13 du code de l’environnement prévoit une procédure de référé pénal environnemental par laquelle le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur de la République, peut ordonner toute mesure utile en cas de non-respect de certaines prescriptions du code de l’environnement, après audition de la personne intéressée. Ces mesures peuvent inclure « la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale ».
Le requérant reprochait à cette disposition de ne pas prévoir d’information à la personne concernée de son droit à garder le silence, contrairement aux exigences de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 relatif à la présomption d’innocence, dont découle le droit de se taire.
Le Conseil constitutionnel, sur renvoi de la Cour de cassation, a relevé que les mesures pouvant être ordonnées par le juge avaient pour seul objet de mettre un terme ou de limiter une atteinte à l’environnement à titre temporaire, et que ces mesures n’étaient pas subordonnées à l’existence d’une infraction pénale commise par la personne concernée. Dès lors, la convocation à l’audition prévue par l’article L. 216-13 n’impliquait pas que cette personne se voie notifier son droit de se taire, quand bien même ces faits pourraient lui être ultérieurement reprochés.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré l’article L. 216-13 du code de l’environnement conforme à la Constitution, sous réserve que la personne concernée soit informée de son droit de se taire avant l’audition par le juge des libertés et de la détention « lorsqu’il apparaît qu’elle est déjà suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est entendue, dès lors que ses déclarations sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement ».
Cette décision démontre une approche pragmatique de la nécessité de garantir le droit de se taire, dont on peut voir l’écho dans des décisions rendues en décembre dernier par le Conseil d’État. Rendez-vous dans le prochain numéro d’Angle droit pour en savoir plus.
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CE, 6 novembre 2024, Association Bloom, n° 468106, Inédit
Espaces naturels – Aires protégées – Protection forte
Légalité du décret du 12 avril 2022 définissant la notion de protection forte et les modalités de la mise en œuvre de cette protection
La
stratégie nationale pour les aires protégées 2030 fixe l’objectif de protéger 30% du territoire national en aires protégées dont un tiers (10%) sous protection forte à l’horizon 2030. Ces deux cibles sont fixées à l’échelle du territoire national, c’est-à-dire, pour les espaces maritimes et terrestres en métropole et en outre-mer.
Ces objectifs sont inscrits à l’article L.
110-4 du code de l’environnement, créé par l’article 227 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
En application de ces dispositions, le décret n°
2022-527 du 12 avril 2022 précise la définition et les modalités de mise en œuvre de la protection forte. La reconnaissance de la protection forte n’engendre pas de nouvelle règlementation ni de nouvelles contraintes mais reconnaît l’exemplarité de la gestion d’une zone identifiée pour protéger les enjeux écologiques et les services écosystémiques associés. Les articles 2 et 3 du décret identifient ainsi les catégories d’espaces terrestres et maritimes qui, pour certains, constituent toujours des zones de protection forte et, pour d’autres, peuvent se voir reconnaitre cette qualité à l’occasion d’un examen au cas par cas au moyen d’une procédure régionalisée et sur décision des ministres compétents.
Saisi par l’association Bloom d’un recours contre ce décret, le Conseil d’État juge que les dispositions de l’article L. 110-4 du code de l’environnement
« n’ont ni pour objet ni pour effet d’instituer un nouveau régime de protection pour les aires concernées, qui viendrait compléter les régimes de protections existants, issus notamment du code de l’environnement, du code forestier et du code de l’urbanisme » et que « les critères qui permettent d’apprécier si un espace terrestre ou maritime peut, au terme d’une analyse au cas par cas, être regardé comme bénéficiant d’une protection forte n’apparaissent ni obscurs, ni insuffisants ou en contradiction avec les définitions de la protection forte ».
Dans ses conclusions, le rapporteur public a notamment souligné que
« l’article législatif ne fournit aucune précision sur la notion de protection forte » et que
« dans cette mesure et s’agissant de surcroit d’un critère destiné uniquement à servir d’indicateur d’un objectif de l’action de l’État, le pouvoir réglementaire nous paraît disposer d’une marge d’appréciation très étendue ».
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CE, 6 novembre 2024, Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, n° 474191, inédit
Eau - Droit fondé en titre - Moulin – État de ruine
Un moulin ruiné fait la richesse du cours d’eau
Depuis la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, il n’est plus possible d’utiliser la force motrice d’un cours d’eau qui traverse sa propriété sans y être autorisé par l’administration. Cependant, un certain nombre de propriétés bénéficient encore, sur le fondement des articles L. 511-4 et L. 511-5 du code de l’énergie, du droit d’utiliser la force motrice de l’eau, s’appuyant sur des titres acquis sous l’Ancien Régime (droits fondés en titre) ou sur le fondement des législations antérieure à la loi de 1919 mais postérieure à la Révolution de 1789 (droits fondés sur titre).
Les propriétaires de ces ouvrages sont notamment soustraits à l’obligation de demander une autorisation environnementale lorsqu’ils entendent les remettre en fonctionnement. Ces ouvrages restent néanmoins assujettis à la police des IOTA en application du VI de l’article L. 214-6 du code de l’environnement et sont, en tout état de cause, soumis à un contrôle administratif préalable en application de l’article R. 214-18-1 du même code.
Le développement de la « petite hydroélectricité », encouragé par le législateur (article L. 211-1 du code de l’environnement), a fait naître un contentieux récurrent portant sur la disparition des droits fondés en titre résultant de l’état de ruine des ouvrages. Cette situation n’est pas sans conséquence dès lors que ces derniers constituent très souvent un obstacle à la continuité écologique des cours d’eau, cause principale de la dégradation des milieux et de l’état de conservation de certaines espèces dont certains poissons migrateurs.
À ce titre, le Conseil d’État juge de façon constante que « l’état de ruine, qui conduit (…) à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte qu’elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète » (CE 24 avr. 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire c. Commune de Berdoues, n° 420764, aux Tables).
Le rapporteur public dans ses conclusions sous cette affaire exposait que « il s’agit d’une hypothèse assez extrême où l’exploitation de la force motrice est devenue impossible, même en faisant des travaux de rénovation, parce que les ouvrages de l’ancien moulin n’existent plus ou parce que les lieux ont été transformés de telle façon qu’on ne peut plus utiliser l’eau pour faire tourner une turbine ».
Les juges du fond ne reconnaissaient toutefois que rarement l’existence d’un état de ruine, si bien qu’il devenait nécessaire d’obtenir un éclaircissement sur les cas où cette réserve émise par le Conseil d’État pouvait s’appliquer.
La présente affaire a ainsi permis au Conseil d’État de préciser sa jurisprudence en faisant droit au pourvoi du ministre en considérant qu’en l’espèce « il n’existe plus aucune trace du seuil de prise d’eau de l’ouvrage sur l’Indre, seuls subsistant les départs empierrés latéraux au droit de chacune des deux rives, et que le bief d’amenée, même s’il demeure tracé depuis la rivière jusqu’au moulin, est partiellement comblé et totalement végétalisé ». Dans ces circonstances, les éléments essentiels de l’ouvrage ne subsistaient plus qu’à l’état de vestige et l’état de ruine était donc acquis.
Cette décision conforte le travail au long cours des services destiné à renforcer l’effectivité de la continuité écologique des cours d’eau.
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Environnement : emballages
CE, 6 novembre 2024, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 466929, inédit
Environnement – Risques – Etiquetage – Loi AGEC
Interdiction de l’étiquetage non compostable des fruits et légumes : après un examen de constitutionnalité réussi, sursis sur l’examen de sa conventionnalité
La question de savoir si les étiquettes directement apposées sur les fruits et légumes constituent, en toute hypothèse, des emballages au sens et pour l’application de la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d’emballage, soulève une difficulté sérieuse justifiant sa transmission à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
L’article 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (« loi AGEC ») interdit la mise en vente sur le territoire français de fruits ou légumes sur lesquels sont apposées des étiquettes autres que des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées.
L’association interprofessionnelle agricole « Interfel » a saisi le Conseil d’État d’un recours dirigé contre le refus du premier ministre d’abroger le III de l’article 1er du décret n° 2020-1724 du 28 décembre 2020, qui institue à l’article R. 543-73 du code de l’environnement une contravention en cas de manquement à l’interdiction prévue par l’article 80 de la loi AGEC.
Alors qu’elle invoquait des griefs tenant à l’inconstitutionnalité de cette disposition, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré l’article 80 de la loi AGEC conforme à la Constitution (CC, 16 juin 2023, n° 2023-1055 QPC commentée dans le numéro d’Angle droit du 15 septembre 2023).
Le Conseil d’État a également été saisi de moyens tirés de la contrariété de cette disposition avec le droit de l’Union européenne, l’association requérante invoquant notamment la méconnaissance des objectifs de la directive 94/62/CE dite « emballages », dans la mesure où, selon elle, les étiquettes apposées sur les fruits et légumes constitueraient des emballages et entreraient, de ce fait, dans le champ d’application de la directive.
Se référant à l’article 3 de la directive, le Conseil d’État a, sur ce point, indiqué « qu’il pourrait être considéré » que les étiquettes apposées directement sur les fruits et légumes ne constituent pas des emballages dès lors qu’ « elles ne répondent pas parfaitement à la définition donnée par cet article, ni aux trois critères qui la complètent [pour définir les emballages] ».
Le Conseil relève cependant une difficulté sérieuse, liée au fait que « l’annexe I de la directive qualifie explicitement d’emballage (…) les étiquettes accrochées directement ou fixées à un produit ».
En conséquence, estimant qu’elle était déterminante pour trancher la solution du litige, le Conseil d’État a décidé de poser une question préjudicielle à la CJUE, en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il lui demande si « les étiquettes directement apposées sur les fruits et légumes constituent (…), en toute hypothèse, des emballages au sens de l’article 3 de la directive 94/62 du Parlement européen et du Conseil relative aux emballages et déchets et de l’annexe I à cette directive ».
Un nouveau règlement relatif aux emballages et aux déchets d’emballages modifiant le règlement (UE) 2019/1020 et la directive (UE) 2019/904, et abrogeant la directive 94/62/CE a formellement été adopté le 16 décembre 2024. Dans sa décision, le Conseil d’État a toutefois souligné que la question faisant l’objet du renvoi préjudiciel conserverait son intérêt après l’adoption de ce règlement, dans la mesure où celui-ci reprend en substance la définition de l’emballage de la directive 94/62 et de ses annexes.
L’examen de la conventionnalité des dispositions de l’article 80 de la loi AGEC est ainsi suspendu dans l’attente de la décision de la CJUE portant sur cette question.
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CE, 8 novembre 2024, Syndicats Plastalliance et Elipso, nos 475669, 488759, inédit
Emballages plastiques – Notification TRIS à la Commission européenne – Non-respect du délai de statu quo – Vice de procédure substantiel
Chou blanc pour le décret fruits et légumes
Le Conseil d’État annule le décret précisant les modalités de l’interdiction légale des emballages plastiques de fruits et légumes, en raison du non respect du délai de statu quo décidé par la Commission européenne dès lors que des travaux étaient en cours sur le sujet au sein de l’Union européenne.
Le seizième alinéa du III de l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement, créé par l’article 77 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ( « loi AGEC »), a interdit à partir du 1er janvier 2022 la vente de fruits et légumes frais conditionnés dans des emballages plastiques, à l’exception de ceux conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi que ceux présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac, dont la liste est fixée par décret.
À la suite de l’annulation par le Conseil d’État du décret du 8 octobre 2021 pris pour l’application de ces dispositions (CE, 9 décembre 2022, n° 458440), un nouveau décret d’application a été adopté le 20 juin 2023. Outre la liste des fruits et légumes exemptés de l’interdiction de présentation à la vente dans des emballages contenant du plastique, il prévoyait, pour les fruits et légumes soumis à cette interdiction, l’autorisation d’écouler les stocks d’emballages existants jusqu’au 31 décembre 2023.
Au préalable et conformément aux dispositions de l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535 dite directive TRIS, le projet de décret avait été notifié à la Commission européenne, le 14 décembre 2022. En effet, cette directive impose la notification des « règles techniques » en vue de l’examen de leur compatibilité avec le droit communautaire et les principes de la libre circulation des biens et des services.
À cette occasion, la Commission a constaté que ce projet portait sur une matière couverte par une proposition de règlement relative aux emballages et déchets d’emballages en cours de négociation et, pour ce motif, a demandé aux autorités françaises de respecter la règle du « statu quo » énoncée à l’article 6 de la directive, en différant de douze mois, soit jusqu’en décembre 2023, l’adoption du décret.
Saisi par deux syndicats professionnels d’une demande d’annulation du décret du 20 juin 2023, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conséquences à tirer de la méconnaissance de cette règle.
Ainsi, après avoir rappelé qu’en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le non-respect des articles 5 et 6 de la directive TRIS « constitue un vice substantiel dès lors que l’adoption et la publication d’une règle technique, en méconnaissance de ces dispositions, sont susceptibles en tant que telles de créer des entraves aux échanges contraires aux traités européens, et ne permettent ni de prendre en considération les observations des autres États membres ou de la Commission, ni, pour celle-ci, de proposer l’édiction de normes communes ou harmonisées réglant la matière faisant l’objet de la mesure envisagée », le Conseil d’État s’est référé à un très récent arrêt de la Cour, Papier Mettler Italia Srl c/Italie (CJUE, 21 décembre 2023, aff. C-86/22, point 51), indiquant qu’une règle technique ne peut être adoptée, quand bien même elle a été notifiée à la Commission, si la période de report d’adoption n’est pas expirée, « la circonstance que l’entrée en vigueur de la règle technique nationale adoptée soit conditionnée à l’issue de la procédure de notification préalablement engagée » étant, sur ce point, indifférente.
Dans ce cadre, le Conseil d’État retient que l’adoption du décret avant l’expiration de la période de report de douze mois constitue un vice substantiel justifiant son annulation, quand bien même le décret autorisait l’écoulement des stocks d’emballage jusqu’au 31 décembre 2023.
Il faudra donc encore attendre pour pouvoir lutter plus efficacement contre les emballages plastiques inutiles.
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Environnement : éolien
CE, 18 novembre 2024, Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire, n° 474372, aux Tables
Autorisation environnementale – Sursis à statuer pour régularisation – Délai de régularisation du vice – Modalités de contestation
Le Conseil d’État précise les modalités de fixation du délai de régularisation par le juge administratif et de contestation de ce délai
Le Conseil d’État précise les modalités selon lesquelles, dans le cadre des dispositions du 2° de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, le juge administratif peut déterminer le délai accordé aux parties pour régulariser les éventuels vices qui entachent l’autorisation environnementale et fixe le cadre pour une éventuelle contestation du délai de régularisation ainsi octroyé.
L’affaire concerne un parc éolien devant s’implanter en Charente, dont l’autorisation délivrée par la préfète a fait l’objet d’un recours. Par un arrêt avant dire droit du 21 mars 2023 adopté en application du 2° de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, et à la suite du constat d’un vice d’illégalité tenant à l’absence de dérogation « espèces protégées », la cour administrative d’appel de Bordeaux a sursis à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai de quatre mois en vue de permettre la régularisation du vice ainsi relevé et a suspendu l’exécution des parties non viciées de l’autorisation jusqu’à la délivrance éventuelle de cette dérogation.
Dans son pourvoi contre cet arrêt avant dire droit, le pétitionnaire contestait le délai de quatre mois accordé pour régulariser le vice susmentionné.
Si le Conseil d’État rejette ce pourvoi, il rappelle, en premier lieu, que lorsque le juge administratif met en œuvre les pouvoirs qu’il tient du 2° de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, il est tenu, avant de surseoir à statuer, d’inviter les parties à présenter leurs observations, lesquelles peuvent notamment porter sur le délai pour parvenir à la régularisation et que, sur la base de ces observations, le juge doit « fixer le délai dans lequel doit lui être notifiée l’autorisation modificative en tenant compte des mesures à prendre pour régulariser le vice retenu et des éventuelles contraintes dont l’ont informé les parties ». Il souligne, ce faisant, l’importance des observations produites par l’administration et le pétitionnaire pour permettre au juge de fixer un délai de régularisation réaliste, tenant compte de l’existence de contraintes pratiques, d’ordre administratif et technique ou de l’existence de délais incompressibles.
Le Conseil d’État juge, en deuxième lieu, que le délai de régularisation fixé par le juge ne peut utilement être critiqué devant le juge de cassation qu’au stade de la contestation de la décision avant dire droit. Cette solution s’inscrit dans le prolongement de sa décision Association "Sans offshore à l’horizon " et autres (CE, 2022, n° 447229, aux Tables) selon laquelle la décision avant dire droit peut être contestée en tant que le juge a fait application des dispositions de l’article L. 181-18, tant que n’a pas été délivrée l’autorisation modificative dont l’octroi prive d’objet ces conclusions.
En troisième lieu, le Conseil d’État exerce un contrôle restreint du délai de régularisation fixé par le juge du fond : contrôlant le délai accordé en l’espèce, il se borne à relever que celui-ci n’est pas « manifestement insuffisant ».
Le Conseil d’État juge, en dernier lieu, qu’à l’expiration du délai de régularisation, le juge peut faire droit aux conclusions aux fins d’annulation si aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée, mais ne peut se fonder sur la circonstance qu’une régularisation lui a été adressée après expiration du délai pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité de l’autorisation attaquée. Ce faisant, il transpose dans le domaine de l’application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement une solution dégagée en matière de régularisation des autorisations d’urbanisme (CE, 2022, Ministre et Sté MSE La Tombelle, n°420554, au Recueil). Ainsi, lorsque la mesure de régularisation est soumise au juge, même postérieurement à l’expiration du délai qu’il avait octroyé, il est tenu de la prendre en compte. Par contre, en l’absence d’une telle mesure alors qu’est dépassé le délai de régularisation accordé, l’autorisation viciée peut être annulée.
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CE, 18 novembre 2024, Société Q Energy, n° 487701, aux Tables
Eolien – Dérogation espèces protégées – Mesures d’évitement et de réduction – Pouvoirs du juge de pleine juridiction
De nouvelles précisions sur les mesures d’évitement et de réduction à prendre en compte pour apprécier la nécessité d’une dérogation espèces protégées
Le Conseil d’État confirme que les mesures d’évitement et de réduction à prendre en compte afin d’apprécier si le risque pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé pour justifier la nécessité d’une dérogation aux interdictions d’atteintes aux espèces protégées énoncées à l’article L. 411-1 du code de l’environnement, ne sont pas uniquement celles proposées par le pétitionnaire mais peuvent également être celles prescrites par le juge lui-même dans l’exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction.
Par son avis du 9 décembre 2022, « Association Sud-Artois » (avis CE, n° 463563, au Recueil) le Conseil d’État a jugé que le pétitionnaire n’est pas tenu de solliciter une dérogation à l’interdiction des atteintes aux espèces protégées « dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé ».
Parmi les précisions apportées postérieurement à cet avis (et dont un panorama complet a été exposé dans le numéro d’Angle droit du 21 novembre 2024), le Conseil d’État juge que, pour apprécier si le risque est suffisamment caractérisé, il convient non seulement de prendre en compte les mesures d’évitement et de réduction initialement proposées par le pétitionnaire, mais également celles prescrites par l’administration ou par le juge lui-même dans l’exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction.
En l’espèce, par l’arrêt contre lequel a été formé un pourvoi en cassation, la cour administrative d’appel de Bordeaux avait décidé de renforcer, au titre de la protection des intérêts visés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, les mesures de bridage des éoliennes définies par le préfet. Le Conseil juge que, pour apprécier si une dérogation « espèces protégées » était nécessaire en raison de risques d’atteintes aux chiroptères présents dans la zone du projet, la cour aurait dû tenir compte des mesures de bridage complémentaires qu’elle a elle-même prescrites.
Par ailleurs, le Conseil d’État juge que la dérogation espèces protégées est unique et insécable. En effet, quand bien même la cour a jugé selon des motifs erronés en ce qui concerne les chiroptères, mais non en ce qui concerne les espèces protégées de l’avifaune, le Conseil d’État prononce l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a annulé l’autorisation environnementale au motif qu’elle ne comportait pas de dérogation « espèces protégées », et non en tant seulement qu’il s’est prononcé sur la nécessité d’une telle dérogation au regard du risque pour les chiroptères.
La décision rappelle, enfin, que la voie de la tierce opposition prévue à l’article R. 832-1 du code de justice administrative est ouverte aux tiers qui justifieraient d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation de la décision administrative d’autorisation, dans la configuration particulière où le juge administratif des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), après avoir annulé la décision préfectorale de refus, fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour délivrer lui-même l’autorisation (CE, 29 mai 2015, n°381560, au recueil). Il est toutefois précisé que lorsqu’une personne a été représentée à l’instance par une personne ayant des intérêts concordants avec les siens, elle n’est pas recevable à former une telle tierce opposition, mais que des habitants riverains d’un projet d’ICPE ne peuvent, sur ce point, être regardés comme ayant été valablement représentés par une association dont l’objet statutaire inclut la défense des conditions de vie des habitants d’une zone géographique particulière.
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CE, 13 décembre 2024, Chemin perdu, n° 465368, aux Tables
Éolien –Saturation visuelle – Cumul d’incidences – Instruction concomitante de plusieurs projets
L’appréciation de la saturation visuelle causée par un projet de parc éolien en cas d’instruction concomitante de plusieurs projets
Le Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut prendre en compte les effets cumulés d’un projet de parc éolien avec d’autres projets pour apprécier l’existence d’un phénomène de saturation visuelle.
Dans cette affaire, le préfet du Pas-de-Calais a refusé de faire droit à la demande d’autorisation environnementale déposée pour l’exploitation d’un parc éolien dans le comté d’Artois. Pour justifier de son refus, le préfet avait conclu à l’existence d’un effet de saturation visuelle en prenant en compte les effets cumulés du projet avec cinq autres projets de parcs éoliens instruits de manière concomitante, dont trois avaient, entre-temps, fait l’objet de décisions de refus qui, à la date de la décision de refus contestée, faisaient l’objet de recours pendants devant le juge administratif. Dans un arrêt du 3 mai 2022, la cour administrative d’appel de Douai avait confirmé le refus d’autorisation du préfet en considérant qu’il avait à bon droit tenu compte des projets ayant fait l’objet de refus non définitifs.
Saisi d’un pourvoi en cassation formé par la société pétitionnaire, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour en étendant à l’administration sa jurisprudence Société WP France 23 du 10 novembre 2023 (n° 459079, aux Tables) relative à l’appréciation par le juge de plein contentieux de l’effet de saturation visuelle causé par un projet éolien. Le Conseil d’État indique ainsi que pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à un tel effet, il appartient à l’autorité administrative « de tenir compte de l’effet d’encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l’ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d’écrans visuels, l’incidence du projet sur les angles d’occupation et de respiration, ce dernier s’entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents ».
L’affaire examinée donne également l’occasion au Conseil d’État de préciser dans quelle mesure les incidences cumulées des autres projets de parcs éoliens prévus à proximité du projet examiné, qui sans être encore autorisés, peuvent être nombreux, doivent être prises en compte pour apprécier l’existence d’un effet de saturation visuelle. Le Conseil d’État souligne sur ce point que si l’autorité administrative peut le cas échéant « tenir compte pour porter cette appréciation, d’autres projets de parcs éoliens, faisant l’objet d’une instruction concomitante, qu’elle s’apprête à autoriser, elle ne saurait prendre en compte des projets qu’elle a refusés, quand bien même les décisions de refus ne seraient pas devenues définitives ». Ainsi, quand bien même le refus d’autoriser un projet voisin pourrait être ultérieurement annulé par le juge administratif, un tel projet n’a pas à être pris en compte par l’autorité administrative pour apprécier si le projet de parc éolien examiné génère ou non un effet de saturation visuelle.
Cependant, la cour, devant laquelle l’affaire est renvoyée devra statuer à nouveau sur la légalité du refus d’autorisation, et se prononcera, le cas échéant, au regard d’éventuelles circonstances de fait nouvelles, notamment la délivrance d’autorisations pour des projets qui auraient initialement été refusés. La décision Chemin perdu rappelle ainsi la nécessité pour l’autorité administrative de fonder l’appréciation de l’effet de saturation visuelle sur des éléments tangibles ou, à tout le moins, suffisamment prévisibles, pour lui permettre de s’y retrouver…
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Fonction publique
CE, 18 octobre 2024, Ministre de l’éducation nationale, n° 470016, aux Tables
Procédure disciplinaire – Placement sous contrôle judiciaire - Mesures conservatoires – Absence de service fait
Pas d’obligation de reclassement ou de détachement d’office en cas de contrôle judiciaire
Les articles L. 531-1 et suivants du code général de la fonction publique (CGFP) prévoient qu’en cas de faute grave d’un agent, constituée notamment par une infraction pénale, l’autorité disciplinaire peut le suspendre de manière conservatoire pour une durée de quatre mois, le temps que le conseil de discipline se réunisse. À l’expiration de ce délai, et si aucune décision disciplinaire n’a encore été prise, le fonctionnaire, même s’il fait l’objet de poursuites pénales, doit être rétabli dans ses fonctions, sauf si les mesures décidées par l’autorité judiciaire ou l’intérêt du service y font obstacle.
Depuis la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, l’administration peut, lorsqu’elle n’entend pas réintégrer l’agent sur son poste, en particulier lorsque les mesures de contrôle judiciaire auxquelles il est soumis s’y opposeraient, changer provisoirement l’affectation de l’agent ou procéder à son détachement d’office. Elle peut aussi prolonger la mesure de suspension en l’assortissant, le cas échéant, d’une retenue sur traitement (articles L. 531-3 et L. 531-4 du CGFP).
Il a de longue date été jugé qu’aucune disposition n’impose à l’administration de prononcer la suspension en cas de commission d’une telle faute grave, et que rien ne l’empêche d’interrompre, dans ces circonstances, le versement du traitement d’un fonctionnaire pour absence de service fait (CE, 25 octobre 2022, ministre de l’Intérieur, n° 247175).
L’affaire commentée a amené le Conseil d’État à savoir si ce raisonnement était également applicable aux mesures de changement d’affectation provisoire ou de détachement d’office à portée conservatoire nouvellement créées.
Saisi d’un recours en indemnisation, le Conseil d’État juge que ces nouvelles dispositions, pas plus que celles concernant la suspension, n’imposent pas à l’administration d’attribuer à l’agent concerné une autre affectation ou de le détacher dans un autre corps ou cadre d’emploi. En conséquence, rien n’empêche là non-plus l’administration d’interrompre le versement du traitement d’un tel agent pour absence de service fait, notamment dans le cas où il fait l’objet d’une incarcération ou d’une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant d’exercer ses fonctions.
Cet arrêt étend donc le raisonnement tenu concernant la suspension aux nouvelles modalités conservatoires introduites dans le statut de la fonction publique par la loi de 2016.
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Transports
CE, 8 novembre 2024, MTECT c/ Association Française des Opérateurs de Recharge pour Véhicules Electriques (AFOR), n° 475080, aux Tables
Aide d’État – Service d’intérêt économique général (SIEG) – Financement des infrastructures de recharge de véhicules électriques
Infrastructures collectives de recharge de véhicules électriques dans les immeubles collectifs d’habitation : l’aide apportée au gestionnaire de réseau n’est pas une aide d’État
La compensation octroyée au gestionnaire de réseau public d’électricité pour la prise en charge de l’installation des infrastructures collectives de recharge de véhicules électriques dans les immeubles collectifs à usage principal d’habitation ne constitue pas une aide d’État.
Dans cette affaire, l’association requérante demandait l’annulation de deux arrêtés du 2 juin 2023, pris en application des articles D. 353-12 et suivants du code de l’énergie, eux-mêmes pris en application de l’article L. 353-12 du code, issu de la loi Climat et résilience. Ces dispositions prévoient que, lorsque le propriétaire ou le syndicat de copropriété fait appel au gestionnaire du réseau d’électricité pour l’installation d’infrastructures collectives relevant du réseau public d’électricité, les coûts de l’infrastructure collective sont initialement couverts par le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE).
La requérante estimait que la prise en charge par le TURPE de ces coûts constituait une aide d’État au profit des gestionnaires de réseau qui, en méconnaissance de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, n’avait pas été notifiée à la Commission européenne.
Le Conseil d’État juge que le financement, via le TURPE, de l’infrastructure collective de recharge que le gestionnaire de réseau est chargé d’installer remplit les critères cumulatifs de la jurisprudence Altmark (CJCE, 24 juillet 2003, C-280/00) et échappe ainsi à la qualification d’aide d’État.
En effet, le gestionnaire de réseau est, quelle que soit la rentabilité de projet, tenu, au titre de sa mission de service public, de procéder à la réalisation de toute infrastructure collective de recharge remplissant les conditions réglementaires, qui constitue un ouvrage du réseau public. Cette infrastructure est donc seulement une extension du réseau public. De plus, les paramètres de calcul du TURPE étant définis de manière objective, transparente et non discriminatoire, la compensation ne peut, d’une part, conférer un avantage économique ou favoriser le gestionnaire de réseau et n’excède pas, d’autre part, ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts résultant de l’exécution de l’obligation de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable. Enfin, la requérante n’a pas contesté que le niveau de compensation ne s’écartait pas des coûts que supporterait une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises.
Le Conseil d’État écarte ainsi le moyen tiré du défaut de notification, en violation des stipulations du paragraphe 3 de l’article 108 du TFUE, de l’article L. 353-12 du code de l’énergie et de ses dispositions réglementaires d’application.
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CE, 26 novembre 2024, M. I. c/ Ministère de la transition écologique, n° 488845, Inédit
Procédure de réception des véhicules – Essai complémentaire en cas de modification de parties de véhicules, systèmes, composants ou entités techniques – Consultation du public – Défaut d’incidence directe et significative sur l’environnement
La participation du public n’est pas nécessaire concernant des mesures visant à la seule sécurité des véhicules
Les prescriptions règlementaires imposant la réalisation d’un essai complémentaire en cas de modification de parties de véhicules, systèmes, composants ou entités techniques n’ont pas d’incidence directe et significative sur l’environnement et n’ont donc pas à faire l’objet d’une consultation du public.
Un particulier est propriétaire d’un véhicule dont la motorisation thermique a été transformée en motorisation électrique (« rétrofit »). Ce véhicule devait, conformément à l’article R. 321-16 du code de la route, faire l’objet d’une réception à titre isolé, afin de constater qu’il satisfait aux prescriptions techniques exigées pour sa mise en circulation. Le requérant a demandé au Conseil d’État l’annulation des dispositions d’un arrêté relatives à cette réception.
Les dispositions attaquées prévoient en substance la réalisation d’un essai complémentaire en cas de modification de parties des véhicules, systèmes, composants et entités techniques, en l’absence d’accord écrit du constructeur. Était notamment contesté le défaut de consultation du public préalablement à l’adoption de ces dispositions.
Le Conseil d’État juge que « les dispositions attaquées, qui se bornent à définir les prescriptions qui doivent être respectées dans le cas de la transformation d’un véhicule ont trait à la seule sécurité du véhicule ayant subi des modifications et ne peuvent être regardées comme ayant une incidence sur l’environnement dès lors qu’elles n’ont sur ce dernier qu’un effet indirect et non significatif au sens du troisième alinéa de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement. Leur adoption n’avait dès lors pas à être précédée d’une consultation du public ».
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CE, 26 novembre 2024, Société S. c/ Ministère de la transition écologique, nos 488868, 488869, inédit
Procédure d’immatriculation et de réception des véhicules – Droit de l’Union européenne – Libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux
Conformité au droit de l’UE des règles d’immatriculation et de réception des véhicules précédemment immatriculés dans un autre État membre
Les prescriptions règlementaires imposant la présentation d’un véhicule précédemment immatriculé sur le territoire de l’Union européenne au service en charge des réceptions aux fins de délivrance d’une attestation de vérification des données techniques, préalablement à son immatriculation, ne sont pas contraires aux dispositions du droit de l’Union européenne.
Une société, spécialisée dans l’importation de véhicules, a demandé au Conseil d’État l’annulation de plusieurs dispositions de deux arrêtés du 4 août 2023 relatives aux modalités d’immatriculation et de réception des véhicules. Ces dispositions ont modifié la procédure d’immatriculation et, le cas échéant, de réception, d’un véhicule usagé complet ou complété, précédemment immatriculé sur le territoire de l’Union européenne avec un certificat d’immatriculation définitif et harmonisé, non conforme à un type ayant fait l’objet d’une réception européenne ou d’une réception nationale française, et importé en France en vue de son immatriculation. Elles prévoient notamment la présentation de ces véhicules, préalablement à leur immatriculation, au service en charge des réceptions aux fins de délivrance d’une attestation de vérification des données techniques (AVDT).
Le Conseil d’État, s’appuyant sur la jurisprudence de la CJUE (affaire C-326/17 du 24 janvier 2019) écarte le moyen tiré de la méconnaissance du règlement (UE) n° 2018/858 relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à moteur, au motif que « l’examen physique de correspondance entre les données techniques qui figurent sur le certificat d’immatriculation délivré par l’autre État membre et celles du véhicule, permettant aux services compétents d’établir l’attestation de vérification des données techniques, constitue une formalité inhérente au traitement même de la demande de nouvelle immatriculation du véhicule en France » et qu’ « une discordance entre ces données constitue un motif raisonnable de croire que le véhicule présenté ne satisfait pas aux prescriptions techniques en vertu desquelles il a été réceptionné par l’autre État membre, au sens du paragraphe 3 de l’article 46 du règlement du 30 mai 2018 précité, justifiant une nouvelle réception à titre isolé ».
Il juge que le dispositif attaqué, et notamment les délais et déplacements nécessaires pour procéder à la vérification des données techniques, n’est pas disproportionné au regard « des objectifs qu’il poursuit tenant à la sécurité routière, à la protection de l’ordre public et du consommateur ainsi qu’à la lutte contre la fraude et le trafic des véhicules ». Il ne méconnait dès lors pas l’interdiction des restrictions quantitatives à l’importation énoncée à l’article 34 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui garantit la libre circulation des marchandises au sein de l’Union.
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Urbanisme
CE, 22 octobre 2024, Commune d’Aulnay-sur-Mauldre, n° 467373, Inédit
Permis de construire tacite – Consultation des services de l’État – Délai du déféré préfectoral
Cas pratique concernant le point de départ du délai pour introduire un déféré préfectoral
La consultation par une commune du préfet, pour recueillir son avis conforme sur un projet au titre de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme, vaut-elle transmission par celle-ci à ce même préfet au titre du contrôle de légalité ? À ce cas pratique, le Conseil d’État apporte fort logiquement une réponse négative.
Le Conseil d’État rappelle ainsi qu’un permis de construire tacite est exécutoire dès qu’il est acquis et que, dans le cas d’un tel permis tacite, une commune est réputée avoir satisfait à l’obligation de transmission aux services de l’État, prévue par les articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), si elle a transmis au préfet l’entier dossier de la demande de permis. Le délai ouvert pour introduire un déféré court alors à compter de la date à laquelle le permis est acquis ou, dans l’hypothèse où la commune ne satisfait à l’obligation de transmission au préfet que postérieurement à cette date, à compter de la date de cette transmission (voir pour le cas où une commune a fait appel aux services de l’État pour l’instruction d’un dossier de permis de construire sur le fondement des dispositions de l’article L. 422-8 du code de l’urbanisme : CE, 17 décembre 2014, n° 373681, aux Tables).
Par ailleurs, le code de l’urbanisme prévoit des hypothèses dans lesquelles le maire est tenu de recueillir l’avis conforme du préfet, notamment en l’absence de carte communale, de plan local d’urbanisme ou de document d’urbanisme en tenant lieu (article L. 422-5).
La combinaison de ces règles est simple : lorsqu’une commune a consulté les services de l’État pour recueillir l’avis conforme du préfet sur le fondement de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme, cette demande ne constitue pas une transmission faite aux services de l’État en application des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du CGCT et n’est donc pas de nature à faire courir le délai du déféré préfectoral.
Dès lors, quand bien même les services préfectoraux ont pu avoir préalablement communication d’une pièce dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à avis conforme, la demande de cette même pièce, utile à l’exercice du contrôle de légalité, prolonge le délai de déféré.
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CE, 18 novembre 2024, Communauté de communes Cœur Haute Lande, n° 487885, aux Tables
Droit de préemption urbain – Caractère exécutoire d’une délibération – Formalités de publicité
Publicité par voie de presse du droit de préemption urbain : incidences juridiques et règles applicables
Les délibérations instituant un droit de préemption doivent faire l’objet d’un affichage pendant un mois et d’une mention insérée dans deux journaux diffusés dans le département, en vertu de l’article R. 211-2 du code de l’urbanisme. Le Conseil d’État juge que dans la mesure où l’inscription sur la liste des journaux susceptibles de recevoir les annonces légales dans le département, qu’il incombe au préfet de fixer chaque année au mois de décembre pour l’année suivante (article 2 de la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955), est notamment subordonnée à la condition, vérifiée à cette occasion, d’une diffusion suffisante dans le département, une mention dans un journal figurant sur cette liste doit être regardée comme de nature à assurer l’information par voie de presse instituée par l’article R. 211-2 du code de l’urbanisme.
Le Conseil d’État juge également, par la même décision, que le respect de la durée d’affichage et celui de l’obligation d’information par voie de presse sont sans incidence sur la détermination de la date à laquelle la délibération instituant le droit de préemption urbain devient exécutoire : son caractère exécutoire est acquis, comme pour les autres actes des communes, dès qu’elle a été publiée ou affichée et transmise au représentant de l’État.
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CE, 29 novembre 2024, Syndicat Union Défense Active Foraine (UDAF) et autre, n° 498358, aux Tables
Droit de se taire - Procès-verbal constatant une infraction d’urbanisme
Le droit de se taire n’implique pas une garantie dès les prémices de la procédure pénale
Les dispositions de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme, en ne prévoyant pas que toute personne susceptible d’être entendue doit être informée de son droit de se taire, ne méconnaissent pas ce droit garanti par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Les requérants demandaient l’annulation du refus du Premier ministre d’abroger l’article 3 de l’arrêté du 14 avril 2009 autorisant la mise en œuvre, dans les communes, de traitements automatisés ayant pour objet la recherche et la constatation des infractions pénales par leurs fonctionnaires et agents habilités, notamment en application de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme. A l’occasion de ce contentieux, les requérants soutenaient que les dispositions de cet article L. 480-1, en ce qu’elles ne prévoient pas, lors du constat des infractions qu’elles énumèrent, la garantie tenant à ce que soit notifié à la personne concernée le droit de se taire, méconnaissent les dispositions de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Le Conseil d’État rappelle que les dispositions contestées de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme ont pour seul objet de déterminer les catégories d’agents publics habilités, soit de plein droit, soit s’ils sont commissionnés à cet effet et assermentés, à procéder au constat matériel de certaines infractions en matière d’urbanisme. Il rappelle aussi que, selon ces mêmes dispositions, les procès-verbaux que ces agents sont amenés à dresser font foi jusqu’à preuve du contraire et qu’une copie du procès-verbal constatant une infraction doit être transmise sans délai au ministère public, qui apprécie l’opportunité des poursuites.
En conséquence, le Conseil d’État considère que si les dispositions contestées n’excluent pas que soit entendue, par l’agent public chargé de constater l’infraction, toute personne présente à l’occasion du constat, y compris le cas échéant la personne susceptible de faire l’objet de poursuites si celles-ci sont ultérieurement engagées, elles n’ont pas pour objet de prévoir et d’organiser une telle audition. Il juge que l’article 9 de la Déclaration de 1789 n’est dès lors pas applicable, et qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
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